November…

… où ceci n’est pas un blog climatique, certes. Bien vu ! Mais, avouez que, avec la lumière du jour qui se réduit comme peau de chagrin, le réchauffement climatique qui a (enfin !) décidé de prendre des vacances, la météo locale a forcément une incidence sur notre humeur. Enfin, surtout celle de notre petit microcosme juridique. Le magistrat déprime de ne pouvoir sabrer le champi avant de clore telle ou telle procédure. Le client désespère de ne pouvoir liquider son dossier avant le sapin (celui avec les boules, hein ! pas l’autre). Et que dire des avocats ? C’est quand les prochaines féries ? Parce qu’on fatigue là, depuis le 16 août ! Heureusement DJFaire nous ressort une vieille playlist, empreinte de sérénitude. Ok ladies and guys, let it fog, let it fog, let it fog, it’s november time…

Le 1er…

… où les cyprès se balancent mollement en bonnes terres catholiques. L’agitation règne par contre manifestement dans les Palais de Justice de nos voisins huguenots. Preuve en est les mails qui pleuvent ce matin depuis les bords du Léman.

Ô joies du fédéralisme qui, parallèlement aux règles de procédures civiles uniformisées pour tous les Helvètes depuis plus de 10 ans, qu’ils soient disciple du St-Sépulcre, bouddhistes, athée, etc., continue de semer doutes et terreurs nocturnes aux avocats pratiquant leur noble art hors de leurs frontières cantonales. Ce n’est pas tant que nos voisins travaillent quand on se la coule douce qui pose problème (l’inverse étant moins fréquents, en tous cas chez les cathos, nos cantons comptant moult fêtes chômées de plus que les protestants). Non, le vrai challenge est que l’échéance d’un délai judiciaire tombant sur un jour férié est, dans la règle, automatiquement reportée au lendemain. Donc, la deadline venue s’échouer sur une date correspondant à une pause du calendrier épiscopal n’est – peut-être – pas chômé dans l’arrondissement luthérien judiciaire de Perpète-les-Oies.

Il faut donc se montrer vigilants pour ne pas rater une échéance. Parce que, même déposé une minute trop tard, c’est… trop tard. Et il n’y a aucune commisération à attendre de la part du magistrat lointain. Et cela n’a rien à voir avec le fait qu’il pourrait être tenté de se montrer plus formaliste à l’égard de l’importun venu d’au-delà de la Montagne du Destin. Il n’a tout simplement pas le choix. Le Code est clair… trop tard. Circulez…

Le 3…

… où, à chaque dossier de succession, c’est pareil. Un peu comme quand nous usions nos Levi’s à suivre les cours du regretté professeur Steinauer. Au début, la solution du partage entre héritiers a toujours l’air limpide. Époux qui décède, liquidation du régime matrimonial, enfants, parentèle, réserve… Envoyez, c’est pesé ! Puis, on commence à creuser. Et là, on se retrouve à faire de la spéléologie : on ne voit jamais le fond !

-Me, vous m’aviez dit que l’action serait bientôt prête à être déposée…

-C’était avant de finir de lire le 4ème classeur que vous m’avez fait suivre. Il y a maintenant quelques questions supplémentaires qui se posent

Le 4…

… où sonnez buccins, résonnez trompettes, la Cour d’appel civil de la Baie de Lòzan nous donnent raison dans une affaire de discrimination à raison du handicap. Notre cliente s’était vu refuser l’accès aux bus de la VMCV sous prétexte que son scooter était trop long de… 1 cm, ce qui compromettait parait-il la sécurité des autres usagers. Une privation de moyens de transport absurde qui a duré plus de 6 mois et qui a mis sa vie en danger, en la privant d’accès facilités et réguliers aux soins. Constatant l’inanité de son refus, la VMCV était revenu en arrière. Mais d’excuses et de dédommagement, que nenni. La Cour cantonale a constaté que le principe de sa responsabilité était tout de même engagé.

