Novembre…
… où l’antichambre de décembre, frappée par l’heure d’hiver, démarre sur des fins de journée sombres et humides, comme le reste de la journée d’ailleurs. C’est le moment d’exhumer de Spotify la playlist mélodies celtiques parce que quoi de mieux qu’une cornemuse agonisante sur fonds de loch brumeux pour trouver l’inspiration des mémoires d’automne. Peut-être même que les brumes d’Avalon pourraient donner conférer à nos écrits un petit côté magique ?
Le 1er…
… où tout semble figé. Les feuilles mortes sont vraiment mortes. Elles ne bougent plus. Au loin, la rumeur de la ville est à peine audible. Tout le monde semble être en hibernation. Sauf, bien sûr, les avocats, qui ne dorment pas. Ils cogitent en silence, en suçotant des friandises subtilisées la veille aux enfants. Gnark, gnark…
Le 2…
… où, à Paris, c’est l’épilogue du premier round de cet incroyable procès Merah qui a déchaîné presque autant de passion et de haine que l’affaire Klaus Barbie, 30 ans plutôt.
Et la comparaison n’est pas galvaudée, puisque certains acteurs de la partie civile, relayés par les médias, n’ont pas hésité à comparer notre Confrère EDM à « Vergès », qualificatif supposé stigmatiser l’opprobre que devrait susciter cet « autre » avocat osant défendre celui qui incarne le mal absolu. Jolie remarque du principal intéressé à propos des réseaux sociaux sur les lesquels il a été copieusement lynché : Ces endroits où des gens courageux s’expriment, mais tellement pressés qu’ils en oublient de signer…
Ce n’est donc pas tant les 20 ans de réclusion criminelle prononcés par la Cour qui interpellent, mais cette dérive récurrente d’associer l’avocat à la cause de son client, pour nier tout droit à être défendu. Et ce qui est encore plus dérangeant, c’est de voir que des journalistes s’y mettent aussi, alors qu’ils devraient avoir le recul que n’ont pas (et ne peuvent pas avoir) les parties civiles, ou le bon peuple, horrifiés à juste titre par les actes commis par le frère de Merah.
PS : Eh oui, n’en déplaise à certains, le rôle du journaliste est d’informer avant tout, surtout avant de donner son opinion. Pas de qualifier d’obscène une défense à laquelle il n’a même pas assisté. Exemple crasse, le lendemain à 8h00, sur France Inter, EDM est obligé de se défendre et d’expliquer au journaliste Demorand – qui avoue n’avoir même pas assisté aux débats – ce qu’il a dit (ou n’a pas dit) et comment fonctionne (ou devrait fonctionner) l’État de droit. Belle leçon, mais qui risque de rester lettre morte, à voir les questions des auditeurs à EDM, après que celui-ci ait tenté de remettre l’église au milieu du village de la Justice : Comment osez-vous défendre ? ou Combien avez-vous gagné pour faire ça ?
Le 3…
… où l’on assiste à une brillante conférence d’un Juge de 1ère instance sur l’application de nouvelles dispositions légales dont le sens et la portée font débat. Répondant à une question signalant une avis divergent de la Cour d’appel, il a cette phrase merveilleuse : Mais, bon, vous savez, ce n’est pas parce que le TC le dit que c’est vrai…
Le 6…
… où c’est un grand jour, puisque l’on a pu passer du classement vertical des dossiers en suspens et autres cadavres en attente sur le bureau à un classement horizontal sur le parquet tout autour.
Bon, l’inconvénient, c’est que maintenant, faut faire gaffe où on l’on pose ses pieds pour aller de la chaise à la porte et surtout éviter les courants d’air…
Le 7…
… où c’est une journée où l’on rencontre des vies.
Celle avec un Juge d’une Comté jurassienne qui esquive benoîtement l’avocat qui vient se présenter à lui (Bibi !), vu que c’est la première fois que l’on se voit (aaaaahhh les usages… eeehhh oui), et qui se révèle finalement d’humeur enjouée, allant même pianoter comme un ado sur son smartphone en pleine audience… Attendez, je vais vous trouver l’adresse de l’expert en infiltration d’eau qui est intervenu chez moi, il est pas cher…
Celle de ce Confrère qui nous a agonisé pendant deux ans et à qui l’on vient signifier que son action est irrecevable, parce que l’annexe du contrat qu’il n’a pas produit et que l’on a finit par dénicher prévoit une autre juridiction. Ses mains tremblent…
Celle de sa cliente de sa cliente que l’on imaginait féroce, mais qui se révèle juste une pauvre dame, craignant les réactions de son homme qui attend dans la pièce à côté l’issue d’une procédure qu’il croit gagnée et se frotte d’avance les mains, celles qui vont bientôt palper moult espèces sonnantes et trébuchantes…
Celle de ce jeune homme qui pour récupérer ses billes imprudemment misées sur le mauvais cheval a usé de quelques stratagèmes qui feraient hausser le sourcil du moins prudent des avocats, et qui conclut avec un optimisme jovial Bon, c’est pas trop top ce que j’ai fait, hein, je vous l’accorde, mais vous allez me tirer du pétrin si jamais, n’est-ce pas ?
