EPISODE I
05/31/2016 § 1 commentaire
Episode I
“Comment tout a commencé…”
Jusqu’ici, on a
surtout stigmatisé
la légèreté du travail du
TPF. Ce n’est pourtant que
l’arbre qui cache la forêt. Il n’y
aurait jamais eu de COAL WARS sans
Ministère Public de la Confédération (MPC).
Cette institution s’est complètement fourvoyée
dans cette affaire de charbon, confondant son idéal
d’impartialité et de garant de l’ordre public avec la para-
noïa du résultat à tout prix. Voici comment il a bâti une Tour
de Babel à partir d’une vague information glanée au détour d’une
audition où il était question de bien des choses, mais pas de charbon.
Pour être tout à fait exact, le MPC n’a fait que superviser, puis poursuivre le travail de sape initié par les Juges d’instruction fédéraux (JIF), depuis 2007. Précision utile, car une modification assez fondamentale de notre procédure pénale, survenue en cours d’instruction, a eu des répercussions significatives sur la conduite de cette affaire par le MPC.
Jusqu’en 2010, les JIF étaient aux commandes de l’enquête, certes sous la surveillance du Parquet fédéral. Cet héritage des Lumières était l’essence même de l’instruction pénale, car elle permettait notamment d’assurer une certaine objectivité de l’accusation publique. Le 1er janvier 2011, ce système pourtant éprouvé a été reléguée aux oubliettes dans le cadre d’une refonte totale de notre ordre judiciaire. Les juges d’instruction tiraient leur révérence, abandonnant ainsi leurs tâches historiques de limiers au Parquet. En clair, les Procs sont désormais seuls maîtres du jeu. La haute main sur l’instruction, c’est eux. La synthèse de l’investigation, c’est encore eux. L’accusation publique devant les tribunaux, c’est toujours eux.
Cher ami, tout cela m’a l’air parfait. Les mêmes braves gens veillent au grain. Alors, où est le problème ?
Effectivement, problème il y a. Cette réforme n’interpelle sans doute pas trop les non-juristes. Mais, pour les autres, en particuliers les « pénaleux » comme votre serviteur, il s’agissait d’une révolution, imaginée par des énarques universitaires, acceptée par le Peuple. Bref que des gens n’ayant forcément d’autre but que le bien commun, mais aussi très éloignés de la réalité du terrain. C’est bien là que le bât blesse… La disparition de la frontière entre instruction et accusation. Entre le juge qui enquête, sans se soucier du reste, et celui qui doit décider ensuite, sur la base du travail du premier, s’il y a matière à procès.
Déjà, durant sa phase de consultation, le projet fut – à juste titre – largement critiqué par les hommes du terrain, les avocats. Nos pairs anticipaient l’inéluctable. Des enquêtes menées avec une objectivité toute relative. Forcément, si le Procureur s’occupe désormais de réunir les éléments justifiant l’action pénale, puis doit aller ensuite défendre son dossier devant un tribunal, la conduite de la 1ère phase se fait en fonction de la seconde. Au diable le texte clair de la loi (art. 6 du Code de procédure pénale : Les autorités pénales recherchent d’office tous les faits pertinents pour la qualification de l’acte et le jugement du prévenu. Elles instruisent avec un soin égal les circonstances qui peuvent être à la charge et à la décharge du prévenu). S’il faut batailler plus tard devant une Cour, consciemment ou non, on se prépare déjà en vue des débats, où on ne veut bien sûr pas perdre la face !
Le mieux est l’ennemi du bien et cette réforme ne déroge pas à cette règle. On en reparlera certainement dans un futur billet. Pour l’heure, revenons à nos moutons (noirs… comme le charbon).
Dans notre dossier, certains de nos JIF ont été clonés en Procureurs en 2011. Ceci explique aussi (en partie) cela. Histoire d’assurer la transition, l’un d’eux, le juge Sautebin, s’est même fendu d’une « Note » de plusieurs dizaines de pages, étonnamment datée du 31 décembre 2010. Comme si le JIF qu’il était encore pour quelques heures était venu au bureau la veille du Nouvel-An, mû par une inspiration subite, rédiger un ersatz d’acte d’accusation de 52 pages à l’attention de… lui-même, futur Proc’ ! Cette « Note » est le résumé des premières années d’investigation, dont le résultat est volontairement orienté et gonflé, afin de permettre la poursuite des opérations dans la nouvelle organisation. Alors qu’il n’y a toujours rien de sérieux dans le dossier, ce document est brandi par la suite par le MPC comme une preuve. Celle que des infractions graves ont bien été commises en Tchéquie, via la Suisse, et l’inverse. Sautebin clame ses certitudes qui ne reposent que sur sa propre opinion et occulte tout ce qui ne va pas dans son sens.
Pourtant, en règle générale, quand, après des mois, voire des années d’instruction, le soupçon initial qu’une infraction a bel et bien été commise n’est toujours pas étayé par quelque chose de tangible, la plupart des magistrats sortent leur tampon « Non-Lieu » (on a regardé partout, et on est sûr qu’il n’y a pas d’infraction), ou celui du « Classement » (on a regardé partout, mais, là, on a toujours rien de solide et… rien à l’horizon, alors on bâche; mais, si quelqu’un trouve quelque chose à nous mettre sous la dent, on reviendra).
Alors, pourquoi nos supers enquêteurs fédéraux n’ont-ils pas au minimum classé l’affaire ? Mystère… ou pas. C’était devenu un dossier énorme, où on parlait de gros, de très gros sous. Les différentes mesures d’investigation entreprises avaient déjà coûté un bras, donc difficile de balancer le bébé avec l’eau du bain en disant : circulez, y a(vait) rien à voir ! Ça fait un peu désordre de donner l’impression qu’on jette l’argent du contribuable par la fenêtre…
Et, quand il s’agit de gros sous, on en revient toujours à Audiard « Quand on parle pognon, à partir d’un certain chiffre, tout le monde écoute » (Jean Gabin dans Le Pacha). Donc, pas question de bâcher. Mais, il faut trouver quelque chose, coûte que coûte. CQFD…
Bon, voilà le « pourquoi ». Il est temps maintenant de savoir « comment ».
Revenons en 2005.
