Septembre…

… où de manière récurrente, les échos du Velvet Underground reviennent hanter les cogitations vespérales…

Le 1er…

… où la météo est en adéquation avec l’humeur du moment et l’on se retient de passer Lou Reed en boucle.

Une cliente promet des documents et demandent si quelqu’un peut rester tard le soir pour les réceptionner. Ben voyons, elle a déjà fait deux fois le coup et n’est pas venue !

Il lui est rappelé que, comme toute Étude de bonne facture, nous disposons d’une boîte aux lettres et qu’elle se fera une joie d’attendre l’arrivée d’hypothétiques documents…

 

Le 2…

… où, miracle !, la boîte aux lettres contient force documents, barrés de signes cabalistiques, d’annotations manuscrites  remarques au stylo rouge et regroupés dans différentes fourre plastique.

On commence donc le jeu de piste pour retrouver le fil du raisonnement.C’est comme lire à l’envers un traité de droit successoral.

En début d’après-midi, un mail de la cliente : J’espère que vous avez trouvé mes copies et leurs explications. Comme ce n’est pas très clair, voici un résumé de ma position…

2 § plus bas, on a toujours l’impression de lire à l’envers le traité, mais sans les syllabes cette fois…

Le 3…

… où nous sommes à la veille du procès de la mort qui tue, demain, vendredi.

La plaidoirie se construit lentement, mais sûrement. Les critiques à l’égard du travail des premiers juges qui ont tranché cette affaire sont tellement faciles et évidentes qu’il faut veiller à ne pas perdre le fil d’un vrai raisonnement.

Mais, pendant ce temps, sur la planète, il s’en passe des choses.

Notre héritière sans héritage reçoit de la main à la main la fameuse plainte qu’elle rechigne à déposer depuis 15 jours contre celui qui l’a soi-disant grugée. Devant ces réticences, le courtier en immeubles qui, pour l’instant, fait les frais de ce fiasco successoral et qui ne la lâche pas d’une semelle, et à 2 doigts de péter un câble !

– Tu entends, Josiane ? L’avocat ne va plus rien faire si tu ne déposes pas cette plainte. Eh bien, moi aussi ! Cela voudra dire que tu nous as menti à tous.

– Madame, écoutez votre ami. Si vous avez quelque chose à me dire, c’est le moment.

– Mais je vous jure, Maître. J’t’jure Alphonse, je vous ai dit la vérité !

Quelques minutes plus tard, ils quittent l’étude et nous pouvons les observer depuis la fenêtre, assis sur la terrasse du café au pied de l’immeuble, l’un en face de l’autre, entra de pianoter sur leur Smartphone, l’enveloppe contenant la plainte posée au milieu. La discussion semble animée entre 2 SMS.

Déposera ? Déposera pas ? Les paris sont ouverts…

Une demi-heure plus tard, un appel du courtier. Il a été déposé la plainte lui-même !

Alea jacta est ! Mais bon, cette plainte, elle l’a signée, mais avait-elle vraiment la volonté, voir la capacité de la déposer ? Nous aurons bientôt la réponse à cette question, mais je ne suis pas sûr qu’elle fera plaisir à entendre.

Et, alors qu’on pense pouvoir enfin se remettre dans le bain, c’est le client du lendemain qui débarque. Complètement paniqué, avec un bloc-notes rempli de questions.

Il faut absolument que nous répétions les questions qu’ils vont me poser. Si on me demande comment je vais, comment je réponds ?

Et nous voilà repartis pour un tour dans le jeu des questions potentiellement possibles et, surtout, des réponses maladroites qu’il faudra à tout prix éviter. Ce n’est que la 3e fois en une semaine que nous pratiquons cet exercice…

Le 4…

… où, cette fois, nous y sommes !

La nuit a été courte, mais je pense que, à sa tête quand il me rejoind sur la terrasse du café, le client a encore moins dormi que moi. Pourvu qu’il tienne le coup…

L’audition commence par une requête de huis clos de la partie civile, à laquelle nous ne nous opposons pas. Il y a d’autres chat(te)s à fouetter (jeux de mot nul et graveleux, ayayaïïï, ça commence bien).

