Octobre…

… où les sanglots longs des violons de l’automne blessent mon cœur d’une langueur monotone. Heureusement que les Dieux ont inventé Spotify pour « enrober » le bruit et des impacts de la pluie sur la fenêtre. Le fantôme de Miles, qui passait par là, s’est invité pour accompagner ces improbables violons.

Le 1er…

… où il est question d’égalité dans l’illégalité, thème récurrent, en particulier chez nos clients usagers de la route. Pourquoi est-ce que j’ai pris une prune, alors que les autres, qui ont fait faux comme moi, n’ont pas eu d’amende ?

Régulièrement saisi par cette question métaphysique, les tribunaux inférieurs envoient paître le brave conducteur avec un Vous ne voudriez pas qu’on vous félicite en plus ? Au vu des frais engagés, le lascar décide souvent d’en rester là. La Justice, oui ! Mais pas à n’importe quel prix…

Ici, nous avons un conducteur de scooter  de la Cité de Calvin, qui a pris le risque d’aller jusqu’au bout, pour une histoire d’amende de parcage sur un trottoir, arguant que tout le monde faisait comme ça à Genève et que les autres n’avaient pas d’amende. Notre Haute Cour l’a débouté, mais rappelle tout de même dans ses considérants, quelques éléments essentiels pour calmer les ardeurs des chantres de l’égalité à tout prix, principe cardinal de notre ordre juridique qui figure tout de même dans notre Constitution. En substance :

« Le principe de la légalité de l’activité étatique (cf. art. 5 al. 1 Cst.) prévaut sur celui de l’égalité de traitement. En conséquence, le justiciable ne peut généralement pas se prétendre victime d’une inégalité de traitement, lorsque la loi est correctement appliquée à son cas, alors qu’elle l’aurait été faussement, voire pas appliquée du tout dans d’autres cas semblables. Cela présuppose cependant, de la part de l’autorité dont la décision est attaquée, la volonté d’appliquer correctement à l’avenir les dispositions légales en question; le citoyen ne peut prétendre à l’égalité dans l’illégalité que s’il y a lieu de prévoir que l’administration persévérera dans l’inobservation de la loi. Si l’autorité ne s’exprime pas sur ses intentions futures, le Tribunal fédéral présumera qu’elle se conformera au jugement qu’il aura rendu. Encore faut-il qu’il n’existe pas un intérêt public prépondérant au respect de la légalité qui conduise à donner la préférence à celle-ci au détriment de l’égalité de traitement. La jurisprudence a également précisé qu’il était nécessaire que l’autorité n’ait pas respecté la loi, non pas dans un cas isolé, ni même dans plusieurs cas, mais selon une pratique constante. C’est seulement lorsque toutes ces conditions sont remplies que le citoyen est en droit de prétendre, à titre exceptionnel, au bénéfice de l’égalité dans l’illégalité. » (ATF 6B_659/2019).

Moralité : on peut tenter  d’invoquer, le sourire en coin et la fleur au fusil, cette égalité voulue dans l’illégalité supposée. Mais avant d’aller plus loin, il faudra être sûr d’avoir toutes les preuves de l’acharnement à votre seul égard des Marie Pervenche de votre bonne ville…

Le 2…

… où une progression méritoire depuis  les aurores est soudainement stoppée net sur le coup de 12h20/12h22 par un flacon aux connotations bibliques, soit un Saint Joseph 2015, Domaine Courbis.

In vino veritas dit-on, quoique…

Le 3…

… où le client dit qu’il ne doit pas payer son avocat pour faire un recours, parce que le juge est nul !

L’homme est un ébéniste et souligne que si les fenêtres que le client a commandées ne s’ouvraient et ne se fermaient pas correctement, et bien il devrait refaire le travail gratuitement…

Sauf que, cher Monsieur, quand on passe la commande des fenêtres, on sait exactement quelle dimension elles auront, dans quel matériau elles seront réalisées, etc.… le résultat est connu à l’avance.