Une enquête fédérale vise un personnage controversé, Alain Aboudaram, soucieux de détourner l’attention de la Justice helvétique de sa petite personne. Au cours d’une audition en juin, il balance au JIF qu’il a sur le dos un nom, celui d’un citoyen Belge : Jacques De Groote. Mais surtout pas par vengeance clamera-t-il plus tard dans les colonnes du Temps. Ce ressortissant du Plat Pays n’est pas n’importe qui. Ancien directeur du FMI, c’est une figure internationale respectée. Selon Aboudaram, il aurait trafiqué au détriment du gouvernement tchèque, avec la participation de l’une ou l’autre personne domiciliée en Suisse et en Tchéquie, lors de la privatisation de la plus grosse mine de charbon du pays, Mostecká uhelná společnost. MUS (pour les intimes) est une des plus emblématiques entreprises du pays, autrefois sous la houlette du défunt régime communiste. Donc, le MPC écoute. Par contre, le fait que de Groote et son dénonciateur sont en procès aux Etats-Unis pour un litige d’ordre privé, le laisse de marbre et ne l’incite pas du tout à s’interroger sur l’objectivité de ce fort opportun dénonciateur. Crimes commis à l’étranger, blanchiment en Suisse, c’est Noël… même si nous sommes en été !
Quoique… pas tout de suite. Étrangement (quand on voit l’énergie déployée par la suite), alors que le controversé Procureur fédéral Ottinger a ouvert officiellement une procédure à la suite de cette audition du 24 juin 2005, pendant deux ans, il ne se passe quasiment rien officiellement, ou presque…. Juste le Procureur en question, qui s’en va faire un tour à Prague en janvier 2007, rencontrer ses homologues locaux et se faire remettre au passage quelques liasses de documents.
Ah bon ? Nos magistrats peuvent obtenir ainsi des renseignements auprès d’autorités étrangères, sans passer par une procédure spéciale (demande officielle, contrôle de la régularité des opérations, etc.) ? Bien sûr que non. Cela s’appelle l’entraide judiciaire internationale et il y a des lois qui la régissent très précisément. Mais, cette entorse (comme d’autres d’ailleurs), nous ne l’apprendrons que bien plus tard.
Pendant ce temps-là, en Suisse, pas une mesure d’instruction officielle, audition ou autre, nada. Tout se trame dans l’ombre. Le dossier ne pèse (toujours officiellement) qu’une dizaine de pages, jusqu’à fin 2007. Et là, sans que l’on sache précisément quel est l’élément déclencheur, la machine fédérale s’emballe soudain. Perquisition à Fribourg, séquestres de comptes bancaires un peu partout en Suisse, la totale ! Le dossier MUS apparaît au grand jour.
Nous voilà donc arrivés au début 2008. Sidéré par la perquisition et les séquestres, l’un des malheureux désormais officiellement dans le collimateur des Fédéraux propose spontanément d’être entendu, histoire de comprendre ce qu’il se passe et ce qu’on lui reproche exactement. Né en Tchéquie, résidant en Suisse, pointé du doigt par Aboudaram, il se retrouve malgré lui en première ligne (et cela n’a rien d’agréable vous pouvez le croire). Une première date est retenue, mais elle doit être repoussée.
Pourquoi relever ce report insignifiant ? Parce que, mû par une inspiration subite, le MPC en profite pour demander la surveillance de son téléphone. Il faut savoir que, en Suisse du moins, n’écoute pas qui veut. Il faut justifier de faits graves et avérés pour obtenir une autorisation de l’autorité de surveillance (le Président du TPF). Et celui-ci refusera tout net cette demande, relevant son caractère inconsistant. Il pointe en particulier le doigt sur le fait que tous les éléments à charge sont exclusivement des documents internes du MPC (notes, rapports, etc).
Il en faut plus pour décourager l’accusation. Le même magistrat dépose une seconde demande de surveillance… 5 jours plus tard. Cette fois, elle est tout bonnement déclarée irrecevable ! Qu’à cela ne tienne, on se contentera d’entendre de vive voix l’intéressé, qui ne se doute de rien, car toute demande d’écoutes est confidentielle et n’apparaît que bien plus tard dans le dossier.
L’audition a encore lieu en février, le 19. Elle est menée par Mme De Falco, Procureure fédérale. Le désormais prévenu commence par informer le MPC, au cas où celui-ci l’ignorerait (à ce moment l’expédition de janvier 2007 est encore off the record), qu’une enquête avait été ouverte en Tchéquie en 2000 au sujet de l’acquisition de MUS, enquête close faute d’éléments critiquables, selon le droit tchèque applicable.
Une petite parenthèse s’impose ici, pour mettre en évidence l’importance du contexte… tchèque, qui rend l’intérêt des magistrats suisses pour cette affaire absurde (d’autant plus qu’il est question de faits remontant au bas mot à une décade).
Au milieu des nineties en Bohème, non loin du site d’exploitation de MUS, Temelin, la première centrale nucléaire tchèque vient d’être inaugurée en grande pompe. Pour beaucoup, la question de l’approvisionnement énergétique de la région était définitivement réglée pour l’avenir. L’industrie du charbon, déjà au bord du gouffre, allait à coup sûr pousser son dernier soupir. L’État, encore largement impliqué dans ce vestige du communisme, allait inévitablement trinquer.
Les années nonantes en Tchéquie, c’était la transition vers l’économie de marché. Conséquence, la situation économique du pays n’était pas brillante. La Couronne ne valait plus tripette. Les banques faisaient faillites. Bref, c’était la crise dans toute sa splendeur. Le Gouvernement de l’époque avait d’autres chats à fouetter que de se coltiner en plus une grève de gueules noires. Il avait donc décidé de vendre ses parts dans l’actionnariat de la mine (comme dans d’autres sociétés). Comme ça le problème serait réglé. Si la mine se cassait la figure, il n’était plus tenu de jouer les pompiers en sauvant les emplois. Encore fallait-il trouver quelqu’un intéressé par un tel navire en perdition !
Les candidats ne se bousculaient pas au portillon. Mais, pour certains businessmen un brin visionnaires, la disparition du charbon n’allait pas forcément de soi. Antonin Kolacek, patron connu et reconnu, croyait à l’avenir de la houille. Avec l’aide de certaines connaissances, administrateurs de MUS notamment, il cherchait un moyen de la sauver du naufrage programmé.
En parallèle et indépendamment de ces réflexions carbonifères, de jeunes entreprises cherchaient à se frayer un chemin dans cette nouvelle économie encore chancelante. L’une d’elle, baptisée Newton par son fondateur, Petr Kraus, un homme avisé, s’appliquait à rassembler les centaines de milliers d’actions des entreprises étatiques, dispersées par le Gouvernement dans la population. Son but : proposer à des investisseurs susceptibles de relancer l’économie des « paquets » d’actions leur assurant une certaine position dans l’entreprise.
