Mars…
où il faut rester positif, malgré qu’une calamité succède à une autre (qui est loin d’être un sujet clos d’ailleurs vu le nombre de contaminations journalières). Oublions un peu nos Anciens et leurs défaitisme chronique concernant les Ides de Mars. Quelques notes plus légères pour commencer le mois…
Le 1er…
… où il y a des justiciables qui prennent un avocat pour embêter leur prochain. Et puis, il y a ceux qui n’en prennent pas, justement pour pouvoir jouer les candides devant la Justice. Adalbert (prénom d’emprunt) fait partie de ceux-là. Il poursuit de sa prose vengeresse son cousin depuis plusieurs années, aujourd’hui jusque devant la Cour d’appel, où il vient discuter les termes d’un jugement de 1ère instance le condamnant – à juste titre – pour diffamation. Quel est le tort de notre client – le diffamé – dans ce conflit familial XXL ? Ne pas permettre à Adalbert, qui a connu des revers de fortune, de se renflouer au travers du patrimoine de l’hoirie commune, patrimoine destiné à sauvegarder l’héritage ancestral, une demeure historique dont l’entretien coûte une fortune.
Et donc, pourquoi sommes-nous là ce matin ? Parce que le sieur Adalbert contesterait sa condamnation ? Que nenni ! Son unique souhait, martèle-t-il, est qu’une phrase jugée inappropriée soit retirée de la motivation de la décision.
Voilà pourquoi trois juges, une greffière, un avocat (bibi), un huissier et un public clairsemé attendent la fin de la diatribe sous les lambris peints façon Chapelle Sixtine de la salle d’audience du Tribunal cantonal… La procédure pénale permet en effet que l’appelant ne dévoile qu’une fois les débats de la Cour ouverts l’étendue de sa contestation du jugement attaqué. En l’occurrence, vu que la loi ne permet pas d’accueillir ce genre de demande – ce qu’un avocat aurait d’emblée pu expliquer à Adalbert – soit il la retire soit son appel est déclaré irrecevable, puisqu’il ne porte pas sur la condamnation proprement dite.
Belle affaire direz-vous. Pourquoi perdre son temps avec ce triste sire ? Eh bien, parce que les voies de droit sont là pour garantir qu’une décision judiciaire puisse être contrôlée par un organe supérieure. C’est une garantie de l’état de droit et cela sert à protéger le citoyen – même un quérulent mal embouché – contre le risque (toujours existant) d’une erreur judiciaire. Alors, il faut accepter que certains s’en servent pour ne pas laisser sombrer leur hargne dans les limbes des archives judiciaires. C’est le prix (modeste) à payer pour avoir un système qui fonctionne. Mais bon, là, Adalbert insiste, se répète, insiste encore…
Et donc ce petit post pour saluer la patience des Juges de la Cour réunis pour des prunes. Cela mérite d’être souligné, car ils ne sont pas toujours aussi amènes envers le comparant inadéquat. Sa particule aurait-elle eu une toute petite influence ? Qui sait…
Le 2…
… où il ne faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages. Alors, le Greffe qui attend 8h42 pour annoncer que le Président est malade et donc la séance de 9h00 renvoyée…
Mon carrosse entrait dans le parking souterrain de Montbenon, juste sous le Tribunal, quand l’info m’est parvenue.
Le 4…
… où il est permis de penser que l’officier de police qui appelle l’avocat de permanence à 15h23 un vendredi pour une audition dans l’heure qui suit est victime d’un manque de tissu social. Ou alors, il n’aime pas l’apéro…
Le 7…
… où en regardant les images de Kiev au journal télévisé, une immense tristesse nous envahit…
… cette photo a été prise il y a environ deux ans depuis le 7ème étage du siège du Ministère public central ukrainien, lors d’une pause pendant une audience d’instruction dans le cadre d’une demande d’entraide judiciaire internationale.
L’atmosphère dans la ville était paisible. Les terrasses bondées de gens insouciants. La vie normale quoi…
Le 8…
… où l’on apprend la disparition de Dominique Warluzel. A l’attention des plus jeunes, c’était un ancien ténor du barreau du bout du Lac. Mais, pour ceux de ma génération, c’est plutôt « Splendeurs et misères des ténors du Barreau ». Car il y en a quelques autres que l’exercice de la profession a grillé. Preuve que ce n’est pas un métier qui ne laisse pas de traces.
