Février…

… où, avec la neige qui tombe drue aux premières heures de Février, on ressort des archives, non pas les vieux dossiers, mais quelques anciennes playlists addictives, comme les Winter Chill de Hed Kandi, pour habiller les rumeurs désormais étouffées de la Cité des Zaehringen.

Le 1er…

… où, comme les enfants sentent la neige, les parties adverses aussi.

Reçu ce matin cette missive d’un Confrère qui réclame, au nom de son client actuellement en prison, que son épouse lui rende les clés de la voiture…

Pourquoi ? Il veut prendre son week-end ?

Le 4…

… où, malgré 300 kilomètres de rail aller-retour, on a le sentiment d’un voyage immobile. Comme les flashbacks d’un rêve qui défilent au moment de sortir du coton.

Cela a commencé lorsque la loco, quittant la Comté s’est enfoncée dans le silence immaculée d’une campagne façon meringue glacée. Peu de voyageurs dans le wagon. Chauffage, mouvement du train qui berce et musique calme dans les écouteurs. On glisse dans un mode parallèle que même la correction d’un mémo n’arrive pas à troubler.

Arrivé au bout du Lac, l’agitation des quais est bien vite remplacée par le feulement de la berline qui avait la bonne idée d’être en première place dans la file des taxis. Puis, la séance dans une banque privée. On voit le jet d’eau depuis la salle de conférence aux fauteuils confortables. Pas un son n’émane de la rue. Les participants sont calmes, réceptifs, et un accord est rapidement trouvé.

Pause déjeuner dans l’ambiance une fois n’est pas coutume feutrée (nous sommes lundi) du Café du Centre, une de mes cantines préférés quand il faut se risquer en terre calviniste. Et, retour dans le FaireExpress, où les quelques verres de Côte du Rhône du lunch, incite à la procrastination et à la méditation contemplative du panorama.

Il faut se faire violence pour redescendre sur ce quai, quitté quelques heures plus tôt, avec cette impression tenace de n’avoir pas bougé et que tout cela n’était qu’un rêve paresseux auquel on voudrait pouvoir continuer de s’abandonner…

Le 5…

… où nous voilà nostalgiques du temps où l’Helvétie vivait tranquille à l’ombre du secret bancaire.

Certes, ce secret abritait bien des cadavres dans les placards et d’inavouables forfaits. Mais, il garantissait au client le soutien sans faille de sa banque. Ce secret nous l’avons bradé, parce que nos politiciens des affaires étrangères n’ont pas osé – ou voulu – le défendre, ou être d’accord de le solder, mais à la condition expresse qu’il en aille de même pour ceux qui nous mettait la pression. Donnant, donnant. Eh bien non. Et nous voilà aujourd’hui à nous retrouver sous la coupe d’autres états qui viennent nous tailler des croupières pour protéger leurs ouailles.

Bon, c’est un peu schématisé, mais pas très loin de la vérité. Et le résultat des courses aujourd’hui, c’est que nos banquiers ne pensent plus qu’à une chose : protéger leurs fesses ! On ne veut plus que des clients propres sur eux et de l’argent si blanc qu’on a mal aux yeux rien qu’à regarder les extraits de compte. Et pourquoi ? Parce que tout a coup le banquier serait devenu un modèle de vertu ? Non ! Parce qu’il a tout simplement peur qu’on vienne l’embêter un jour et qu’il pourrait ne plus aller bronzer tranquille en Floride.

Votre serviteur défend un ressortissant Ouzbek, à qui l’Ukraine a accordé l’asile et Interpol annulé toutes les Red Notices, parce que la police internationale a admis que toutes les poursuites introduites contre lui par son pays sont politiquement motivées. Son tort ? Être le cousin de la fameuse Gulnara Karimova. Juste le cousin. Elle-même a déclaré aux enquêteurs suisses n’avoir jamais eu de relations commerciales ou financières avec son cousin. Ce que celui-ci n’a pas cessé de répéter aux procureurs suisses, par le biais de son avocat. Le Ministère public de la Confédération a fini par admettre après trois ans que l’argent bloqué sur un compte pouvait être libéré « parce qu’aucun soupçon de blanchiment n’a pu être établi ». Bravo !

