Janvier…

… où tout va bien, la planète va bien. Non, mais vraiment, TOUT va bien. De quoi nous plaindrions-nous ? La guerre est loin, la conjoncture est plus favorable que jamais, les pharmacies débordent de médicaments pour soigner nos grippes, les politiques ne nous prennent pas pour des pives en nous servant des discours lénifiants… Bref, TOUT est sous contrôle, y compris les juges !

Eh, mais non, je rigole.

Le 9…

… où, il faut bien reprendre, même si la grippe ne veut pas lâcher sa proie. Elle est tenace, mais a au moins un petit avantage : on prend les choses avec beaucoup plus de recul. Est-ce à dire que l’on a glissé dans les Ibuprofène, Sinupret et autres Bexine, de la poudre de perlimpinpin ?

Le 10…

… où l’on passe à la phase deux de la thérapie de récupération accélérée : une audience prise sur le tard, Me Isotta étant à son tour HS pour cause de bronchio-angino-sinusite aigüe. Voilà qui remet rapidement les idées en place, les deux parties étant à des antipodes de trouver une solution et très, mais alors très légèrement, remontées l’une envers l’autre.

Eh bien, peut-être encore un effet secondaire de la poudre de perlimpinpin, mais nous ressortons de l’audience à bout touchant pour une solution…

Le 13…

… où voilà un vendredi 13 comme on les aime.

Lunch de reprise avec un client. Foie gras, St-Jacques poêlées, pintade fermière aux morilles, fromage et variation autour de la poire. Le tout arrosé d’un petit rouge de la Loire de derrière les fagots. Mesdames et Messieurs de la Faculté, quand l’appétit va, tout va !

Le 16…

… où l’on expérimente la frustration.

Face à une ordonnance civile de preuves que l’on peut qualifier d’inique, il faut expliquer au client que, à ce stade, on ne peut rien faire. Le recours est possible certes, mais sans aucune chance de succès. La jurisprudence exige en effet que, pour recourir valablement contre une ordonnance dans laquelle le Juge indique quelles preuves offertes par le demandeur et le défendeur dans leurs différentes écritures seront examinées, il faut impérativement pouvoir se prévaloir d’un préjudice difficilement réparable si l’on n’examine pas la preuve refusée de suite. Par exemple, si un témoin est gravement malade et risque de ne plus pouvoir être auditionné dans le futur.

La pratique ne laisse donc pas beaucoup de marge de manœuvre. En l’occurrence, nous avons plusieurs témoins dont on nous refuse l’audition. Nous sommes tous mortels certes. Mais de là à démontrer qu’il est plus que vraisemblable que tous ces braves gens risquent fort de passer l’arme à gauche dans un futur proche…

Donc, il faut expliquer la quadrature du cercle à quelqu’un qui vous dit « J’ai confiance en vous, mais là, je ne comprends pas« . Moi itou, mais il faudra attendre la décision finale pour critiquer ce rejet unilatéral de tous les témoins. Pas parce que leur audition est irrecevable pour des motifs formels, mais « parce qu’on ne sait pas ce que X va dire » ou »parce qu’on ne sait pas si Y a vu quelque chose d’utile à la résolution du cas porté devant l’autorité. »

Ben tiens, si on savait à l’avance que les témoins vont dire dans leur déposition… Inique…

Le 17…

… où c’était le bon jour pour les pérégrinations judiciaires. Tempête de neige sur la Baie de Lôzan.

Réfugié dans la chaleureuse Bavaria en haut d’un Petit-Chêne devenu impraticable à partir de midi, on se requinque avec une salade de lentilles, œuf et lard, suivi d’un boudin maison aux pommes confites, le tout accompagné d’un petit Côte du Rhône.

Le 18…

… où certaines situations peu usuelles conduisent néanmoins à des constats habituels et sans appel.

Ma femme m’accuse d’avoir voulu l’empoisonner !

Est-elle morte ?

-Non.

A-t-elle été malade ou incommodée d’une façon ou d’une autre.

-Non. Elle est allée à l’hôpital et… rien. Pas la moindre trace d’une quelconque substance toxique.

Bon, pénalement, ça se présente bien, mais civilement…

Elle m’a fichu dehors et la police et le Juge m’interdisent de rentrer chez moi.

Nous y voilà…

Le 23…

… où l’on compte les vaches, et pas les moutons…. Des vaches qui prennent la poudre d’escampette, brisent le fil électrique de leur enclos et s’en vont nuitamment baguenauder dans la cambrousse. Une passerelle à franchir, une forêt à traverser dans la nuit noire, rien n’arrête le troupeau. Même pas d’autres prés alentours et leur bonne herbe bien grasse.

Un rêve ? Eh non, tout cela est bien réel. Plus de huitante bovidés se sont bel et bien « évadés » un dimanche soir vers minuit pour terminer leur course 2 km plus loin sur une voie d’autoroute, où ce qui devait arriver arriva. Un conducteur qui ne roulait même pas trop vite a percuté le troupeau. Pas de gros bobos pour lui, heureusement. Quelques vaches ne peuvent pas en dire autant.