Le huis clos est prononcé et le public quitte la salle.

La Cour d’appel, la Procureure et l’avocat de la partie civile attendent qu’une avalanche de questions soit posée à mon client. Forcément, ils se fondent sur l’annonce appel et les réquisitions de preuve formulée par mon prédécesseur. Tout le monde est pris de court, parce que de questions, il n’y en a pas. Trop dangereux. Le client est sincère, selon toute vraisemblance, mais il a une tendance agaçante à se poser d’emblée comme victime et à pleurnicher sur son sort, certes guère enviable (une accusation de viol, il y a mieux pour faire monter l’ambiance). Et, paradoxalement, plus un accusé clame son innocence, moins les Juges ont tendance à la croire. Mais voyons, l’innocence est une évidence qui doit tellement crever les yeux qu’il est inutile de la rappeler… Donc, mieux vaut qu’il parle le moins possible.

De l’autre côté de la barre, on attendait également beaucoup de questions à la pseudo-victime, dont les contradictions et des incohérences avaient également été vertement critiquées lors de la motivation des réquisitions de preuve. Là aussi, ne pas lui donner l’opportunité de jouer les saintes nitouches effarouchées.

La Présidente : Bon, puisqu’il n’y a pas de questions (vous êtes vraiment sûrs ?!?), vous pouvez plaider votre appel, Me vous avez la parole…

Chaque partie a l’opportunité de plaider deux fois. L’appelant principal (votre serviteur) en premier. Puis la Proc’ et enfin la partie civile. La subtilité de l’exercice réside dans le fait que, comme l’appel n’a pas à être spécialement motivé, les autres parties ignorent dans quelle direction exactement les arguments vont se diriger. Et, du côté de l’appelant, on ne sait pas trop à quels tours (de cochon) il faut s’attendre de la part des  autres qui ont eu tout le loisir de se concerter.

Trois heures plus tard, tout a été dit de part et d’autres. La partie civile, constatant que les incohérences de sa version des faits commençait à effriter sérieusement sa crédibilité, tente de rattraper le coup en déclarant que, finalement, toutes les incohérences de son récit sont bel et bien la démonstration de sa bonne foi !!! parce qu’une menteuse ne donnerai pas tant de détails abracadabrants. Fallait oser. Respect…

La Présidente indique alors que, comme nous sommes vendredi, et qu’il est 13h15, la Cour pourrait ne pas pouvoir rendre son verdict avant lundi matin. Nous serons donc avisés par fax de sa décision, soit aujourd’hui jusqu’à 18h00, soit lundi matin.

Faire comprendre au client que, maintenant, il va falloir attendre.

17h45, toujours rien. Plus personne au bureau, le fax demeure muet…

18h20, clé sur la porte, soudain le fax fait bip !

… et commence à imprimer. Page 1 sur 3 : Cour d’appel du TC, nom des parties, objet de la cause…

…et…. page 3/3 : indications des voies de droit et signatures…

Et la page 2, elle est où la page 2 avec le dispositif de la décision qui envoie mon client en prison… ou pas, hein, elle est où, tidju de rgntidju de ……. ?!?!

C’est un gag ? Une caméra cachée ? Il est où Marcel Béliveau, c’est Surprise, surprise ?!?!

Le fax reste désespérément muet. Appel au TC, répondeur bien sûr…..

Il va falloir attendre lundi, le client va passer un mauvais WE.

 

Le 5…

… où, pour situer, nous sommes samedi.

Mauvaise nuit, hantée par ce fax.

Allons chercher le journal…

Et là, ô miracle, dans la rue, la Présidente de la Cour d’appel en train de faire ses courses.

Oh non Me, dites-mois pas ça, on n’a pas fait ça ?!? Je suis confuse. Rassurez-vous, votre client a été acquitté. Vous pouvez aller lui annoncer la bonne nouvelle, avec nos excuses….

