Mars…
… où un virus couronné vient agiter notre landerneau – et tout ce qu’il y a autour – en nous obligeant à revoir nos habitudes et notre emploi du temps. Faut-il y aller… ou pas ? La plupart du temps, cette question se règle toute seule : nous avons le regret de vous informer que l’assemblée/le match/l’inauguration/l’apéritif de printemps sont annulés. Faut-il encore serrer la main aux clients ? Doit-on mettre un masque en audience ? Ne vaudrait-il pas mieux tout simplement rester seul derrière son écran en se contentant de skyper et de bloguer ? Autant de questions qui reçoivent des réponses à géométrie variable suivant à qui on les pose. En attendant l’antidote, pour les questions médicales, comme pour les juridiques, notre postulat est de s’en tenir aux hommes de science habilités à y répondre, les médecins en l’occurrence et de leur faire confiance…
Le 2…
… où il pleut comme vache qui se soulage, ce qui ne refroidit pas au demeurant pas la progression de la psychose ambiante due au Covid-19. Comme nous sommes rarement plus d’une vingtaine à la fois dans une salle d’audience, ça devrait aller. Mais pour y aller ?
Le 3…
…. où la mobilisation des politiques autour des mesures à prendre pour sauver la population d’une pandémie annoncée a pour dommage collatéral que la demande en grâce déposée auprès du Conseil fédéral pour préavis avant d’être soumise au Parlement pour décision se voit recalée à une date ultérieure, après la session en cours. Hélas, hélas, Fatalitas, comme dirait Chéri Bibi, il n’y a pas de vaccin contre la poisse.
Le 4…
… où la farce continue autour du Procureur Général de la Confédération, Michael Lauber.
Malgré sa réélection, l’enquête disciplinaire n’a pas été purement et simplement annulée, mais a bel et bien abouti.
Le point positif c’est que les dérives comportementales de celui qui doit être un modèle de respect des règles procédurales sont clairement montrées du doigt et qualifiées sans fard de « comportement déloyal » et de « graves manquements ». Donc, l’autorité de surveillance du MPC a confirmé ce que les journalistes avaient dévoilé il y a plusieurs mois, à savoir que Michael Lauber avait sciemment menti et caché des informations en relation avec les procédures en cours, en particulier s’agissant de ses contacts avec Gianni Infantino dans le cadre de la procédure contre la FIFA.
Ce qui est beaucoup plus problématique, c’est que malgré ce constat clair, l’homme a non seulement été réélu, mais reste envers et contre tout en fonction, comme cela se passerait dans n’importe quelle république bananière ! Oh, certes, pour garder un semblant de crédibilité on nous dit que ce magistrat indélicat sera privé de 8% de son salaire pendant un an. La belle affaire. Parce que l’on ne parle pas d’une bourde isolée, mais d’un magistrat axé sur le mode « Laissez-moi faire comme je l’entends ». Le procureur général ne voit pas en quoi ses agissements sont problématiques et fait preuve d’une mauvaise compréhension de sa profession, poursuit l’autorité de surveillance. Mais plutôt que de faire des vagues, nos politiques préfèrent l’efficacité façon Agent Longtarin : Circulez, il n’y a rien à voir !
Le 5…
… où l’on apprend que, face à la pénurie en magasin de masque et de fioles contenant du désinfectant pour les mains, les Distillateurs helvètes constatent une hausse de la vente des alcools forts. Enfin une bonne nouvelle : on peut se rabattre sur la gnôle pour lutter contre le Coronavirus !
PS : celui qui écrit ce billet est le même qui a écrit plus haut qu’il fallait s’en remettre aux hommes de science s’agissant de l’attitude correcte à adopter en matière de prescriptions médicales. LoL
Le 6…
… où l’on enregistre quelques entrées dans L’AbécéFaire, comme par exemple sous la lettre « J » : Juge (le bon) ou Justice ou encore Eponge.
Le 9…
… où, décidément, nous sommes entrés dans une nouvelle ère de rapports confraternels.
Ce matin, en arrivant dans la salle de conférence où m’attendait une Confrère venue discuter d’un dossier, celle-ci me lance avant que j’ai eu le temps de refermer la porte derrière moi : «Bonjour Confrère, je ne vous serres pas la main, vous le comprendrez !»