Des bas, des hauts, des cris, des sanglots, des feux, des désirs
Du temps qu’on aura cru saisir
Mais que restait-il à écrire ?
Des vies où l’on aura eu peu, si peu à choisir
Le 8…
Le 9…
Le 10…
Le 13…
… où l’on sent bien dans la formule utilisée qu’on l’agace ce fiduciaire qui rechigne à communiquer les informations dont il est pourtant légalement tenu.
« Cher Maître » et « … avec mes meilleurs messages » pour l’avocat adverse, tandis que Bibi a droit au mieux à un glacial « Maître« , quand ce n’est pas juste « Monsieur« , et de sèches « salutations« .
L’art de la formule de politesse se perd pourtant. Nos padawans ont droit à ce sujet à un petit cours de rhétorique épistolaire quand ils débutent leur pensum, car comme me l’a appris mon défunt mentor, on ne salue pas un Procureur du Parquet local de la même manière qu’un Juge fédéral.
« Considération distinguée » pour les magistrats de 1ère instance est suffisant. « L’assurance de ma haute considération » est la formule adéquate pour les Juges d’appel et « très haute considération » suffit à ne pas gaffer avec un Juge fédéral ou autres hauts potentats de notre administration judiciaire fédéraliste.
Par contre, d’aucuns affectionnent « l’assurance de ma parfaite considération » sans savoir que, par cet artifice littéraire, on adresse son plus vil mépris à son interlocuteur…
Et l’on ne compte plus les magistrats qui utilisent cette formule quand ils écrivent aux avocats !
Étonnant non ?
Le 14…
… où l’on rencontre une jeune homme accusé d’escroquerie et de faux dans les titres dans le monde du travail, pour avoir bénéficié de prestations indues et d’avoir fraudé le système, via une arnaque mise en place par l’un de ses compatriotes.
C’est peu dire qu’il regarde son avocat comme on regarde un café au lait arriver sur la table du bistrot , alors qu’on a commandé un espresso…
Quand au petit laïus sur le secret professionnel et son intérêt à ne rien cacher à son défenseur pour que celui-ci puisse faire correctement son boulot aboutit à un « Mais je vous ai dit toute la vérité ! »
« Ah non, pour l’instant, je ne vous ai encore posé aucune question… »
Le 15…
… où il y a foule ce matin dans la salle d’interrogatoire du quartier cellulaire de la maréchaussée pour entendre l’entrepreneur indélicat qui a engagé mon client de la veille.
2 inspecteurs, 1 prévenu, son défenseur et… 10 avocats représentant d’autres prévenus ou parties plaignantes alignés, façon vestiaire de salle de gym, sur toutes les chaises que l’on a pu trouver, le long des murs d’un local qui doit bien faire 10m2 .
En discutant un peu, on se rend compte que nous n’avons pas les mêmes infos ou pièces dans nos dossiers respectifs. Personne ne semble savoir où commencent et jusqu’où remontent les investigations. Il y aurait une vingtaine d’avocats de plus dans la Comté voisine, intervenant pour d’autres prévenus. Il y aurait eu des menaces formulées, même à l’encontre d’avocats…
Bref, c’est un peu la gabegie. Mis à part le conseil du quidam interrogé ce matin et une avocate représentant les intérêts d’une société plaignante, on ne sait trop qui défend exactement son voisin et ce qu’il lui est précisément reproché.
Côté prévenu, on peut constater un effet néfaste supplémentaire de l’emprisonnement. En détention préventive depuis 7 mois, le quidam sur le grill ne se rappelle quasiment de rien ni de personne. On ne peut pas trop lui jeter la pierre. S’il y a des menaces…
Finalement, ceux qui s’amusent le plus, ce sont les inspecteurs. Ils jouent au chat et à la souris avec un plaisir non dissimulé.
– Monsieur, je vous montre un selfie pris dans votre téléphone, où vous êtes avec une femme, avec la date du 11 juillet indiquée. C’est bien vous ?
– Euh oui, c’était dans une chambre d’hôtel en Autriche
– Très bien, je vous présente maintenant un rapport de travail signé par vous, indiquant que vous avez travaillé 8 h. ce même 11 juillet à Delémont. Comment expliquez-vous cela ?