Même s’il avait rangé sa robe depuis bientôt 10 ans, l’ombre de ce plaideur de haut vol continuait de planer sur les Cours romandes. On se souvient de ce style glamour qui l’a fait émarger des prétoires, pour s’adonner à l’époque à la mode encore balbutiante des talk-shows télévisés. Rien à voir avec un Cyril Hanouna. Avec Warluzel, on était plutôt en mode compliment feutré. Mais cette notoriété cathodique lui a valu beaucoup de jalousie. Forcément, l’avocat-animateur TV, copain avec les stars, agace à coup sûr le Confrère englué dans les rubriques de chiens écrasés.
On pouvait aimer ou détester, selon que l’on était admiratif ou envieux dixit Christian Lüscher, dans la TdG. Mais ce qu’on peut retenir de ce Confrère au destin tourmenté (je vous laisse lire dans les médias romands ici et ici notamment, les différents épisodes de sa riche bibliographie, malgré qu’il ait quitté la scène trop tôt), c’est qu’il était de ces baveux capables d’enflammer le prétoire. Et ça, ce n’est pas donné à tout le monde. Et cela méritait bien un hommage dans ce blog.
Le 9…
… où, malgré plus de 20 ans de Barreau, la plaidoirie reste un exercice à part, presque toujours soumis aux mêmes mécanismes, en tous cas pour votre serviteur. Donc, selon l’expression consacrée, les opinions exprimées ici n’engageront que leur auteur. Mais bon, à écouter d’autres compagnons d’armes, lorsqu’ils se relâchent devant une bière après l’audience, les étapes d’une plaidoirie sont assez communs aux sujets portant la robe (dans un prétoire s’entend).
Quand on plaide pour la défense en droit pénal, il est rare de considérer que le dossier est bien engagé. L’accusé a généralement fauté et le Procureur ne l’a pas raté à l’instruction. L’erreur judiciaire reste l’exception. Elle encore plus anxiogène, car si on se loupe, un innocent va en prison.
Et puis, il y a les parties civiles qui se sont engouffrées dans la brèche. Elles ont le droit d’être là bien sûr, et de participer à la curée. Mais leur intérêt peut parfois diverger de la saine mission de la Justice. S’il y a des sous en jeux, par exemple, leur rôle devient biaisé. Elles vont essayer de profiter de la situation pour renflouer leur victime de client, qui peut espérer récolter au pénal ce à quoi il n’a plus ou pas droit au civil. Ah le gueux, voyez comme les manigances de l’accusé ont causé du tort à ce pauvre bougre ! Sauf que, parfois, le pauvre bougre tente – comme aujourd’hui – de balayer sous le tapis ses propres manœuvres douteuses et, quand elles sont découvertes, il joue la carte de la mémoire qui flanche. Ah, en réfléchissant bien, il m’a bien versé CHF 20’000.-. Désolé, j’avais « oublié ». Vous savez, la mémoire…
Donc, pour revenir au sujet principal de ce post, la plaidoirie, le premier sentiment qui guette l’avocat au moment de la préparer est souvent, l’abattement, la résignation. Les faits sont là et ils sont tenaces. Le Procureur va les malaxer à sa convenance et il aura l’oreille du Tribunal, puisqu’il lui présentera un chemin bien balisée vers la condamnation. Et c’est donc déjà un combat contre soi-même de ne pas laisser ce fatalisme prendre le dessus pour le combattre, jusqu’à ce que, à force d’y regarder, des voies médianes se dessinent peu à peu. Parce que la défense, c’est avant tout du travail. Le Diable se cache dans les détails, dit-on, et rien n’est plus vrai. Il faut connaître son dossier, ses failles, mais aussi ses forces – qui se cachent parfois derrière les évidences – pour les exploiter et proposer au Tribunal une autre lecture qui tiendra compte de l’Homme plutôt que du Code dans toute sa rigueur. Vous avez un pouvoir d’appréciation. Utilisez-le ! L’accusé a commis une infraction, mais vous ne pouvez le réduire à sa seule faute. C’est un membre de notre société, un père de famille, un fils… La plaidoirie pénale, c’est aussi un acte d’empathie.