Si on pouvait connaître le résultat des jugements à l’avance, plus besoin d’avocat ni de juge. Mais voilà, ce monde est loin d’être parfait quoiqu’en dise le grand Satchmo.

Le 4…

… où, la transparence certes, mais pas à tout prix.

Par exemple, si vous savez que votre voisin a fauté dans le passé et qu’il a été condamné pénalement, vous ne pouvez débarquer comme ça au greffe et demander à recevoir une copie du jugement, histoire de satisfaire votre curiosité, même si la condamnation a alors été largement publiée dans les médias au travers d’un procès public.

Notre Haute Cour vient de le rappeler (1C_616/2018 11.09.2019)

En matière de procédure pénale, le législateur a posé à l’art. 69 CPP quelques normes découlant du principe de publicité, concernant en premier lieu la publicité des débats. (…) qui prévoit que les débats de première instance et d’appel, de même que la notification orale des jugements sont publics, à l’exception des délibérations (…). Lorsque, dans ces cas, les parties ont renoncé à un prononcé en audience publique ou qu’une ordonnance pénale a été rendue, les personnes intéressées peuvent consulter les jugements et les ordonnances pénales (…). L’art. 69 al. 3 CPP définit les exceptions au principe de publicité; il n’y est toutefois pas envisagé tous les aspects de la consultation des décisions pénales du point de vue de la protection de la personnalité (…). En particulier, cette disposition ne règle pas l’accessibilité des jugements rendus en matière pénale, contrairement à l’art. 54 al. 1 2ème phrase CPC qui concrétise – pour la procédure civile – expressément et sans restriction le principe de publicité dans ce domaine (civil). 
On ne saurait dès lors considérer (…) que le droit de consulter les décisions judiciaires serait inconditionnel. La consultation d’un jugement pénal porte nécessairement atteinte à la sphère privée, voire intime, des personnes qui y sont mentionnées (…), laquelle est protégée par l’art. 13 Cst. Il ne peut donc y être porté atteinte qu’aux conditions de l’art. 36 Cst., soit notamment au terme d’une pesée d’intérêts et dans le respect du principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.; …). Dans le cadre de la pesée d’intérêts, il y a lieu (…) de prendre en compte d’une part les motifs de la demande de consultation et, d’autre part, la gravité de l’atteinte aux droits de la personnalité. Le requérant doit ainsi exposer précisément les motifs de sa demande et en circonscrire précisément l’objet, et l’autorité doit le cas échéant examiner au cas par cas si, et dans quelle mesure le jugement doit être anonymisé (…).  
Curiosity killed the cat…

Le 7…

… où l’on constate une recrudescence de clients qui, malgré qu’ils ne remplissent pas les conditions pour l’octroi de l’assistance judiciaire gratuite, parce que leur situation financière présente un bénéfice à la fin du mois et qu’ils ont en plus de l’épargne (même si l’on ne parle pas de sommes folles), donnent néanmoins pour instruction à leur avocat de tenter le tout pour le tout, même au risque de recevoir une décision négative dont ils auront à supporter les frais.
Ils oublient en outre que, même si l’AJ  leur était tout de même octroyée, vu leurs moyens, un remboursement immédiat leur serait demandé. Et les Services du contentieux de l’État envoient des lettres beaucoup moins sympathiques que le rappel de l’avocat…

Le 8…

… où, quand une association de commerçants demande une autorisation d’animer un marché de Noël et d’ouvrir ses étals un 8 décembre, quand les services étatiques lui donnent cette autorisation, quand le syndicat fait recours, quand le Tribunal cantonal (TC) maintient l’autorisation, quand le syndicat fait encore une fois recours auprès du Tribunal fédéral (TF), quand celui-ci donne raison au syndicat (cellule pour les commerçants, mais là, on peut discuter), quand, dans ses considérants, le TF dit que les services étatiques n’ont rien compris à la législation sur le travail, pas plus que le TC, et que, en définitive, tous les frais de la procédure, plus une indemnité à l’avocat du syndicat, sont mis à la charge de la seule association des commerçants au motif qu’il s’agit de la partie qui succombe, sans un mot pour le service étatique qui s’est parait-il planté, alors que pas une ligne de l’arrêt n’indique une quelconque faute ou comportement illégal de l’association, eh bien, eh bien… ça énerve.