– Euh…
– Vous êtes d’accord que ce n’est pas possible d’être aux deux endroits à la fois. Donc le rapport de travail est un faux ?
– Hem, je ne rappelle plus. J’ai peut-être d’abord travaillé, puis je suis allé voir un copain en Autriche…
– Ah, c’est un « copain » sur la photo…
Le 16…
… où, à l’heure des questions existentielles juridico-judiciaires sur les tribunaux d’exception, quand il s’agit de faire face au mal absolu, on apprend la tenue du procès de Dark Vador devant le très sérieux Tribunal spécial intergalactique !
C’était lundi soir, à Paris, au Grand Rex, où devant quelques milliers de curieux, des juristes de renoms avaient répondu à l’appel de la Force, pour juger, mais aussi défendre, l’un des plus grands méchants de l’histoire de la SF.
Des avocats de renom (Temine, Spinosi, Vey et l’incontournable Dupont-Moretti pour, suppléer à la disparition de Vergès, afin représenter celui qui fut Anakin Skywalker), des épisodes hauts en couleur, comme la tentative de récusation de Chewbacca, l’audition de témoins comme les frères Bogdanoff, l’Ordre des Jedi ou l’Association de défense des masques respiratoires intervenants comme parties civiles, etc. Bref, rien ne manquait à ce morceau de bravoure.
Et que croyez-vous que le Tribunal rendit comme verdict ? La réponse est là…
Le 17…
… où l’on arrive après la bataille, certes, mais l’un des avantages d’un déplacement en transports publics pour l’avocat connecté est de pouvoir faire la revue des cancans que l’on aurait manqué.
C’est ainsi que l’on découvre, grâce à l’excellent Me Eugène, de nouvelles scories de l’affaire Merah.
Il y a 8 jours, dans le Journal le Point, le philosophe autoproclamé BHL, sans doute frustré de n’avoir pas eu de journaliste à sa porte depuis trop longtemps s’était fendu d’un pamphlet à l’encontre d’EDM, critiquant ouvertement la posture prise par un avocat dans ce procès auquel il n’avait même pas assisté.
Un pseudo philosophe qui critique la conception de la profession d’un avocat, c’est un peu comme un laveur de carreaux (pardon à eux) qui gloserait sur l’inutilité de la physique quantique. Bref, la version intégrale du texte en question peut être lue ici.
Le 20…
Le 21…
Le 22…
Le 23…
Le 24…
Le 27…
… où l’on se dit que, peut-être, Donald Trump préfigure l’avocat de demain qui ne déposera plus de mémoires longs comme des jours sans pain, mais twittera en 140 caractères ses arguments à l’attention de ses contradicteurs.
Vous avez tout faux. Tout vos arguments sont des fake news, irrecevables donc. Et c’est moi qui a raison, na !
Imparable ?
Le 28…
… où la préparation d’un cours sur les grands principes de la procédure pénale attise quelques réflexions, ruminées au fil des pages de ce journal.
Commençons par la concentration des pouvoirs en main du Ministère public (MP). Bye bye le Juge d’instruction, maître de cérémonie de l’enquête depuis l’ancien régime. La faute aux énarques zurichois qui ont réussi à imposer leur modèle axé sur un MP omnipotent depuis les premiers balbutiements de l’instruction. Et là, c’est un peu comme le secret bancaire. On se rend compte aujourd’hui à quel point nous nous sommes fait encorner, le remède étant pire que le mal.
Certes, le Juge d’instruction (JI) n’était de loin pas le plus parfait ou le plus impartial des magistrats. Preuve en est que, lors du changement de régime en 2011, la plupart ont retrouvé de l’embauche chez les Procs ! Le concept d’instruction à charge et à décharge s’apparentait à de la physique cantique pour beaucoup d’entre eux. Mais au moins, on savait à qui on avait à faire. Un magistrat au rôle bien défini, à mi-chemin entre le Parquet et la défense, qui supervisait l’instruction et après basta.
Tandis que, maintenant, le procureur a d’abord la responsabilité de l’instruction, appelée procédure préliminaire, puis celle de l’accusation. Deux casquettes qui sont antinomiques !
En effet, dans le cadre de cette fameuse procédure qui n’a de préliminaire que le nom – parce qu’elle conditionne toute la suite – le Parquet n’est plus une partie, mais une autorité indépendante. Il assure la direction de la procédure, décide des mesures à ordonner, supervise l’administration des preuves, etc.
