Septembre…
… où la « rentrée judiciaire » s’effectue en mode groovy avec un titre de circonstances, September Fields. Pour l’instant, vu la chaleur persistante, le bleu de travail reste light, mais que l’on ne s’y trompe pas, la saison du Mint Julep touche à sa fin et l’agenda qui grossit à vue d’œil est là pour nous le rappeler.
Le 1er…
… où l’on découvre un jugement de divorce « exotique », enfin,façon de parler, puisqu’il s’agit d’un prononcé marocain.
En bref, le Tribunal reproche notamment à Madame d’avoir rechigner à remplir son devoir conjugal. Donc,Monsieur a bien raison de la quitter pour une autre. Mais, dans sa grande munificence, la Cour astreint quand même Monsieur a délié sa bourse (!) et à verser une (modeste) indemnité dite « de consolation » à la désormais ex-épouse.
Voilà une idée originale qui n’a – semblerait-il – pas effleuré nos merveilleux penseurs du Code civil : un prix de consolation quand on ne sait pas quoi faire, mais que l’on veut tout de même marquer le coup !
Le 2…
… où toute la république est suspendu au verdict de Claude D. qui tombe dans l’après-midi.
Aucune surprise, le verdict de 1ère instance est confirmé sur toute la ligne : internement à vie !
Soulagement dans les chaumières, où tout autre résultat allant vers ce que d’aucuns auraient considéré comme un allègement du châtiment du monstre aurait provoqué ire et incompréhension.
Sans vouloir faire injure à la mémoire de la victime ni à la douleur de sa famille et de ses proches, ce verdict conforme aux aspirations du peuple interpelle tout de même sur le fonctionnement de notre système judiciaire dans des cas extrêmes comme celui-ci.
On ne peut en effet dissocier ce jugement du Tribunal cantonal, confirmant en tous points celui de première instance, de la volonté populaire. Tout le monde voulait voir Claude D enfermé à vie. C’est chose faite ! Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Circulez, il n’y a plus rien à voir !
Plus rien ? C’est vite dit.
Commençons par le peuple. S’il est satisfait, l’avocat ne peut quant à lui qu’exprimer son profond scepticisme. Si les prononcés de justice doivent être conformes aux aspirations de la foule pour être considérés comme valables, c’est la fin de l’indépendance des tribunaux. Bon, soyons lucides. Il y a des précédents… et nombreux. Il n’en demeure pas moins qu’un système judiciaire qui prétend fonctionner se doit d’être hors d’atteinte de toute influence populiste, politique ou idéologique. Car si l’on n’est pas capable de garantir au pire des monstres un examen de son cas dénué de toute passion, même le plus insignifiant des prévenus est en droit de craindre de ne pas être jugé avec toute l’objectivité et l’impartialité voulues. Certes, la justice est rendue par des Hommes et les hommes ne sont pas des machines, nous en avons déjà parlé. La confiance du justiciable dans ses Juges reste néanmoins à ce prix. Il ne faut pas l’oublier.
Revenons au cas de Claude D maintenant. Selon ce que les médias ont rapporté, la Présidente du Tribunal cantonal s’est exprimée plus ou moins en ces termes avant de clore l’audience : le verdict de première instance est confirmé, en particulier la mesure d’internement à vie, parce que Claude D présente un risque pour la sécurité publique qu’il n’est pas possible de voir diminuer à lointaine échéance.
A priori, difficile de prétendre que ce n’est pas une bonne décision. Nous sommes face à un double récidiviste en matière d’homicide intentionnel. Pas besoin d’être grand clerc pour considérer qu’il présente manifestement un danger accru pour la sécurité de son entourage.
De manière insidieuse, ce jugement revient pourtant sur cette question lancinante qui provoque moult débats dans les chaumières depuis que les Cours de justice font appels à des experts-psychiatres pour démêler le (trop rare) bon grain de l’ivraie (qui pullule en ce bas monde, comme chacun sait) : peut-il changer… un jour ?
Certes, dans le doute, le plus optimiste des Juges n’a envie de remettre une bombe à retardement en circulation. Il vaut mieux le garder sous les verrous ad aeternam. Mais ce fameux doute, pierre angulaire de notre système pénal, ne doit-il pas profiter à l’accusé ? Oui, quand il porte sur les faits, mais sur le futur, sur l’incurabilité d’un individu, quid ?
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, il faut 2 rapports d’expertise concordants, confirmant l’incurabilité à vie, pour prononcer une mesure d’internement… à vie. Et, jusqu’ici, la Haute Cour ne s’est pas montré très encourageante. Elle a plutôt cassé les verdicts cantonaux allant dans ce sens. Les Juges fédéraux ont-ils peur d’appliquer la loi dans toute sa rigueur ? Pas vraiment. Mais, quand la volonté populaire va à l’encontre des principes du droit international, ils deviennent prudents. Ils gardent dans un coin de leur cerveau la bonne parole – juridique – venue d’Alsace. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), à Strasbourg, ne leur laisse en effet guère de marge de manœuvre. Les sentences pénales fondées sur des a priori comme « jamais », « à vie », etc., ne trouvent pas grâce à leurs yeux. Tout condamné doit pouvoir conserver la possibilité de faire réexaminer sa situation carcérale régulièrement.
Pour bien comprendre le problème, il faut tout d’abord savoir que, dans notre affaire, les Juges vaudois avaient le choix entre deux types de mesures pour compléter leur verdict.
Tout d’abord, ils ont puni Claude D pour ce qu’il a fait dans le passé, soit un assassinat, alors qu’il en avait déjà commis un auparavant. Pour cela, ils n’ont pas barguigné : réclusion à perpétuité. Difficile de les contredire.
