Et si on ne disait plus rien ?

11/25/2020 § 1 commentaire

Extrait du Journal @MeFaire, 24th November, où il est question du droit de l’accusé de garder le silence, sujet connu et toujours source de confusion.

Petite piqûre de rappel. On parle ici de procédure pénale. Dans les litiges civils, les parties (demandeurs/défendeurs), les témoins, les experts, tout le monde doit dire la vérité, au risque de voir les foudres de Dame Justice s’abattre sur sa tête, cf. l’article 306 CP qui prévoit quand même une belle dérouillée pour les petits rigolos qui s’aviseraient de mentir au Juge. Dans les affaires pénales, ce n’est pas très différent. Tout le monde a intérêt à ne pas prendre trop de liberté avec la vérité, sauf… l’accusé. Il peut nier, même l’évidence, mentir (mais sans impliquer d’autres quidam qu’il sait innocents) et, surtout, il a le droit – fondamental et inaliénable – de se taire.

Cette dernière option, qui est sans doute la plus intelligente, est aussi la plus mal comprise. Par le bon peuple d’abord, mais aussi par les professionnels de l’appareil étatique judiciaire, ce qui est tout de même plus inquiétant, puisque le même droit s’applique à tout le mode, accusé comme accusateur. Dans la besace du pénaliste de compète, le refus de répondre est souvent l’outil le plus efficace pour défendre (ce qui signifie aussi protéger, merci de ne pas l’oublier) celui ou celle dont l’épée de Damoclès caresse les cheveux. Rappelons que certains innocents célèbres (comme Richard Roman ou Patrick Dils) ont parlé en garde-à-vue pour dire/avouer n’importe quoi et ont été tout d’abord condamnés à de lourdes peines, avant d’être blanchis.

Malgré les progrès certains du Code pénal depuis le Moyen-âge, malgré Strasbourg et la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), les droits de la défense constituent toujours, au mieux un non-sens, au pire une insulte pour le Parquet et ses affidés. Le droit de garder le silence est par essence suspect à leurs yeux, quand il ne relève pas pratiquement de l’aveu de culpabilité.

Du point de vue de la défense, bien évidemment, on raisonne différemment. Ce choix peut être le seul cohérent et cela à différents stade de l’enquête. Tout d’abord, il y a le cas classique de l’arrestation, où le prévenu (en Hexagone, on ne dit plus inculpé, de peur d’être déstabilisé par culpa, mais mis en examen, ça fait plus joli dans les médias) ne sait pas ce qu’on lui reproche ou ce que l’on a exactement contre lui. C’est un peu comme jouer au poker, mais l’adversaire peut lire vos cartes, alors que vous ne voyez pas les siennes…

Mais il y a aussi la situation vécue ce jour. Celui qui est accusé (de manière purement chicanière pour le déstabiliser dans un procès civil) a déjà répondu deux fois à la police et a subi deux perquisitions. Ses adversaires multiplient les compléments d’une accusation bancale d’abus de confiance, d’escroquerie, qu’ils essayent maintenant de doubler avec de la fraude fiscale et des faux dans les titres, sans rien prouver. De l’aveu même du policier, il n’y a rien de concret dans le dossier. Mais, le Parquet a la dent dure et ne veut pas lâcher prise. Alors, comme on a déjà répondu et dit ce que l’on savait, maintenant, on ne dit plus rien et on laisse le job à l’accusation.

Et on a bien fait, parce qu’on apprend ce matin de la bouche du policier dépité en train de clore son PV, que la partie plaignante avait déposé un énième complément deux jours plutôt, ce que l’on s’était bien garder de nous communiquer avant le début de l’audition. Un jeu de dupes en somme, mais on voudrait que nous soyons les seuls à jouer cartes sur table. C’est là que le droit de garder le silence permet à l’accusé d’éviter de se causer du tort en répondant à l’aveugle à des questions orientées de l’enquêteur, qui sait où il va, alors que le principal intéressé a les yeux bandés !

Qu’on se le dise : le droit de ne pas répondre aux questions de l’accusateur protège l’innocent plus que le coupable. Il découle du principe général que nul ne peut être contraint de s’incriminer lui-même, qui a succédé au système de la torture comme reine des preuves ou à l’obligation pour l’accusé de jurer de dire la vérité quand il comparaissait devant ses juges. On appelle ça la présomption d’innocence.

Cette présomption fait grincer des dents ceux – et ils sont légions – qui sont convaincus que les innocents n’ont pas besoin de prouver leur innocence. Ces sont souvent les mêmes qui croient encore que les innocents n’ont pas besoin d’avocat. Puisqu’ils sont innocents ! Les avocats, c’est pour les coupables ! Fatale erreur.

presumeinnocent.com

01/20/2013 § 2 Commentaires

« Monsieur, vous êtes présumé innocent. Par conséquent s’agissant des accusations qui pèsent sur vous, je vais donc les instruire à charge et à décharge, afin de faire toute la lumière sur cette affaire…» Ah, quelle belle phrase. En principe, elle devrait être la prémisse dans tout début d’instruction pénale. Chaque avocat rêve de l’entendre un jour sortir de la bouche d’un procureur ou d’un juge. Et il sera quasi immanquablement déçu. Pourquoi ?

