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01/20/2013 § 2 Commentaires

« Monsieur, vous êtes présumé innocent. Par conséquent s’agissant des accusations qui pèsent sur vous, je vais donc les instruire à charge et à décharge, afin de faire toute la lumière sur cette affaire…» Ah, quelle belle phrase. En principe, elle devrait être la prémisse dans tout début d’instruction pénale. Chaque avocat rêve de l’entendre un jour sortir de la bouche d’un procureur ou d’un juge. Et il sera quasi immanquablement déçu. Pourquoi ?

Tout d’abord, parce que le respect de ce principe relève de la seule volonté de celui qui doit l’appliquer et la pensée profonde d’un magistrat est difficile à saisir. Ce constat est d’autant plus déroutant, lorsque l’on a affaire à un ancien confrère, devenu représentant du Parquet ou Président de Tribunal. A-t-il tout oublié de son passé professionnel, subi une lobotomie ? Le secret de l’effacement du fichier « présomptiond’innocence.doc » du disque dur du juriste transmuté en magistrat est l’un des mieux gardés de l’histoire de la Justice. Nous n’aurons probablement jamais la clé de ce mystère. Toujours est-il que celui qui professait autrefois le respect de la présomption d’innocence envers son client, une fois passé du côté obscur de la Force, considère désormais que toute accusation doit au minimum avoir un fond de vérité. Si ce pékin est assis avec des menottes en face de lui, peu importe le sérieux des charges, il n’y a pas de fumée sans feu. Quand on voit que ceux qui devraient en principe montrer l’exemple sont devenus défaillants, inutile de parler des magistrats propulsés dans leur fonction sans expérience du barreau. Pour ces fonctionnaires du droit, la présomption d’innocence relève uniquement de la simple théorie.

Pourtant, elle figure en bonne place dans le Code de procédure pénale (art. 10 CPP). Mais en pratique, c’est une autre histoire. Le juge regarde l’accusé d’un œil soupçonneux, de surcroît totalement convaincu que l’avocat est là uniquement pour qu’un coupable échappe à la justice. Celle de Dieu, celle des hommes, peu importe, mais, à lui, on ne la fait pas.

Et comme si cela ne suffisait pas, il y a l’autre justice, la pire : la justice médiatique. Là, même pas besoin d’une procédure judiciaire pour être cloué au pilori, dénigré, descendu en flammes aux yeux de sa famille, ses amis, ses collègues de travail, au nom d’un prétendu droit de savoir. Et pour remonter la pente, ce sera quasiment mission impossible. Parce que la foule veut juger, tout le monde et tout de suite, après, cela ne l’intéresse plus.

Dans un procès récent, l’un de mes clients, personnage bien connu de la place et objet d’une accusation graveleuse à souhait, avait eu droit à un battage médiatique important durant l’enquête, puis dans les jours précédant son procès. Le Tribunal avait renoncé à prononcer le huis-clos, mais a quand relevé au moment du prononcé du verdict que, si les Juges étaient restés insensibles aux sirènes médiatiques (dont certaines travestissaient allégrement les faits – arguments finalement retenus par le Tribunal), il souhaitait modifier sa pratique à l’avenir. Les journalistes racontant n’importe quoi dans les colonnes de leurs canards se verraient interdire l’accès aux salles d’audience. Vœu pieu, qui n’a semble-t-il pas été suivi par le Tribunal en question. Quand on voit les efforts déployés par certains Juges à l’égard des journalistes présents dans la salle, afin d’être surs d’être cités dans la Chronique judiciaire du lendemain, inutile de se demander pourquoi…

C’est dans ce contexte qu’il faut saluer la création du Blog « Présumé innocent », parrainé par Hervé Termine, ténor du Barreau français (et portant ce titre magnifique d’Avocat à la Cour, inconnu dans nos montagnes). Sa profession de foi est magnifique. Le but étant de donner la parole à ceux qui sont publiquement accusés et d’attirer l’attention de façon argumentée sur les atteintes à la présomption d’innocence dont ils sont victimes dans des affaires connues du public.

La première Tribune libre est tenue par Loïk Le Floch-Pringent, ancien PDG qui a déjà abondamment hanté l’actualité judiciaire par le passé. Actuellement en détention à Lomé dans le cadre d’une affaire de corruption, il formule « …  pour seul vœu d’être traité à égale dignité avec toute autre personne qui se trouverait dans ma situation à mon âge : ni avec plus d’égards en raison de mes fonctions passées ; ni avec moins de considération pour une condamnation dans une autre affaire pour laquelle j’ai déjà payé un lourd tribut».

On appréciera également l’interview vidéo accordé à Eric Dupond-Moretti sur la place de la présomption d’innocence et du principe du contradictoire dans notre société. Ce qui revient d’ailleurs  à me faire penser à dire un mot sur son livre « Bête Noire » dans la Biblio-faire. A suivre !

Les avocats pénalistes le savent, la présomption d’innocence est un leurre que l’on agite devant le justiciable pour lui faire croire que la Justice a pour vocation première de séparer le bon grain de l’ivraie et que tout prévenu aura droit à un Juge qui se posera au moins une fois cette question : « Et si ce que me raconte ce gugusse est vrai, aussi incroyable que cela paraisse ? ».

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