Ensuite, ils se sont occupés de l’avenir, puisque, justement Claude D aura la possibilité dans un futur assez lointain tout de même de demander une remise de peine. C’est là qu’on parle de la mesure d’internement. Les juges doivent alors se poser la question de savoir à quelle hauteur faut-il installer le garde-fou – sans jeu de mots – pour protéger la population dans le futur. Si haut, qu’on ne voit même plus le ciel ? Et tout le monde aujourd’hui s’accordera à dire que Claude D ne devrait même pas avoir droit à la lumière. Ou, pourra-t-il juste entrevoir l’horizon, solution préconisée par la CEDH ?
En matière d’internement, notre pays connaît justement ces deux options.
La première, classique, est l’internement ordinaire qui permet d’imaginer l’horizon. Prononcé sans limite de temps, il est réexaminé régulièrement, en principe chaque année. Aucun problème, s’il aboutit à une confirmation régulière de la dangerosité et au maintien des conditions de détention et donc à un internement à vie dans son résultat.
La seconde, exceptionnelle, est donc l’internement à vie, pour lequel on doit pouvoir affirmer au moment du jugement que le condamné est incurable… jusqu’à sa mort. Cette incurabilité n’est alors pas fondée sur l’impossibilité d’une évolution de la personne, mais elle se place du point de vue de la science et de son évolution probable. Et là, les milieux scientifiques sont partagés. Certains considèrent qu’il est possible de déterminer qu’une personne n’évoluera pas favorablement dans le futur. D’autres, et comment les en blâmer ? affirment que, au vu des connaissances scientifiques actuelles, personne ne peut affirmer avec certitude qu’il n’existera pas un jour un traitement adéquat.
C’est bien joli toute cette science, mais notre Haute Cour, ainsi que la CEDH, font du droit. Et le droit est en principe beaucoup plus terre-à-terre. C’est pourquoi, le verdict de Lausanne est problématique, puisque, si l’on exige une certitude à vie, la « lointaine échéance » évoquée par la Présidente risque d’être considérée comme insuffisante pour justifier la seconde mesure.
Et pourquoi serait-ce problématique mon bon Monsieur ?
Parce que, motivé ou non par la volonté populaire, on peut légitimement se demander pourquoi le Tribunal cantonal n’a pas choisi la route la plus sûre, soit la première option ? Elle présentait un risque minime de se faire casser par le TF et elle aurait encore plus difficilement être remise en question à Strasbourg. Là, il n’y aurait aucune place pour un débat scientifique à haut risque. Car, dans le futur, la probabilité qu’un expert considère tout à coup dénué de toute dangerosité un double assassin paraît assez extraordinaire.
Au lieu de cela, on a pris le risque que, même si le jugement est maintenu aujourd’hui, dans 20 ans par exemple, Claude D saisisse la Cour européenne en disant : on ne veut pas me laisser sortir de prison uniquement parce que la science n’a pas évolué depuis ma condamnation ! Cet argument n’aurait rien d’idiot et serait susceptible de trouver grâce auprès des théoriciens du droit qui y siègent. En raisonnant de manière à peine absurde, on pourrait imaginer le pire des scénarios, une remise en liberté n’ont pas parce qu’il a été démontré qu’il n’y avait plus aucun risque de récidive, mais parce que la CEDH considérerait inadmissible de maintenir quelqu’un en prison, simplement pour le motif que la science n’a pas fait de progrès en matière de prévention de la dangerosité des pires psychopathes !
Bref, on avait tout ce qu’il fallait pour bien faire sur le plan du droit et mettre Claude D hors circuit. Une réclusion à perpétuité doublée d’un internement ordinaire, mesure qui permettrait déjà aujourd’hui le maintien en détention, sans réelle possibilité de changement. Il y a des précédents, le « Sadique de Romont » pour n’évoquer que lui. Au lieu de cela, en voulant selon toute vraisemblance respecter la déontologie populaire, on prend le risque de voir le TF casser ce verdict ou, si ce n’est pas lui, la CEDH. Demain, ou dans 20 ans…
Les avocats de Claude D ont déjà annoncés que, selon toute vraisemblance, il y aura recours à Mon-Repos. Les journalistes l’avaient déjà anticipé. Et l’on ne pourra faire grief auxdits avocats de faire leur travail, car ils connaissent le droit et la jurisprudence suisse et internationale, comme votre serviteur. Ils savent donc qu’ils ont toutes leurs chances d’avoir un écho favorable, qui risque de très mal raisonner aux oreilles de la populace…
Le 5…
… où l’on se retrouve, bon an mal an, au grand raout de l’économie locale, entouré de forcenés en costumes Boss, bien décidés à caser leurs cartes de visite à un maximum de pékins.
On appelle ça du réseautage. Il paraît que c’est tendance.
Et, là, ceux qui vous considéraient avec un drôle d’air, parce que vous rechignez à distribuer à la volée des petits bouts de bristol avec votre nom dessus, prennent un air inspiré quand ils ont lu le mot « avocat »
Aaaaaahhhh, ouiiiii, bon, ça peut servir un jour…
Ben tiens, c’est le but…
Bon, parmi tous ces exaltés du speed-dating, il y en a bien un qui réagit comme si on avait agité de l’eau bénite devant un vampire.
Avant d’avoir pu investiguer plus avant sur ce manque d’enthousiasme très discourtois face à ma merveilleuse personne, une vieille connaissance qui a le mérite de n’être ni avocat ni distributeur de bristol arrive deux bières à la main. Brave homme…
Le 6…
… où, en pleine préparation d’une affaire pénale agendée dans une semaine, où je défends une brave dame qui s’estime grugée par un entrepreneur, les écailles me tombent des yeux !