Au bout de quelques mois, Newton se rend compte qu’elle a, entre autres, réuni un pourcentage conséquent d’actions de la société MUS auprès de particuliers et de communes. Assez pour intéresser un acheteur important, mais pas assez pour qu’il puisse contrôler l’entreprise. Si vous devenez propriétaire de près de la moitié de l’actionnariat d’une société, il est normal que vous vouliez avoir votre mot à dire dans sa gestion. Donc, il faut d’autres actions. Elles sont pour la plupart encore en main du Gouvernement. Et c’est là, après des mois de cogitations de part et d’autres pour trouver une solution à leur problème, que ces Athéniens (de l’est) finissent par « s’atteignirent »… Dans l’acte d’accusation du MPC, on lira pourtant que tous les accusés ont agi de concert, en Suisse et en Tchéquie, dans le même but, et cela bien avant de se connaître tous ! Selon les druides du MPC, Kolacek, Kraus, De Groote et consorts ont avancé à couvert, à l’insu du gouvernement tchèque, en sachant depuis toujours qu’ils allaient racheter MUS, avant même qu’elle ne soit sur le marché. Pour l’accusation, la réunion finale des forces prouve l’intention initiale. Un tel postulat défie toute logique, mais, de cela, la Procureure De Falco n’en a cure…
Parenthèse fermée, revenons à cette première audition.
Les documents du dossier, glanés (illégalement pour certains, on l’a vu) en Tchéquie, ont un gros défaut. Ils sont en… Tchèque et les personnes maîtrisant cette langue ne courent pas les couloirs de l’administration fédérale. Mais, on ne manque pas d’esprit d’initiative au Parquet. Une employée d’origine polonaise participe à l’audition. Comme elle déclare posséder des « notions élémentaires » de tchèque, elle est immédiatement bombardée responsable du tri des milliers de documents originaux à disposition. Il y a ceux « récupérés » en 2007 et ceux transmis officiellement par la suite par Prague ! Il suffit de mélanger le tout et plus question de documents recueillis illégalement, donc irrecevables. En outre, au lieu de tout faire traduire, cette personne, dont les véritables compétences (linguistiques ou juridiques) restent à ce jour inconnues, désigne les documents importants – selon elle (!) – et relègue au placard les autres. La défense n’a, alors, pas un mot à dire sur ce tri et ne sait rien des conditions dans lesquelles il est effectué. Des dizaines de documents sont ainsi écartées, sans que quiconque de qualifié ou de neutre n’ait pu se déterminer à leur égard…
Nous sommes maintenant au printemps 2008, en avril. Les sociétés touchées par la procédure décident de demander la levée des séquestres frappant leurs comptes bancaires. Le MPC a vu large. Il y en a pour des centaines de millions, soit largement plus que le prix d’acquisition de la mine. Baste, à la Taubenstrasse on ne s’intéresse pas aux questions bassement matérielles. De toute façon, comme on le sait, plus il y a de sous, plus ça fait sérieux !
Ces demandes sont refusées en bloc en juillet 2008. C’était prévisible. En effet, au début d’une instruction, l’autorité de surveillance (toujours le TPF) est généralement réticente à mettre les bâtons dans les roues des enquêteurs. Du moins tant que ceux-ci ont quelque chose de concret dans les mains. Mais, là, Bellinzone va tout de même relever (après l’histoire des écoutes) un manque singulier de substance dans l’enquête, pointant à nouveau sur le fait que tous les éléments à charge relevaient de la même source interne. Le TPF impartit dès lors un délai jusqu’à fin 2008 au plus tard, pour clarifier la situation et apporter des éléments solides permettant d’établir l’existence et la nature du crime préalable commis en Tchéquie, crime qui aurait généré le blanchiment de l’argent bloqué en Suisse. Sinon, basta.
Parce que, là (faut-il le rappeler ?), il est question d’argent tchèque, utilisé en Tchéquie, par des Tchèques. Le lien avec la Suisse, hormis les comptes bancaires, n’est donc pas… évident. Qu’à cela ne tienne, nos supers enquêteurs fédéraux, qui n’ont peur de rien (c’est vrai… n’ont-ils pas pour mission d’être les garants de l’ordre public, dans le respect du droit des gens et de la bonne foi ?), se disent : « On n’a toujours rien sous la main, mais pas de problème, c’est forcément louche, puisque nous en avons décidé ainsi. Donc, on fonce et on finira bien par trouver… ».
Comment peut-on ainsi mettre la charrue avant les bœufs ? Selon une idée préconçue assez largement répandue chez nos gardiens du Temple helvétique, toute personne gagnant plus qu’eux est automatiquement suspecte. Parce qu’il n’est tout simplement pas possible de le faire honnêtement. Je n’invente rien. L’un des plus hauts responsables de l’Office fédéral de la Justice, Beat Frey, a proféré un jour cette vérité cardinale (dans une autre affaire) : On ne peut pas gagner des sommes pareilles honnêtement. Ok, alors, on fait quoi avec Roger Federer ? Au trou ? Parce que, avec ce genre de raisonnement, il faut le mettre hors-circuit (ATP !) illico.
Donc, durant l’été 2008, le MPC et les JIF mettent les bouchées doubles pour tenter de sortir leur dossier de l’ornière. Ils veulent établir coûte que coûte que les opérations d’acquisition de la mine ont eu lieu en Suisse ou, du moins, qu’elles ont été pilotées depuis là. Sans succès. La dead line du TPF approchant à grand pas, ils demandent à un de leurs collaborateurs du pôle financier de pondre un nouveau rapport interne, pour justifier la poursuite des investigations. Ce document porte la date du 19 décembre 2008. Pour ce soi-disant expert, qui n’est même pas juriste, ça ne fait pas un pli : tous coupables ! Nous découvrirons par la suite que la colonne vertébrale de cet acte d’accusation avant la lettre est un autre rapport, tchèque celui-ci, mais écarté de la procédure en Tchéquie, car comportant des irrégularités… ce dont le MPC ne se soucie guère…
Mais, ça ne suffit pas. Il faut trouver mieux, sinon le couperet du TPF risque de s’abattre. Seuls les Tchèques peuvent sauver la mise. Alors, on leur fait croire qu’en Suisse, on en sait beaucoup plus qu’eux sur la question. Et aussi que plein de choses peu recommandables s’y seraient passées. Deux affirmations en totale délicatesse avec la vérité.
Le 22 janvier 2009, les représentants du MPC – qui ont obtenu leur « sursis » auprès du TPF – ont une nouvelle réunion avec leurs collègues tchèques. Ils soutiennent maintenant sans vergogne que le détournement d’une somme de USD 150’000’000.- des caisses de MUS a été établi (alors qu’on en est loin). Il y a donc bel et bien eu lésion, lorsque les accusés ont acquis les 46’29 % d’actions détenues auprès du FNM (l’organisme étatique supervisant les participations publiques dans les entreprises). Si ce n’est pas un moyen d’appâter leurs alter ego pour qu’ils rouvrent le dossier chez eux, ça y ressemble furieusement ! Mais, pour l’instant, ça ne marche pas.