Le paradoxe de ce dossier où l’on intervient à la défense de l’agriculteur, propriétaire des fugueuses, est que celui-ci se retrouve devant le Juge pénal non pas pour avoir – indirectement – provoqué un accident, mais pour n’avoir pas pris les dispositions nécessaires pour empêcher son troupeau de jouer les filles de l’air. La distinction est subtile et lourde de conséquences. Si cette responsabilité lui est reconnue, le conducteur victime du crash bovin sera en bonne position pour lui réclamer son dommage (voiture détruite, douleurs cervicales avec incapacité de travail, etc.). Si l’agriculteur est acquitté au pénal, le conducteur devra d’abord prouver la responsabilité du détenteur du troupeau quant à la présence d’un troupeau sur sa voie de circulation, mais, cette fois sur le plan civil, ce qui est plus délicat, avant de parler argent.

Si nous allons au Tribunal demain, c’est parce qu’un Procureur est convaincu que l’agriculteur a violé les dispositions de la Loi sur la protection des animaux en matière de détention d’animaux. Problème : ces dispositions pénales protègent surtout nos amis les bêtes contre les mauvais traitements. Certes la loi dit qu’il faut garder les animaux de manière à ce qu’ils ne puissent pas se barrer comme ils veulent. Mais la systématique du texte légal semble suggérer que, hors mauvais traitement avéré, cette échappée belle ne peut être qualifiée d’infraction.

Et quand bien même, entre alors en jeu les faits justificatifs. Quelles que soient les précautions prises en matière d’enclos électrifié, vu l’endroit où l’on a retrouvé le troupeau, plus de 2 km de leur étable, il s’est passé quelque chose qui rompt le lien de causalité entre la responsabilité de l’agriculteur et ce rodéo. Tous les spécialistes qualifieront ce comportement de tout à fait extraordinaire pour des bovins. Si le troupeau a été effrayé, quelle que soit le voltage de l’enclos, rien ne l’aurait arrêté. Essayez donc de stopper un troupeau de paisibles brouteuses devenues soudain hystériques…

Et reste la question centrale : qu’est-ce qui a pu leur faire peur à ce point pour qu’elles filent aussi loin ?

Le 24…

… où nous voilà donc devant le Juge avec nos aventures bovines.

Audience sans particularité majeure, sauf, d’abord, une température glaciale dans la salle d’audience (bonjour les économies d’énergie) et, ensuite, au final, cette regrettable tendance qui anime maintenant les magistrats de 1ère instance de la Comté, dans les affaires pénales traitées par un Juge unique.

On ne veut plus trancher de suite. Certes, une ouverture du dispositif du jugement en public, avec lecture des considérants essentiels, qui suit la clôture des débats, implique de faire attendre justiciable, avocats, public, etc. dans les pas perdus. Mais, sous cette forme, le verdict qui suit dans la foulée les débats en est la stricte émanation. Pas de fioriture, de longues recherches postérieures pour contrer une opinion entendue il y a quelques minutes. Seule compte l’expérience, l’impression, bonne ou mauvaise, le feeling. C’est l’ADN des bons juges pénaux. Le civil, c’est autre chose, un puzzle alambiqué. Le pénal, c’est le match qui se déroule sur le terrain jusqu’à la dernière minute et, tout de suite après, ou presque, le score. Avec cette nouvelle tendance, le VAR peut changer le score une fois les équipes retournées aux vestiaires. Maintenant, on vous dit : rentrez chez vous et le résultat des courses vous sera signifié selon notre bon plaisir, dans quelques jours.

Attente du verdict devant le Tribunal dans l’affaire Dominici

Adieu les principes sacrosaints inhérents au droit pénal : l’oralité des débats et du prononcé des sentences. L’immédiateté des preuves, les vertus de la plaidoirie sont relégués au second plan par des magistrats pour qui un verdict rendu une fois le soleil couché devient une contrainte, alors que ce devrait être la règle.

La Justice y gagnerait en compréhension, alors que le travail serait le même, mais pas fait au même moment de la journée. Est-ce ça qui dérange ? Se triturer les méninges en dehors des heures chrétiennes ? Messieurs les politiciens, voici une précision que le Code de procédure pénale devrait apporter : le jugement suit l’audience, quelle que soit l’heure où elle se termine, à moins d’une impossibilité objective. Ne pas remettre à demain ce qu’on peut faire (mieux) encore le jour même.

Vous l’avez compris, nous attendrons donc le verdict derrière notre bureau.

Le 25…

… où les magistrats devraient intégrer que, si les avocats ne sont en général pas dupes d’un travail bâclé, certains clients ne le sont pas non plus.

On ne parle pas de l’affaire de hier, dont on attend toujours le verdict.

Il s’agit d’un dossier civil, où une décision fait aujourd’hui débat. Faut-il la contester ou pas ? Et la discussion dévie sur l’inanité de certains considérants démontrant soit un mépris pour le justiciable, soit une méconnaissance crasse du dossier, voire les deux.