D’aucuns pourraient penser que nous n’avons pas le succès modeste dans la #FaireCave. C’est juste que cette affaire nous tenait particulièrement à cœur. Pour notre cliente d’abord. Une personne tout à fait singulière qui nous rappelle que nos existence peuvent basculer, que la vie ne tient qu’à un fil, mais qu’il ne faut pas baisser les bras. Mais aussi dans le contexte ambiant, où on s’indigne à propos de tout et de n’importe quoi, en oubliant que, là, juste sous nos yeux, certains déjà frappés cruellement dans leur santé voient leur limitation aux installations indispensables à une vie simplement décente encore accentuée par des décisions aussi stupides . Mais comme ils ne font pas la Une, et aussi parce que leur situation fait un peu peur aux biens portants, on préfère ne pas trop se poser la question pourquoi cette personne emprunte ce bord de route périlleusement sur son scooter ou sa chaise, sous une froide pluie de novembre. Tout simplement, parce qu’elle n’a pas le choix. Les juges veveysans n’ont pas voulu l’entendre. Leurs collègues cantonaux si. Merci à eux.

Le 7…

… où l’une des principales caractéristiques de ce métier, c’est que l’on n’est jamais au bout de ses surprises. Aujourd’hui, par exemple, on découvre une requête de complément d’instruction portant sur l’expertise… d’un arbre mort ! Non pas pour savoir de quoi il est mort. Ce serait trop simple. Non, la question soulevée par mon Confrère est de savoir pourquoi on n’a pas vu qu’il est mort… au milieu de tous les autres arbres de la forêt…

PS : concrètement, l’arbre mort peut être expertisé. Il est sous scellé dans un local de la police. Plus de 10 mètres quand même.

Le 8…

… où, dans ce Journal, nous avions évoqué, c’était il y a maintenant quelques temps, le scandale des écoutes téléphoniques de l’avocat de Nicolas Sarkozy. Dans le cadre d’une enquête qui le visait, de manière assez rocambolesque, des policiers étaient allés pirater un relais téléphonique près de son lieu de villégiature, et avaient réussi à déterminer quel numéro non répertorié correspondait à celui qu’il utilisait avec son avocat.

Le secret professionnel de l’avocat étant absolu, comme le répète la Cour européenne des droits de l’Homme à l’occasion, le procédé n’était pas seulement illégal, mais il remettait en cause l’un des piliers de la démocratie : le crédit que l’on peut accorder à la Justice. Cette affaire fait toujours des vagues chez nos voisins. Mais, a priori, elle a aussi fait des émules du côté des pandores à croix blanche.

On aime bien brocarder les gens du bout du Lac, en disant qu’ils se sentent plus français qu’Helvètes. Mais, apparemment, leur brigade financière s’inspirent des méthodes utilisées en Hexagone. Dans un procès en appel qui a débuté hier à Genève, il a été révélé que des milliers de conversations téléphoniques entre avocats et prévenus ont été non seulement faites, mais dûment répertoriées. Selon les avocats de la défense, à certaines écoutes correspondent, quelques jours plus tard, des actes d’instructions (notamment des perquisitions) contre les personnes mentionnées dans ces écoutes. La Procureure parle de coïncidences malheureuses, explications difficiles à avaler pour l’un des défenseurs.

Un autre point interpelle aussi dans cette affaire. L’élu appelé à la commenter à la suite des avocats, et qui qualifie ce scandale de Watergate genevois, considère que, comme les faits ne sont finalement pas si graves – on parle d’infractions économiques et non de terrorisme ou de mise en danger de l’État – l’institution judiciaire se doit de respecter strictement les lois. Implicitement, cela veut dire que, à partir d’un certain degré de gravité, l’État peut s’affranchir des garanties procédurales…

C’est bien là où le bât blesse de nos jours. A partir d’une certaine émotion, le public réclame que le code de procédure cède la place à la loi du Talion. Même si les faits sont très graves, les règles doivent être les mêmes. Quelle que soit la mise en danger, une société démocratique se doit de garder la ligne du respect des droits de la défense. C’est le seul postulat qui tienne, même si, pour certains cela revient à protéger les criminels. Ils n’ont pas compris que ces fameuses règles les protège aussi contre l’arbitraire. La garantie d’une saine Justice est à ce prix. Parce que, si on édicte des règles, en sachant ou disant que, pour certaines infractions, on s’assiéra dessus, de un, ça n’est pas possible, parce qu’une la loi à deux vitesses n’est pas applicable. Et de deux, parce que, finalement, qui déciderait arbitrairement du moment où les garde-fous légaux ne sont plus valables ?

Le 9…

… où l’inflation ne gagne pas seulement tous les secteurs de l’économie de marché. La Justice est touchée aussi. Preuve en est l’avance de frais à effectuer pour le recours en matière pénale déposé ce lundi au Tribunal fédéral (TF). Le montant « plancher » usuel de CHF 2’000.- est passé à CHF 3’000.- ! 50% quand même…

Le 11…

… où, au vu des trois dernières semaines, ne serait-il pas mieux de ne travailler que le vendredi ?

