Juillet…
… où il n’y a pas que les informations qui transpirent, les dossiers aussi, quand on les entreprend en mode canicule…
Le Ier…
… où le thermomètre se met à grimper, à grimper, à grimper, à l’extérieur ET à l’intérieur.
Le 2…
… où, dans le cadre de la défense de mon client ouzbek incarcéré dans son pays, mon confrère germanique est venu tout extrait de la mère patrie de la saucisse, avec un consultant spécialisé dans les questions économico-juridico-politiques. Enfin, quelque chose comme ça.
Ce brave garçon commence par expliquer la justice suisse, en particulier le Ministère public de la Confédération, n’a rien compris à la substantifique moelle de ce dossier et que, grâce aux documents sur lequel il travaille depuis plus d’un mois, nous allons triompher, ce qui, en langage clair, veut dire que nous devrions être en mesure de convaincre le Procureur de lever le séquestre sur les quelques millions déposés en Suisse.
Ah…
Il brandit alors un rapport alternant des graphiques censés démontrer la duplicité des autorités ouzbèkes, ainsi que les machinations des ennemis politiques de notre prisonnier, et affirmations péremptoires tirées de rapports d’Amnesty International (documents qu’un étudiant de 1ère année trouverait en 5′ sur le net).
Votre serviteur se fait pratiquement insulter, quand il évoque quelques subtilités de la procédure pénale suisse qui, il est vrai, se fiche éperdument, dans un premier temps en tout cas, des connotations politiques liées à un compte bloqué. Seule question qui taraude le Procureur : pourriez-vous démontrer que la provenance de cet argent est licite ? Si oui, merci de me produire les documents adéquats (et non des manifestes sur la corruption et la torture en Ouzbékistan). Si non, passez votre chemin !
Le collègue allemand, visiblement mal à l’aise vient à mon secours et calme l’exalté.
Heureusement, il ne participera pas à la réunion de demain avec le Procureur. En effet, celui-ci, informé il y a quelques jours de la présence de mon collègue et de son conseiller, à mes côtés, il nous a sèchement fait savoir qu’il ne recevra que les avocats.
Eh bien, pour une fois, je suis d’accord avec lui !
Le 3…
… où, canicule oblige, on voyage léger.
L’audience devant le Procureur du Ministère public de la Confédération étant « informelle », on peut faire l’économie du blazer et de la cravate.
Très bon calcul, sauf qu’il ne faut pas oublier d’emporter le kit de survie pour avocat en goguette dans la Berne fédérale, soit en particulier l’abonnement de train demi-tarif et, surtout, la pièce d’identité pour rentrer dans le bunker de la Police fédérale.
Le policier de faction interpellée par ce gaillard transpirant qui se prétend avocat, mais qui ne porte pas les marques distinctives de sa profession (costume, cravate) et qui n’a même pas un permis de conduire sur lui pour justifier de son identité, téléphone l’œil soupçonneux au procureur.
C’est un grand ?
… Oui !
Alors c’est bon, laissez le entrer, je le connais…
Canicule oblige donc, on voyage léger. Mais ce n’est pas une raison pour oublier certains réflexes locaux, avocat ou pas. La porte d’entrée est passée. Il faut encore se plier aux tests du détecteur de terroriste en puissance déguisé en avocat. N’entre pas qui veut dans les locaux de la police fédérale. La sacoche passe au détecteur… Nouveau regard interloqué du policier :
Ach ! Mais, fous afez ein couteau ? ! ?
Euh oui, un couteau suisse…
Ahlala, za n’est pas possibleu d’entrer avec ce matériel, fous defez le laisser au Kapo !
Étonnamment, nous atteignions enfin avec mon collègue allemand la salle d’audition, sans autres péripéties notables.
La séance ? RAS.
Le retour ? Climatisation en panne dans le train. 40° minimums dans le wagon.
Drôle de journée…
Le 6…
… où on entend un Président déclarer tout de go en plein milieu d’une séance qu’il faut faire preuve d’empathie non seulement à l’égard de la victime, mais également à l’égard de l’assurance qui refuse de lui verser des prestations prétendant que son accident n’en est pas un !