Le 16 février, nos magistrats à croix blanche interrogent un témoin « hostile », Roman Ceska, le Directeur du FNM. Cette audition se fait « en catimini », sans en informer la défense – ce qui est absolument contraire aux règles. Encore une fois, pourquoi agir de la sorte ? Peut-être parce que le MPC savait déjà en 2009 ce qu’il tentera désespérément de cacher au cours du procès public, à savoir que ce Ceska était à l’époque parfaitement au courant de l’intérêt des accusés pour la mine ? Peut-être pas. Mais, en tous cas, au moment de rédiger l’acte d’accusation, il ne pouvait plus l’ignorer. Et,à nouveau, silence radio sur cet élément à décharge.
De quoi parle-t-on ? Le 2 avril 1998, le FNM, via Ceska, a reçu une lettre. Et pas n’importe laquelle. Son contenu empêchait tout simplement le MPC de soutenir que la prise de contrôle de MUS avait été planifiée de manière occulte et (à en croire Mme De Falco dans son réquisitoire) diabolique. En effet, cette lettre proposait en toute transparence à l’État soit d’acquérir les actions de MUS réunies par Newton, via différentes sociétés, sinon d’acheter celles aux mains du FNM, au prix du marché. Ainsi, celui qui détiendrait la quasi-totalité des actions pourrait vraiment contrôler la société et prendre les décisions qui s’imposent.
L’acte d’accusation du MPC ne tient absolument pas compte de cette offre. Pourtant, l’original figurait dans son dossier… soigneusement isolé au milieu d’une liasse de pièces en tchèques sans intérêt. Quant à la traduction, elle était étonnamment « planquée » ailleurs, dans une rubrique annexe, à l’autre bout de ce dossier de plus de 100’000 pièces. Drôle de façon de ranger ses affaires… Le MPC jouera les étonnés lors du procès en juin 2013, lorsqu’on lui opposera cette lettre. Mais la réaction de son « spécialiste » financier, auteur du fameux rapport du 19 décembre, au moment de son audition, sera éloquente. D’abord, il niera en avoir connaissance, puis déclarera en bafouillant qu’il en a entendu parler, mais qu’il s’agit sans doute d’une lettre de complaisance… Pris la main dans le sac !
La liste de toutes les manœuvres de l’accusation pour renforcer son dossier serait aussi fastidieuse qu’interminable. On se contentera de citer encore quelques appels du pied à peine déguisés aux autorités tchèques pour les motiver à soutenir un dossier toujours aussi chancelant. Dans un premier temps, le Parquet de Prague ne s’en est pas laissé compter. On a déjà enquêté deux fois. Il n’y a rien de pénal dans l’acquisition de la mine, point barre. À chaque fois, ces fins de non-recevoir ont été complètement relativisées par les magistrats suisses, affirmant tantôt qu’il n’y a pas de volonté politique de poursuivre cette affaire en Tchéquie, tantôt que leurs « amis » du Parquet praguois n’ont pas les bonnes informations.
Au dossier, figure encore, en tchèque et non traduit ( !), le PV de la réunion du Conseil des ministres tchèques validant à l’unanimité la vente des actions. Sa simple lecture démontre que l’entier du Gouvernement n’ignorait rien de la situation et des acheteurs, alors que le MPC martèle le contraire. Le Conseil confirme vouloir se débarrasser d’un problème, compte tenu de la situation économique. Seule solution : vendre coûte que coûte ! Comme l’affirmera lors de son audition le Premier ministre Zeman, devenu par la suite Président : Si vous passez une annonce pour vous marier, et qu’une seule personne se présente, soit vous acceptez, soit vous ne vous mariez pas… Il n’y eut finalement qu’une seule réponse à l’offre publique d’achat : celle des accusés. Et mariage il y eut. À un prix supérieur à celui fixé par la bourse. Même au fait de toutes ces informations, le MPC est catégorique : le gouvernement a été odieusement manipulé et trompé…
Pour revenir aux échanges tchéco-suisse, ceux-ci deviennent de plus en plus stratosphériques. Le 13 août 2010, en désespoir de cause, le futur Procureur Sautebin informe son alter ego, toujours aussi dubitatif, que, tout bien considéré, l’escroquerie a été commise en Suisse. Pourtant, le crime préalable, pour qu’il y ait blanchiment en Suisse, doit avoir été commis à l’étranger… Le 24 novembre suivant, le MPC demande maintenant aux Tchèques d’inculper les prévenus comme en Suisse. Réponse : pas possible sous l’angle de la Constitution !
Aux grands maux, les grands moyens. En violation de toutes les règles sur la séparation des pouvoirs, l’ambassadeur suisse à Prague va être contraint de s’en mêler. Histoire de mettre un peu plus la pression sur les Tchèques pour qu’ils ouvrent une procédure, il déplore dans les médias locaux que le Parquet national ne veut pas collaborer avec ses collègues suisses qui se battent pour faire triompher la vérité ! Cette démarche fonctionnera finalement mieux que les appels du pied du MPC. L’affaire est maintenant devenue vraiment politique sur les berges de la Vltava. Une nouvelle enquête (la 4ème !) est ouverte sous l’insistance de l’opposition qui voit là une belle opportunité de jouer les trouble-fêtes. Le MPC peut donc désormais affirmer sans mentir qu’il y a bien une affaire en Tchéquie, ce qui valide son travail. Sauf que, pour l’instant, la procédure pénale tchèque est au point mort, vu que, forcément, on attend le résultat des courses en Suisse.
Voilà donc comment le train du MPC s’est mis en marche. Pour valider la course (et les coûts monstrueux qu’elle a engendrés), certains magistrats fédéraux n’ont pas hésité à surfer à leur guise sur les règles les plus élémentaires du fair trial. Celles-ci sont pourtant écrites assez lisiblement dans notre Constitution, notre Code de procédure pénale (CPP), sans compter la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH). Et ce n’est pas le fait d’individus, isolés et mal inspirés ! Point ici de Juge d’instruction en mal de notoriété ou de Procureur affichant des ambitions politiques, comme c’est parfois le cas chez nos voisins. Au contraire, ils ont été plusieurs à partager ce culte d’une instruction résolument à charge, cautionnée par leur hiérarchie, sans aucune considération pour les droits les plus élémentaires des accusés, dans le seul but de parvenir à un résultat confirmant leur soupçon initial, sans aucun égard pour les accusés et la présomption d’innocence.