3ème vendredi à suivre, 3ème notification d’une autorité supérieure, 3ème chiffre un du dispositif : Le recours est admis. Et quand c’est la Cour pénale qui vous écrit ça pour ce vendredi, l’émotion est palpable. Parce que, statistiquement sauf erreur, moins de 10% des recours passent la rampe. Et là, pour être honnête, nous n’étions pas très optimistes avec Me Isotta sur nos (déjà) maigres chances de succès…

3 affaires « sensibles » de surcroît, où toute l’équipe de la FaireCave a mis ses tripes sur le plan de travail pour convaincre les Juges saisi des recours de l’iniquité des décisions qui nous amenait devant eux.

Satisfaction et soulagement aussi. Dans ce métier, un travail exceptionnel ne rime pas forcément avec succès. C’est la règle et il nous faut l’accepter, même si elle est parfois difficile à avaler. Sinon, mieux vaut faire un autre métier…

Le 14…

… où les espoirs de ceux qui pensaient hardiment pouvoir déduire les honoraires de leur avocat au titre de frais d’acquisition du revenu sont douchés par la Haute Cour.

Ce résultat découle d’une procédure matrimoniale où la contribuable qui avait obtenu une contribution d’entretien rondelette voulait faire déduire de sa déclaration fiscale le coût – encore plus rondelet – que lui avait coûté son mandataire. Que nenni répond le Tribunal fédéral (TF).

Pourtant, cela partait bien. Sur le principe, le TF admettait que des frais d’avocat peuvent constituer des frais d’acquisition du revenu déductibles selon l’art. 25 LIFD. Avant de tout de suite couper court, précisant que, faute de lien de connexité suffisant, le Tribunal fédéral ne l’a jamais admis en pratique, comme le souligne l’excellent LawInside.ch. Comme quoi, la différence entre la théorie et la pratique n’a pas fini de faire des malheureux.

Et nos Juges d’en rajouter une couche pour que ce soit clair pour tout le monde : En l’occurrence, les procédures de droit matrimonial portent souvent sur de nombreuses questions relatives à la fin de la vie commune de sorte qu’il n’est pas possible d’établir un lien de connexité suffisant entre les frais d’avocat et l’obtention des contributions d’entretien.

PS : nos amis de LawInside signale que cet arrêt a fait l’objet de délibérations publiques. Pour l’avoir vécu à une seule reprise (et en être sorti avec le sourire du vainqueur aux lèvres, ça aide), l’expérience est passionnante. Déjà, la magnificence de l’hémicycle où siègent en public les juges vaut le détour. Certes, les débats sont limités à l’exposé de son point de vue sur la question par chacun des magistrats. Mais le niveau de la réflexion est un tantinet élevé. Une expérience à conseiller à tous les juristes. Les délibérations publiques sont assez rares, mais elles sont – sauf erreur – annoncées sur le site du TF.

Le 15…

… où la confiance du justiciable dans la capacité des tribunaux à faire jaillir la vérité en pleine audience est intacte, a priori.

Preuve en est cet homme accusé d’atteintes à l’honneur. Le Parquet indique qu’il entend le renvoyer devant le Tribunal. Conformément à la procédure, il se voit offrir une dernière possibilité de faire compléter le dossier le dossier d’instruction, par exemple en demandant l’audition de témoins.

Lecteurs assidus de ce blog, vous savez qu’en matière pénale, c’est à l’accusation de prouver la culpabilité du prévenu. Donc, si le dossier est léger, par exemple « parole contre parole », celui qui se dit innocent pourrait rester les bras croisés et attendre sereinement de comparaître et plaider le doute. Bon, ça c’est la théorie. N’importe quel avocat disposant d’un minimum d’expérience sait qu’il vaut mieux mettre toutes les chances de son côté, car la Justice est aveugle certes, mais ses représentants n’ont pas toujours meilleure vue…

Mais, revenons à notre sujet. Ici, le problème se pose différemment, car on parle d’infractions contre l’honneur. Il peut s’agir – comme ici – de propos publics qui porteraient atteinte à la considération dont tout un chacun a le droit de jouir en société. Lucide, le législateur admet que, effectivement blessants, ces propos peuvent néanmoins être vrais ! Attentatoires à l’honneur, certes, mais véridiques. Or le Code a pour vocation de punir le ladre, d’accord… mais s’il ne dit que la stricte vérité ? C’est plus délicat. Voilà pourquoi, on offre à l’accusé l’opportunité de renverser le fardeau de la preuve – qui est à l’accusation, cf. ci-dessus – et de démontrer que ce qu’il a dit est correct ou, du moins, qu’il avait toutes les raisons de le croire. S’il y parvient, il échappe à la sanction.

