Hannibal or not Lecter (suite)

08/29/2012 § Poster un commentaire

Voilà, les vacances de Me faire appartiennent au passé. Break nécessaire et bienvenu, même si les vacances d’un avocat ne ressemblent pas nécessairement à celle de Monsieur Tout-le-monde. Même au bord de la piscine, ‘ordinateur portable n’est jamais loin de la connexion Wifi et les téléphones cellulaires se chargent de rappeler à votre bon souvenir vos collègues, même dispersés dans toute l’Europe. Mais bon, ce sont des vacances ! Et entre deux apéros, on suit l’actualité (judiciaire, forcément) particulièrement riche cet été, notamment avec la dernière ligne droite du procès du Norvégien qui ne voulait pas être pris pour un fou.

Maintenant que j’ai rattrapé le courrier en retard et mis un peu d’ordre dans mes dossiers, je peux à nouveau me consacrer à ma petite marotte, ce blog, et revenir sur un précédent article où j’abordai justement le cas de ce monsieur.

Après des mois de suspense, le verdict est tombé. Si vous lisez ces lignes, c’est que vous vous intéressez un tant soit peu à ce qui se passe sur la toile et, donc, l’issue du procès Breivik ne vous a sans doute pas échappé  : 21 ans, soit la peine maximale possible en Norvège, avec ce lot de consolation pour les victimes : le Juge, en vertu de son pouvoir discrétionnaire et divin, peut décider du maintien entre quatre murs de celui qu’il considère toujours comme une menace pour la société. Sur ce point, le Norvégiens appliquent le même système que d’autre pays prétendument civilisés tel que le nôtre, où l’on rechigne à prononcer la réclusion à perpétuité, même dans les pires affaires.

Je reviendrai sans doute un jour sur la problématique de l’examen de la dangerosité d’un détenu de longue date par un collège – ah, le joli terme –  d’experts, puis de juristes, problème aussi passionnant que le résultat est aléatoire.

Pour l’instant, je suis interpellé par ces juges qui ont déclaré Anders Breivik responsable de ses actes, tout en indiquant, comme je l’ai dit, que, un tel personnage ne ressortirait vraisemblablement jamais de prison, s’il y avait le moindre soupçon qu’il représente encore dans le futur une menace pour la société, ce qui paraît quasiment acquis d’avance, vu la manière dont le Tribunal et son entourage ont présenté la chose aux journalistes.

Alors que le procureur a plaidé l’internement, le tribunal est resté sur le terrain de la raison. Il s’est rangé du côté des victimes qui réclamaient ce verdict pour ne pas faire injure à leurs morts. Mais n’est-ce pas plutôt parce que l’accusé avait déclaré qu’il ferait appel si on le déclarait fou et qu’on l’internait ? Allez savoir ! Un procès en appel aurait coûté des millions au contribuable et ce uniquement pour régler une simple question qui paraît somme toute rhétorique, puisque, dans un cas comme dans l’autre (fou ou sain d’esprit), Breivik restera en principe à vie en prison. Même si l’éventualité d’un calcul stratégique du Tribunal est encore plus dérangeante que celle de savoir si une personne capable de décider froidement de liquider un maximum d’êtres humains peut être décemment reconnue saine de corps et d’esprit, il n’en demeure pas moins que les Juge n’aime pas voir leur verdict attaqué, car ils craignent plus que tout de se faire désavouer par la juridiction supérieure qu’ils espèrent un jour intégrer. Donc, il ne vaut mieux pas traîner trop de casseroles, surtout dans une affaire sensible ou les finances de l’État peuvent être mises à mal. En déclarant Breivik responsable, le Tribunal savait pertinemment que le procureur ne contestera pas cette décision, de crainte d’être à l’origine d’un nouveau procès fleuve. Et comme le principal intéressé a obtenu satisfaction (lui aussi), le sourire aux lèvres et le poing levé, en signe d’ultime défi à la société, on était tranquille.

Moralité, la frontière de la responsabilité et de l’irresponsabilité, dans sa conception judiciaire, reste toujours aussi floue pour le commun des mortels. L’essentiel pour les justiciables est être débarrassé de ce personnage et d’éviter qu’il puisse un jour récidiver. Par contre, pour l’avocat, ce genre de situation est capable de le placer dans un état quasi schizophrénique. Que ce soit dans une affaire d’une telle ampleur ou dans un « petit procès » où l’on juge une épave de toxicomane, coupable d’avoir lardé de coups de couteau l’un de ses camarades, pour une raison obscure, sous l’influence de la drogue, de l’alcool et des médicaments, la question d’une éventuelle irresponsabilité, botté en touche par un juge  considérant que l’accusé, comme tout être normal, auraient dû quitter la pièce où il s’est disputé avec son ami, plutôt que de se saisir d’un couteau et de la frapper, reste centrale. Qu’est-ce qu’un homme normal ? L’acte de Breivik est-il normal ? Peut-on être anormal et responsable devant la justice ? Il semblerait que oui à en croire les juges norvégiens.

Les Juges voient le résultat, la sanction, la satisfaction de la moralité et du justiciable, objectifs louables en soit, mais dont la réalisation évite de se poser des questions. L’avocat, lui s’en posent, bonne ou mauvaise, parfois à tort, mais c’est un besoin viscéral lié à notre mission, celle d’assurer à celui que nous défendons -quel qu’il soit, quoi qu’il ait pu commettre – la meilleure défense possible, même si elle n’est pas toujours totalement objective. Et qu’est-ce que l’objectivité ? Vaste sujet également sur lequel je reviendrai peut-être un jour.

Breivik se montre satisfait du verdict qui l’expédie derrière les barreaux pour le reste de ses jours. Est-ce normal ?

Où suis-je ?

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