Le « vampire » n’est autre que l’entrepreneur en question !
Le 7…
… où un brave Confrère, venu des fins fonds de l’empire austro-hongrois, prend contact avec moins dans la langue de Shakespear pour me demander d’assurer la défense d’un Roumain embastillé en terres lémaniques, mais qui paraît-il parle très bien le polonais !
Et le langage des signes ?
Le 8…
… où l’on reçoit par pigeon voyageur virtuel un commentaire aussi savoureux que pertinent sur notre billet du 2 septembre consacré à l’internement à vie de Claude D prononcé par le Tribunal cantonal vaudois.
Son auteur, un journaliste, dont les chroniques judiciaires mâtinées d’humanisme ont toujours fait musca, revient sur la situation quasi-kafkaïenne dans laquelle nos législateurs ont placé les Juges.
Avec son autorisation, voici son point de vue :
Sur le fond, je ne puis que te donner raison: l’internement ordinaire, tel qu’il est conçu, rend l’internement à vie socialement inutile et juridiquement dangereux. En sapant un droit fondamental de l’être humain, il affaiblit même, si peu et si rarement que ce soit, le fondement même de notre société humaniste (pour autant qu’elle le soit tant que ça, c’est une chose sur laquelle les populations des régions en guerre, des pays dévastés par les déchets et la prédation sur lesquels est bâtie notre prospérité auraient sans doute un point de vue légèrement différent).
Mais si mon souvenir est bon, l’internement à vie n’est pas une invention des juges, mais du Législateur, qui a agi contraint et forcé par la volonté populaire clairement manifestée dans une initiative excessive, mais largement approuvée. Dont les juges sont supposés respecter la volonté si je me rappelle bien de l’introduction au droit de ma première année. Dans ce cas, cette volonté n’émanait pas du Législateur, mais directement du peuple souverain, dont la prééminence de la volonté sur celle de ses élus est la base même de la démocratie à la Suisse.
Il devient dès lors difficile de parler «pression populaire», c’est à dire en clair faiblesse et démagogie quand des juges appliquent une loi construite selon tous les principe de notre démocratie, dès lors que toutes ses conditions d’application sont réunies. Cela semble être le cas dans l’affaire D., où les deux psychiatres sont d’accord sur l’essentiel, l’un d’eux émettant toutefois une réserve de nature philosophique sur la possibilité ou non de prévoir un avenir aussi lointain dans quelque chose d’aussi complexe que la psyché humaine (ou pas trop dans ce cas).
Dans un cas aussi extrême que celui de D., j’ai assisté à son premier procès, et j’ai pu toucher du doigt ce qui l’empêche de progresser: un égocentrisme tout à fait extraordinaire, à la limite du solipsisme, supprimant toute empathie, une intolérance absolue à la frustration, une projectivité extrême et une absence complète de freins au passage à l’acte. Sans parler d’une remarquable capacité à tromper son monde, notamment les psychiatres. En lisant les compte-rendus de son second procès, j’ai pu constater que l’homme n’avait pas changé d’un iota sur tous ces points. Il avait notamment réussi à persuader les spécialistes que, malgré l’absence de tout travail sérieux en 12 ans de prison, il avait changé et ne représentait plus un danger. Ce qu’il a d’ailleurs obligeamment démenti devant le Tribunal cantonal en affirmant que si un ami le trahissait, il n’hésiterait pas à le tuer. Ce qui est quand même original dans le contexte d’un procès pour une récidive d’assassinat, dont sa capacité d’amendement est la clé.
Même si je ne suis pas 100% à l’aise avec la volonté populaire dans cette affaire, s’il est un cas où celle-ci doit être respectée, c’est bien celui-ci. Quitte à ce que, dans vingt ans, la Cour européenne des droits de l’homme (mais existera-t-elle toujours et liera-t-elle encore la Suisse?) donne tort à la Suisse et à son peuple et oblige à n’interner D que tant qu’il représentera un danger, ce qui fera sans nul doute longtemps…
Le 9…
… où comment en tant qu’autorité on donne l’impression de respecter le droit d’être entendu des administrés, alors que ce n’est que de la poudre aux yeux.
Démonstration.
Un jeune homme qui s’ennuie à la maison a l’habitude de tromper son spleen existentiel avec sa production personnelle d’herbe qui rend heureux. Enfin, il paraît…
Rien de bien méchant jusque-là, sauf que notre brave garçon double parfois la dose avec de la gnôle. Et là, il fait un peu n’importe quoi, dans le genre ameuter tout le quartier et causer quelques déprédations ici et là.
Malheureusement (pour lui), il se fait régulièrement rattraper par la maréchaussée qui, malgré que les débordements en question se sont toujours faits à pied, et non au volant d’un véhicule, informe tout de même la Commission des mesures administratives en matière de circulation routière (CMA) d’une dépendance probable au cannabis et à l’alcool et donc d’un risque en cas de conduite sous influence. C’est comme ça.
Au tout début de l’été, la CMA écrit au jeune homme pour lui dire que, à défaut de prouver qu’il n’est pas dépendant, son permis de conduire – dont il ne se sert plus depuis belle lurette étant sans véhicule – pourrait lui être retiré pour des motifs de sécurité.
On appelle ça le droit d’être entendu, soit la faculté pour toute personne de pouvoir faire valoir son point de vue avant qu’une autorité ne prenne une décision à son sujet. Inutile de dire que, comme cela devrait couler de source, l’autorité n’est pas censée avoir déjà statué intra muros, sinon cela ne servirait à rien de venir plaider sa cause.