 

Le 7…

… où la décision, complète cette fois, sort du fax à 8h15. Saint Thomas n’aurait pas fait mieux, fallait la voir pour y croire complètement…

En même temps arrive la poste, avec une grosse enveloppe, presqu’un colis, débordant de documents portant des annotations au crayon rouge et un petit mot.

« Cher Maître, vous trouverez dans cet enveloppe quelques pièces que je vous transmets pour appuyer le recours que vous devez déposer aujourd’hui. Ce sont de nouveaux documents dont vous n’avez pas connaissance. Je les ai annotés pour vous faciliter la compréhension, mais ce n’est peut-être pas très clair. Je serai atteignable aujourd’hui entre 12h00 et 13h30. Si vous avez des questions n’hésitez pas ! Bonne lecture… »

 

Le 8…

… où il est temps d’attaquer le courrier en retard accumulé depuis près d’une semaine.

 

Le 9…

… où il faut obtenir le renvoi de l’audience de prud’hommes de demain, la cliente, demanderesse, souffrant d’une altération de son état de santé incompatible avec une comparution en justice.

Les médecins ont de ces formules cabalistiques pour dire « pétage de plomb »…

 

Le 10…

… où, puisque l’audience du jour a été renvoyée, il faut bien trouver de quoi s’occuper, par exemple de circonvolutions procédurales en matière successorale.

Comment lier deux procédures concernant les mêmes héritiers, ligués contre un seul, mais l’une des actions concernent la succession du père et, l’autre, celle de la mère ?

La question est déjà compliquée en elle-même, mais, lorsque l’on se rend compte que les auteurs de référence ont des avis partagés, cela devient kafkaïen…

 

Le 11…

…. où le programme des audiences de la Bénichon à partir de 13heures sera intense…

Menu Bénichon 2015, Le Pérolles, Pierrot Ayer

Tradition oblige, le debriefing s’est fait autour d’une fondue au Vacherin !

 

Le 12…

…. où, l’estomac (un peu) lourd, on a lu de la jurisprudence très indigeste, en attendant dimanche….

Le 14…

… où l’on se rend compte que l’entêtement proverbial des gens de la terre n’est pas un vain mot.

Le client et son fils doit signer une convention avec la partie adverse mettant définitivement fin au litige. Le problème, c’est qu’il ne veut pas signer aux côtés de son fils parce que, dit-il, dans cette affaire, il a déjà assez donné.

L’autre problème, parce que, finalement, ce serait trop simple sans cela, c’est que la partie adverse lui rembourse tous les montants versés en trop pour cette simple signature. En contrepartie, un engagement de lui verser un montant plus qu’improbable dans le futur.

Rien à faire, il n’en démord pas.

Que faire, sinon lui donner une décharge à signer ? Avec ce genre de coco là, demain il aura changé d’avis et ce sera ma faute s’il n’a pas touché son argent : Parce que, Me, vous savez, l’argent je sais que c’est dur à gagner.

Ah bon, première nouvelle…

Le 15…

… où il faut expliquer à un brave couple, obligé de vendre la maison de ses rêves, en raison d’un projet d’aménagement du territoire, qu’il va être très difficile d’éviter à devoir passer à la caisse devant le fisc pour le gain immobilier réalisé dans cette opération.

Me, on ne voulait pas vendre, nous. C’est le promoteur et le syndic qui nous ont forcé.

C’est juste. Et le fait qu’on leur a caché, au moment de l’achat de leur maison, le projet qui était pourtant bien avancé, que, comme par hasard, le patron de l’entreprise à qui les travaux ont été attribués se substitue à la collectivité pour mener les négociations à sa guise, que l’achat de leur maison à un prix défiant toute concurrence est subordonné au retrait de leur opposition au dit projet, etc., etc., ce n’est pas glorieux non plus. Mais voilà, leur maison leur a été payée rubis sur l’ongle largement au-dessus de sa valeur. Et ça, c’est un gain immobilier imposable…

Le 16…

… où l’on reçoit la brève motivation du jugement condamnant une mère de famille un peu vive dans son devoir de correction.