Quand on se présente devant un juge, on sait que le résultat n’est pas acquis. Cela fait d’ailleurs partie des devoirs de notre profession de le souligner, ce qui n’est pas une manière déguisée pour l’avocat de couvrir ses fesses, mais simplement un rappel qu’une décision judiciaire est le résultat d’un processus complexe rendu par des hommes qui ne peuvent être parfaits tout le temps. Et la plupart du commun des mortels peut accepter d’avoir tort, à condition 1) qu’il ait eu le sentiment d’avoir été écouté et compris par le juge 2) et que les explications de ce dernier soient objectivement compréhensibles.

Ici, on ne sait trop ce qui c’est passé et dans la tête de qui, mais le client n’est pas dupe. On s’est moqué de lui. Et ce sentiment n’est bon ni pour les avocats, qui n’ont alors servi à rien, ni pour la Justice, car, à quoi bon aller la déranger, si elle vous traite par dessus la jambe ? Bref, du temps et de l’argent perdu. Mauvais message…

Le 26…

… où l’heureux temps des formations en video motion semble appartenir au passé. Retour au présentiel dans des hémicycles bondés, la faute au succès de ces Journées du Droit de la Construction qui est l’un des fleurons de notre Alma mater.

Dommage tout de même. Bon, il y a les smartphones pour passer le temps ou rester en contact avec le bureau et corriger les drafts tout en suivant la conférence d’un air pénétré.

Et puis la #FaireCave est à deux pas. On peut ainsi mixer allégrement les épisodes intéressants avec le suivi des dossiers.

Le 27…

… où l’on attend toujours le verdict de mardi dernier.

Ils vont nous l’envoyer en DeLorean ?

Le 30…

… où, bon an mal an, la vidéoconférence s’impose gentiment en tant que mode usuel de communication dans les épisodes de la vie juridique, en tous cas avec nos clients.

Le Covid avait conduit non seulement les avocats à se connecter, mais aussi la Justice. Sans surprise, les juridictions des villes helvétiques internationales ont rapidement adapté leurs outils de travail à cette façon de procéder. On peut lire dans une tribune de la Semaine Judiciaire qu’un magistrat des bords de la Limmat en est déjà à plus de 1600 audiences virtuelles. Un record, mais encore isolé tout de même.

Si sur le plan judiciaire, une vidéoconférence pose quelques problèmes de droit (accord de toutes les parties ou décision souveraine du juge par exemple, garantie d’un droit effectif à être entendu, sécurité des échanges avec son propre avocat, s’il est « à distance » lui aussi, etc.), dans le secret de nos Études, il en va différemment. Le client doit bien évidemment être d’accord de procéder ainsi. Les uns préfèrent rester dans leurs pénates (et pas toujours pour des raisons écologiques !), ou n’ont pas le choix (comme c’est le cas aujourd’hui, le client étant à Londres, sans possibilité de se téléporter rapidement vu l’urgence de la situation). D’autres veulent voir leur avocat en chair et en os. Cela fait aussi parti de la nécessaire relation de confiance.

Pour l’avocat qui s’est décidé à poursuivre post-Covid, la modernisation de sa structure legaltech, le défi n’est plus sur le plan technologique aujourd’hui, des outils basiques comme Teams fonctionnant très bien. Il s’agit maintenant de trouver un modus techniquement et financièrement acceptable pour respecter correctement les épouvantails que l’on nous agite sous le nez depuis quelques mois.

Les règlements européens (le fameux RGPD), si nous avons des clients hors frontières, suivi de la nouvelle loi fédérale de protection des données (LPD), qui entre en vigueur en septembre, affolent le Landerneau juridique. Selon certains « spécialistes », bizarrement tous issus d’études devenues de véritables multinationales, il faut créer dans tous les bureaux d’avocats de suisse, même s’il n’y en a qu’un, un poste de travail supplémentaire, dédié à un collaborateur qui ne fera que vérifier à longueur de journée, la conformité des processus de travail aux standards légaux devenus extrêmement/trop pointus . Une manière de décrédibiliser la concurrence des PME d’avocats qui ne pourront pas suivre ?

A bien y regarder deux fois, toute cette agitation rappelle la paranoïa du monde juridique suisse juste avant l’entrée en vigueur à la fin du millénaire dernier des nouvelles normes en matière de lutte contre le blanchiment d’argent. On nous martelait que, si un client nous apportait un billet de cent francs, il fallait immédiatement le dénoncer à l’organisme de surveillance des marchés ! A peine quelques mois après l’avènement de ce nouveau cadre juridique, le soufflé s’était largement dégonflé. Les autorités s’intéressaient principalement aux vrais situations problématiques et les avocats respiraient à nouveau. Hormis nos Confrères intervenants surtout comme intermédiaire financier, nous n’étions finalement plus des complices automatiques de transactions basiques immédiatement qualifiées de fraude , mais de nouveau les garants des libertés du justiciables.

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