Avec l’aide de mon fidèle padawan, Me Panda, nous le dirigeons vers l’un des seuls spécialistes reconnus de la Comté en matière d’addiction, pour qu’il l’examine. Il faut en effet savoir que, depuis le 1er juillet 2016, ce genre d’examen ne peut plus être confié aux médecins de famille (paraît qu’il n’y aurait eu des abus et des certificats de complaisance…), mais à des spécialistes certifiés.
Petit problème, nous sommes en plein été et obtenir un rendez-vous ne fut pas possible avant fin août. Nous avons donc demandé à la CMA de bien vouloir suspendre la procédure, jusqu’à ce que nous obtenions le document demandé, le prochain rendez-vous avec le médecin ayant été agendée à fin septembre.
La réponse de la Commission, reçue par Hibou ce matin, est un modèle du genre dans la catégorie : « Vous avez dit : respect du droit d’être entendu ? » En bref, elle nous dit ceci : on veut bien suspendre la procédure, mais jusqu’au 27 septembre seulement. Après, sans nouvelles de votre part, on vous informe qu’on va retirer de toute façon le permis. Et pour faire bonne mesure, on envoie directement une copie de cette lettre au médecin que vous avez consulté, comme cela il sait à quoi s’en tenir. Traduisez : vous pouvez continuer de souffler dans une contrebasse si ça vous chante, votre toubib ne pourra pas fournir une attestation digne de ce nom après deux rendez-vous seulement. Donc, inutile de vous agiter, pour nous la question est déjà réglée.
Donc, pourquoi nous demande-t-on de prendre position et de fournir des arguments destinés à démontrer qu’il n’y a pas (ou plus) de dépendance, si la messe est déjà dite ?
Le 12…
… où un lecteur attentif nous reproche une bourde sémantique sur le billet du 2 septembre.
Il y est en effet écrit que Claude D est un double récidiviste, ce qui, s’agissant des assassinats commis par ce triste individu, est bien évidemment une erreur.
Lors du premier homicide, il n’était pas encore récidiviste. Seulement à partir du moment où il a commis le second.
On pourrait rétorquer que, quand il a tué la 1ère fois, Claude D avait déjà commis d’autres infractions, occultées par ses nouveaux crimes, et qui le plaçaient, sous l’angle de l’administration de la Justice, dans la catégorie des « récidivistes »… Mais, chapeau bas, il s’agissait bien d’une faute dans l’esprit de ce billet consacré à l’internement à vie !
Le 13…
… où l’on s’interroge une fois encore (et ce n’est pas la dernière !) sur l’image qu’ont les clients de leur avocat et l’influence de cette dernière sur leur manière de se comporter.
Nous sommes en audience de Prud’hommes. Mon agaçant contradicteur, qui défend l’employée, la joue « Nous ne sommes pas du même monde Confrère et, de toute façon, nous avons déjà gagné… »
Vient le tour du porte-parole de l’employeur d’être interrogé. Il s’agit d’un membre de la Direction de l’entreprise, responsable RH, qui s’en sort très bien, mais est parfois emprunté pour répondre à certaines questions sur quelques décisions prises par des subalternes et ne devant pas forcément lui être rapportées. Réactions théâtrales de ce brave garçon : un ricanement sardonique, accompagné d’un regard complice vers le Tribunal et d’un Bien évidemment !
Et là, le regard admiratif de sa cliente Ô mon héros !
On ne dissertera pas sur la portée de ce ricanement, inutile, puisque les éléments manquants peuvent portés à la connaissance du Tribunal par d’autres intervenants. Reste l’attitude. Celui qui croit qu’il est en audience juste pour impressionner le client s’expose à quelques désillusions futures.
Sans compter qu’une affaire n’est jamais gagné avant la décision finale et définitive…
Le 14…
… où l’on a recours aux apophtegmes du Petit Cycliste, soit quelques phrases jugées d’une pertinence extrême pour survivre face à certaines situations conflictuelles et autres tristes sires qui jalonnent notre route, transformée aujourd’hui en chemin de croix, sans que l’on sache vraiment ce qu’on a pu faire au Bon Dieu pour mériter ça.
Le Petit Cycliste ? Michel Audiard voyons !
– Les cons ça osent tout, c’est d’ailleurs à ça qu’on les reconnaît ! (Ventura, Les Tontons flingueurs) et comme cette phrase sonne juste.
Et celle-là : Vous savez quelle différence il y a entre un con et un voleur ? Le voleur, de temps en temps, il se repose… (Belmondo, Le Guignolo).
Bref, aujourd’hui, ce n’est pas à coup de jurisprudence sur les grands principes constitutionnels que l’on fera passer la pilule.
Le 15…
… ou quand le prix d’une vie est mis dans la balance avec les réalités extrêmement terre-à-terre du droit.
José a trouvé la mort un beau matin de novembre 2013 sur un chantier. Une machine a stoppé net l’existence de ce père de famille divorcé. Un ouvrier a été jugé responsable du décès est condamné pour homicide par négligence. Maintenant, la discussion se tient avec l’assurance de l’entreprise de construction pour régler les conséquences du décès avec les 3 du défunt.
L’essentiel de la demande consistait à compenser la perte de soutien, soit le montant de la contribution alimentaire versée pour les 3 filles, aujourd’hui majeure, que le défunt avait été astreint à verser par jugement de divorce et que, forcément… Sur la distance, cela représentait un montant assez cossu, grosso modo le 80 % de la demande à 6 chiffres, le 20 % restant étant le tort moral et les frais funéraires.