Et la cerise sur le gâteau, quand on relève cette injustice crasse lors de l’interview par un journaliste radiophonique qui a de la peine à cacher sa joie face à la victoire du syndicat, celui-ci répond : Bah, Fr. 4000 ce n’est finalement pas grand-chose pour une association de commerçants !

Ce soir, on ne sait plus trop sur quoi il faut se lamenter. Sur l’approche juridico-théorique des grands penseurs de la Haute Cour qui sont à des dizaines d’années lumière des réalités du commerce de détail aujourd’hui ? Sur la stupidité d’un représentant syndical qui clame sa victoire haut et fort en disant que les salariés ont gagné, alors que c’est justement l’inverse ? Ou sur l’approche partisane des médias ?

Le 9…

… où l’on reçoit un client qui rentre de tour du monde. Six mois du Transsibérien au Grand Canyon, en bateau le plus souvent possible, des anecdotes et des souvenirs plein la besace.

-Que s’est-il passé dans mon affaire pendant mon absence ?

-Comme prévu, pas grand chose, l’expertise est en cours…

Comme quoi le temps judiciaire et la grande aventure font bon ménage !

Le 10…

… où un Procureur m’invite à inviter (sic) mon cogneur de client à cesser de vouloir équarrir son entourage, faute de quoi il menace de l’envoyer se calmer à l’ombre…
Noble demande, mais elle se méprend sur le rôle de l’avocat. Notre rôle est de conseiller et de défendre. Pas de dicter la conduite de nos clients, si stupide puissent-elle être. On peut attirer son attention sur le fait que de persister dans son attitude ne va lui apporter que des ennuis, mais nous ne sommes pas des maîtres (d’école) intervenants pour mettre de l’ordre dans la classe…
Sinon, il y a des baffes qui se perdraient et, ça, nos règles déontologiques nous l’interdisent (même si, parfois, les phalanges nous démangent furieusement).

Le 11…

… ou l’on constate que l’une des plus difficiles règles de procédure civile à faire comprendre aux clients est celle de la maxime des débats, qui ne permet notamment pas, contrairement à la procédure pénale, de déposer à tout bout de champ des documents dans la procédure.
En effet, une fois l’échange des écritures terminé (demande, réponse, éventuellement réplique et duplique) et après l’ouverture des débats, le cadre du procès est définitivement posé. Plus moyen d’arriver avec LA pièce, à moins qu’il n’ait été rigoureusement impossible de la produire avant.
Donc, il n’y a rien de plus désespérant pour un avocat quand, juste avant les débats pour les plaidoiries, le client vous téléphone et vous lance : « Ah, Me, j’avais encore une lettre de la banque que j’avais oubliée de vous donner. Elle explique tout et montre qu’on a raison. Je vous l’envoie pour que vous puissiez la faire suivre au Juge. »
Soupir…

Le 14…

… où l’on attend le client qui doit amener les pièces complémentaires nécessaires à la suite de la procédure.

Le client arrive en chemise à fleurs, mais de pièces, que nenni…

Le 15…

… où on commence la préparation de l’audience du jeudi en ressortant des bacs des piles de papiers empoussiérés. C’est le plus vieux dossier encore ouvert, une affaire de construction, de défauts d’exécution et de dépassement de devis. 13 ans que dure la procédure ! La preuve : on y applique encore l’ancien code de procédure civile de la Comté, aboli en 2011…

Le 16…

… où l’on poursuit la préparation de l’audience du lendemain.