Et c’est ainsi que votre serviteur doit maintenant faire transférer cet argent qui appartient à ce brave homme en Ukraine. Sauf que la banque dépositaire, qui a, en 2011 ouvert un compte détenu par une société offshore dont il est l’ayant-droit économique sans demander quoique ce soit à qui que ce soit ne veut pas virer directement les sous aux bénéficiaires. Motif : c’est un Ouzbek et il vit en Ukraine, trop dangereux, et la société est domiciliée aux Îles Marshall, trop proche des Etats-Unis !

Sauf que, légalement et contractuellement, la banque (dont le nom ne serait d’aucune utilité ici, sachez seulement qu’il s’agit d’une banque privée de seconde zone,dont on ne conseillerait à personne de lui confier ses économies, et pas seulement pour les raisons évoquées ici) doit exécuter les instructions de son client !

Le 6…

… où, pendant qu’on essaie de trouver des solutions au problème de la veille (et qu’aucune ne peut être rapidement mise en place), le client a une idée originale.

« Dear Sir, if they don’t want to execute our wire instructions, go to the bank, et pick up the money in cash ! »

On se calme, cher client, on se calme. En abandonnant le secret bancaire, certaines pratiques, dont celle de la valise qui se promène ni vu ni connu, se sont également évanouies dans la nature. Au grand soulagement des « commissionnaires » qui avaient la fâcheuse habitude d’apprendre à nager dans un canal, les mains attachés dans le dos. Et même si la banque, qui n’est apparemment pas à une entorse aux règles près, donnait cet argent en cash, aucun autre établissement bancaire n’accepterait de réceptionner un tel montant au guichet, même apporté par un joli avocat, pourtant muni de tous les papiers nécessaires, démontrant la parfaite légalité de la transaction.

Bien imaginé, mais ce n’est pas envisageable sous nos monts.

Le 7…

… où, face à l’impéritie bancaire persistante, il faut se rabattre sur une solution pour le moins originale : l’opération commando !

Puisque ces gens ne veulent pas se conformer aux instructions de leur client, représenté par un avocat local dûment patenté, ledit avocat, flanqué de son collègue venu exprès de Francfort, s’en va faire le siège de la banque !

Bonjour, voici nos documents de légitimation. Nous voulons voir votre directeur, votre responsable du département juridique et la gestionnaire du compte N°….

-Euh, alors, je crois qu’ils ne sont pas disponibles…

-Ce n’est pas grave. Nous attendrons ici jusqu’à ce que quelqu’un veuille nous recevoir pour régler ce problème…

Ah…

Bon, ça c’était la partie drôle, parce que, après, il nous ont quand même fait lanterner 3h30, jusqu’à ce que la gestionnaire daigne se montrer. Elle est restée 5′ et a refusé de s’asseoir en nous expliquant  que, bien que sa banque ait ouvert en son temps un compte off-shore pour une société, sans jamais rencontrer l’ayant-droit économique, elle pouvait aujourd’hui refuser d’exécuter les ordres de virement donnés par le représentant certifié de la société en question, car maintenant sa direction veut rencontrer personnellement l’ayant-droit.

Tenir un pareil discours, dont le culot n’a d’égal que l’aberration, devant deux avocats est assez courageux, il faut quand même le relever. Par contre, nous lui avons proposé d’aller expliquer au brillant inventeur de cette théorie qu’un juge risquait fort de ne pas goûter ce genre d’humour.

PS : 3 heures plus tard dans le train retour vers les plaines enneigées de ma Comté, un mail arrive. La banque m’informe que certains ordres seraient finalement exécutés. Pourquoi ? Pas l’ombre d’une explication. Laissons-les faire. Si les premiers ordres de virement sont exécutés, comment refuser les suivants ? On verra, parce que cette équipe de joyeux banquiers n’en est pas à sa première bévue. Et comme disait l’ami Michel, les c..s ça osent tout, c’est d’ailleurs à ça qu’on les reconnaît…

Le 8…

… où l’on apprend dans le canard local que l’un des chefs locaux de l’UDC veut faire annuler la nomination à vie des magistrats et réintroduire leur élection périodique, parce que certains rechignent à faire leur travail dans un délai acceptable. Proposition que le syndicat des magistrats a bien évidemment fort apprécié.

Un Confrère, interrogé par le journaliste, relève que, quand on discute entre avocats, ce sont toujours les mêmes noms qui reviennent sur le tapis… et c’est vrai.