C’est aussi un effort, que l’on espère salutaire, et pour lequel on n’est souvent pas payé de retour. Il y a une part de tripes et, parfois aussi comme aujourd’hui, de la colère. L’accusé a fauté certes, gravement, mais ce n’est pas une excuse pour le menacer, comme l’a tenté une partie civile. Si Mr X ne s’acquitte pas immédiatement au moyen du BV annexé d’une part non négligeable du montant qu’il a reconnu devoir à notre client, il va en prendre pour son matricule quand nous prendrons la parole pour notre plaidoirie (traduction littérale des mots de son avocat dans le courrier qu’il osé adressé quelques jours avant l’audience finale).
La colère est aussi une émotion, avec laquelle il convient néanmoins de garder le plus possibles ses distances. Même si, puisqu’on parle d’émotion, elle peut submerger l’orateur. Le juriste qui a lu « L’esquisse d’une théorie des émotions » de Jean-Paul Sartre sait que la colère « est la solution brusque d’un conflit » mais aussi « une façon de se mettre en état de totale infériorité ». Elle peut néanmoins faire mouche en audience, si elle est vraie, justifiée. Mais si elle est feinte et procède d’un calcul, elle manquera presqu’à coup sûr sa cible. Il faut donc que le Tribunal sache la reconnaître. Chaude ou froide, elle peut servir d’avertissement. Un des acteurs du procès a franchi la ligne. Cela justifie l’incident et remet les pendules à l’heure.
Le problème avec la colère, est qu’elle peut-être perçue différemment par les auditeurs. Les juges laïcs peuvent la considérer légitime et le Président comme un jeu de l’avocat, ou l’inverse. Ce qui est sûr, c’est que si l’avocat est coutumier des coups de gueule virulents, rapidement, plus personne ne s’y laisse prendre. Chien qui aboie ne mord pas…
Enfin, la plaidoirie est avant toute chose un exercice physique. La préparation est en général intense. Le soleil est couché depuis longtemps ou pointe à l’horizon que l’on transpire toujours sur la manière de présenter tel ou tel argument. Il faut arriver au Tribunal en forme (et pas en retard comme votre serviteur ce jour, resté coincé dans les bouchons !), même si, 20 ans plus tard, on entre toujours dans l’arène avec la boule au ventre. Impossible de s’en défaire. La seule chose qui s’améliore, ce sont les stratégies pour ne pas la montrer. C’est uniquement à partir du moment où la parole est donnée à la défense que ça s’arrête. Pour recommencer pendant l’attente du verdict.
Reste toujours que, au sortir de l’audience de plaidoirie, on est lessivé. En attendant pourtant avec impatience la prochaine. Splendeurs et misère des pénaleux…
Le 14…
… où il nous rappelle cette allégorie dans les dessins animés. Il fait beau, tout le monde sourit dans la rue, mais, lui, est triste et marche avec un petit nuage noir au-dessus de la tête. Sur lui, il pleut toujours.
Il est comme ça Ahmed. Toute la misère du monde s’abat toujours sur ses épaules. Là, il divorce. Un mariage de convenance entre deux cabossés de la vie. Elle rentière AI depuis si longtemps, qu’on ne sait même plus s’il y a eu un « avant ». Lui, coiffeur de formation au pays, devenu « technicien de surface » par la force des choses et, maintenant, victime de toutes sortes d’ennuis de santé. Pas étonnant qu’il soit en plus devenu dépressif. Le petit nuage…
Il divorce, donc. Un bien pour un mal vu l’erreur initiale de cassting. Mais non, pas pour lui. Me, ma vie est foutue, je dois divorcer… Mais non, ce n’est pas si terrible, nous avons conclu un accord avec Mme et son avocat. Tout ira bien…
Quelque mois ont passé. On attend du Tribunal la validation de la convention, Me, ma vie est foutue, on n’est toujours pas divorcé. je crois que je vais aller sur un pont et me jeter en bas, j’en peux plus..Mais non, ce n’est rien. Il faut juste attendre la rédaction du jugement dans lequel il n’y aura aucune surprise, puisque tout est réglé dans la convention…
Et on reçoit enfin le Graal, le jugement. Lettre au client. Tout va bien, cher Monsieur, vous êtes officiellement divorcé, dans les termes discutés. Vous voilà rassuré. On en ajouterait presque une brassée de smileys… Appel du client ce matin : Me, j’ai reçu votre lettre, mais ça ne va pas. J’ai recommencé à travailler à 40% et le 2ème jour, un transpalette m’a roulé sur le pied, je suis à l’hôpital…
Soupir…
Le 16…
… où on pose une question fondamentale : les gens qui s’inventent une secte dont ils sont le gourou et dont les seuls membres sont leur épouse et leur fils, qui sont-ils ? Quels sont leur réseau ?