Pourquoi faire preuve d’un tel acharnement au mépris de la bonne foi la plus élémentaire ? Notre pays serait-il le berceau de magistrats psychotiques et narcissiques, piétinant sauvagement les principes fondamentaux du droit des gens ? Rassurez-vous braves justiciables. La plupart de nos Juges font (heureusement) fort correctement leur travail.
On peut néanmoins évoquer quelques pistes pour tenter de comprendre comment on peut arriver à de pareilles aberrations.
Les mauvaises langues (enfin, pas toujours) disent volontiers que l’on retrouve dans les Parquets cantonaux, les mauvais avocats, et au Parquet fédéral, ceux dont on ne voulait plus dans les cantons. Pour être honnête, c’est faux… Enfin, la plupart du temps… Il y a quand même quelques exemples de magistrats locaux, ayant reçu de leurs employeurs cantonaux des certificats de travail dithyrambiques, pour appuyer leur candidature fédérale, alors que leur carrière avait sérieusement du plomb dans l’aile. Médisance que tout cela ? Allez savoir…
La vérité serait-elle ailleurs, Fox Mulder ? Ce qui est sûr, c’est que, lors de son développement, le MPC ne pouvait pas compter que sur les transferts des ligues cantonales pour alimenter son équipe. Puis, sur les JIF reclassés. Il a fallu aussi engager des juristes novices, sans expérience du barreau et sans culture judiciaire. Cette fameuse règle de l’instruction à charge et à décharge était pour eux une notion purement théorique (et elle le reste encore aujourd’hui, malheureusement), même si le Procureur Général Lauber essaie de mettre de l’ordre dans la maison.
Un autre élément a également joué en défaveur des personnes impliquées dans cette affaire. Comme on vient de le dire, au début de l’enquête, le MPC était au début de son histoire, mais déjà vertement critiqué pour s’être magistralement planté dans quelques dossiers sensibles, sous l’œil goguenard des journalistes. Partis la fleur au fusil dans ce dossier, sans se préoccuper de l’existence des conditions matérielles de l’ouverture d’une procédure et des éléments la justifiant, les hôtes de la Taubenstrasse se sont retrouvés bientôt un peu gênés aux entournures, quand ils se sont rendus compte que leur investigation allait droit dans le mur. On n’allait pas manquer de leur reprocher d’avoir dépensé sans discernement l’argent du contribuable.
Déplacer par exemple à Prague pendant 15 jours toute une escouade de procureurs et de pseudo-experts financiers, pour auditionner un collège de ministres, ça va faire désordre s’il faut tout stopper. Coûte que coûte, il faut que cela passe. D’où les pressions sur les autorités tchèques (un ambassadeur suisse contraint de prendre son bâton de pèlerin pour aller inciter ses hôtes à se mettre au diapason des enquêteurs suisses, c’est du jamais vu !) et quitte à travailler avec des œillères. D’où également, ces pièces soigneusement « égarées » dans les méandres du dossier et qui seront retrouvées in extremis par la défense.
Dans le prochain Épisode, nous reviendrons notamment sur cette quinzaine praguoise, orchestrée par la Procureure De Falco et ses acolytes. Et aussi sur les niches faites à la défense pour qu’elle ne vienne pas mettre les bâtons dans les roues du MPC. Édifiant…
À bientôt
EPISODE IV
04/04/2016 § Poster un commentaire
Episode IV
Le décor est planté.
Le spectacle peut donc
commencer. Toute ressem-
blance avec une certaine sa-
ga galactique serait purement for-
tuite et involontaire (ou alors à peine vo-
lontaire). C’est surtout que l’histoire ne res-
pectera pas forcément l’ordre chronologique.
Pas par volonté de copier Georges Lucas. Mais parce que cela correspond au parcours de votre serviteur dans cette aventure. J’ai en effet pris le train en marche. Juste avant que l’affaire n’entre en pleine lumière, après des années d’instruction passées dans l’ombre des Juges d’instruction, puis des Procureurs fédéraux. C’était en février 2012 et je ne me doutais pas une seconde que j’allais me frotter au côté obscur… de la Force (publique).
Selon un vieil adage samouraï „Quand les flots montent, le bateau s‘élève…“ (Hagakuré). Face à la difficulté, le guerrier ne doit pas se résigner, mais augmenter ses capacités et s‘élever avec elle pour ne pas finir englouti. Dans les affaires exceptionnelles, on serait donc en droit d‘attendre de tous les acteurs du procès, en particulier des magistrats, un comportement qui, à défaut d’être irréprochable, soit à la hauteur de l’attente (légitime) des justiciables. Qui plus est lorsque la phase finale se joue devant une Cour fédérale ! On se réjouit de passer de Challenge League à la Super League fédérale de Bellinzone… Et voilà qu’on découvre que les arbitres ne sont pas à la hauteur de l’enjeu…
Et quel enjeu plus extraordinaire pour un Tribunal helvète que de juger la privatisation à la fin des années 90 d’une des principales mines de charbon… de Tchéquie ? Une mine ! C’est génial ! Ça fait sérieux, mais, elle est en Tchéquie avez-vous dit ? Euh… quel rapport avec nos monts ? Parce qu’il faut bien qu’il y en ait un, sinon on se demande quelle mouche a bien pu piquer les juges suisses pour qu’ils se mêlent d’une histoire pareille.
Ce fameux « rapport », on le cherche toujours. Mis à part le domicile suisse de l‘un des protagonistes et le transit de certains fonds dans notre landernau, les JI et autres Procs fédéraux ne pouvaient d’emblée que constater qu’il s’agissait d’une affaire tchéco-tchèque. Il y était en effet uniquement question de ressortissants tchèques, ayant acheté avec des sous tchèques une participation majoritaire dans une usine de charbon tchèque dans les années nonantes. La toute jeune Tchéquie était alors en pleine période de transition du système communiste vers l’économie de marché. Au vu d’un tel contexte, n’importe quel magistrat non-tchèque aurait bâché et laisser ses collègues tchèques séparer le bon grain de l’ivraie. Mais pas nos super-juristes… helvètes. Oh que non !
Après avoir prêché sur tous les fronts la neutralité de notre beau pays, d’où peut bien venir cette lubie de plus en plus répandue de se prendre subitement pour les gendarmes du monde ? Surtout quand personne ne vous demande rien ! Voilà un sujet de réflexion future…
Pour revenir à nos moutons (tchèques), une fois lancé, le dossier prend rapidement une ampleur hors norme, malgré que le rapport avec l’Helvétie ne restait au fil des mois d’instruction toujours évident uniquement pour une poignée de juristes du MPC. L’affaire devient carrément ubuesque, quand les « collègues » Tchèques eux-mêmes expliquent dans un long mémo à leurs homologues suisses avoir diligenté deux enquêtes en 2000 et 2004, lesquelles ont toutes conclues que l’acquisition de la mine n’était pas discutable. Qu’à cela ne tienne, il en faut plus pour refroidir les ardeurs de nos enquêteurs à croix blanche.