La chaleur sans doute…
Le 7…
… où, lors de la plus chaude journée enregistrée depuis que nous sommes dans ces bureaux, on invente un mode original pour transporter les documents jusqu’au secrétariat. On peut les coller sur soi…
Le 8…
… où, dans le dossier tchèque, toujours en stand-by devant le Tribunal fédéral, les collègues de Prague s’impatientent et souhaitent qu’on fasse parvenir aux Juges cinq exemplaires d’un ouvrage retraçant, 25 ans après la chute du Mur, l’histoire de l’économie tchèque, afin de les «éduquer » (sic) !
L’idée n’est pas forcément mauvaise. Dans ce petit opuscule de 200 pages, où l’on m’a obligeamment surligné en jaune les passages concernant notre affaire, on explique très clairement, une fois de plus, que nos clients ont sauvé un pan important de l’industrie tchèque, certes en s’enrichissant au passage, mais que leur action a été totalement bénéfique, alors que, en Suisse, ont leur reproche ni plus ni moins d’avoir escroqué leur gouvernement.
Malheureusement, les juges du TF font du droit, encore du droit, rien que du droit et leur intérêt pour les questions économiques est assez limité. En tout cas, les productions « spontanées » d’ouvrage de culture générale ne sont pas spécialement prévues par le code de procédure pénale et la loi d’organisation du Tribunal fédéral…
Le 9…
… où l’on se rend compte qu’il serait plus facile de défendre la partie adverse, celle-ci n’ayant pas un esprit aussi inquiet et cauteleux que le client.
Celui-ci appelle ensuite d’un courrier résumant un entretien téléphonique avec son ancien partenaire à qui il réclame aujourd’hui 30’000 Fr. à titre de dédite pour la liquidation de leur société. Ledit partenaire a clairement exprimé qu’il ne souhaitait pas faire de procès, même s’il estime être parfaitement droit dans ses baskets avec sa position. Il a exposé dans les grandes lignes pourquoi il estimait ne pas devoir plus de 6’000 Fr., mais est prêt à faire une concession pour « tuer l’affaire ». Il demande simplement qu’on lui fasse une proposition plus ou moins à mi-chemin entre les 2 positions.
Alors, c’est lui qui vous a rappelé ?
Oui…
Et c’est lui qui vous a proposé d’en discuter par téléphone ?
Pas tout à fait. Il m’a appelé et m’a demandé si on pouvait en discuter par téléphone ou s’il était nécessaire de se voir. Je lui ai répondu que s’il était d’accord d’en parler maintenant, au moins dans un premier temps, afin de voir si une solution transactionnelle était possible, nous gagnerions du temps.
D’accord… Mais vous savez, Me., c’est un fin rusé renard ce gaillard là. S’il vous a proposé cela, c’est qu’il avait une idée derrière la tête.
Oui, je pense qu’il voulait m’expliquer pourquoi il pensait avoir raison, nous dire qu’il ne souhaitait pas forcément faire de procès et qu’il fallait trouver une solution. C’est pourquoi, il nous demande de lui faire une proposition, pour voir si c’est possible.
Non, non… Vous n’avez rien compris. Il vous a manipulé, parce qu’il vous a dit ce qu’il voulait bien vous dire.
Euh oui, c’est un peu le principe d’une discussion…
Le 10…
… où le consultant germanique dans l’affaire ouzbèke (voir le 2 juillet) se fend d’un nouveau rapport à transmettre sans faute au Procureur de la Confédération.
Il a contacté un ponte du Barreau de Sa Gracieuse Majesté, spécialisé dans les questions de droit humanitaire, qui a compilé une série de décisions de la Crown Court concernant des affaires où un magistrat aurait été trompé par un état étranger requérant l’entraide et le blocage des comptes.
Il conclut son manifeste en citant le collègue british : ces jurisprudences devraient s’appliquer dans tous les pays de l’UE !
Superbe.
Apparemment, le fait que l’Helvétie ne fait pas partie de l’UE passe inaperçu chez nos voisins, en tous les Allemands et les Anglais ne sont – semble-t-il – pas au courant !
Passons également le petit détail qui devrait avoir (au moins) interpellé le brave QC (Queen’s council), même si nous faisions partie de l’Europe politique et économique, le juridique reste pourtant indépendant. Et cela est valable aussi chez nos voisins.
Bon, soyons gentils avec nos collègues, la canicule fait des ravages aussi chez les juristes, on dirait.