– Ah, je vois. Mais, vous avez aussi compris que, pendant plus de 15 minutes, nous allons être assis l’un en face de l’autre, à moins de 2 m. Souhaitez-vous que nous nous installions à chacune des extrémités de la table et que nous reculions encore d’un bon pas pour être sûre?
– Euh, non, ça ira comme ça…
Le 10…
… où nous sommes le 10 mars, comme chacun sait, date anniversaire (si l’on peut dire) de l’exécution de Jean Calas, affaire criminelle et surtout politique célèbre qui a donné l’occasion à Voltaire d’émettre cette formule qu’affectionne les avocats pénalistes « Il vaut mieux cent coupables en liberté qu’un seul innocent en prison. »
Le 11…
… où le Corona commence à impacter la marche de Justice.
En raison des risques de contamination, on apprend que les débats du procès des ex-dirigeants de la FIFA, qui a débuté cette semaine à Bellinzone, se tiennent à huis clos. La presse les suit dans une salle séparée sur un écran géant. Le TPF a refusé de reporter ses audiences comme le demandaient les accusés. Bien sûr, selon la doctrine médicale actuelle, en raison de leur âge, ils font partie des groupes à risques. Mais ce n’est pas tout. Cela ne leur a pas échappé – et surtout pas à leurs avocats – la prescription interviendra à fin avril prochain. Donc, un report, si court fut-il, rendrait impossible que le TPF rende son verdict d’ici là. Ce qui serait un nouvel échec pour le Ministère public de la Confédération…
Le 12…
… où il est à craindre que l’effet virus s’en prenne à nos cerveaux et nous entraîne tous dans la paranoïa.
Message Whatsapp reçu de la compagne d’un client détenu avec qui on avait rendez-vous à la prison dans l’après-midi (He’s asking you not to come this afternoon, because of his health).
Réaction immédiate de votre serviteur : Eh voilà, il se croit plus en sécurité en prison et il ne veut pas faire entrer le loup dans la bergerie ! » Jusqu’à ce qu’il appelle. Il a une grippe – ordinaire – carabinée, est sous antibiotique et veut préserver son cher avocat !
Et c’est ainsi qu’on se sent un peu honteux d’avoir peint le diable sur la muraille.
PS : cela dit, au train où vont les choses, une interdiction de toutes les visites non indispensables aux détenus est à craindre dans les jours à venir.
Le 13…
… où, en pleine paranoïa galopante, force est de constater que nous sommes donc
Manquait plus que ça.
Le 16…
… où il est assez rare qu’on travaille à la chaîne dans ce métier.
Sauf aujourd’hui. Annulation de séances, de rendez-vous, de lunch de travail, etc. en cascade. Outlook se vide peu à peu.
Le 17…
… où l’on se réveille dans un monde différent. Les rues ne sont pas vides, mais ressemblent à un lundi matin du mois d’août.
Cerise sur le gâteau, nos autorités judiciaires nous informent via une Directive datée de la veille que toutes les audiences non-urgentes sont annulées et les délais suspendus. Bon, jusque-là ça va. Mais quand on lit que toutes les notifications d’actes judiciaires sont également suspendues pour la durée de la Directive, soit jusqu’au 25 mai !
Euh, la Poste continue de fonctionner Mesdames et Messieurs les magistrats. On ne vous l’a pas dit. Et puis, si les séances sont annulées, cela ne veut pas dire que le boulot s’arrête dans les couloirs de la Justice ! Il y a des décisions à rendre que les justiciables attendent. Dans la notion de « télétravail », il y a le mot « travail ». Non mais…
Le 18…
… où dans le souci de pouvoir continuer à assurer, dans les semaines à venir (qui s’annoncent improbables), la défense de ceux qui en auront besoin, nous mettons en place une organisation que nous appellerons de crise, pour rester dans l’ambiance.