Le hic, c’est que la mère des 3 filles a gentiment oublié de signaler que, depuis le décès, elle avait perçu une rente séparée pour chacune d’elles, rente qui couvrait largement le montant de la contribution d’entretien. Donc, aucune perte de soutien…
La distinction entre les différents postes du dommage échappe au commun des mortels et, dans le cas présent, à mes clientes qui ne comprennent pas que le montant que doit verser par l’assurance consiste uniquement dans le rétablissement de la situation qui aurait prévalu s’il n’y avait pas eu l’accident. Pas question de faire du bénéfice sur le dos du mort. Quant à la souffrance engendrée par la perte de l’être cher, elle est couverte par le tort moral. En Suisse, il se cantonne dans des zones extrêmement modestes au regard de ce qui se passe par exemple aux États-Unis. Là-bas, les 3 orphelines seraient désormais millionnaires. Ici, elles pourront tout au plus s’acheter une voiture pour faire un joli voyage. C’est déjà ça, me direz-vous. Oui, mais pas pour tout le monde.
Ainsi, la phrase : « Quoi ? Il est mort et l’assurance ne donne que ça ? Mais ils ont plein d’argent, ça ne change rien pour eux de nous donner plus… » ne pourra jamais trouver de réponses satisfaisantes pour les victimes qui croyaient malheureusement pouvoir compenser l’injustice de leur situation par des espèces sonnantes et trébuchantes.
Il faut en plus leur expliquer qu’un procès contre cette assurance si près de ses sous ne changera rien à leur situation, au contraire… Les frais de justice, de même que les frais leur avocat, viendront plomber le résultat de la procédure, sans compter qu’il y a un risque tout à fait réel de devoir, en plus, payer les frais de l’autre partie. Au final, avec la même situation de départ, elles risquent de perdre plus qu’elle ne pouvait espérer gagner.
Ce qui est paradoxal dans cette situation, c’est que le domaine de la responsabilité civile et du calcul du préjudice est un monde passionnant. Sauf quand la réalité brute des chiffres est confrontée aux attentes (légitimes ou non) de ceux qui se retrouvent dans cette situation à leur corps défendant. Pragmatique, lucide, mais on a le sentiment désagréable d’être un marchand du temple…
Le 16…
… où la question de la pertinence du monopole des avocats se pose à nouveau, mais de façon détournée.
En Helvétie, les gens de robe sont en principe les seuls à pouvoir représenter les justiciables devant les autorités judiciaires. Parfois, une petite niche laissée par le nouveau Code de procédure civile permet aux parties d’avoir recours à un simple « mandataire professionnel ». Sous cette appellation un peu vague se glisse certaines personnes. Parfois compétentes, parfois un peu moins, voire carrément étranges.
Comme ce gugusse, dont on ne comprend toujours pas pourquoi le magistrat en charge de la procédure persiste à le laisser intervenir. La première fois qu’il a fait son apparition dans le dossier, il s’est présenté comme « expert en juridisme ». On se perd toujours en conjectures sur la portée réelle de cette qualification professionnelle hors norme, conférant certainement un titre de noblesse supérieure au doctorat dans certaines républiques bananières. Remarquez, on pourrait aussi lui décerner un diplôme de médecine, car, ce matin, il nous adresse la copie d’une requête de prolongation de délai pour raisons de santé, parmi les plus extraordinaires que l’on ait vus.
Notre doctorant en juridictionnel nous y explique que, en début de semaine, il ne se sentait pas bien et que son état de santé n’a fait qu’empirer au fil des heures. Après quelques jours de délire métaphysique, il a procédé lui-même à une automédication dont il nous livre les références exactes, puis les effets secondaires sur son métabolisme (fièvre, diarrhée, et j’en passe). Ensuite, il raconte comment il n’a pu déposer sa demande à temps, en raison du fait qu’il était justement à l’article de la mort. Mais que, vers 23h45, une bonne âme, qui pourra le cas échéant servir de témoin, l’a porté sur son lit de souffrance jusqu’à une Boîte Postale pour qu’il puisse y glisser le pli que nous avons l’honneur de tenir entre nos mains agitées de soubresauts. C’est normal, on se marre tellement.
Bref, il demande respectueusement au magistrat de lui accorder une prolongation de 12 jours montre en main pour déposer les pièces nécessaires à faire triompher la cause de son client, qui lui est en parfaite santé, physique. Pour le reste, on se demande toujours comment une personne saine d’esprit peut confier ses intérêts à un olibrius pareil.
Certes, nous avons aussi quelques spécimens parmi les gens de robe, mais la formation que nous avons reçue et la surveillance plutôt pointue de nos autorités protègent, certes non pas de manière absolue, mais efficace tout de même, le pauvre justiciable de ceux qui veulent faire prendre leurs vessies pour des lanternes.
Beaucoup de gens croient que le monopole des avocats ne protège que la profession. C’est dommage, car ils ne comprennent qu’il est là aussi et surtout pour préserver le pékin qui doit affronter la Justice. Il n’est pas seulement question de compétence, mais aussi de responsabilité. Et les primes que je paye à mon assurance sont là pour en témoigner. Parce que, quand les justiciables se retrouvent sur le carreau, en ayant perdu leurs procédures avec pertes et fracas, parce que leur soi-disant « mandataire professionnel » a oublié un délai, n’a pas interjeté le recours attend ou dans les formes prescrites, ce n’est pas lui qui va payer les pots cassés ni l’assurance qu’il n’est pas tenu de conclure pour jouer à l’avocaillon…
Le 19…
… où la progression de l’étude de la pataphysique juridique est traîtreusement stoppée par une grippe fulgurante !
Ecrit à l’article de la mort cérébrale, ce billet est peut-être le dernier…
Le 20…
… où de perfides bactéries continuent d’essayer d’annihiler toutes velléités de mener à bien le combat quotidien contre l’obscurantisme, les parties adverses dénuées de scrupules et l’hermétisme judiciaire.
