Où il est question de détention et de Sophie la girafe…
04/05/2020 § Poster un commentaire
Extrait du Journal @MeFaire du 2 avril 2020…
… où, après avoir parlé du « risque de récidive » selon la nouvelle jurisprudence du TF en mars dernier, notre Haute Cour nous donne l’occasion d’aborder un autre critère de maintien d’un personne en détention avant procès : le risque de collusion.
La singularité de cette nouvelle jurisprudence, qui en fait tout l’intérêt pour ce journal, est que le prévenu est… une prévenue, enceinte de surcroît et qui souhaite que son compagnon et père présumé de l’enfant à naître bientôt assiste à l’accouchement. à une période de l’année où une hirondelle ne fait pas le printemps, voilà qu’on parle de cigogne maintenant…
… et de collusion donc… mot magique qui permet au Juge de rabattre le verrou de la cellule. Pourtant, étrangement, ce n’est pas le terme utilisé à l’art. 221 lit. du Code de procédure pénal. On y lit de manière plus didactique que le détenu doit compromettre la recherche de la vérité en exerçant une influence sur des personnes ou en altérant des moyens de preuves.
Là, on a une femme accusée de trafic de drogue et un futur papa dans la nature, qui est vraisemblablement impliqué dans ledit trafic. Alors que les femmes en prison sont largement moins nombreuses que les hommes (et, là, aucune féministe ne monte au créneau pour revendiquer l’égalité… mwouais, elle était facile celle-là), celles qui sont sur le point d’accoucher derrière les barreaux se comptent sur les doigts d’une seule main. Une cigogne annonciatrice d’un heureux événement c’est trognon certes, mais cela ne pèse pas lourd dans la balance d’un Juge de la détention face à 300 gr. de cocaïne.
Donc, pas de papa à l’accouchement. Mais, alors que les autorités cantonales avaient verrouillé absolument tous les contacts entre les deux tourtereaux, les Juges fédéraux ont tout de même admis partiellement le recours : « Cela étant, compte tenu des circonstances particulières du cas d’espèce, à savoir l’accouchement imminent de la recourante, l’interdiction totale faite à cette dernière d’entretenir tout contact avec C.________ – qui est son compagnon actuel et, selon la recourante, le père de l’enfant à naître – apparaît disproportionnée. Il convient dès lors à titre exceptionnel d‘autoriser la prévenue à faire un appel téléphonique, sous surveillance, à C.________. Afin de limiter le risque de collusion entre les intéressés, ces derniers ont l’interdiction d’évoquer l’affaire en cours et leur conversation téléphonique sera enregistrée et surveillée. En revanche, au vu du caractère sérieux et concret du risque de collusion, il n’y a pas lieu d’autoriser C.________ à rendre visite à la recourante ni à assister à l’accouchement. » Un appel, pas deux…
PS : Bon, OK, les procureurs et les juges de la détention n’ont pas des cœurs de midinettes, ce n’est d’ailleurs pas ce qu’on leur demande. Mais, on peut quand même difficilement imaginer que, si le fameux C est en cavale et impliqué dans le trafic reproché à son amie, il se serait présenté tout sourire, Sophie la girafe sous le bras, à la porte de la prison !
Quel beau gâchis !
11/17/2019 § 1 commentaire
Extrait du Journal @MeFaire des 14 et 15 Novembre, où il faut pas moins de 6 post-scriptums pour analyser la déroute de l’accusé, du procureur et des lésés dans l’affaire de criminalité économique qui agite la Comté depuis 2014
Le 14 donc…
… où l’on obtient la prolongation de délai la plus courte jamais demandée : 1h30.
Une détermination devait être adressée au tribunal jusqu’à 16 heures quant à l’audience du Tribunal pénal économique du lendemain. À 15h58, un mail est adressé au Président, sollicitant une prolongation jusqu’à 17h30 de cette deadline. À 16h03, notre courriel revient avec le sceau du magistrat : accordé !
Ouf, on a eu chaud.
Le 15…
… où l’on croyait naïvement avoir mit le doigt sur un problème juridique bien couillu.
La levée du séquestre portant sur la confiscation du produit de la vente d’un bien immobilier en faveur de l’ex-épouse d’un gérant de fortune accusée de diverses infractions de droit pénal économique. Motivation de la requête, pour laquelle on avait obtenu la veille une prolongation de délai du Tribunal de 1h30 : le Ministère Public (MP) n’a pas démontré que cette somme était « polluée » – selon ses propres termes – par le produit des infractions reprochées au gérant de fortune.
Cela n’a l’air de rien comme ça, mais les mécanismes juridiques mis en branle par ce genre de problème sont plutôt complexes, car il fait intervenir non seulement le droit pénal (confiscation du produit de l’infraction), le droit matrimonial (exécution du jugement de divorce) et le droit des poursuites (saisie des biens de l’épouse demandée par les personnes lésées par les actes de l’époux).
Eh bien, avec notre requête de levée de séquestre, nous sommes battus à plate couture par notre excellent Confrère du bout du lac, qui, au nom du Traité d’entraide judiciaire entre la Suisse et l’Australie, plus particulièrement son article 19, sans vient demander une juste compensation pour ses clients australiens qui, à leurs corps défendant, ont subi à tort les conséquences du tsunami déclenché par l’enquête pénale menée en Suisse contre ledit gérant de fortune !