Nous reviendrons dans les deux prochains épisodes (I & II) sur les différentes phases de manipulation du dossier et de violations des droits de la défense, orchestrées par les accusateurs, afin de s’assurer un avantage sur les accusés. « Orchestré », le terme peut paraître fort. Mais, consciemment (ou non ?), le Parquet fédéral n’a pas hésité à „tricoter“ pour donner à cette affaire un semblant de consistance. C’était évident, en tous cas pour les avocats de la défense (dont l’objectivité ne peut bien évidemment être mise en doute !). Mais si… voyons. Bon, allez, trêve de plaisanterie, parce que le sujet ne prête guère à la gaudriole. Sans rire, les violations des droits des prévenus étaient tellement grosses, crasses, évidentes (même pour un non-juriste) que, pour nous, les défenseurs, elles ne pouvaient pas être bottées en touche par le TPF.
Ce fut peut-être notre erreur. La confiance dans le système éprouvé de nos institutions et dans le bon sens de nos Juges, en principe hermétique à toute ingérence ou influence extérieure. Pas comme on le voit régulièrement chez nos voisins. Confiance trahie, puisque Bellinzone a fermé les yeux sur les méthodes d’investigations plus que discutables utilisées par le MPC dans cette affaire et validé une accusation bâclée et abracadabrante, en essayant de noyer les prévenus sous un jugement fleuve de près de 600 pages, espérant peut-être ainsi camoufler une aberration judiciaire susceptible d’égratigner sérieusement la crédibilité d’une justice fédérale déjà sur la sellette, surtout au vu des moyens démesurés engagés.
Quelques mots sur ce jugement – pour l’instant en suspend devant le TF – sont nécessaires pour comprendre que les accusés ont été jusqu’au bout de la procédure de première instance privés de la possibilité de lutter à armes égales avec leurs accusateurs.
Si on commence par la fin (décidément, cela devient une habitude). Il y a déjà la problématique du recours contre le jugement du TPF, d’où il est évident que l’équité est aux abonnés absents.
Selon le Code de procédure pénale (CPP), dans les affaires pénales « ordinaires », une fois le verdict communiqué par oral aux parties, au terme de l’audience publique, le Tribunal qui a statué doit rédiger et envoyer le jugement dans un délai de 60 jours. Exceptionnellement, dans les cas dits « complexes » (notion imprécise, donc laissée à l’entière discrétion du Juge), ce délai peut être porté à 90 jours (art. 84 al. 4 CPP). A priori, pas question de trainasser donc, surtout pour le greffier, qui se tape l’essentiel du boulot. Ne vous y fiez pas. Il ne s’agit en réalité que d’une prescription d’ordre général. Si, d’aventure, le Tribunal ne devait pas la respecter, voire dépasser outrageusement cette limite temporelle, il n’y a aucune conséquence pour lui (et, à l’inverse, aucun bénéfice pour les accusés). Le jugement n’est en effet pas annulé, comme c’est le cas dans d’autres pays, comme par exemple chez nos voisins italiens. On l’a vu dernièrement dans un cas impliquant la mafia. Les magistrats ont „malencontreusement oublié“ de terminer la rédaction d’un jugement envoyant aux galères un Don Corleone local dans le délai (impératif cette fois) imparti par leur législation. Et la sentence a été purement et simplement annulée, avec relaxe et excuse au séide injustement incarcéré…
Rien de tel au pays des Coucous. On attend poliment le bon plaisir du Tribunal. Et jusque-là, circulez, y‘a rien à voir ! Le délai de rédaction suggéré par le CPP ne sert donc qu’à inciter la Justice pénale à faire son boulot dans un délai „convenable“. Voilà qui est noble, mais un brin hypocrite tout de même. Parce que, du côté des destinataires de ces fameuses décisions, pas question de bénéficier de la même mansuétude. Pas de rallonge du délai de recours proportionnellement au temps supplémentaire utilisé par le Tribunal pour faire son job. Le temps imparti est gravé dans le marbre, même en cas de procédure „exceptionnelle“.
Devant une juridiction ordinaire donc, le recours doit être annoncé (une simple lettre suffit) dans les 10 jours dès la communication orale du verdict sommairement motivé; puis confirmé dans les 20 jours après la notification de la décision, cette fois complètement rédigée (art. 399 CPP), dans ce fameux délai de plus ou moins 60 à 90 jours, ou plus…
Là, c’est (presque) du velours, parce que la confirmation de l’appel n’a pas besoin d’être très motivée. Il suffit que le recourant indique les points contestés du jugement et explique brièvement pourquoi. Tout se jouera dans les plaidoiries.
Dans notre cas, les choses se compliquent singulièrement, parce que nous sommes devant une juridiction « extraordinaire », le TPF. Comme les autres Tribunaux, il rend d’abord son verdict par oral (jusqu‘ici, rien de nouveau). Mais après, pas d’annonce immédiate d’appel, on guette patiemment le facteur, des semaines, voire des mois. Un beau jour, il arrive avec un superbe jugement dans sa besace. Et, là, le marathon commence. 30 jours, pas un de plus pour ficeler un recours digne de ce nom. Parce qu’un recours au TF, c’est un exercice de haute-couture. Voilà pourquoi dans notre histoire de charbon, c’est là un des nombreux points où l’on ne peut que constater un décalage entre les facilités de l’accusation et les contraintes de la défense.
Vous avez-dit procès équitable ?
Voyez plutôt. Après six semaines de débats de mai à juillet 2013 (qu’il a préparés durant plus d’une année, s’il vous plaît), le TPF s’est tout d’abord accordé 4 mois au terme des débats publics pour rassembler ses esprits et se préparer à communiquer sa décision par oral à la fin de l’automne. En plus, ce qui est tout à fait inhabituel, l’énoncé du verdict a été scindé en deux séances distinctes, séparées de quelques semaines, sans que l’on sache vraiment pourquoi. Puis 8 mois supplémentaires lui ont été nécessaires pour détailler sur le papier les griefs retenus contre les accusés. Six semaines de débats, 4 mois pour balancer un verdict en deux épisodes et 8 mois pour noyer le poisson sous 600 pages de prose tarabiscotée !