Le Premier Président de notre Cour d’appel estime que cela mettrait une pression intolérable sur les juges, contraints de rendre des décisions pour faire plaisir… Drôle de façon de voir les choses. Les décisions correctement motivées, et qui fâchent quand même, ne fâchent qu’un nombre très limité de personne. Par contre, quand, systématiquement, on ne respecte pas le justiciable, une grogne plus générale s’installe, durablement.

Vaste sujet en tous cas, qui n’a pas fini de faire couler de l’encre…

Le 11…

… où tempus fugit, indéniablement, mais, parfois, dans certains dossiers qui tiennent du véritable chemin de croix, cela peut s’avérer salutaire sur la distance.

Démonstration du jour :

  • Le matin, nous discutons au tribunal d’une convention destinée à modifier un jugement qui n’est aujourd’hui plus d’actualité. Nous nous sommes vus il y a une année devant la même Juge. Réponse d’alors de la partie adverse : « Niet ! On veut ci, on veut ça… » Un tour de calendrier plus tard, on prend les mêmes et on recommence. Cette fois, grâce aux bons offices de Me Will qui a traversé la jurisprudence au grand dam de notre Confrère, un peu empruntée face à ces arguments imparables, la convention est signée et le résultat final est encore meilleur que celui que nous pouvions espérer il y a 12 mois.
  • En fin d’après-midi, la fameuse banque qui joue les abonnés absents depuis 10 jours (cf. nos billets de la semaine dernière) finit par lâcher du lest sous la pression de nos courriels qu’elle apprécie peu (« … tant vous avez harcelé nos collègues gestionnaires, compliance et directeurs. »). Mais voilà, quand on ne respecte pas ses devoirs, il ne faut pas s’attendre à se voir lancer des fleurs, non plus…

Bref, il faut laisser le temps au temps. Et, mon Confrère de Francfort, avec qui nous Whatsappions à qui mieux mieux au milieu de la nuit pour faire le point sur la suite du dossier bancaire, à qui je lâche un It’s a long way to Tipperary…, me répond par cette video…

Le 12…

… où, il n’y a pas à dire, mais le retour du soleil améliore l’humeur des gens en général et des clients en particulier. Les Tribunaux devraient toujours siéger quand il fait beau.

Le 13…

… où l’on se demande si un greffier qui, dans une procédure de mainlevée, remplace la réquisition de poursuite de son Tribunal pour des frais de justice impayés, datée du 21 avril 2017, irrecevable selon la loi, parce que signée par une simple secrétaire, par une autre réquisition, identique, portant toujours la même date du 21 avril 2017 et la mention « pièce comptable », réalise l’infraction de faux dans les titres ou est tout simplement inconscient ? Ou les deux à la fois ?

Le 14…

… où l’on se demande si, juste avant de déposer au greffe une requête de mesures d’urgence, on ne devrait pas d’abord envoyer au magistrat saisi, un joli bouquet de roses rouges… anonymement bien sûr…

Le 15…

… où l’on se rappelle au bon souvenir de Sun Tzu, général chinois et fin tacticien d’avant le Juge Ti, qui avait écrit un traité intitulé L’art de la Guerre, ou l’art de gagner sans combattre… si on peut.

Mon client venu de très loin, son conseiller économique venu de presque aussi loin et mon Confrère néanmoins étranger, mais de pas si loin, sont tous d’accord. Il faut ouvrir action sans plus tarder. Fini de tergiverser. Nous avons toutes les pièces en mains pour démontrer le bien-fondé de notre position.

Donc, la guerre ? On balance toute la sauce au tribunal et pas de quartier ?

D’accord, mais si on fond sur la partie adverse comme la vérole sur la bas clergé espagnol, le champ de bataille sera limité par les murs du tribunal et la situation se figera pour des mois, voire plus. On aura probablement raison en définitive, mais la mode aura changé d’ici-là. Est-ce vraiment là notre intérêt immédiat ? Non, bien sûr. Ne vaut-il dès lors mieux pas résoudre le problème par une stratégie plus discrète ? Sa mise en place prendra aussi quelques semaines, certes, mais la probabilité de régler le cas une fois pour toute l’affaire est quasiment la même, les coûts moindres et la marge de manœuvre  du client reste intacte dans l’intervalle.