En 13 ans, il n’y a eu que 3 audiences. Une pour tenter la conciliation, une pour désigner un expert et la dernière en 2018 pour retenter de trouver un terrain d’entente.

Mon client a toujours du mordant, mais il s’émousse. Forcément, il avait 68 ans quand l’affaire a commencé. Il en a aujourd’hui plus de 80…

Le 17…

… où nous sommes donc de retour pour le 4e round.

L’ambiance est bon enfant. La partie adverse tutoie tout le monde. Forcément, cela fait un bout de temps que l’on se connaît, mais, tout de même, mon client trouve cette familiarité suspecte. Aucun souci à vous faire, cher Monsieur. Vous connaissez un peu notre contradicteur, s’il croisait Alain Berset, il ne tutoierait également.

Il est tout de même un peu nerveux. Non pas s’agissant du sort de l’affaire, il est fermement convaincu d’avoir raison sur toute la ligne. C’est plutôt l’envergure de la partie adverse qui l’inquiète. Il s’agit en effet d’un guérisseur médiatique dans la Comté. Va-t-il lui jeter un sort ou influencer le tribunal ?

En tout cas, pas de signes visibles de poudre de perlimpinpin. L’audience se déroule normalement. Interminablement aussi. Quand nous finissons, il est prêt de 20 heures ! Aucun morceau de bravoure ni d’un côté ni de l’autre, simplement un examen minutieux des faits, long, précis et technique. Juste un petit coup d’éclat de notre guérisseur, excédé des remises à l’ordre de la Juge à son égard :  » Vous savez, Madame la Juge, je suis un fils de paysan et je sais à peine écrire. Par contre, je sais ce que je dis et on ne me parle pas comme à un gamin !  »

Tout le monde rentre chez soi fatigué. Aucun signe de sort ou d’engoulevent sur le chemin du retour. Il ne reste plus qu’à se préparer pour le 5e round, l’audition des témoins, vraisemblablement en janvier prochain.

Le 18…

… où l’on sait qu’une hirondelle n’annonce pas le printemps, mais on se demande tout de même si les clients peuvent annoncer des vacances de la semaine prochaine, quand, systématiquement, on tombe sur le message automatique de leur boîte Outlook : «Je suis en vacances jusqu’au 28 octobre et ne lirai mes mails que sporadiquement… »

Eh bien, c’est décidé, moi aussi. À dans 10 jours…

Le 28…

… où l’on roule tranquille vers l’aventure, le cœur serein, car dans la FaireCave tout est apparemment sous contrôle.

Tiens, un appel du bureau…

– Oui ?

– Désolé de vous déranger, mais voilà, les lampes du secrétariat ont sauté et ça sent le brûlé !!!

– Gasp ! Il y a un extincteur dans la cage d’escalier, je crois.

5 minutes plus tard, nouvel appel :

– C’est bon, on est dans le noir, mais pas fumée et plus d’odeur de brûlé.

Le 29…

… où le client de Me Postit comprend finalement que, prétendre qu’on ne se souvient de rien, mais s’excuser quand même, n’est pas une ligne de défense crédible pour le Tribunal…

Le 30…

… où nous fêtons les 60 ans de La mort aux trousses.

Cary Grant, James Mason, Eva Marie Saint, toute une époque où l’on (re)découvrait les grands classiques en K7 vidéos.

– Alors Kaplan, allez-vous enfin parler ?

– Mais je ne suis pas Georges Kaplan !

Le 31…

… où le jour d’Halloween l’avocat superstitieux ne craint pas trop que l’on frappe à sa porte pour demander des bonbons, mais plutôt ce que va lui réserver la grosse enveloppe avec le logo du Tribunal administratif fédéral.

Ben… rien, ou du moins pas grand chose. Instruction complémentaire, pièces à fournir. Soulagé ou presque déçu, je ne saurais dire.

 

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