September…

… où, c’est la même histoire chaque année. Avant les feuilles mortes, il faut survivre jusqu’au 15, deadline de tous les délais venus s’échouer dans l’agenda durant les féries judiciaires. Au programme, équilibrisme improbable entre le droit administratif, le pénal et, bien sûr, le civil. Nos petites cellules grises sont donc mises à rude épreuve. Il faut bien l’avouer, parfois, c’est un métier de fou. Il faut avoir la tête bien solide pour ne pas s’égarer en chemin. Et une bonne playlist pour soutenir l’effort…
Le 1er…

… où nous commençons avec un petit peu de vocabulaire juridique, histoire que les magnifiques visiteurs de ce blog saisissent bien la substantifique moelle de nos angoisses existentielles.

Savez-vous ce qu’est un « dj » ?

Non, ce n’est pas ce sympathique personnage, casquette de travers, casque décalé sur les oreilles, et qui prend un air pénétré en triturant des boutons pour nous faire danser.

« dj »… notez les lettres minuscules, stratégie psychologique futile de votre serviteur pour leur donner moins d’importance. La plupart de mes confrères utilisent toujours les majuscules, comme moi, jusqu’à ce que quelques immersions dans la méditation de pleine conscience fassent relativiser l’importance des majuscules, entre autres choses.

« dj »… cet acronyme est le tempo de la vie d’avocat. Mot valise qui signifie « dernier jour ». Soit l’échéance d’un délai pour faire quelque chose : répondre, recourir, exprimer un avis à propos d’une certaine situation, en général en répondant à l’invitation d’un juge, non pas complaisant, mais qui donne à notre client-e la possibilité d’exercer un droit fondamental, celui d’être entendu.

Début septembre, ces dj fleurissent comme les bourgeons au printemps. La faute à la suspension de la plupart des délais judiciaires du 15 juillet au 15 août.

Il y en a deux types.

Ceux que l’on peut prolonger en demandant poliment au magistrat de nous faire cette fleur. C’est le danger. À force de procrastiner, on se retrouve souvent dos au mur avec une quantité de « dj » devenus autant de récifs autour de notre barque et que l’on ne peut pas ou plus repousser décemment. Ou parce que le juge ou la partie adverse nous ont gentiment fait savoir que, tout ça c’est bien joli, mais, maintenant, ça suffit !

Et puis il y a ceux que l’on ne peut pas prolonger. Ce sont les délais de recours. 30 jours, 10 jours, et là, il faut livrer la marchandise en temps et en heure, dans un bureau de poste suisse jusqu’à 24h, comme dit la jurisprudence du Tribunal fédéral. Mais bon, allez trouver un bureau de poste ouvert à 23h30 de nos jours… Donc, le Jour J, à 18h30 la messe est dite !

Donc, voilà à quoi sert le 1er septembre, à regarder son agenda, et essayer de ne pas céder à la panique en gardant la tête froide.

Le 2…

… où, s’il n’y avait que les “derniers jours”, cela ne serait pas forcément un jeu d’enfants, mais, moyennant une organisation basique, et quelques dry martini, on s’en sortirait, plus ou moins indemne.

Non, il faut aussi compter sur les imprévus, qui prennent la forme souvent de magistrats qui se rappellent justement à votre bon souvenir, parce qu’ils ont entendu dire que c’est la rentrée.

Ce qui provoque généralement des réactions en chaîne, jusqu’à celui qui est justement au bout de cette chaîne, le client.

Et la, votre planification si bien huilée, se dérègle tout à coup pour se transformer en véritable parcours du combattant.

Vous voilà donc au parfum pour ce qui est du début septembre. Let’s play.

Le 4…

… où le problème avec la Faculté, ce n’est pas, comme dirait Coluche, qu’elle les a perdues, c’est plutôt qu’elle a sa propre méthodologie de pensée, et, force est de le constater à chaque fois, celle-ci peut différer sensiblement d’un juriste.

Voilà un dossier de responsabilité civile où le problème basique est de savoir si les conséquences sérieuses d’une intervention chirurgicale sont le résultat de la faute à « pas de chance », ou d’une erreur de l’un des intervenants, ici l’anesthésiste, erreur qui aurait pu être évitée.