PS 1 : et le plus interpellant dans toute cette histoire, c’est que, séquestre ou indemnisation, là, n’était pas l’objet principal de la procédure. Il s’agissait pour le Tribunal pénal économique (TPE) d’entériner la procédure simplifiée au cours de laquelle le MP proposait une peine globale de 5 ans d’emprisonnement contre l’accusé, le gérant de fortune donc, solution que ce dernier avait acceptée. Un genre de plea bargain en somme.
Comparaissait donc que ce matin devant le TPE, ledit gérant bien sûr, le représentant du Parquet qui a mené toute l’instruction, les avocats qui représentent les lésés, lesquelles doivent approuver la procédure, ce qu’ils ont fait, mais aussi les avocats représentant les tiers lésés par la procédure et qui, comme votre serviteur et son confrère du bout du lac, venaient demander de manière tout à fait légitime au nom de leurs clients la clarification de leur situation et de pouvoir enfin en finir avec cette histoire.
Contre toute attente, le TPE a très sèchement refusé la procédure préliminaire, considérant, au regard des faits contenus dans l’acte d’accusation, que l’infraction d’escroquerie par métier était réalisée, ce qui excluait une peine minimale de 5 ans.
PS 2 : l’audience a duré environ 2 heures. 5 minutes ont été consacrées à l’audition du prévenu par le TPE, car celui-ci doit déclarer qu’il a bien compris le sens de la procédure simplifiée accepte la peine proposée par le MP dans l’acte d’accusation, ce qu’il a fait. Le reste du temps a été utilisé pour les plaidoiries concernant non pas les actes jugés, mais uniquement la situation des tiers lésés par les actes de procédure.
PS 3 : fin de l’audience 10h30 environ. Le Président nous convoque pour le prononcé du verdict à… 11h45. 1h15 pour décider de l’acceptation de la procédure simplifiée et rédiger les brefs considérant essentiels y relatifs, c’est déjà limite, mais suffisant. Par contre, pour décider de la refuser sur le motif que l’infraction d’escroquerie par métier est réalisée, que la peine est trop légère et que le MP n’a pas fait son travail, c’est trop court. Donc, le TPE avait au minimum sa petite idée avant l’ouverture des débats…
PS 4 : donc, pourquoi perdre son temps à interroger l’accusé pour lui demander s’il a bien compris les tenants et aboutissants d’une procédure simplifiée, s’il est d’accord avec cette manière de procéder et s’il accepte la peine proposée ? Certes, c’est la procédure, mais tout de même… Et que dire à propos des avocats et du procureur que l’on laisse s’écharper sur des questions périphériques pendant près de deux heures, quant on sait déjà que c’est pour des prunes ?
PS 5 : et que dire aussi d’un tribunal qui renvoie accusé et procureur à la case départ d’une nouvelle procédure en annonçant déjà qu’une infraction supplémentaire grave (l’escroquerie par métier) sera retenue et qu’une peine plus sévère sera prononcée ? On appelle ça « préjuger de la cause » et tant le code de procédure pénale que la Convention européenne des droits de l’Homme l’interdisent…
PS 6 ; résultat des courses, cette affaire sensible qui a éclaté en 2014 va encore durer des mois, voire des années. L’accusé, qui entrevoyait la fin de 5 ans de procédure, un futur professionnel possible, malgré le solde de la peine de prison à effectuer, et la possibilité de dire enfin à ses enfants de quoi demain sera fait, se retrouve face à une porte fermée. Le Procureur se fait renvoyer avec pertes et fracas à ses études. Les lésés vont devoir affronter bientôt de nouvelles audiences, ce qui ne les rendra pas plus riches ni ne comblera leurs pertes. Et les « dommages collatéraux « de la procédures, les « tiers touchés », eh bien, pour l’instant, ils ne touchent rien et devront encore attendre longtemps, que le Procureur détermine enfin ce qui doit leur revenir.
Difficile de trouver quoi que ce soit de positif dans ce résultat, même au nom de la justice avec un J majuscule…
La meilleure garantie d’indépendance… vraiment ?
03/03/2019 § 4 Commentaires
Extrait du Journal @MeFaire, du 26 février…
… où le sujet abordé le 8 dans les colonnes de notre quotidien préféré, à savoir : faut-il introduire une réélection périodique des magistrats en lieu et place de leur nomination indéboulonnable fait effectivement couler un peu d’encre.
Mais, bon, au-delà de la liberté d’expression, il est permis de se poser quelques questions sur la valeur de l’avis prétendument autorisé, exprimé au travers du billet spontané de ce jour dans le Courrier des lecteurs, émanant d’un professeur de droit de notre belle université. Celui-ci considère que le travail de nos braves magistrats n’est pas facile (c’est juste), mais qu’ils sont suffisamment consciencieux pour ne pas se défiler et rendre la justice de manière on ne peut plus scrupuleuse, dans le respect du droit des justiciables (là, c’est moins juste). Certes, ils ne sont pas infaillibles (eh oui), mais leur éviter les affres d’un processus de réélection constitue selon lui un progrès dans une société démocratique et la garantie de leur indépendance.
Mwouais ! Belle intervention. On peut tout de même se demander par quel ressort elle est motivée. Est-ce purement désintéressé ou le corps magistral cherche-t-il du soutien dans les strates académiques (histoire d’éviter un quelconque soupçon de tentative de récupération politique) ? La question est ouverte…
Si cette intervention est uniquement mue par la confiance inébranlable d’un académicien dans nos institutions, c’est louable, mais cela montre une nouvelle fois la distance entre la théorie et la pratique.