On peut y lire se considérant merveilleux émanant d’une jeune magistrate qui n’a pas d’enfant et qui croit détenir la vérité suprême et le droit de dispenser ses leçons de morale aux pauvres justiciables :

Bien évidemment, le Tribunal ne tiendra aucun compte de la lettre manuscrite écrite par la fille de l’accusée au Juge pour demander de ne pas condamner sa maman, car, à l’époque des faits, elle avait largement exagéré et provoqué sa mère. Il tombe sous le sens que cette lettre a été écrite sur pression de la mère dans l’unique but d’éviter une condamnation méritée…

Bravo ! Ça, c’est de la justice.

Mais où est donc passé l’enseignement des anciens philosophes, des écrivains des lumières ? Madame la Juge de police, vous me copierez 100 fois, non deux 100 fois,  Je sais que je ne sais rien

Le 17…

… où l’on rencontre, pour la préparation de son procès, un jeune braqueur au physique impressionnant,, mais qui, là, dans la salle de conférence, est tout petit dans ses baskets.

L’histoire est assez simple : il avait pour petite amie une accro des casinos qui, bien évidemment, gagnait uniquement le jour de la Saint-Glinglin. Histoire d’améliorer les liquidités, nos braves tourtereaux décident de repérer dans le casino des dames qui gagnent un peu d’argent. Lui, il les attendait à la sortie pour leur arracher leur sac à main et sauter dans la voiture de sa copine qui attendait dans l’ombre, avec le moteur qui tournait.

Le problème, c’est que, autour des casinos, il y a des caméras de surveillance…

Nos Bonnie and Clyde du pauvre se sont donc faits attraper rapidement. La semaine prochaine, il risque d’aller en prison, alors qu’il n’a plus de petite amie, qu’il vit chez ses parents et travaille pour rembourser ses victimes.

Si la procureur en charge du dossier est partie pour faire un exemple, on est mal…

Le 18…

… où l’on se livre à un exercice technique qui, si l’on y réfléchit bien, paraît d’emblée voué à l’échec, du moins dans sa phase initiale.

Un client souhaite faire opposition à un projet de construction d’une déchetterie, déposée par la Ville, auprès de ses propres services d’aménagement. Et, donc, comme la loi le prévoit, la fameuse opposition doit être adressée à… la Ville !

A priori, les arguments du client ne sont pas dénués de tout fondement, même si, bien évidemment, personne n’a envie de voir une déchetterie se construire derrière sa haie de thuyas,surtout qu’un premier projet plaçant la fameuse déchetterie devant le jardin d’un voisin, a déjà passé à la trappe.

Y’a pas à dire, on a toutes nos chances…

Le 21…

… où l’employeur de notre apprenti Clyde Barrow (cf. Le 17….) nous adresse un certificat dithyrambique à son propos.

Le genre de document qui peut faire pencher la balance entre la tôle ou la réinsertion, à condition que les Juges soient de bonnes. Donc plaidoirie prudente, ne les énervons pas inutilement…

La nuit tombe. C’est l’heure où les avocats commencent à piocher dans leur dossier pour y trouver quelques pépites, histoire de rendre leurs arguments plus chatoyants. Enfin, c’est ce qu’on se dit à 23h53…

Pas de miracle pour Clyde, mais le sentiment diffus que ce bougre d’idiot a tout fait pour plaire à sa copine. Et il n’a pas vu les lettres que Bonnie lui envoyait depuis la prison… La Proc’ en charge du dossier à l’époque n’a pas voulu les lui transmettre, les qualifiant pudiquement d »‘inconvenantes ».

L’audience de mercredi promet d’être intéressante, car se sera les retrouvailles entre nos deux ex-tourtereaux. Clyde va continuer à prendre tout sur lui, manière d’expier ou de se faire mal un maximum pour ne rien regretter. Mais elle ? Que va-t-elle décider de faire ? Le trucider ou l’épargner ? Le ton des lettres qu’elle lui a envoyé montre clairement qu’elle sait exactement où frapper. Là où ça lui fera mal. Et, si elle fait ça, il ne saura pas comment réagir autrement qu’en s’enfonçant un peu plus.