Les défenseurs de nouveau système diront que, en vertu de la maxime de l’instruction, il est toujours tenu de rechercher d’office tous les éléments pertinents à charge et à décharge. La belle affaire ! Si, avant, on avait à faire à un JI, qui avait certes souvent la tête près du bonnet, le Proc’ d’aujourd’hui sait que, s’il pense aller au procès avec son dossier, il faut le bétonner d’entrée de cause. Parce que, plus tard, devant le Tribunal, où il ne sera plus que l’accusateur public, c’est-à-dire une partie au même titre que la défense ou le lésé, il sera trop tard. Alors, forcément, c’est humain, au lieu de se contenter de collecter les différents éléments du dossier, il ira surtout piocher là où ça peut faire mal…
Au moins, avec le JI, la défense avait une sorte d’interface avec le Parquet, ce qui assurait un certain équilibre des forces. Tandis que, maintenant, tous les pouvoirs sont en mains du MP, d’où l’inconvénient de n’être pas d’emblée sur un pied d’égalité, puisque, avant de devenir la robe de l’Etat devant le Tribunal, le Proc’ est tout d’abord un magistrat qui n’a de compte à rendre qu’à la loi. Cette double casquette donc, juge un jour et partie le lendemain, a sans conteste une influence très nette sur l’objectivité de la procédure préliminaire que les innombrables voies de recours prévues par le Code de procédure pénale (CPP) ne parvient pas à gommer tout à fait, du moins la plupart du temps.
Qu’on le veuille ou non, selon ce système nouveau voulu par des technocrates du droit, le centre de gravité historique du procès pénal, les débats, s’est sensiblement déplacé vers la procédure préliminaire. L’oralité des débats, ainsi que l’immédiateté des preuves, ont pris un coup dans l’aile, reléguant souvent l’audience, soit l’essence même du procès pénal, au rang de simple formalité administrative.
Dans bon nombre d’affaires, exit les témoins, bien sûr plus ou moins impartiaux, les experts et leur jargon souvent abscons, les agents dénonciateurs confits dans leurs certitudes, bref, tout ce qui permettait aux Juges du sièges comme on dit d’avoir une vision complète de la situation. Seul compte désormais pour eux le sacro-saint dossier, auquel ils se raccrochent souvent comme une bouée de sauvetage et que l’avocat de la défense devra souvent leur faire lâcher au forceps, pour assurer le nécessaire contrepoids qui permet de conduire à une juste sentence.
Ces « progrès » de la technique judiciaire constituent quoiqu’on en dise une menace claire sur la garantie d’un procès équitable et de l’égalité des armes. Lorsque le Procureur, victime d’une conviction par trop optimiste, s’est trop engagé en faveur de la culpabilité de l’accusé, maintenant celui-ci en détention préventive, malgré la présomption d’innocence, persuadé que sa duplicité éclatera sous peu, qu’il se rend compte petit à petit que les moyens engagés restent lettre morte et que son beau dossier prend l’eau, alors, la tentation de vouloir sauver les meubles en se mettant des œillères mettra en péril ces beaux principes. Les décisions qu’il est susceptible de prendre à cet instant pourront être lourdes de conséquences.
Donc, pour conclure, sur cette question, en attendant la suite, la suppression du JI a induit une menace claire sur l’instruction à décharge et surtout l’égalité des armes entre l’accusé et le Parquet, susceptibles de ne jamais pouvoir être complètement rétablie durant la phase du procès, si la défense n’y est pas particulièrement attentive dès les premiers pas de « l’affaire ».
Le 29…
… où, comme dans les westerns où les outlaws passaient le Rio Grande pour se mettre à l’abri du shériff, certaines parties adverses croient pouvoir se réfugier subrepticement dans la Comté voisine, d’obédience germanique, pour retarder quelques temps une action en justice, ceci en raison de la barrière linguistique (Röstigraben pour les intimes) qui risque de freiner les ardeurs de son contradicteur, contraint de se dégotter un avocat maîtrisant les arcanes de la langue de Goethe
C’était sans compter notre arme secrète, Me Will, qui, entre autres qualités, se sent apte à rédiger une requête d’urgence en germain basique, mais explicite.
L’exercice étant inédit, c’est avec une certaine appréhension que nous observons la diligence emporter notre missive en terre inconnue.
Le 30…
… où une certaine nervosité commence à nous étreindre.
Nous voilà aux portes de décembre. Quelques décision sont attendues depuis longtemps dans des procédures que l’on peut qualifier de « sensibles ».
Sensibles pour nous et nos clients bien sûr, mais aussi pour les magistrats qui en ont la charge. Donc, il y a fort à parier que ceux-ci voudront « liquider » ces dossiers qui attirent la poussière avant la quille de fin d’année, histoire de soulager quelques pans de bibliothèque, mais aussi d’améliorer leurs statistiques avant les inspections de l’année prochaine.
Voilà qui augure vraisemblablement un feu roulant de jugements dans les jours à venir et, compte tenu des délais de recours (suspendus ou non durant les féries), des Fêtes et un mois de Janvier… comment dire ? Studieux !
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