Le cadre du problème du jour est donc posé. L’accusé admet avoir tenu les propos qu’on lui reproche, mais considère qu’ils correspondent à la réalité. Pour le démontrer, son souhait est de faire auditionner plusieurs témoins susceptibles de lui permettre de l’établir. Mais il y a un petit hic. C’est que toutes ces personnes lui ont déjà fait comprendre qu’elles ne souhaitaient pas se mouiller, pour diverses raisons. Lui est persuadé que, devant un Juge, elles n’oseront pas mentir et que sa bonne foi jaillira.

Cette confiance mérite d’être salué, mais l’expérience démontre qu’elle risque fort de ne pas être payée de retour. Celui ou celle qui ne veut pas être mêlé à une « affaire » et qui l’a fait savoir n’apprécie pas, mais alors pas du tout, de se retrouver avec une citation à comparaître dans les mains. Au mieux, il déclarera n’avoir rien vu ni entendu. Au pire, il fera payer cher sa venue à celui qui en est à l’origine.

Hola direz-vous en écho au principal concerné ! La Justice ne punit-elle pas les fausses déclarations ? Oui… mais encore faut-il pouvoir prouver le mensonge, la perte de mémoire opportune ou la prétendue amnésie…

Donc, cher Monsieur, si vos témoins vous ont clairement fait comprendre qu’ils souhaitaient ne pas être déranger. Mieux vaut les laisser tranquilles… Heureusement, une lecture attentive du dossier ouvre d’autres voies qu’il est possible d’exploiter à ce stade.

Le 16…

… où l’on se livre à un exercice schizophrènique, conseiller deux parties dans un divorce.

Il est inscrit sur toutes les Tables de la Loi que l’avocat doit être indépendant dans la défense des intérêts de son client et qu’il doit proscrire tout conflit d’intérêts Et, là, on nous autorise à faire une entorse à ces sacro-saints principes.

Donc, jamais, au grand jamais, n’accepter une telle mission sans s’être assuré au préalable que les deux (encore) époux ne sont pas parfaitement sur la même longueur d’onde.Mais, dans tous les cas de figure, il y aura un moment où il y aura du brouillage sur la ligne.

Le 18…

… où, même après le COVID, la formation on-line c’est top…

Le 21…

…. où stratégie de rupture ou de connivence peuvent être mises en balance dans une affaire a priori banale. A priori…

Lola (nom d’emprunt), aide-soignante, a volé trois francs six sous dans les porte-monnaies de quelques patients. Son butin est maigre pour une dizaine de vol : quelques billets de dix ou vingt francs. Pourquoi ? Finir de payer les lunettes de son fils, faire le plein d’essence, acheter de quoi souper. Elle est seule à élever son enfant. L’ex-mari est parti à l’étranger et ne paie pas un franc de pensions.

La rupture, c’est de s’insurger contre les violences policières subies. Pas tellement physiques, d’accord. Tout de même, l’embarquer à 21h30 devant tout le quartier menottes au poignet, ce n’est pas rien. Mais surtout, psychologiques. Venir la « cueillir » le soir à son domicile, alors qu’elle met son enfant au lit. Venir perquisitionner la chambre du gamin, les poches de son blouson, alors qu’il est au lit et voir deux policières retourner ses poches pour voir s’il n’y a pas un billet caché dedans ! On parle de quelques dizaines de francs ! Pas d’un butin à six chiffres…

La police avait bien sûr d’autres moyens de procéder pour mener à bien sa mission. Mais, là, on a affaire à deux inspectrices pour qui le respect de la personne humaine est juste un concept et l’avocat, un empêcheur de tourner en rond.