Entre deux paquets de mouchoirs en papier, on découvre tout de même une voie de droit insoupçonnée contre les décisions de l’Office fédéral de la Justice en matière d’octroi de l’entraide judiciaire internationale pénale.
La journée n’est donc pas complètement perdue…
Le 21…
… où nous n’étions ni les Rois Mages ni le Club des Cinq ni les Sept Mercenaires ni les Douze Salopards (!), mais les Huit Avocats que taraudait cette lancinante question : « Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? »
Question existentielle s’il en fut, mais le problème est beaucoup plus terre-à-terre. Ce n’est pas que nous sommes dépassés par la situation. Comment pourrions-nous l’être ? Autour de la table se tiennent parmi les plus éminents spécialistes helvètes et étrangers de la question, et je ne parle pas de votre serviteur…
Notre problème du jour consiste à décider de la meilleure stratégie à adopter dans une situation inédite.
Nous représentons dans une procédure pénale un citoyen russe exilé au Royaume uni, où il a obtenu l’asile en raison des tracas à peine politiquement motivés que les autorités judiciaires de son merveilleux pays d’origine lui font endurer. Fraude, gestion déloyale, bref toute la panoplie habituelles d’infractions à caractère économique dont on accuse l’homme d’affaires que l’on veut désormais remiser dans une oubliette. Notre client a vu ses comptes en Suisse bloqués par la non moins merveilleuse justice de notre pays. « Merveilleuse » par ce que, certes après avoir réagi correctement à l’annonce des poursuites introduites en Russie et en bloquant préventivement l’argent placé en Suisse, nos Procureurs fédéraux ont obtenu de notre part depuis 5 ans moult preuves du caractère infondé, voire carrément fantaisiste, de ces accusations et, surtout, de la volonté d’en finir avec celui qui a eu le malheur de tomber en disgrâce.
Nos démonstrations ne devaient pas être à ce point dénuées de pertinence. Puisque la Procureure fédérale initialement en charge du dossier, avait classé l’affaire et prononcé la libération des comptes bloqués, au motif de l’inanité des accusation, avant que l’un de ses supérieurs ne décide, en douce et à la surprise générale – sauf celle des autorités russes – de prononcer dans la foulée un nouveau blocage des fameux comptes et de nommer un nouveau team de procureurs, chargé de mener cette fois à bien la demande sous-jacente de leurs collègues venus du froid, c’est-à-dire rendre au Tsar ce qui n’est pas au Tsar.
Depuis, nous avons fourni de nouvelles preuves de la duplicité de l’État requérant. La dernière en date n’est pas la moins spectaculaire. En effet, il y a quelques mois, dans une Cour de justice de la ville de Moscou, où un semblant de procès traitait le cas de l’une des anciennes collaboratrices du paria, le procureur en charge du dossier a fait cette déclaration publique fracassante : « Nous savons tous ici que nous sommes là pour du menu fretin. Celui qui nous intéresse est à Londres. Soit on le ramène, soit on le descend. Bien sûr, je suis pour la seconde solution ! »
Ce merveilleux exemple de respect des Droits de l’Homme et de la garantie d’un procès équitable a été portée à la connaissance de nos Procureurs fédéraux.
Messieurs les Procureurs, voici encore un exemple de l’inanité des accusations portées par les autorités russes contre notre client, de l’incapacité de celles-ci à lui garantir un jugement respectueux des standards européens en la matière. Par conséquent, conformément à notre loi sur l’Entraide judiciaire en matière pénale, qui exclut la collaboration de la Suisse avec un État étranger en cas de poursuite politiquement motivée, nous vous demandons de classer l’affaire.
Déjà que, lorsque une telle demande met en cause une obscure république bananière, nos autorités judiciaires ont de la peine à admettre qu’elles ont été bernées par l’État qui requiert l’entraide. Alors, quand il s’agit de leurs « amis Russes », ça devient carrément la panique.
Oui, mais non, en fait, ils ne sont pas si méchants que ça, et puis, vous savez, nous avons un Traité de coopération internationale avec eux. On est donc bien obligé de partir du fait qu’ils sont de bonne foi. Alors, vous savez ce qu’on va faire ? On va leur dire que nous sommes d’accord de poursuivre le blocage des fonds, à condition qu’ils nous confirment être prêts à respecter la Convention européenne des droits de l’homme. Hein ? Comme ça tout le monde est content…
Inutile de dire qu’une telle garantie que la Russie ne manquera pas de donner, un sourire sardonique au coin des lèvres, ne vaut pas tripette. Mais, toujours selon les Procureurs fédéraux, on n’a pas le droit de dire ça, parce que les Russes sont nos amis. Enfin, les leurs… Enfin, officiellement. Bien sûr…
Donc, nous voilà réunis aujourd’hui pour discuter de la situation, alors que notre dossier a été transféré devant l’Office fédéral de la justice pour examiner de quelle manière la Suisse peut demander des garanties acceptables à la Russie, alors que tout le monde sait pertinemment que les cosaques s’assiéront dessus à la première occasion. C’est là que ce dossier a pris un tour inédit, parce qu’en principe, le MPC donne d’abord suite à la demande d’entraide, puis transmet le dossier à l’OFJ pour qu’il examine la question des garanties. Alors pourquoi faire différemment ici ? Les mauvaises langues (enfin, pas toujours si mauvaises) diront que personne ne veut se mouiller et s’arrange pour passer la patate chaude.