Si on en revient à notre délai de recours, on ne peut que constater le problème. Parce que, si l’on sait compter, le TPF s’est généreusement octroyé plus d’une année pour accoucher, alors que du côté des condamnés (et de leurs défenseurs), comme la seule (et unique) voie de recours, c’est le Tribunal fédéral (TF), pas question ici de juste écrire dans les 20 jours que l’on conteste le jugement et que l’on dira tout dans les plaidoiries quand viendra l’audience. Procédure écrite oblige, il a donc fallu détailler et argumenter chacun des griefs (et il y en avait des wagons) dans les 30 jours suivant la réception de ce merveilleux jugement long comme un jour sans pain !
Ce fut une tâche titanesque, parce que la jurisprudence du TF ne permet pas de balancer simplement que les précédents Juges n’ont pas bien fait leur boulot et advienne que pourra dans les plaidoiries. Devant la Haute Cour, on ne plaide pas, on rédige. Et pas n’importe comment. Il faut démontrer virgule par virgule les erreurs (de fait et de droit) du jugement attaqué, puis ciseler avec une précision d’orfèvre chacune de ces bourdes et, enfin, établir qu’elles ont – toutes – conduit à un prononcé arbitraire. Et arbitraire, ne veut pas dire simplement qu’une autre solution aurait pu être choisie par le TPF. Non, arbitraire veut dire : prouver que – justement – la solution choisie est insoutenable, parce qu’archi-fausse.
Il y a aussi la dimension artificielle du jugement qui a posé problème. Quand on sait que le dossier comporte plus de 100’000 pièces, pour la plupart récoltées en Tchéquie (en fait, personne ne sait exactement combien), on pourrait avoir le sentiment – trompeur – que Bellinzone s’est prononcé en adéquation avec l’ampleur de la tâche à laquelle il était confronté. Fatale erreur, car si l’on y regarde à deux fois (votre serviteur et ses confrères ont même dû s’y résoudre à trois, voire quatre fois pour comprendre la prose fédérale), la taille du jugement est gonflée de façon artificielle. 591 pages certes, mais, une fois séparé le bon grain de l’ivraie, les passages réellement pertinents représentent à peine le tiers de l’ensemble, en étant large. Le reste n’est que du copié/collé. Merci Word. Donc, pratiquement 400 pages de répétitions stériles, d’affirmations fumeuses et non documentées pour la plupart.
Quel pouvait être la raison motivant ce subterfuge quantitatif ? Le TPF voulait-il se prémunir par anticipation contre le reproche éventuel de n’avoir pas suffisamment exploré les arcanes de ce dossier ? Parce que, sinon à quoi bon perdre son temps à faire du remplissage ? Les questions juridiques à résoudre étaient-elles à ce point ardues ? Rien n’est moins sûr. Si la question centrale de la compétence territoriale présentait une certaine complexité (ben oui, faut quand même expliquer au bon peuple ce que vient faire la Justice suisse dans une affaire tchéco-tchèque), les autres questions juridiques (p. ex. : la réalisation de la condition de l’astuce dans l’accusation d’escroquerie, le blanchiment, la qualification d’un contrat de prêt, etc…) que devait résoudre les 3 Juges siégeant à Bellinzone ne présentaient aucune difficulté majeure sous l’angle juridique, une fois les faits établis. À condition bien sûr qu’ils le soient correctement…
La longueur du jugement est en effet toute aussi trompeuse au regard des faits réellement examinés par Bellinzone. On aurait pu croire que, pour comprendre cette affaire dans sa globalité, ils se seraient attachés à retracer l’historique complet de ce rachat litigieux qui leur a été présenté par le MPC, puis à analyser méthodiquement chacune des étapes. Et aussi que ces braves gens auraient pu trouver utile de replacer les faits dans le contexte politico-économique de la Tchéquie des années nonantes, car pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que cela n’avait rien de commun avec la Suisse du IIIème millénaire.
Eh bien non, rien de tout cela. Bellinzone s’est limité à survoler quelques épisodes choisis d’une histoire couvrant une décade. La Cour les a scindé en trois volets pratiquement isolés de leur contexte (un contrat de crédit, la capitalisation d’une société et les pourparlers menés avec les représentants de l’État tchèque – le FNM et le Collège des Ministres de l’époque – au sujet de l’achat des actions de MUS détenues par l’État tchèque). Chacun de ces épisodes est certes assez extraordinaire pris isolément, comme on le verra bientôt, mais ne pouvait être analysé sans être intégré dans une chronologie pourtant longuement exposée par votre serviteur et ses Confrères, croyant naïvement que le TPF était à l’écoute de leurs plaidoiries.
Voilà, c’est tout pour aujourd’hui, chers lecteurs.
Tout bientôt, l’Épisode I, où on expliquera la genèse de cette incroyable affaire, puis l’Épisode II où on narrera dans le détail comment le MPC a mené sa barque en empêchant sciemment la défense de lui mettre les bâtons dans les roues.
Tout un programme…
À bientôt.
Épisode III
03/15/2016 § 2 Commentaires
Episode III
C’était à l’aube
du IIIème millénaire. La
Confédération voulait renfor-
cer sa crédibilité sur la scène judi-
ciaire internationale. C’est ainsi que le
Premier de l’An 2002, le Ministère public de
la Confédération (MPC) new-look voit le jour. Il
se voit confier de nouvelles compétences dans le do-
maine du crime organisé et de la criminalité économique. Désormais, il est vraiment une autorité judiciaire indépendante qui n’est subordonnée qu’administrativement au DFJP, c’est-à-dire uniquement pour ce qui est des ressources (personnel, finances, infrastructure). Quant à la conduite des investigations, le Procureur général de la Confédération et ses acolytes travaillent désormais sans recevoir d’instructions de l’autorité de nomination. Du moins officiellement, car certaines affaires internationales touchant la Suisse ont parfois un caractère politique très marqué : Khodorkowsky, Printemps arabe, etc). C’est du lourd, comme on dit. Difficile donc, voire téméraire, de faire cavalier seul, sans prendre la température auprès des politiques. Bref, la séparation des pouvoirs, d’accord, mais… avec prudence. Tout à fait dans la ligne du sacro-saint principe du « compromis helvétique »…
Pour permettre au nouveau système de fonctionner correctement, il lui fallait aussi une Cour à la hauteur de ses ambitions. Aussi, le 1er avril 2004, le Tribunal pénal fédéral (TPF) a-t-il ouvert officiellement ses portes. Administration fédérale décentralisée oblige, les justiciables concernés par les enquêtes du MPC devront prendre à droite en sortant du Gothard, et se rendre sous les murs du Château de Bellinzone, pour comparaître devant cette instance fédérale unique.