Mail de 18h34 : We will consider this option.

Bien, considérez…

Le 18…

… où certains dossiers restent tapis dans l’ombre et c’est tout à coup le moment de s’y remettre.

Le soleil brille de tous ses feux, on se croirait au printemps et c’est justement avant le printemps qu’il nous faut déposer ce recours auprès de la CEDH. Le client l’espérait avant Noël. Les deux recours contre les refus de prolongation d’horaires pour les commerçants en décembre l’ont contraint à déchanter. Et après, c’est toujours la même histoire. Le dossier prend ses quartiers sur un coin de table, jusqu’à ce qu’on ait le courage de s’y atteler.

Eh bien, voilà, ça y est…

Le 19…

… où cela ressemble fort à une conspiration.

Alors que le soleil continu de faire fondre les derniers îlots de neige du quartier, et que les bistrotiers ressortent timidement quelques tables et chaises qui incitent au Demi-tasse accompagné d’un jus de salsepareille, il y a d’abord ce merveilleux client qui m’appelle pour me dire que, bon, il n’y a pas urgence, mais on pourrait discuter du dossier autour d’une petite bière. Damned ! Malheureusement, la case Outlook, qui aurait pu s’intituler « pause houblon », est déjà occupée.

Quelques minutes plus tard, rebelote. C’est l’ami Raphaël qui débarque avec exactement la même proposition. Outlook fait de la résistance et continue à proposer autre chose.

Juste avant d’entrer dans la salle de conférence, e-mail d’un autre client, visiblement très bien sur une terrasse de Verbier, où il a – à n’en pas douter – commencé l’apéro depuis un petit moment. Ce brave épicurien de fin d’après-midi informe sa secrétaire, l’un de ses collaborateurs, son fils et… bibi qu’il plaint les malheureux contraints de transpirer devant leurs écrans à l’ombre.

Salle de conférence, 17h12 : Non, non, cher client, cette mine renfrognée n’a rien à voir avec votre dossier. Tout se présente pour le mieux. C’est normal, avec un soleil pareil…

Le 20…

… où, puisqu’il fait nuit, et que la playlist ronronne doucement, il est temps de prendre la plume, pardon le dictaphone, pour répondre aux arguments de la partie adverse dans une affaire d’accident de chantier, où l’on représente l’assurance RC du maître de l’ouvrage.

Le confrère adverse, très bon praticien au demeurant, n’a toutefois de cesse depuis le début de ce dossier de qualifier de la plus hargneuse des façons ma cliente. Certes, c’est bien connu, il affectionne tout particulièrement de pousser les décibels quand il plaide. Mais, là, tout de même… attitude mesquine, comportement odieux, ne craint pas de tomber dans le ridicule, etc., etc.

Comme si, dans ce dossier tout particulièrement, il serait subitement devenu complètement aberrant de ne pas partager ses vues sur le dommage de son client, pour laquelle il réclame notamment la compensation du salaire perdu par l’épouse qui s’est vue contrainte de stopper son activité lucrative pendant des mois, parce qu’il fallait mettre de la pommade au convalescent…

À moins qu’il n’y ait une certaine amertume dans le fait qu’il était autrefois le conseil de l’assurance en question ? Allez savoir…

Le 21…

… où, à l’heure de la justice (bientôt) prédictive, à celle de Google qui traque le moindre de nos pas (Google Map, Google Agenda, Google Drive, etc…), pour aider les commerçants virtuels à nous vendre ce dont nous n’avons pas encore besoin, on peut se demander à quand les premiers procès où l’on punira les criminels avant l’acte, découvert par les traces qu’ils ont laissées sur le net pour préparer leurs méfaits.

Réflexion intéressante, et pas seulement pour les (faux) prophètes qui prétendent que l’on pourra bientôt anticiper les jugements de Cour. Tant que nos Juges seront fait du bois de ceux qui sanctionnent au gré de leurs humeurs aussi fluctuantes que la météo, ce n’est pas pour demain.

Mais si on pouvait anticiper les crimes ? On a déjà vu quelques œuvres de fiction à ce sujet. Et la traque des terroristes passe par cet exercice. Mais, restons terre-à-terre. Comme toutes ces données sont récupérables pour qui sait où aller les chercher (achat de matériel, d’armes, repérages des lieux sur Google Map, vérification des horaires, etc.), pourrait-on arrêter les Arsène Lupin en puissance avant qu’ils ne passent à l’action ?