Le 18…
… où il est question d’aide au suicide dans le fil d’actualité du TF, entre deux arrêts sur la procédure pénale.
Une dame âgée – appelons-la Angèle – avait retenu l’attention des médias à l’époque. En bonne santé, avec toute sa tête, elle ne s’imaginait pas survivre à son mari et voulait partir avec lui. Ce qu’elle a fait en 2017. Elle avait rédigé auparavant en 2015 devant notaire la déclaration suivante :
« je ne pourrai supporter psychiquement la perspective de survivre à mon mari et prends dès lors les
mesures qui s’imposent pour faire face à mon désarroi en cas de survie à mon mari. Je demande alors à
B.__ de me prêter assistance pour mettre fin à mes jours dans ce monde, sans délai. «
Le « B » en question désigne une association où est actif un médecin à la retraite. Celui-ci conteste devant la Haute Cour sa condamnation pour avoir délivré l’ordonnance médicale par laquelle Angèle a pu se procurer le produit létal, du pentobarbital de sodium.
Le sujet est délicat, bien sûr. Mais quel est l’intérêt spécifique de cet arrêt ? Eh bien, c’est la première fois que le Tribunal fédéral examine la problématique du suicide assisté sous l’angle de déterminer si, en l’état de la législation actuelle, un médecin peut être condamné pénalement pour avoir prescrit du pentobarbital à une personne ne souffrant d’aucune pathologie, ni physique ni psychique.
Il n’y a pas à dire. Le TF y a mis les formes. 14 pages où l’on fait l’historique sur l’état de la législation, de la pratique médicale et de la jurisprudence à propos de l’aide au suicide en Suisse. Et l’histoire est longue. Elle commence dans le code pénal, qui punit les diverses manières de faire trépasser son prochain.
Il y a tout d’abord la norme de base, soit l’art. 111 CP qui prévoit que celui qui aura intentionnellement tué une personne sera puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au moins, à moins que les circonstances prévues notamment dans les deux articles suivants ne sont pas réalisées. Le premier, l’art. 114 CP, dispose que celui qui, cédant à un mobile honorable, notamment à la pitié, aura donné la mort à une personne sur la demande sérieuse et instante de celle-ci sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. Là, cette disposition ne s’applique pas, puisque le médecin est poursuivi pour avoir prescrit le médicament fatal sur ordonnance. Ce n’est donc pas lui qui « donne la mort ».
C’est l’art. 115 CP qui nous intéresse : celui qui, poussé par un mobile égoïste, aura prêté assistance en vue du suicide, sera, si le suicide a été consommé ou tenté, puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire. Dans le passé, le TF a déjà eu l’occasion de constater que l’assistance au suicide n’est pas punissable sauf si elle est poussée par un mobile égoïste. En outre, l’euthanasie active indirecte (utilisation de substances dont les effets secondaires peuvent accélérer la survenance du décès) de même que l’euthanasie passive (renonciation à la mise en œuvre de mesures de maintien de la vie ou interruption de celles-ci) peuvent aussi selon les circonstances, ne pas être punissables. En résumé, le meurtre sur demande de la victime est donc réprimé par l’art. 114 CP et l’euthanasie active directe (homicide intentionnel visant à abréger les souffrances d’une personne), sans demande de la personne, par l’art. 111 CP.
Mais ici, comme le relève les Juges fédéraux, on ne parle finalement même pas de l’art. 115 CP. La question qui se pose en l’espèce n’est pas celle de savoir si une personne doit pouvoir obtenir du pentobarbital, même lorsque les conditions fixées par la loi et par les directives médicales pertinentes ne sont pas remplies (…), ou si un médecin doit pouvoir prescrire librement – sans engager sa responsabilité civile ou administrative – une telle substance à des individus en bonne santé, c’est-à-dire hors du cadre fixé notamment par les directives de l’Académie suisse des sciences médicales [NdR : ASSM]. Le Tribunal fédéral n’a pas été saisi d’un recours du recourant tendant à faire constater un éventuel droit à prescrire du pentobarbital à C., ni d’un recours de la prénommée visant à obtenir une substance létale afin de se donner la mort. Il s’agit uniquement de déterminer si le recourant pouvait, au vu de l’état de santé de C., être pénalement condamné, sur la base de la LPTh, pour avoir prescrit à celle-ci du pentobarbital.