Créé pour connaître des causes que le MPC lui soumet – dossiers présentant un caractère supra cantonal ou international, le TPF nous a été vendu comme une évolution dans le système judiciaire suisse, grâce à son collège de juges spécialisés dans le droit pénal. À voir… Parce que la nouvelle Cour pénale fédérale supprime tout de même une étape essentielle du processus judiciaire : le premier degré de juridiction « classique » de l’instance cantonale. Celui du Tribunal d’arrondissement avec ses braves juges laïcs, épaulant un Président juriste. Les « Juges du fait » comme on les appelle, dont la vocation salutaire est souvent de commencer par remettre l’Église au milieu du village, bon sens populaire oblige, avant de parler de droit.
Avec ce TPF, on zappe donc un échelon essentiel de la hiérarchie, pour se retrouver directement face à trois professionnels. Première conséquence (et non des moindres), on ne bénéficie plus des deux possibilités habituelles de contester un jugement. Contre les prononcés du TPF, il ne reste en effet plus qu’une seule et dernière voie de recours sur le plan suisse : le Tribunal fédéral (TF). Ce n’est pas anodin, parce que, seconde conséquence, ce faisant on supprime presque totalement la possibilité de revoir tranquillement au moins une fois ces fameux faits, base nécessaire à la bonne et juste application du droit. Qui, quand, quoi, comment, où ? Ces questions fondamentales auxquelles il faut impérativement répondre correctement avant de prétendre émettre un jugement. Si cela allait de soi, on n’aurait pas besoin d’avocats, si, si.
Voilà…
Avec tout cet arsenal judiciaire, on devrait pouvoir dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes des coucous suisses. Parce que nos supers procureurs traiteraient de supers dossiers, avec leurs supers pouvoirs, et les transmettraient à de supers juges qui rendraient de supers jugements. L’efficacité et le rationalisme helvétique au service de la Justice. Que vouloir de plus ?
Malheureusement, la réalité est un brin moins enthousiasmante. Objectivité, impartialité, respect des règles fondamentales, bref le kit minimal d’une procédure équitable, ne font pas toujours partie du package de tous les supers magistrats fédéraux, en particulier de certains Procureurs. Parfois, cela éclate au grand jour. Certains fiascos retentissant devant le TPF ont suscité pas mal de polémique, comme l’affaire Holenweger. Étonnant non ? Peut-être pas tant que ça. Il faut savoir que bon nombre de ces supers juristes auto-proclamés dans la fleur de l’âge ont choisi l’aventure fédérale, parce que leur carrière cantonale était un brin compromise. D’autres, tous frais émoulus des hautes écoles, n’avaient au moment de leur recrutement strictement aucune expérience du terrain.
Et, là, le terrain est plutôt ardu. On ne parle pas de chiens écrasés, mais de grosse galette. Ce qui a a priori une influence néfaste sur le recul nécessaire dont devrait faire preuve tout magistrat qui se respecte. Parce que là, dès qu’ils pensent avoir reniflé un os et avant même d’avoir la confirmation que c’en est bien un, certains ne veulent déjà plus le lâcher. Peu importe l’argent du peuple et le bon sens. Ici c’est le MPC ! On est là pour ça et on ne peut pas se tromper !
Ben voyons. C’est avec ce genre d’autocritique à deux balles que l’on transorme des taupinières en montagnes. Ou que des affaires relevant des affaires intérieures de contrées lointaines ont amené des magistrats helvétiques à faire du prosélytisme hors de nos frontières, histoire de sauver leur investigation du naufrage. Vous ne le savez peut-être pas, mais en matière d’accusation de blanchiment, s’il n’y a pas eu de crime à l’étranger, il ne peut y avoir d’infraction, et donc de condamnation, en Suisse. Donc, quand ils se rendent compte qu’ils n’ont rien (ou presque) à se mettre sous la dent en Helvétie, certains plénipotentiaires fédéraux sont tentés de prendre leur bâton de pèlerin pour aller convaincre leurs homologues étrangers, ces empotés qui n’ont rien compris à leur propre ordre juridique, que, fort heureusement, un juriste à croix blanche est là pour leur ouvrir les yeux et trouver la voie. Lao Tse l’a dit…
Heureusement pour nous, certains dossiers transpirent. Parce qu’évidemment, ce genre d’exploit ne se crie pas sur les toits. Et pour cause. Non seulement ce n’est pas très fair-play envers le ou les accusés (on a critiqué des régimes totalitaires pour moins que ça), mais cela viole aussi quelques règles fondamentales internationales (indépendance, souveraineté, etc.). Bref, la base de l’État de droit parait-il.
De la science-fiction ? Pas vraiment, non. La preuve dans les lignes à venir. C’est effectivement une histoire de ce genre qui va vous être contée. Tout y est vrai et n’entretient de rapport avec la SF que par son titre à peine allusif : Coal Wars, car on va parler de charbon. Même si cette saga n’a guère connue de notoriété dans notre pays, celai n’enlève rien à son importance au regard du respect des institutions et du droit, car elle est hors norme à tout point de vue. Elle sera scindée en plusieurs volets, pas forcément chronologique (Star Wars quand tu nous tiens), histoire d’en faciliter la compréhension, autant que de vous éviter un sacré mal de tête.
On découvrira comment le MPC, pensant avoir soulevé le plus gros lapin de son histoire, a foncé tête baissée dans une affaire pour laquelle il n’y avait pas le moindre élément tangible qu’une infraction avait été commise. Juste les déclarations fumeuses d’un personnage qui l’était tout autant et qui n’avait pas le moindre rapport avec les faits dont il parlait. Une affaire qui, en outre, ne concernait la Suisse que de manière très, très lointaine. La Tchéquie, cela n’a rien d’une autre galaxie, certes, mais ses institutions n’ont tout de même pas grand-chose à voir avec les nôtres. Cela n’a pas empêché nos enquêteurs à croix blanche de vouloir se les approprier. Pire, conscients de l’impasse dans laquelle ils s’acheminaient, ils ont tordu les règles du procès équitable pour sauver leur dossier. Et ça ne s’est pas arrêté là. Au lieu de sanctionner une instruction résolument orientée et l’acte d’accusation inconsistant qui la clôturait, alors que c’est – paraît-il – son rôle, le TPF a contre toute attente validé cette mascarade en rendant un jugement de condamnation aussi abracadabrant que démesuré, jugement aujourd’hui toujours en cours d’instruction devant le Tribunal fédéral.
Chers lecteurs, dans les épisodes à venir très bientôt, vous découvrirez donc
l’histoire des Juges suisses qui voulaient blanchir le charbon tchèque…