Tout acte médical implique une incertitude, même le plus courant, le plus basique. Tous les médecins vous le diront : si nous devons attendre avant chaque intervention que toutes les étoiles soient bien alignées, nous n’opérerions pratiquement plus personne. Et notre job, c’est d’opérer. Parfois, coûte que coûte.

Et, en face, nous avons le système de la responsabilité civile qui pose comme condition cardinale que, si une personne s’estime victime d’un acte médical qui n’a pas été exécuté dans les règles de l’art, elle doit prouver la faute, bien sûr, son dommage, aussi, mais surtout le lien de causalité entre la faute et le dommage. Et, c’est là que le bât blesse souvent.

C’est le cas ici.

C’est comme cela qu’on se retrouve à traquer l’incongruité au travers de pièces médicales, parfois sibyllines, souvent rédigées à la main, ce qui, connaissant les qualités de graphiste du corps médical, revient en général à devoir décrypter des hiéroglyphes.

Mais ce n’est pas le plus délicat.

Le plus délicat, c’est de se retrouver confronté à une personne qui a été marquée dans sa chair de façon irréversible, par un acte qu’elle ne peut comprendre autrement que comme une atteinte illicite à son intégrité physique. Ce qui est d’ailleurs parfaitement juste.

Mais, comme évoqué quelques lignes plus haut, il faut que l’on démontre que cette atteinte n’aurait jamais dû survenir, que ce n’est donc pas un coup du hasard, mais bien une « erreur », même ténue.

Deux logiques s’affrontent donc et la plupart du temps, s’il y a incertitude de part et d’autre, ce sera à la justice de trancher. À moins que l’assureur du médecin, considérant l’affaire mal est mal engagée, n’accepte d’entrer en discussion avec l’avocat pour un règlement du litige à l’amiable. La moins mauvaise solution généralement.

En résumé, les matheux apprécieront, les affaires de RC médicale, c’est la plupart du temps une équation à plusieurs inconnues.

Le 8…

… où ce repas improvisé avec un client est l’occasion de débattre d’un problème quasi philosophique, découlant du système judiciaire : quelle attitude adopter face à une décision mal motivée et intrinsèquement injuste ?

La réponse serait finalement assez simple, si elle ne se résumait qu’à cette seule équation. Voici l’élément fondamental : la décision a des conséquences insignifiantes pour son destinataire. Qui me demande maintenant de lui expliquer ce qu’il doit faire, parce que, pour lui, c’est une faillite du système, et, cela, le citoyen qu’il est, considère que, dans la mesure où il remplit tous ses devoirs à l’égard de la société, il est en droit d’attendre en retour que ses juges fassent leur boulot. Et réfléchissent un tantinet avant de s’égarer dans la facilité, ce dont il n’a pas à faire les frais.

Postulat, on ne peut plus justifié, mais l’avocat sait que, si le système judiciaire fonctionnait à la perfection, il n’y aurait justement pas besoin des gens de robe, ni des juges d’appel d’ailleurs.

Face à une décision judiciaire perçue comme injuste, même lorsque ses conséquences paraissent dérisoires, l’avocat doit exprimer une approche qui va au-delà de l’analyse purement pragmatique du rapport coûts-bénéfices.

Se souvenir de Vergès, notre maître à tous, quand on parle de système qui ne répond pas aux attentes. Chaque injustice, fut-elle mineure, constitue une brèche dans l’édifice démocratique qu’il convient de colmater disait-il.

Les « petites » injustices d’aujourd’hui annoncent les dérives de demain, créant au passage des précédents jurisprudentiels dangereux.

Cette vision systémique du droit imposerait donc de contester toute décision erronée, indépendamment de son impact immédiat. L’avocat expérimenté sait pourtant qu’il doit d’abord conseiller au mieux son client et ne pas endosser d’emblée le rôle – certes flatteur – de gardien des libertés individuelles et de l’équité procédurale.

Dupond-Moretti, avant de devenir ministre, répétait que l’acceptation passive d’une décision injuste, même bénigne, équivaut à une capitulation intellectuelle qui affaiblit progressivement les droits de la défense et donc de l’individu face au système judiciaire.