Il faudrait alors changer la loi. Car, pour la plupart des infractions prévues par le Code, les actes préparatoires ne sont pas punissables. Celui qui va observer une station-service qu’il veut braquer, pour noter les horaires d’affluence, le va-et-vient du personnel, etc.. ne craint rien des foudres de la justice, tant qu’il n’a pas enfourché son scooter, un calibre dans son blouson et pénétré sur le site avec un comportement qui ne laisse guère planer de doute sur le fait qu’il n’est pas venu pour acheter du gasoil.

Réflexion néanmoins toujours intéressante. Parce que si ces traces que nous laissons partout sur nos habitudes, nos envies, nos besoins sont déjà utiles à ceux qui veulent nous faire ouvrir notre portemonnaie numérique, il n’y a aucune raison que ça s’arrête là !

Le 22…

… où il est question d’imprévoyance coupable, notion improbable qui permet de punir celui qui n’a pas usé de toutes les précautions commandées par les circonstances et qui est donc à l’origine d’une infraction commise par négligence, en l’occurrence un incendie causé sur un chantier par mon client maniant un chalumeau.

– Cela fait 18 ans que je travaille dans la branche. J’ai toujours fait comme ça et il n’y a jamais eu le moindre problème…

C’est là où le droit peut se révéler cruel. Le jour où, par la faute à « pas de chance », le pépin arrive, la Justice va décortiquer le moindre de vos faits et gestes pour stigmatiser celui, devenu anodin au fil des ans, et le qualifier d' »imprévoyance coupable ». Et là, z’êtes crac dedans, comme dirait Longtarin.

Le 25…

… où c’est calme, très calme, pour une début de semaine. Cela cache quelque chose, mais quoi ?

Et c’est avec ce genre de question à la c…, que l’on arrive au terme d’une journée où l’on avait tout pour bien avancer et… non…

Le 26…

… où le sujet abordé le 8 dans les colonnes de notre quotidien préféré, à savoir : faut-il introduire une réélection périodique des magistrats en lieu et place de leur nomination indéboulonnable fait effectivement couler un peu d’encre.

Mais, bon, au-delà de la liberté d’expression, il est permis de se poser quelques questions sur la valeur de l’avis prétendument autorisé, exprimé au travers du billet spontané de ce jour dans le Courrier des lecteurs, émanant d’un professeur de droit de notre belle université. Celui-ci considère que le travail de nos braves magistrats n’est pas facile (c’est juste), mais qu’ils sont suffisamment consciencieux pour ne pas se défiler et rendre la justice de manière on ne peut plus scrupuleuse, dans le respect du droit des justiciables (là, c’est moins juste). Certes, ils ne sont pas infaillibles (eh oui), mais leur éviter les affres d’un processus de réélection constitue selon lui un progrès dans une société démocratique et la garantie de leur indépendance.

Mwouais ! Belle intervention. On peut tout de même se demander par quel ressort elle est motivée. Est-ce purement désintéressé ou le corps magistral cherche-t-il du soutien dans les strates académiques (histoire d’éviter un quelconque soupçon de tentative de récupération politique) ? La question est ouverte…

Si cette intervention est uniquement mue par la confiance inébranlable d’un académicien dans nos institutions, c’est louable, mais cela montre une nouvelle fois la distance entre la théorie et la pratique.

Certes, notre cher Professeur pointe du doigt la motivation de ces révolutionnaires de la cause judiciaire évoqués dans l’article incriminé. Soit la frustration des pères divorcés face à des décisions rendues dans un contexte émotionnel et où les impératifs de la jurisprudence doivent composer avec le porte-monnaie des justiciables. Effectivement, comme il le souligne à juste titre, ce n’est pas parce que les juges pourraient être réélus tous les 5 ans  que cela aurait un impact sur les contributions d’entretien. Jusque là, rien à dire.