Et elle le sait…

Le 22…

… où les tempêtes annoncées se présentent, mais pas de la manière prévue.

En fait, journée tranquille, préparation du procès du lendemain, récapitulatif des déclarations utiles et des dangereuses aussi. Bref, la routine.

17h15 : appel de l’avocat de Bonnie Parker, qui vient simplement aux nouvelles. Petit check-point, R.A.S.

18h20 : en route pour aller suivre une conférence sur l’éthique et la médecine donnée par le Professeur Thierry Carel, un cardiologue mondialement réputé.

18h55 : petite vérification machinale des messages et courriels. Un seul mail, mais lequel ! Mon cher Confrère, je reviens sur notre entretien téléphonique de tout à l’heure. Ma cliente vient de m’appeler. Elle et son ex-ami ont décidé de changer leur déclaration. Ils avouent avoir commis le quatrième brigandage que la police leur impute et qu’ils ont toujours nié jusqu’ici, malgré leurs aveux concernant les trois premiers !

Bon, voilà qui change tout, au lieu de dormir, cette nuit, il va falloir modifier la merveilleuse plaidoirie toute prête et foutre la poubelle le tout aussi merveilleux laïus sur le manque évident de preuves permettant d’imputer ce quatrième brigandage à mon client, la cohorte d’éléments périphériques démontrant l’impossibilité de sa participation et la complainte sur le doute qui doit profiter à l’accusé.

Alors que l’on pouvait raisonnablement tabler sur le fait que le tribunal ne retiendrait pas le quatrième brigandage car il y avait un doute raisonnable à son sujet, ne voilà-t-il pas que les accusés chargent le bateau déjà à deux doigts de chavirer de 25 % de cailloux supplémentaires.

Le client reste le pire ennemi de l’avocat.

Le 23…

… où l’on arrive au tribunal sous une pluie battante à 8h15 pour tenir un conseil de guerre avec l’avocat de la partie adverse et les deux accusés.

Une déclaration commune d’aveu, signée par Bonnie and Clyde sera remis au tribunal. Clyde paraît calme. La tête dans les épaules, visiblement, il n’a pas beaucoup dormi. Bonnie, par contre, fait souci. Elle a l’air complètement à l’ouest, les yeux rougis et jette des regards de biche effarouchée dans tous les sens.

8h30 : l’audience commence. Passé les mondanités de présentation des parties (trois des quatre victimes sont là, toutes des dames âgées, leur doyenne, 80 ans, est sourde comme un pot, le président doit hurler quand il lui parle !), la fameuse déclaration est remise au tribunal et à la procureur. Le président grommelle en la lisant un « mieux vaut tard que jamais ». La procureur relit ces notes de plaidoirie et commence à biffer certaines choses.

Quand vient le moment d’interroger les accusés, le président leur lance : « Pourquoi cet aveu tardif, c’est une stratégie préparée avec vos avocats ? ». Et puis quoi encore ? Rien n’y fera pendant toute l’audience. Le tribunal et le Parquet restent convaincus que les avocats ont arraché cet aveu à leurs clients pour plaider la mansuétude devant le tribunal…

Ça commence bien.

L’audience se déroule plus ou moins comme prévu. Clyde, les yeux rougis, se tourne vers les victimes pour exprimer ses regrets et dire qu’il paiera tout ce qu’il faudra pour réparer ses erreurs. Il n’ose pas regarder Bonnie qui s’agite sur la chaise à coté, épuise le stock de mouchoirs en papier de son avocat et fait des interventions toutes plus malheureuses les unes que les autres.

Impossible de lui faire entendre raison durant la pause, pour qu’elle se tienne enfin tranquille. Scène cocasse où l’une des victimes, qui pourrait être sa mère, tend un paquet de mouchoirs en papier à la donzelle reniflante.