Lola plaidera coupable pour ce qu’elle a fait. C’est là où la connivence s’installera dans le prétoire. Si, au départ, choquée par le traitement subi, elle a d’abord nié – ce qui est son droit le plus strict, n’en déplaise à nos deux pandores – elle ne contestera plus la réalité de son crime. C’est inutile. Ici, le débat portera désormais sur les circonstances décrites au début de ce billet et sa personnalité. Lola ne représente pas un danger social (le code pénal vise à la punition pour la mise en danger de l’ordre public au travers de l’acte, avant le tort causé à la victime). En avouant, elle n’assume pas son geste, elle le subit, elle s’est déjà condamnée. Et ce sera le travail de la défense de le faire comprendre à ses juges…

Le 22 (11.22 !)…

… où numérologie et calendrier auraient pu nous inspirer aujourd’hui. Mais non, la lecture d’un rapport de police s’en est chargée.

Les esprits chagrins prétendent que la seule vocation de nos gendarmes est de coincer coûte que coûte ceux qu’ils ont dans le collimateur. C’est un peu réducteur. Quoique… Quand on lit la prose de ce pandore, on se dit que, quand même, un petit effort au niveau de la sémantique n’aurait pas été de trop, ne serait-ce que pour concrétiser les exigences du code de procédure pénale.

Pour « coincer » quelqu’un, il ne faut pas seulement dire « qui », mais aussi « quoi », « quand », « comment » et « où ». Cela n’a pas changé depuis Cicéron.

Le rapport porte le titre : Infraction à la loi sur la circulation routière (LCR) et Contraventions à la loi fédérale sur les stupéfiants (LStup). Au sujet de cette seconde prévention, il mentionne des « Achats, entre le xx.xx.xxxx et le xx.xx.xxxx dans divers lieux indéterminés en Suisse, auprès d’inconnus, d’une quantité indéterminée d’opiacé, pour un montant total indéterminé», puis, un peu plus loin « Consommation, entre le xx.xx.xxxx et le xx.xx.xxxx, dans divers lieux indéterminés en Suisse, d’une quantité indéterminée d’opiacé, d’une manière indéterminée». Et pas un mot ou une explication ou quoique ce soit de plus.

C’est un peu court…

 

Le 24…

… où l’on sent que la fin de l’année est proche. Maintenant, quand on vous annonce le renvoi d’une audience, ce n’est pas « Trop bien, on va pouvoir mettre les doigts de pied en éventail« …

mais « Aaargh, téléphonez à X, on peut maintenant caser ce rendez-vous !« 

Le 25…

… où la détention forcée d’un étranger en vue de son renvoi et la position de l’avocat chargé de s’assurer de la légalité de cette démarche interpelle.

De quoi parle-t-on ?

D’un ressortissant étranger, appelons-le Gregor (prénom d’emprunt of course), qui est sous le coup d’une décision définitive de non-entrée en matière quant à sa demande d’asile en Suisse. Définitive, parce qu’il n’y a pas eu de recours. Lui dit qu’il a uniquement été informé par oral de cette décision qu’il ne savait pas lire par un répondant administratif du centre de requérants où il était affecté et que ses interrogations ont été purement et simplement ignorées. Soyons honnête, même s’il l’avait comprise et qu’il avait recouru, cela n’aurait rien changé. Gregor ne remplit à l’évidence aucun des critères légaux pour être admis comme réfugié. Là n’est pas la question du jour. Pas plus le fait que Gregor n’a pas fait tout juste durant son séjour, puisqu’il a piqué des trucs (principalement de la nourriture) à gauche à droite et a été condamné pour ça.

L’objet de ce billet porte sur le fait que Gregor, arrêté dans le cadre de l’enquête pénale concernant ces vols – et qui n’a au final pas été condamné à une peine de prison pour ces quelques infractions – a été transféré de sa détention préventive pénale dans une prison du bout du Lac pour une autre, dans la Comté, qualifiée cette fois de détention administrative avant renvoi. Et c’est là que nous entrons dans le vif du sujet.

Détention administrative ? Qu’a-t-elle de différent avec une détention pénale ?

Concrètement, pas grand chose. Et c’est bien là que le bât blesse.

Cette mesure de contrainte est prévue par le droit des étrangers. Elle est ordonnée par l’autorité cantonale en charge des questions de séjour des étrangers et donc pas par un tribunal pénal. Le but ? Garantir l’exécution du renvoi de personnes étrangères dépourvues d’un droit de séjour en Suisse, comme notre bon Gregor. Si la finalité de la détention est évidente (éviter que le sujet ne disparaisse dans la nature et ne puisse ainsi être renvoyé), les modalités de cette mesure se révèle la plupart du temps arbitraire, tout comme les conditions d’incarcération, particulièrement répressives du point de vue des droits de l’Homme.