Par contre, où le décalage avec la réalité se fait particulièrement sentir, c’est lorsqu’il reprend en cœur le mantra de bien des juges quand ils sont pris en défaut : « Si vous n’êtes pas contents, vous n’avez qu’à faire recours ». La belle affaire ! Les voies de recours sont bien là pour permettre à une autorité judiciaire supérieure d’examiner si les arguments de l’une des parties au procès ont  correctement été pris en considération. Par contre, elles n’ont pas pour vertus de servir de joker pour corriger un travail qui a été bâclé par l’instance précédente. La Justice n’est pas une science exacte, loin s’en faut. Devant un problème, souvent plusieurs solutions peuvent être prises en considération. C’est là, la vertu des voies de recours dans une société démocratique Monsieur le Professeur de droit. Par contre, si un magistrat s’obstine à appliquer la loi « selon lui-même », si, pour des raisons obscures,  il entre dans la salle d’audience avec un parti pris, non pas qu’il soit pour l’une ou l’autre des parties, mais bien parce que, comme ils le font souvent sentir,  cette affaire l’ennuie et qu’il a autre chose de mieux affaire que le travail pour lequel il est payé (et bien payé), s’il lit mal son dossier et oublie de tenir compte dans sa décision de telle ou telle pièce, s’il traîne pour statuer alors que les effets de son verdict devront remonter dans le passé pour tenir compte du moment où la requête a été déposée, si… si…, eh bien, là, nous avons un problème pour lequel les voies de recours sont très souvent inefficaces.

Pourquoi ? D’abord, parce que la justice n’est pas une science exacte et que le premier juge est le juge du fait, alors que le juge d’appel applique le droit. Parfois, cette simple différence ne permet pas aux voies de recours de corriger l’erreur commise en première instance. Ensuite, et cela les avocats le savent bien, il y a tout de même un certain esprit corporatiste chez les juges, comme dans d’autres professions. On voit bien la boulette, mais on essaye de la balayer sous un coin du tapis, parce que, voyez-vous, ce n’est finalement pas un si mauvais jugement…

Et puis, quand notre académicien écrit que l’inactivité prolongée d’un magistrat constitue un déni de justice qui peut être invoqué en tout temps, avant d’émettre une pareille contrevérité, il faudrait poser la question aux praticiens pour savoir combien de recours sur ce point ont-ils vu être admis. Dans ce domaine, le juge procrastinateur peut dormir tranquille, la jurisprudence du tribunal fédéral en matière de déni de justice le protège quasiment jusqu’à la retraite. D’accord, c’est un peu exagéré, mais tout de même…

Notre cher Professeur estime en conclusion que les magistrats ne peuvent pas exercer correctement le travail avec l’épée de Damoclès  de la réélection au-dessus de leur tête. Et pourquoi pas ? Encore une fois, un juge  n’assume aucune responsabilité dans son travail et, pour qu’il soit remis en question par sa hiérarchie, il faut qu’il ait accumulé des années de n’importe quoi. Ce n’est pas ça l’indépendance des juges. Cette notion signifie qu’ils doivent rendre les décisions en leur âme et conscience et n’obéir à aucune influence extérieure. Elle n’implique pas qu’ils sont libres d’agir avec une application à géométrie variable. Vergès disait à juste titre que bon nombre de magistrats croit que la justice est une chose facile. Au contraire, c’est l’acte le plus difficile. L’avocat défend son client. Ce n’est pas toujours simple, mais il n’a pas à faire la part des choses, c’est le travail du juge, et ce travail doit être fait de manière parfaitement irréprochable,  quelle que soit l’importance ou l’intérêt de la cause. C’est justement ça la gloire d’une société démocratique.

Le 27…

… où le rapport d’expertise que l’on décortique depuis qu’il fait nuit dehors se conclut par ce paragraphe :

« L’accident qui s’est malheureusement produit est dû à l’enclenchement du contacteur KM4 alimenté par le relais R2 du variateur de fréquence de levage ATV340D45N4E N° de série
405050088717929001. Suite à cette activation non-contrôlée, le convertisseur. de fréquence s’est mis en défaut. L’enregistrement de l’état du moteur électrique de levage à cet instant, montre qu’il se trouvait dans un cycle de fluxage. »

Bon, c’est le moment d’aller dormir…

Le 28…

… où il ne faut jamais sous estimer le potentiel stratégique des clients :

« Euh, et là, si je tombe enceinte, ça change quelque chose pour le calcul des pensions ? Oui ? Bon d’accord, alors.. je suis enceinte ! »

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