Tout ce billet pour dire que nous avons encore là une splendide démonstration que le Droit est une chose merveilleuse, puisque, sur nos monts quand le soleil se lève, tout individu a droit à être jugé de manière objective et équitable… sauf quand la politique s’en mêle… Et quand le vent souffle de l’Est, nos autorités paniquent. Surtout ne pas indisposer nos « amis »…
Il me semble que c’est Churchill qui disait : « Le problème, en politique, ce sont les amis.» En droit aussi, apparemment…
Le 22…
… où l’on se marre bien en apprenant par France Info qu’un djihadiste a été arrêté en Suisse dans le « Canton de Lausanne »…
Le 23…
… où l’on apprend que, selon un très sérieux ouvrage scientifique intitulé « Brainfluence » nous ne donnons pas la même réponse à une demande si nous la percevons dans notre oreille droite ou dans notre oreille gauche.
De quoi interpeller les habitués des Cours de justice.
Devant le Juge civil, le demandeur se tient à droite face au Juge. Par conséquent, le défendeur parle à son oreille droite.
En pénal, c’est le Procureur qui plaide dans l’oreille gauche du Tribunal, ainsi que les parties civiles. L’accusé, lui, se tient à gauche et s’adresse ainsi à l’oreille droite de ses Juges, mais à la la gauche du Proc’. Ceci explique donc cela
Et quid si le Juge est dur de la feuille, mais d’un côté seulement ? Peut-on prétendre que le procès n’a pas été équitable ?
To do list : 1) convaincre nos politiques de compléter obligatoirement le processus d’élection des Juges par un test d’ouï 2) vérifier au préalable l’acoustique de chaque salle d’audience.
Bref, c’est pas gagné…
Le 26…
… où l’on a une vision, « locale » comme on dit par chez nous !
Sauf que le terme est impropre, puisque la loi parle d’« inspection », soit la visite des représentants de l’autorité, en compagnie des parties, sur les lieux du litige pour se faire une meilleure idée de la situation.
Mais voilà, la langue s’égare parfois et bon nombre de mes coreligionnaires juristes parlent tout naturellement de « vision locale ».
Mais plus votre serviteur, qui a eu le malheur d’utiliser autrefois cette expression qui lui semblait tout à fait approprié. C’était durant le stage et mon maître de l’époque n’a pas manqué de faire remarquer d’une voix acerbe à son jeune padawan : « Bon Dieu, ce sont les saints qui ont des visions, les juristes inspectent. Tenez le vous pour dit ! »
Depuis, conditionné par cette remarque cinglante, mes padawans font régulièrement les frais de cette lacune sémantique.
Par contre, lorsque c’est le magistrat himself qui nous accueille d’une voix solennelle et ouvre la séance à sa « vision locale », le doute s’installe… Serait-il illuminé ? Il y a malheureusement des précédents…
Le 27…
… où l’on reçoit un téléphone de nos Supers Flics Fédéraux, soit l’Office fédéral de la Justice (OFJ pour les intimes), qui nous propose enfin une date pour le rendez-vous réclamer à cor et à cri à propos d’une procédure d’entraide judiciaire internationale où le client est un tout petit peu politiquement chahuté par les autorités judiciaires de son pays. Ce qui n’émeut pas grand monde sur nos monts. Forcément, les méchants ici, ce sont les cosaques et personne dans la Berne fédérale ne veut se mettre Vladimir à dos…
L’autre problème, c’est que les pandores entretiennent avec le barreau des rapports disons conflictuels et ils n’aiment pas trop les côtoyer. Alors, les rencontrer pour leur donner des explications…
Donc, après avoir senti une toute petite réticence, oh, à peine perceptible, lorsque votre serviteur a proposé de se voir de visu pour faire le point de la situation, puis un silence radio de mauvais augure, une secrétaire au français très relatif (vive le fédéralisme !) propose un rendez-vous jeudi à 14h30.
Euh, jeudi, mais jeudi de la semaine prochaine ou de la semaine d’après, parce que ce jeudi c’est un peu mort ?
Nein, cheudi tan teu chours, après Chef plus là !
Ça a au moins le mérite d’être clair. Vous voulez venir ? OK vous venez, mais c’est quand on veut selon notre agenda. Et si vous n’êtes pas contents, vous pouvez toujours écrire à Strasbourg…
Le 28…
… où ce brave Ahmed (prénom d’emprunt) débarque sans crier gare pour faire part de sa profonde déception du système Suisse et de la considération que peuvent avoir nos autorités pour les gens malades comme lui (euphémisme).
C’est vrai que l’histoire d’Ahmed mérite que l’on s’y arrête.
Il y a 20 ans, ce brave ouvrier, venu du Bosphore avec toute sa famille pour construire de jolies maisons au pays des Coucous, a commencé un beau jour à se plaindre d’avoir mal au dos. Sans discuter, l’assurance-invalidité (AI) lui a accordé une rente entière et, depuis 20 ans, Ahmed vit aux frais de la princesse (recte nos impôts).
En plus, régulièrement, l’AI a révisé son droit à la rente et a confirmé son incapacité totale de travail, attestée elle-même par son médecin traitant.
Ahmed a aujourd’hui 63 ans et a reçu une nouvelle décision de cette fameuse AI. Celle-ci déclare maintenant péremptoirement que, il y a 20 ans, on se demande pourquoi on lui a accordé une rente, parce que, finalement, il ne va pas si mal que ça et que, en tout cas, aujourd’hui, il peut retourner travailler ! Et fissa svp !
Savoir s’il y a 20 ans les médecins de l’AI ont fait preuve de légèreté est impossible à dire. Aujourd’hui, c’est qui est sûr, c’est que ce brave homme qui baille aux corneilles depuis une génération n’a strictement aucune chance sur le marché du travail. Et, même s’il le voulait, il serait incapable d’aligner 2 allumettes sans trouver ça difficile. Ce n’est pas sa faute. On l’a mis là et on lui a dit : tu peux boire ton café et lire ton journal tranquille, l’assurance s’occupe de tout.