En effet, Gregor est maintenu en régime carcéral stricte, au milieu des détenus de droit communs, alors qu’il n’a été condamné à aucune peine pénale à caractère punitif ! Et ça peut durer… selon les statistiques, en moyenne 25 jours. Sans compter que cela coûte un bras au contribuable. Plus de 20 mio par année.

Mais pour se donner bonne conscience et respecter la jurisprudence de Strasbourg,Gregor doit se voir accorder un avocat d’office pour examiner la légalité de cette détention administrative. Magnifique ? Pas vraiment. Vu les possibilités anémiques d’avoir une quelconque influence sur l’issue inéluctable, l’avocat est quasiment réduit au rôle de potiche. Et chaque communication qu’il reçoit des autorités est un rappel que l’on est là pour faire tapisserie, chacune renvoyant la patate chaude à ses collègues (SEM, SPoMi ou TMC) pour noyer le poisson.

Gregor n’a pas signé le PV indiquant qu’il renonce à être entendu par oral sur son sort, audition qui s’est déroulé sans la présence de son avocat. Le Tribunal des mesures de contrainte (TMC) compétent pour superviser la manœuvre valide quand même le fait qu’il a bel et bien valablement renoncé. En parallèle, la Police des étrangers (SPoMi) indique que Gregor a démontré des velléités de ne pas vouloir quitter notre belle contrée de son plein gré, ce qui justifie sa détention, mais on cherche vainement dans le volumineux dossier où et quand la question lui a été posée. Quand on le fait, il répond vouloir se rendre en Allemagne, mais surtout pas dans son pays natal, où il craint pour sa vie en raison d’un genre de vendetta. Une menace pour la vie est un motif de surseoir ou de renoncer au renvoi. Il le sait, bien sûr, donc, c’est peut-être un fake. Mais, là encore, personne n’a demandé à Gregor de substantiver ses dires. Et, maintenant, dans son nouveau lieu de villégiature, il ne pourra bien évidemment rien faire.

Pour l’instant, Gregor est « au trou », au milieu des détenus, alors que le droit international banni ce genre de pratique. Et tout ce que fera son avocat pour critiquer la manière dont les choses se passent ne fera que rallonger son passage carcéral. Alors, à quoi bon, puisque l’épilogue est connu ? Gregor doit quitter l’Helvétie, d’une manière ou d’une autre.

Les voix qui s’élèvent pour souligner qu’il n’est pas acceptable que la détention administrative s’affranchisse des garanties minimales en matière de droits humains se voient chaque fois répondre « on n’a pas assez de place ou de structures adaptées ». Et les centres de requérants ? On répondra que ce n’est pas leur mission, puisqu’ils accueillent ceux qui attendent la décision d’admission ou de renvoi. Pas ceux qui sont en passe d’être renvoyé. Faut pas mélanger les pommes et les poires. Bref, dans notre beau pays, il y a encore beaucoup de boulot pour se conformer aux directives nationales et internationales, qui conditionnent ce type détention au respect du principe de proportionnalité et des droits humains.

Pendant ce temps, Maître, merci de ne pas faire trop de vagues. C’est inutile…

Le 29…

… où la potiche (cf. notre billet du 25 ci-dessus), avec le précieux concours de Me Mulan, tente d’infléchir un destin écrit d’avance.

Mais, tout de même, il y a de quoi s’énerver…

Les autorités maintiennent que Gregor a clairement indiqué ne pas vouloir rentrer volontairement dans sa Géorgie natale et, comme nous demandions sur quels éléments elles fondaient cette affirmation, puisque notre dossier n’en disait mot, un brave fonctionnaire du SPoMi nous envoie un PV que nous n’avions jamais vu, où Gregor aurait soit-disant coché la case « veux pas ». Sauf qu’il a refusé de signer ce PV. Et pour cause. Alors qu’il ne comprend pas notre langue, il a été entendu sans interprète !

Donc, en résumé, on nous cache des infos, ce qui est une violation du droit international à un traitement équitable, et on se moque du monde en affirmant que notre lascar a en pleine connaissance de cause fait des déclarations qui justifient sa « détention » administrative.

Gregor parviendra-t-il à éviter un renvoi forcé ? Rien n’est moins sûr, malgré les violations répétées de ses droits. Le compte à rebours semble lancé du côté du SPoMi, qui a indiqué à Me Mulan que le billet d’avion était commandé…

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