Voilà qui est certes émoustillant. Mais au final, il faut prendre une décision terre-à-terre. Quel chemin choisir ? L’appel ou la résignation…

Le client doit conserver le libre choix, sur la base des explications que lui fournit son conseil. Conseil dont la vision stratégique effectue dans ce genre de situation un slalom harassant entre l’énervement légitime du travail bâclé et sa connaissance du système, surtout de ses imperfections. Sans compter les contraintes procédurales qui limitent le champ d’examen du dossier par le juge du recours et donc lui fournit un prétexte basique pour ne pas entrer en matière sur des questions qui lui paraissent futiles.

Tout au plus, en cas de décision manifestement irréfléchie du client, l’avocat doit lui mettre le doigt dessus.

Ici, il choisit d’aller de l’avant, parce que, s’il ne le fait pas, il s’en voudra plus tard.

Ce n’est donc pas une erreur manifeste, puisque la décision est manifestement injuste.
Mais, on le sait, la démonstration juridique du concept d’injustice n’est pas unanimement partagée par tous les juges.

Du pain sur la planche donc…

Le 15…

… où, avec l’aide de notre jeune Padawan, on arrive finalement en vie, mais un brin lessivé, au terme du marathon de ces sept derniers jours, ponctué d’échéances qui ne pouvaient être renvoyées aux calendes grecques.

Il est temps maintenant de penser à l’audience de mercredi.

Le 17…

… où nous voici donc mercredi, debout, dans notre robe, intervenant à la défense d’une jeune fille, un peu en perte de repères, qui s’est retrouvé dans une embrouille, pas forcément à son corps défendant, mais l’histoire aurait pu très mal tourner, puisqu’il est question d’un coup de couteau.

Elle ne l’a pas donnée, elle ne l’a pas reçue. Mais son rôle ne peut pas être qualifié de passif.

L’affaire étant en délibérations auprès du Tribunal, les commentaires sur l’audience et le résultat seront pour plus tard.

L’un des seuls points qui peut être relevé, et il n’a échappé à personne, parquet et presse compris, ce sont les profils très dissemblables des trois jeunes filles qui sont assises sur le banc des accusés.

Trois drôles de dames, mais le charme n’est pas vraiment au rendez-vous.

L’une d’elles vient des cités parisiennes. Inutile d’en dire plus, cela suffit à la caractériser. La tchatche, la morgue. Et son grand respect pour la Justice, puisqu’elle arrivera avec une heure de retard au Tribunal.

La seconde tente de cacher sa personnalité disruptive derrière une apparence vestimentaire de petite bourgeoise et un ton poli et compassé.

Quant à la troisième, que j’ai l’honneur de défendre, elle est assise entre les deux et semble complètement perdue, voire par moments absente. Durant les plaidoiries, je l’ai comparée à Gavroche. En moins littéraire bien sûr. Nous n’en sommes pas aux Misérables.

Le Procureur, pas né de la dernière couvée du mois d’août, n’a pas manqué de souligner cette comparaison hardie.

Mais il y a un je ne sais quoi chez cette jeune fille de sacrifié. Comme dans le roman, elle nous envoie – maladroitement – des signaux avertisseurs qui nous susurrent à l’oreille que, si l’on n’y prend pas garde, cela finira mal.

Et le rôle de l’avocat est justement (d’essayer) d’éviter le naufrage à quelqu’un qui ne sait pas nager et qui persiste à vouloir naviguer sans bouée sur un radeau de fortune.

Allégorie : le Procureur écoutant la défense

Allégorie : le Procureur écoutant la défense

Le 19…

… ou, parvenue au terme de ces presque trois semaines, assez mouvementées, on lâche un peu la pression histoire de pouvoir repartir en piste avec des pneus neufs, moteur gonflé à bloc, et le plein fait.

À chacun sa thérapie. La mienne est de m’asseoir autour d’une table avec quelques Barbouzes de mes amis et partager un bon repas, avec quelques bonnes bouteilles en guise d’invitées de marque.

Mes Jean Gabin, Lino Ventura ou Francis Blanche me ramènent dans la réalité de nos vies finalement assez sages, de nos petits soucis quotidiens et de quelques vieux copains absents de la table, dont les péripéties sont parfois désespérantes (mais pas comme on peut être désespéré durant la semaine dans ce métier).