Dans la décision supprimant sans vergogne son droit à la rente avec effet immédiat (et sans effet suspensif à un éventuel recours!), on sent à peine le petit côté revanchard des nouveaux caïques de l’assurance, fustigeant le travail de leurs anciens collègues et clamant haut et fort que l’argent du contribuable n’est pas utilisé à très bon escient en matière d’assurances sociales.
Le problème, c’est que l’on ne peut pas dire à un gugusse qu’il est complètement cassé pendant 20 ans et, tout à coup, à 63 ans, lui intimer l’ordre de retourner sur un chantier, parce qu’on va lui couper les vivres. Cela s’appelle de la bonne foi et l’autorité y est tenue.
Donc, recours il y aura. Mais, avant, il faut expliquer à ce brave homme qui mélange un peu tout que son avocat n’est pas responsable de la situation et que cela ne sert à rien de venir pleurer devant les secrétaires, en invectivant tout le monde…
PS : on devrait peut-être lui donner l’adresse des 2 zigotos qui ont pondu cette décision hautement pertinente, afin qu’ils se rendent quand même compte qu’un dossier, c’est une personne, et pas juste une idée du système !
Le 29…
… où, comme annoncé mardi, on prend son bâton de pèlerin et l’on s’en va faire du prosélytisme en matière de poursuite pénale politiquement motivée auprès de l’Office fédéral de la Justice (OFJ).
Il fait chaud cet après-midi dans la Berne fédérale et les locaux de nos hôtes (un peu contraints et forcés de nous recevoir il est vrai) sont agréablement situés non loin de la gare. On remarque tout de suite que le bâtiment a été dessiné par le même architecte que celui du siège du Ministère public de la Confédération, situé à quelques encablures de là. Même agencement géométriquement organisé aux 4 points cardinaux. Couloirs où s’alternent armoires et salle de conférence, puis bureaux. Même moquette, même déco. Bref, l’environnement parfait du fonctionnaire fédéral consciencieux et dévoué à la cause du Palais qui le surplombe.
C’est une de ces séances merveilleuses où chaque partie sait pertinemment que l’autre sait ce qu’il pense, mais qu’il ne peut pas dire, parce que, justement, en matière d’affaires pénales où il y a une consonance politique, le discours, en particulier celui des représentants des autorités, doit être… politiquement correct !
La séance porte quand même un peu ses fruits car, comme nous le rappelle un des représentants de l’OFJ, la loi laisse une certaine marge de manœuvre quand à la manière de conduire la procédure. Ainsi, diverses options sont possibles. Nous comprenons ainsi comment l’autorité qui doit décider de l’admissibilité d’une requête d’entraide judiciaire en matière pénale émise par un État, connu pour n’en faire qu’à sa guise, quand il s’agit de faire place nette, va manœuvrer pour faire ce que sa hiérarchie attend d’elle (c’est-à-dire juger admissible une procédure où l’un des Procureurs de l’État requérant a publiquement déclaré que la meilleure des solutions était de descendre notre client !). Comme cela, on ne fait pas de vagues et pas de remous avec nos soi-disant amis cosaques. De toute façon, les avocats assis en face de nous vont faire recours et nous pourrons ainsi filer la patate chaude au Tribunal pénal fédéral à Bellinzone. Ce sera ainsi à lui de faire du droit et d’appliquer la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Nous, nous sommes là pour faire appliquer les traités. Et ceux avec qui nous les avons signés sont nos « amis ». Point barre.
En sortant du bâtiment, on remarque une plaque trônant fièrement à l’entrée sur laquelle est inscrit en grosses lettres le texte de l’article 2 du Code civil: « Chacun est tenu d’exercer ses droits et d’exécuter ses obligations selon les règles de la bonne foi »…
Tout un programme.
Le 30…
… où, en ce dernier jour de septembre, on clôt le plus ancien dossier encore ouvert dans les bacs.
2005, un accident apparemment banal, avec de graves conséquences pour la victime et sa famille. 11 ans, durant lequel le dossier ne prendra pas vraiment la poussière, sauf entre 2012 et 2014 où l’on attendait que l’assurance du responsable se décide enfin à bouger.
La « longévité » de cette affaire n’a pourtant rien d’exceptionnel et ce n’est pas faute aux avocats de faire durer le suspense. Dans les cas d’assurance, il faut toujours attendre que la situation de santé de la victime se stabilise pour pouvoir commencer à calculer de manière exacte le dommage. Et parfois, cela prend plus de temps que prévu, comme ici.
En outre, une assurance étrangère assurait le fabricant de l’engin défectueux en cause. Pays différents, cultures juridiques différentes et, en Helvétie, on est assez généreux sur certains postes du dommages, comme l’atteinte à l’avenir économique ou le dommage ménager (ce que la victime ne peut plus faire dans sa maison).
Bref, un long chemin, surtout pour le client qui est soulagé de pouvoir aujourd’hui tourner la page.
Ce dossier me rappelle un grand classique des blagues sur les avocats.
Deux vieux avocats se rencontrent :
– Alors, ça se passe comment avec ton fils qui travaille maintenant avec toi ?
– C’est une catastrophe !
– Commence une catastrophe ? Tu m’avais dit que c’était le meilleur juriste de sa promotion.
– Là-dessus, rien à dire, il est doué le gamin, plus que moi.
– Mais alors ? Qu’est-ce qui s’est passé ?
– Je lui ai donné à traiter les plus vieux dossiers de notre Étude. Certains duraient depuis 20 ans…
– Je ne comprends pas.
– Et bien, en 6 mois, il a tout liquidé !