Le 19…
… où on s’occupera plus tard des conséquences administratives du black out partiel de la Justice qui nous est imposé, l’important c’est de pouvoir garder le contact et de trouver la bonne solution informatique. Et c’est là qu’une fois de plus, force est de constater que le clivage entre les informaticiens qui développent des applications permettant d’assurer une certaine productivité et leurs pauvres benêts de clients dont nous faisons partie. Mais pourquoi ne pas faire simple nom d’une pipe ? S’il faut trois jours pour organiser une vidéoconférence, ben ça va être difficile…
Le 20…
… où une nouvelle Directive de nos autorités judiciaires vient corriger le tir par rapport à celle du 16 (cf. ci-dessus). Apparemment, la première mouture a provoqué un tollé et notre Conseil de la magistrature a pris son bâton de pèlerin pour aller expliquer à certains magistrats et greffiers que, non, vous n’êtes pas en vacances, même s’il n’y a plus d’audience…
Le 23…
… où l’aube se lève sur un jour nouveau, certes, mais également sur un monde résolument nouveau et n’est pas comme au cinéma, il n’y aura pas d’entracte avec du pop-corn. Quant au générique de fin, on ne sait pas quand il se déroulera sur l’écran.
Au moins, notre organisation « Blitz » est en place et ce matin tout le monde se retrouve en téléconférence, prêt à faire face. À quoi ? Nous ne le savons pas trop encore, mais les clients qui auront besoin de nous pourrons compter sur leurs avocats.
Paradoxalement, alors qu’il y a quelques incertitudes, et le mot est faible, sur notre taux d’occupation durant les prochaines semaines, ce matin, c’est un problème de contrat de travail qui retient l’attention. L’employé a-t-il droit à toutes les heures supplémentaires auxquelles il prétend, alors que son contrat dit que, vu sa position de cadre, aucune heure supplémentaire ne sera payée ?
Le 24…
… où la Grande Faucheuse ne se contente pas du virus, mais frappe aussi aux portes des légendes.
Albert Uderzo s’en est donc allé rejoindre son pote Goscinny qui l’attendait depuis un bon moment déjà. Beaucoup d’émotion pour votre serviteur, car, ce dessinateur aussi génial que modeste, j’avais eu la chance de le rencontrer il y a bien longtemps dans un Festival BD où il était l’une des têtes d’affiche. Pardon, correction, il était La tête d’affiche. C’était une époque lointaine et encore insouciante, où les blogs n’existaient pas et je consacrais mes premières chroniques au neuvième art dans les pages dominicales du canard de la Comté.
Alors que des centaines de fans l’attendaient sur le stand de son éditeur, prêt à passer quelques heures pour une dédicace, je le croise en train d’arriver tranquillement. Un peu gauche, je l’aborde et lui demande s’il est disposé à m’accorder une petite interview. Il me sourit, s’assied sur une chaise qui passait par là en prenant mon album des mains. Il sort un crayon de sa poche et en commençant à esquisser sur la page de garde son personnage fétiche demande gentiment : « Eh bien, qu’est-ce que vous voudriez savoir ? »
Merci Monsieur Uderzo. Saluez bien Goscinny et bons sangliers !
Le 25…
… où s’il est de notoriété publique que le Blitz contre le Covid impacte fortement le monde de la Justice, force est de constater, en lisant le fil d’actualité des arrêts du Tribunal fédéral, on peut constater que notre Haute Cour poursuit son activité à vitesse constante.
Étonnant ? Nous avons là la démonstration que nos braves Juges fédéraux vivent en réalité en confinement depuis bien avant Corona. Le monde actuel est donc le leur depuis longtemps. Ceci explique sans doute le caractère souvent décalé de la réalité de certains arrêts. CQFD
Le 26…
… où le corollaire du télétravail dans les entreprises est qu’il est parfois difficile de capter l’attention de votre interlocuteur durant la visioconférence, vu que son téléphone sonne constamment et que des messages s’affichent sans cesse sur son écran. Vous ne les voyez pas, mais il n’y a qu’à suivre le ballet des yeux de votre vis-à-vis pour savoir qu’il n’est pas tout à fait avec vous.
Le 27…
… où l’on fait un petit bilan de cette première semaine de télétravail pour les pensionnaires de la #FaireCave :
- L’organisation du Blitz : OK
- Mise en place Teams + Skype : OK
- Connexion wifi : Me LittleRedRidingHood vous êtes où ? Au fond du Jura ? Non ? Ah bon, à voir l’image c’est pas de la 2G ?