Cela me ramène à chaque fois à cette phrase magnifique d’Audiard : « J’ai divisé la société en deux catégories : mes amis ou mes cons à moi et les cons des autres que je ne supporte pas.« 

Le 23…

… où la tristesse nous envahit plus que l’on ne saurait le dire.

On a beau faire ce métier depuis bientôt trente ans, il y a des trucs qui ne passent pas, qui nous touchent et qui font nous interroger, non pas sur le sens de notre profession, mais sur celui de la vie en général.

Remontez au billet du 17 septembre, juste là au-dessus, cette jeune fille que je défendais.

Relisez. Cela allait mal finir. Bravo mon gars, que tu es intelligent dans ta belle robe…

Impossible à dire s’il y avait une sorte de signal avertisseur qui s’était enclenché, je n’ai pas la prétention d’avoir un sens prémonitoire. Mais cela n’avait certainement pas échappé aux personnes présentes qui avaient un tant soi peu d’empathie. Il y en avait quelques-unes, dont le Procureur, même s’il était un peu réticent avec la comparaison avec Gavroche.

Elle n’en pouvait plus.

Eh bien, la jeune fille est décédée, overdose… On vient de m’appeler pour m’en informer. Trash, levée de corps. Désolé Maître… Pas de quoi, vous n’y êtes pour rien.

Je suis là, assis comme un couillon sur ma chaise, et les larmes me montent aux yeux. Comme j’ai l’esprit vraiment parfois un peu divergent, des tas d’images et de musique se bousculent dans ma tête. C’est comme ça. Parfois, ça aide à relativiser. Des fois, non.

Overdose… un je ne sais quoi me dit que ce n’est pas un hasard.

Gavroche… Les barricades, la dope, même combat ? Je suis tombé par terre…

Elle était désespérée, ce n’est pas la sanction qui l’effrayait, vraiment pas de quoi, d’ailleurs. C’est plutôt tout ce qui allait avec l’univers autour, horizon implacable : les foyers, la démission collective de tous ceux qui sont sensés soutenir. Plus de parents présents, pas leur faute d’ailleurs, ce n’est d’ailleurs jamais la faute de personne. Les assistants sociaux débordés, les copains et les copines dont on se rend compte qu’ils n’offrent rien du tout, juste le néant.

Je pense que le néant est apparu comme la seule voie envisageable, car finalement, à quoi bon tout ça ? J’avais des tas de réponses. Elles resteront dans ma gorge.

La musique est dans mes oreilles. Téléphone, il y a environ 40 ans.

Elle s’appelait Faits divers / Dieu que cette fille-là était solitaire … Sauve-toi l’oiseau, sauve-toi…

Et cette conclusion, terrible, de Cendrillon : Notre Père qui êtes aux cieux / As‑tu vraiment fait de ton mieux ? / Car sur la terre et dans les cieux / Tes anges n’aiment pas devenir vieux...

Le 25…

… où il faut passer à autre chose.

Merci à l’actualité de fournir des dérivatifs. Pas forcément folichon, mais quand même.

Un ex‑président condamné à cinq ans de prison, avec des juges qui disent : « Que tu contestes ou pas la décision, c’est comme au Monopoly. Directement à la case prison. Tout de suite. Histoire de te faire perdre le goût de la brioche.

Nous avons une grande chance dans notre Helvétie.

La justice n’est pas (trop) politisée.

De l’autre côté de Vallorbe, c’est moins clair. Quand on acquitte des principaux chefs d’accusation et qu’on en garde qu’un seul qui est assez improbable, « Association de malfaiteurs », » et conclusion «  d’accord ou pas d’accord, tu iras en taule tout de suite, après on verra bien. On se fout de l’opinion publique, on fait de la politique ou on pratique selon les principes du procès équitable ?

Cela dit, mon cerveau reptilien relève cette phrase magnifique du principal intéressé : « S’ils veulent que je dorme en prison, je dormirai en prison. La tête haute… »

Mon cher, c’est bien dit, mais t’as pas fini d’avoir mal au dos.