Le médecin a été condamné, par jugement du 17 octobre 2019 du Tribunal de police de la République et canton de Genève pour infraction à l’art. 86 al. 1 let. a de la loi fédérale sur les médicaments et les dispositifs médicaux (LPTh), à une peine pécuniaire de 120 jours-amende à 100 fr. le jour, ainsi qu’à une amende de 2’400 francs. Donc le TF n’a examiné la question que sous l’angle de cette loi et de la Loi fédérale sur les stupéfiants (LStup), car le pentobarbital est une substance psychotrope soumise à ces deux lois.
Et il finit par conclure, au terme d’une analyse très fouillée que les plus courageux d’entre vous trouveront ici qu’on ne voit pas en quoi la prescription de pentobarbital consentie par le recourant en faveur d’Angèle aurait porté atteinte aux buts de police sanitaire qui ont été assignés à la LPTh. Il ressort de
l’arrêt attaqué que le recourant a permis à la prénommée – qui était en bonne santé, capable de
discernement et décidée à mourir – de mettre fin à ses jours d’une manière moins brutale que celle qui
aurait immanquablement résulté d’une autre méthode de suicide. Enfin, le recourant n’a pas été poursuivi
pour infraction à l’art. 115 CP. Le recourant aurait pu, au regard de la disposition précitée, prêter assistance à [Angèle] en vue de son suicide, en fournissant par exemple à cette dernière une arme, voire une substance thérapeutique non soumise à ordonnance permettant, prise dans des quantités suffisantes, de parvenir au même résultat.
En résumé, selon le TF, une condamnation sur la base de la loi fédérale sur les médicaments et les dispositifs médicaux (LPTh) en raison de la seule prescription d’une substance létale à une personne en bonne santé, capable de discernement et désireuse de mourir, s’avère exclue. Le fait que les dispositions de la LPTh renvoient aux règles émanant de l’ASSM et de la FMH, non contraignantes et
d’origine privée (selon la Cour Européenne des Droits de l’Homme, cf. arrêt CourEDH Gross contre Suisse du 14 mai 2013), ne change rien à ce constat.
Alors ? Les membres du corps médical peuvent-ils désormais sortir leur carnet d’ordonnances sans aucune appréhension si une personne veut en finir, qu’elle qu’en soit la raison ? La Haute Cour ne va tout de même pas aussi loin. La cause doit être renvoyée au canton pour nouvelle décision. A cet égard, il appartiendra à la cour cantonale d’examiner si, sur le plan procédural, une appréciation juridique différente de celle retenue jusqu’ici, en particulier reposant sur la LStup, demeure encore possible. Si tel est le cas, il lui appartiendra encore d’examiner, dans le cadre du CPP, si le comportement du recourant est appréhendé par cette loi.
… ou comment renvoyer la patate chaude à l’expéditeur.
Le 21…
… où une hirondelle ne fait pas le printemps. Et un arrêt du TF certainement pas non plus, pour les automobilistes en tous cas.
Notre merveilleuse Haute Cour avait déjà décrété par le passé, qu’un policier ne pouvait rouler pied au plancher en Ville de Genève, au motif qu’il était en intervention, et invoquer d’état de nécessité pour échapper aux foudres du retrait de permis. C’est raté aussi pour ce tessinois qui a dépassé la limite autorisé de plus de 30 km/h dans un tunnel sur l’autoroute, invoquant que son épouse, assise sur le siège du passager, faisait une crise psychotique.
Le brave automobiliste avait argué qu’il lui fallait rejoindre au plus vite l’aire de stationnement située au bout dudit tunnel, pour calmer son épouse et éviter qu’elle ne se jette hors du véhicule. Il a donc comparé sa situation à celle d’une ambulance.
Des fois oui, mais là non, répond le TF. L’état de santé de l’épouse ne justifiait pas qu’elle soit transférée immédiatement dans un hôpital pour que des soins lui fussent prodigué le plus rapidement possible, car sa vie n’était pas en danger. Elle devait juste être « calmée » (Note : Euphémisme ?). Le TF considère aussi que, si danger il y avait pour les occupants du véhicule ou les autres usagers de la route, ce n’est pas la décision du recourant d’accélérer pour franchir le tunnel qui a changé quoique ce soit, puisqu’il pouvait s’arrêter sur la bande d’arrêt d’urgence avant le tunnel et de manière à ce que son épouse en puisse pas sortir du véhicule. Donc, encore et toujours pas d’état de nécessité reconnu par les Juges fédéraux.