Tout d’abord, parce que le respect de ce principe relève de la seule volonté de celui qui doit l’appliquer et la pensée profonde d’un magistrat est difficile à saisir. Ce constat est d’autant plus déroutant, lorsque l’on a affaire à un ancien confrère, devenu représentant du Parquet ou Président de Tribunal. A-t-il tout oublié de son passé professionnel, subi une lobotomie ? Le secret de l’effacement du fichier « présomptiond’innocence.doc » du disque dur du juriste transmuté en magistrat est l’un des mieux gardés de l’histoire de la Justice. Nous n’aurons probablement jamais la clé de ce mystère. Toujours est-il que celui qui professait autrefois le respect de la présomption d’innocence envers son client, une fois passé du côté obscur de la Force, considère désormais que toute accusation doit au minimum avoir un fond de vérité. Si ce pékin est assis avec des menottes en face de lui, peu importe le sérieux des charges, il n’y a pas de fumée sans feu. Quand on voit que ceux qui devraient en principe montrer l’exemple sont devenus défaillants, inutile de parler des magistrats propulsés dans leur fonction sans expérience du barreau. Pour ces fonctionnaires du droit, la présomption d’innocence relève uniquement de la simple théorie.

Pourtant, elle figure en bonne place dans le Code de procédure pénale (art. 10 CPP). Mais en pratique, c’est une autre histoire. Le juge regarde l’accusé d’un œil soupçonneux, de surcroît totalement convaincu que l’avocat est là uniquement pour qu’un coupable échappe à la justice. Celle de Dieu, celle des hommes, peu importe, mais, à lui, on ne la fait pas.

Et comme si cela ne suffisait pas, il y a l’autre justice, la pire : la justice médiatique. Là, même pas besoin d’une procédure judiciaire pour être cloué au pilori, dénigré, descendu en flammes aux yeux de sa famille, ses amis, ses collègues de travail, au nom d’un prétendu droit de savoir. Et pour remonter la pente, ce sera quasiment mission impossible. Parce que la foule veut juger, tout le monde et tout de suite, après, cela ne l’intéresse plus.

Dans un procès récent, l’un de mes clients, personnage bien connu de la place et objet d’une accusation graveleuse à souhait, avait eu droit à un battage médiatique important durant l’enquête, puis dans les jours précédant son procès. Le Tribunal avait renoncé à prononcer le huis-clos, mais a quand relevé au moment du prononcé du verdict que, si les Juges étaient restés insensibles aux sirènes médiatiques (dont certaines travestissaient allégrement les faits – arguments finalement retenus par le Tribunal), il souhaitait modifier sa pratique à l’avenir. Les journalistes racontant n’importe quoi dans les colonnes de leurs canards se verraient interdire l’accès aux salles d’audience. Vœu pieu, qui n’a semble-t-il pas été suivi par le Tribunal en question. Quand on voit les efforts déployés par certains Juges à l’égard des journalistes présents dans la salle, afin d’être surs d’être cités dans la Chronique judiciaire du lendemain, inutile de se demander pourquoi…

C’est dans ce contexte qu’il faut saluer la création du Blog « Présumé innocent », parrainé par Hervé Termine, ténor du Barreau français (et portant ce titre magnifique d’Avocat à la Cour, inconnu dans nos montagnes). Sa profession de foi est magnifique. Le but étant de donner la parole à ceux qui sont publiquement accusés et d’attirer l’attention de façon argumentée sur les atteintes à la présomption d’innocence dont ils sont victimes dans des affaires connues du public.

La première Tribune libre est tenue par Loïk Le Floch-Pringent, ancien PDG qui a déjà abondamment hanté l’actualité judiciaire par le passé. Actuellement en détention à Lomé dans le cadre d’une affaire de corruption, il formule « …  pour seul vœu d’être traité à égale dignité avec toute autre personne qui se trouverait dans ma situation à mon âge : ni avec plus d’égards en raison de mes fonctions passées ; ni avec moins de considération pour une condamnation dans une autre affaire pour laquelle j’ai déjà payé un lourd tribut».

On appréciera également l’interview vidéo accordé à Eric Dupond-Moretti sur la place de la présomption d’innocence et du principe du contradictoire dans notre société. Ce qui revient d’ailleurs  à me faire penser à dire un mot sur son livre « Bête Noire » dans la Biblio-faire. A suivre !

Les avocats pénalistes le savent, la présomption d’innocence est un leurre que l’on agite devant le justiciable pour lui faire croire que la Justice a pour vocation première de séparer le bon grain de l’ivraie et que tout prévenu aura droit à un Juge qui se posera au moins une fois cette question : « Et si ce que me raconte ce gugusse est vrai, aussi incroyable que cela paraisse ? ».

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