Mais quand même, combien de fois faudra-t-il répéter que 1) la situation politique en Ouzbékistan n’est pas contestée par le Procureur de la Confédération 2) donc inutile de le lui rappeler, il sait 3) l’Etat Ouzbèke N’EST PAS partie à procédure et ne réclame pas les sous bloqués en Suisse, donc les séides du régime ouzbèke n’ont trompé personne en Suisse 4) le blocage a été ordonné par le MPC sur info de l’OFJ à qui la banque, dépositaire des fonds, a annoncé que le bénéficiaire économique (le client) était détenu en Ouzbékistan, ce qu’elle avait l’obligation légale de signaler.
Donc, nous revoilà au point de départ…
Le 13…
… où l’on se lance à corps perdu dans cette semaine de la mort qui tue, puisqu’elle précède le repos du guerrier (traduction : Me faire en route vers le Sud, Luberon en mode apéro et farniente, enfin presque, ou enfin peut-être, si les Ouzbèkes, les radoteuses, les confrères privés de vacances, les Présidents qui devraient en être privés, parce qu’ils prennent un malin plaisir à notifier, juste avant leur départ pour la Grande Motte, force délais péremptoires tombant bien avant leur retour, les fonctionnaires que la chaleur rend obtus, les excités de tous poils, bref la cohorte des gens qui se rappellent à votre bon souvenir uniquement au moment où vous n’êtes pas dispos, re-bref, si tout ce beau monde avait l’extrêmement bonne idée de se concentrer sur le Tour de France et de faire la sieste…
La Grande Boucle, ça calme. Voir pendant 4 heures des gars mouliner, c’est mieux qu’un Lexotamil…
Lààààà, regarde le petit écran…
On peut rêver, parfois…
Le 14…
… où la cliente pour qui on a transmis hier ses coordonnées bancaires (reçues par mail 2 heures plus tôt) à l’assurance pour recevoir son indemnisation écrit à 7h45 ce matin pour savoir si l’argent est déjà arrivé…
Alors là, non Mme, ça ne va pas aussi vite.
Bon, alors quand ?
(Soupir)…
Du 15 au 17…
… où l’on vient tardivement signaler aux followers compréhensifs que l’on est à la bourre pour pouvoir partir le cœur serein sous les oliviers, où le pastaga est déjà au frais…
Le 20…
…où l’on se pointe au bureau, valise fermée, Fairemobile chargée et prête au démarrage dans la rue latérale, histoire de checker le courrier du matin et s’assurer qu’aucune mine n’y est cachée.
Prémonition, fatalisme, allez savoir…
2 pubs, 1 lettre d’un confrère imprévoyant qui demande de lui retourner une déclaration de renonciation à invoquer la prescription, dans une affaire en principe terminée depuis longtemps, et ce jusqu’à vendredi prochain… Mais bien sur, voyons, je prends vite l’avion jusqu’au Açores, je fais signer le papelard à mon client qui se demandera pourquoi je viens perturber sa sieste avec ces soucis terre à terre, je reviens, je vous l’envoie et après je me pose la question si ça vaut la peine de faire rugir le turbo de ma Fairemobile…
Et puis quoi encore ?
Et le dernier courrier, à peine cachée avec une enveloppe d’où pointe une clé USB.
Gagné, c’est la mine.
Une compilation de pièces jusqu’ici restées sous le coude d’un Proc’ fédéral un brin inquiet et qui me demande de lui dire jusqu’au 3 août combien de temps il me faudra pour analyser ces pièces et lui donner une liste d’informations longue comme jour sans apéro…
Le temps de dicter une petite lettre comme quoi je suis déjà parti, jusqu’au 10, à faire signer par mon merveilleux associé et je descends par le passage secret dans la Fairecave pour rejoindre mon bolide !
Du 21 au 31…
… où l’on découvre les joies du Lubéron, entrecoupées de :
- panne de wi-fi
- de conférences téléphoniques au milieu des cricris à propos de la fameuse clé USB
- de l’impossibilité intermittente de se connecter au cloud pour lire les documents diligemment déposés par la secrétaire
- quelques réponses mails mi-amusées mi-jalouses de confrères sympathiques
bref, on profite de finir cette canicule dans un endroit ou on peut se balader en shorts !
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