Comme d’hab’, selon nos grands penseurs, le justiciable doit, en toutes circonstances garder la tête froide, analyser posément la situation, examiner chacune des options possibles, et, après, une pesée des éléments en présence, choisir la solution la plus adéquate… Le tout en quelques secondes et sans être stressé. Bref, être aussi calme que Steve McQueen.
Moralité : mieux vaut rouler seul et laisser Madame suivre à pied ! Ou lui offrir un abonnement général.
Le 23…
… où il est question d’audience de conciliation.
Dans la plupart des procédures civiles, elle est obligatoire. Cela veut dire que, si l’on veut faire un procès (civil) à quelqu’un, le 1er round consistera à déposer une requête motivée, puis à se rendre à une séance où l’on ne discutera pas du mérite de la demande, mais simplement de la possibilité de trouver un terrain d’entente pour éviter un procès.
Du point de vue du demandeur, c’est en principe une opportunité de s’arranger et de n’avoir pas à batailler durant de longs mois, voire des années, pour démontrer le bien-fondé de son point de vue. Mais, ça peut aussi consister en un baroud d’honneur, alors qu’il sait que son litige est mal engagé, pour tenter de contraindre la partie adverse à un compromis à vil prix, en lui faisant miroiter la longueur et les coûts importants du procès à venir, sachant qu’il y a de bonnes chances que le juge qui dirige la conciliation viendra immanquablement sur ce terrain.
Et, ce soir, dans cette salle d’audience à l’ombre du Moléson, c’est exactement le second scénario qui se déroule.
Décryptons maintenant brièvement la manière dont le magistrat conciliateur aborde le problème. Très professionnel certes, mais il relève pourtant d’emblée que la réponse, soit la détermination de la partie défenderesse qui a demandé à son avocat d’expliquer les failles de la demande, n’était procéduralement pas nécessaire. Techniquement, c’est juste. Le Code ne la demande pas, ce qui ne signifie pas qu’on n’ait pas le droit d’en déposer quand même une. Car, pratiquement, cela permet à la partie défenderesse de poser à son tour, en amont de la séance, tout le bien qu’elle pense de ce qu’on ose lui réclamer aujourd’hui. Comment peut-on espérer guider les parties vers un accord si on ignore le point de vue de l’un des protagonistes ?
Ensuite, nous n’avons pas échappé à l’avertissement classique quant au risque financier du procès à suivre. Selon la formule consacrée, « il pourrait en coûter au perdant, autant en frais judiciaires que la valeur litigieuse« . Encore une fois c’est juste… techniquement. Mais, toujours pratiquement, comment motiver une partie qui considère, de surcroît avec des arguments solides, qu’elle ne doit plus rien à l’autre, de mettre sur la table « le prix de la paix », si le seul argument est : ça peut vous coûter cher quand même à la fin, alors qu’on est plus que convaincu du contraire ?
La conciliation, comme passage obligé avant de passer au procès proprement dit, est une excellente opportunité offerte par le code de procédure civile. Mais encore faut-il que les magistrats conciliateurs soient non seulement au fait de l’essentiel des éléments pertinents du dossier et aussi prêts à accompagner les futurs belligérants, parfois même individuellement, comme le font certains, sur le terrain d’une vraie discussion.
Le 24…
… où, lors d’un lunch partagé avec les jeunes membres de notre club service, la conversation tourne autour d’une récente affaire et revient l’une des questions classiques.
– Ce doit être difficile pour l’avocat quand le client ne lui dit pas la vérité.
– Pas tant que ça. Chacun a sa vérité. Le client, le juge, même le public. Ce qui est important pour l’avocat est d’examiner si la vérité du client « colle » avec le dossier. Si c’est le cas, on peut vivre avec. C’est à l’accusation de prouver les faits. Et si ce n’est pas le cas, il faut attirer l’attention du client sur les « trous » qu’il y a dans son histoire. Après, c’est lui qui décide s’il veut continuer à s’accrocher à sa vérité. Ce n’est pas la vérité qui est au centre du problème, c’est le dossier. »
Pour paraphraser Marc Bonnant, dans une de ses conférences sur la rhétorique : si on veut, comme avocat, servir la Vérité, c’est que l’on présuppose qu’elle existe. Là, commence l’illusion. Cela présuppose aussi que l’avocat croit la connaître. Là, commence l’arrogance…
Le 28…
… où, parvenu au terme de cette seconde journée sous l’empire de l’heure d’été, les effets du jet-lag se font toujours sentir. L’âge sans doute… Et la FaireMobil nous ramène à bon port dans le crépuscule. … And Heaven stood still…
Le 29…
… où, en référence au billet du 24 ci-dessus, veritas veritatis et omnia veritas…
Illusion ou arrogance ? Comment savoir ?