- Forum de 10h00 avec tout le monde pour examiner le (maigre) courrier : OK
- Remplacement des rdv clients par des conf calls : euh… work in progress (cf. le 26 ci-dessus)
- Planification quotidienne des tâches personnelles : mitigée, c’est encore pire qu’en temps normal, surtout sur le plan administratif
Cela dit, comme il faut toujours considérer que le verre est à moitié plein, cette expérience devrait beaucoup nous apprendre en terme de productivité, de structure et de méthode de travail, en tous cas dans notre profession…
Le 30…
… où le Tribunal fédéral (TF) aime bien surprendre son monde au travers de décisions « pittoresques » – bien que cela ne soit pas le but ! – et souvent pas très respectueuse du travail ou du rôle de l’avocat.
Là, il se fend d’un arrêt qui va, à n’en pas douter, ravir mes Confrères et servir de support à plein de recours contre un maintien en détention provisoire jugé abusif.
Selon le Code de procédure pénale (art. 221 CPP), la détention provisoire (ou préventive) peut être ordonnée, dans un premier temps, puis maintenue, souvent de 3 mois en 3 mois, lorsque le prévenu est fortement soupçonné d’avoir fauté pénalement et qu’il y a sérieusement lieu de craindre qu’il compromette sérieusement la sécurité d’autrui en recommençant au travers d’infractions du même genre (risque de récidive).
Dans la situation examinée dans cet arrêt (1b_6/2020), le prévenu était notamment soupçonné d’escroquerie par métier et d’utilisation frauduleuse d’un ordinateur pour parvenir à ses fins. Son avocat avait demandé sans succès sa remise en liberté devant les instances cantonales qui considéraient qu’il existait un sérieux risque de récidive. Conformément à la pratique établie jusqu’ici, elles avaient émis un pronostic défavorable en se fondant sur l’ensemble des éléments du dossier. Généralement, cette analyse était largement confirmée par le TF qui renvoyait l’avocat à ses études, au motif qu’il n’avait pas démontré l’arbitraire de la décision, argument imparable qui permet au juge de faire exactement comme il l’entend, en fonction de son humeur du moment.
Là, les choses ne se sont pas du tout passées comme on pouvait s’y attendre. Les Juges fédéraux considèrent que, certes, il y a un pronostic absolument défavorable quant à la propension de l’accusé à récidiver en matière d’infraction contre le patrimoine. Mais, cela ne suffit pas. Ils estiment que l’intéressé n’a jamais créer de mise en danger sérieuse de la sécurité d’autrui ni commis de violence à l’égard de quiconque, donc, rien ne permet de laisser croire que, s’il devait commettre de nouvelles infractions compte patrimoine, il pourrait le faire en recourant à la violence !
Cet arrêt est donc assez étonnant. En générale, le Tribunal fédéral helvétique protégeait becs et ongles la sphère financière des victimes. On est au pays des banques, non ? Et bien là, que nenni. Si l’escroc pratique en douceur et qu’il ne frappe pas ses victimes, il n’y a pas de raison de le garder à l’ombre nous dit-on en substance. Étonnant. Cela va obliger les procureurs cantonaux à revoir leur copie en matière de motivation de maintien de la détention provisoire et les tribunaux de mesures de contraintes (compétent pour traiter de la question) d’adapter leur motivation standard copiée/collée.
En tout cas, sur le fond, rien n’est moins sûr que le seul critère d’une mise en danger sérieuse de la sécurité d’autrui uniquement sous l’angle de l’atteinte à l’intégrité physique permette de considérer raisonnablement que l’on peut s’affranchir du risque de récidive. Pas sûr donc que cette jurisprudence résiste à l’examen d’un autre juge fédéral qui se serait levé un bon matin du pied gauche…
Le 31…
… où, fin Mars oblige, on se penche sur deux semaines que l’on aurait jamais imaginé, même dans nos rêves les plus délirants.
C’était peut-être un clin d’œil de l’Histoire, en référence aux Ides de Mars, qui, selon le calendrier romain, correspondent au 15, un dimanche cette année. N’avons-nous pas assez réfléchi à certains indices prémonitoires ? Jules César fut assassiné aux ides de mars en 44 avant Jésus-Christ, sans avoir tenu compte des prédictions de l’haruspice étrusque Titus Vestricius Spurinna et du rêve de sa femme Calpurnia Pisonis… Il aurait peut-être dû…