Reprise de l’audience. Réquisitoire de la procureur. Un vrai rouleau compresseur, aucune clémence à attendre de sa part devant ce revirement tardif et manifestement stratégique dictée par les avocats. Bam ! Quatre ans fermes pour les deux. Bam !

La parole est aux avocats. Le saumon en robe noire commence à remonter les cascades de la rivière.

Parlons-en de stratégie, Monsieur le président. Si vraiment c’en est une, c’est une belle ânerie. Nous avions tout ce qu’il fallait pour plaider le doute sur ce quatrième brigandage. Rien ne permettait de le relier directement aux deux accusés. Alors quelle idée saugrenue a bien pu nous passer par la tête pour que nous incitions nos clients à avouer un méfait qu’ils ont toujours niés et qui ne peut que contribuer à aggraver la peine que vous allez prononcer ? Il faudrait que nous soyons tombés sur la tête. Et bien non ! Ce n’est pas une stratégie des avocats de la défense, c’est évident. C’est une démarche stupide de nos clients, à tel point qu’elle démontre bien qu’ils sont sincères et qu’ils veulent vraiment s’amender. Si vous pensez que cela a un sens d’envoyer Clyde en prison pour quatre ans, alors qu’il a un casier judiciaire vierge, qu’il n’a dérapé qu’une seule semaine dans sa vie certes gravement, mais une seule semaine tout de même, et qu’il est évident que s’il n’avait jamais rencontré Bonnie (elle se lève, furibarde, son avocat l’attrape par le bras et la fait se rasseoir), il ne se serait jamais retrouvé devant un tribunal, s’il va en prison, il perd son travail et ne pourra pas indemniser les victimes, alors si vous pensez que les réquisitions du Parquet ont un sens, alors envoyez-le en prison. Sinon, il faut trouver une solution…

Verdict, demain 17h30

Le 24…

… où l’on passe la journée à tourner en rond en attendant de retourner au tribunal pour connaître le résultat des courses.

Une petite pensée pour Bonnie and Clyde qui ont dû passer une mauvaise nuit en attendant de savoir s’ils iront en prison durant les 4 prochaines années.

Finalement, il est temps de se mettre en route sous un superbe soleil d’automne. C’est un bon jour pour mourir comme diraient les apaches…

Dans le couloir de la salle numéro six, les deux ex-brigands, ex-amants, et, bientôt, futurs condamnés attendent le visage fermé.

La porte s’ouvre, on s’installe et le Président commence d’une voix monocorde la lecture du long verdict rendu par son Tribunal en commençant par Bonnie.

Elle est condamnée à une peine de 36 mois, dont six fermes. Entre avocats, les regards se croisent. C’est bon signe pour Clyde. À moins d’une énorme surprise, il devrait être condamné à la même peine.

Il faut attendre encore un peu. La lecture de la décision des Juges sur les différentes conclusions civiles des victimes est interminable.

Clyde attend, résignér. C’est enfin lui. Même peine que pour Bonnie. C’est gagné ! Six mois fermes représentent le maximum que l’on peut exécuter en semi détention. Donc, Clyde pourra travailler la journée et passera durant six mois ses nuits et ses week-ends en prison. Il pleure.

On pourrait penser que ce n’est pas cher payé pour avoir agressé quatre vieilles dames. Mais les Juges ont visiblement compris que ce bougre de brigand d’opérette ne serait jamais passé par la case tribunal s’il n’avait pas rencontré ce poison de Bonnie. Une semaine durant laquelle il a complètement dérapé, selon sa propre expression. Une semaine, quatre brigandages, 36 mois, dont six mois fermes, espérons que l’addition sera sans appel du Ministère public…

Le 25…

… où l’on se remémore l’épisode assez cocasse qui a précédé de quelques minutes le verdict d’hier et qui prouve que certains magistrats ne sont pas dénués d’un certain sens de l’humour, surtout dans les moments de tension.