Notre canard local relate un procès qui illustre bien ce défi sous le titre « Un huis clos mortel à Vuadens« . Une femme de 27 ans doit répondre de l’assassinat de la fillette de son amant de l’époque. Le journaliste relate la froideur de l’accusée qui nie tout depuis 3 ans et les larmes du père. Un enregistrement audio relativiserait pourtant l’image de papa poule qu’il se donne. Chacun des acteurs a donc sa vérité. Les experts sont attendus demain. On parlera alors de vérité scientifique. De tout cela surgira une vérité, judiciaire, énoncée au travers d’un verdict.
Celle qui rassure ou qui prend le risque de fâcher l’opinion publique ? Parce qu’en matière pénale, la seule vérité, c’est le dossier.
Le 30…
… où il est donc maintenant question de vérité scientifique et de profil ADN dans cette affaire sordide qui occupe la Justice de la Comté.
D’après les analyses des experts du CURML de Lausanne – et, là, on parle de pointures selon l’avis de toute la communauté scientifique – deux ADN ont été trouvé dans la pièce : celui de l’accusée et celui du père. Les deux personnes qui occupaient l’appartement, les seules qui ont pu commettre le crime. Mais, deux ADN dans une pièce ne veut pas encore que les deux personnes auxquels ils sont reliés se sont réellement rendus dans la pièce au moment fatidique. Donc, a fortiori, qu’ils soient coupables. La vérité scientifique a ainsi ses limites.
L’accusée nie toujours. Ce qui revient à pointer du doigt le père. Il est démontré que celui-ci a été absent toute la journée, est rentré à 3h du matin et a entretenu une relation sexuelle avec sa partenaire. Puis, les deux amants sont restés au lit, jusqu’au matin et ce n’est qu’à 10h00 que le père a trouvé le corps de sa fille. Les experts donnent une plage horaire assez large s’agissant de l’heure possible du décès : entre 20h30 et 10h00. On n’est pas plus avancé.
Avant de livrer sa vérité, le Tribunal aura à se poser demain une question « collatérale » assez tordue : l’une de ces deux personnes semble-t-elle capable de commettre un acte aussi horrible et de venir s’allonger tranquillement à côté de son partenaire ?
L’affaire se jugera donc uniquement au niveau de l’intime conviction. Étant rappelé qu’il n’y a qu’une accusée. Le père n’intervient dans le procès que comme partie civile. Si elle est acquittée, cela signifiera que le Tribunal désigne le père…
Le 31…
… où ce sont donc deux vérités radicalement opposées qui sont plaidées dans l’avant-dernier acte du procès de première instance.
Celle du Parquet, qui requiert la perpétuité après avoir obtenu la mise en détention avant jugement sur la bases d’éléments forcément jugés solides. Est-ce que ces 1237 jours de « préventive » vont faire la différence ? Ils constituer en tous cas un sacré signal pour les juges. Allez, vous n’avez plus qu’à valider, sans vous torturer avec l’intime conviction. Parce que, dans le cas contraire, si vous acquittez, on aura l’air malin.
Ou alors, celle de la défense. A lire la couverture médiatique du procès, elle a de solides arguments aussi, notamment en relation avec les preuves scientifiques.
On nous dit que le verdict sera rendu le 13 avril… Deux semaines pour décider. C’est long et les effets des réquisitoires et plaidoiries vont inévitablement s’estomper au fil des jours. Surtout que les juges ne vont pas vivre en vase clos pendant ce temps. Ils vont sortir de leur bulle (sans jeux de mots !), croiser des gens, relire les journaux… Bref, il fut un temps où, les débats pliés, le tribunal entrait en conclave et n’en ressortait que lorsqu’il avait décidé, même si c’était au milieu de la nuit. Autres temps, autres mœurs, mais, au risque de paraître pour un « vieux de la vieille », ce système garantissait que le jugement soit aussi fonction des débats et pas seulement du dossier, qui reste le seul élément tangible dans les mains du juge au fil des jours.