Hier donc, arrivés au second étage, devant la salle numéro sept, personne ! Nous enfilons nos robes pensant que nous sommes les premiers. Une porte de communication s’ouvre, c’est le président…

Ah, Mes,, vous êtes là, c’est bien. Le verdict sera prononcé dans la salle numéro six. Malheureusement, la salle sept est condamnée… elle…

Mais il ne s’arrête pas là. Avisant un de ses collègues qui sort également par la porte de service, il lui lance : Dis dons, Jacques, tu n’as pas vu arriver le panier à salade des fois ? Il se tourne vers nous avec un grand sourire : Au fait, vous avez dit à vos clients de prendre des brosses à dents avec ? Et il s’en va avec un grand sourire.

Direction à la salle numéro six, avec tout de même le sentiment que les choses ne se présentent pas trop mal, sinon, ce magistrat, toujours très respectueux des parties, n’aurait certainement pas osé faire de l’humour si la prison était au bout du chemin. On ne peut pas en dire autant de tous ses collègues…

Le 28…

… où l’on découvre avec stupéfaction les capacités insoupçonnées des clients pour faire n’importent quoi.

Démonstration :

Étonné de n’avoir aucune nouvelle de la plainte pénale que notre Arlésienne sans héritage avait fini par déposer au forceps (lire le 3 septembre), une petite enquête au bureau du Procureur s’imposait.

Finalement, on apprend que l’affaire a été dévolue au Procureur untel, mais que celui-ci a suspendu la procédure à la demande de la plaignante qui lui a téléphoné 15 minutes après le dépôt du document au Greffe pour demander de mettre la procédure en stand-by jusqu’à la fin du mois…

Comme nous sommes la fin du mois, attendons quelques jours pour voir ce que notre brave cliente va encore inventer…

Le 29…

… ou un client nous apporte un projet de convention pour régler son litige avec son bailleur.

Le bailleur est visiblement fatigué de la procédure. C’est un serpent de mer où son merveilleux locataire lui réclame environ CHF 80 000.–, et lui, pour faire bonne mesure, fait valoir des prétentions plus élevées d’environ CHF 10 000.–, dont environ CHF 60 000.– de loyer en retard que son débiteure prétend avoir payé de la main à la main, sans être en mesure d’en apporter la preuve.

Bref, une procédure kamikaze où les deux parties vont se ramasser, surtout nous. Et avec les frais d’avocat, l’addition sera particulièrement salée.

Et ne voilà-t-il pas que notre merveilleux client dépose tout fiérot un document rédigé par son bailleur, à l’évidence sans en avoir parlé à son avocat (!), où il lui propose de laisser tomber les procédures, de laisser tomber toute velléité d’expulsion,  d’abandonner les frais d’avocat, de retirer les poursuites contre lui, si son locataire impénitent accepte de lui verser la somme de CHF 48 000.–, à raison d’acomptes de CHF 200.–par mois, le tout sans intérêt ! Rapide calcul, il faudra 20 ans pour régler la note…

Et malgré tout, notre client n’est pas satisfait. Il trouve que ça fait beaucoup d’argent, surtout que, précise-t-il d’ici cinq à 10 ans, il aura quitté la Suisse…

– Ce qui veut dire cher Monsieur que vous n’allez rembourser qu’environ CHF 6000 à 12 000…
– Ah oui, vu sous cet angle… Donc, vous pensez que je devrais accepter ?
– Tenez, je vous prête même mon stylo plume fétiche…

Le 30…

… où un client, en détention préventive pour brigandage aggravé commis en bande, envoie une lettre pour demander que l’on intervienne auprès du Procureur pour obtenir sa mise en liberté, car il aimerait continuer à suivre les cours pour l’obtention de son permis de conduire professionnel…

Dans le dossier, toute une litanie d’infractions commises avant l’acte qui a motivé son incarcération, soit le passage à tabac d’un notaire de la place pour lui piquer 200 Fr., en particulier plusieurs infractions au Code de la circulation routière !

C’est clair que le Procureur va être sensible à notre requête…

 

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