Mars…

… où nous voici donc dans le mois du Dieu romain de la guerre. Après la préparation des troupes durant l’hiver, le printemps à Rome annonçait la reprise des batailles. Vaste programme qui présente quelques parallèles avec la vie d’avocat. On prépare ses dossiers pour les audiences à venir. Champ de bataille juridique dont l’issue est presque à chaque fois incertaine. Et avant d’enfiler la robe ces prochains jours, toujours se rappeler qu’il faut se méfier des Ides de Mars, fatals à César, pourtant l’un des plus grands stratèges de tous les temps.

Le 4…

… où ressurgit le fameux cliché que l’avocat ment aux juges, parce qu’il est payé pour le faire. Le cliché est tenace. Surtout auprès de ceux qui croient fermement – pour se rassurer – que la Vérité est unique, alors que, ce métier nous l’enseigne tous les jours, elle est multiple. Et la vérité judiciaire n’est assurément pas la plus objective, car elle obéit à des critères procéduraux très rigides.

Mais, inutile de s’inquiéter. Le doute profite à l’accusé, paraît-il. Beau principe, certes. Mais, il faut savoir que l’on a en face de soi des interlocuteurs qui sont tout d’abord fermement convaincus que, si une personne est assise sur le banc des accusés, c’est qu’il y a une bonne raison à cela. La présomption d’innocence est tout d’abord une présomption de culpabilité de l’autre côté de la Barre. La vocation même de l’audience est de démontrer que l’accusé est coupable. Parce que, si nous sommes là, dans cette salle, ce ne peut pas être par hasard. Il n’y a pas de fumée sans feu est certainement le principe non écrit le plus viscéralement accroché au Code de procédure pénale.

Ces biais cognitifs conditionnent les juges à voir le monde d’une certaine manière et de vouloir s’y tenir coûte que coûte. Et la tâche de l’avocat c’est de se tenir devant des gens très intelligents qui sont au départ convaincus qu’il va raconter n’importe quoi, parce qu’il est payé pour ça. Il faut oser plaider quelque chose qu’ils croient tous faux et, après, démontrer petit à petit que tout n’est pas noir ou blanc.

Défendre et chercher à convaincre que le dossier peut se lire différemment, parce que le dialogue que l’on a eu avec le client éclaire les choses de manière différente, c’est courir un 800 mètres haies, alors que les autres participants n’ont qu’un tour de stade à faire, sans obstacle, jusqu’à la ligne d’arrivée. Il faut d’abord recoller au peloton. Puis, s’installer en tête…

Et donc pour en revenir au postulat de départ que, pour l’essentiel de ceux qui nous écoutent ou lisent les journaux, nous sommes tous des Jim Carrey en puissance, prendre le risque de mentir aux juges serait une grossière erreur. Parce que, s’ils vous confondent, ils ne vous écouteront plus jamais. La clé, c’est la crédibilité. Elle se construit petit à petit par la qualité de l’argumentation qui, contrairement à une autre idée reçue, ne consiste pas (seulement) à faire de jolies phrases.

Aujourd’hui, les cours de management insiste sur la manière logique d’ordonner ses idées. C’est bien. Mais, ce qui compte surtout, c’est d’avoir au moins une bonne idée…

Le 7…

… où l‘audition d’une magistrate à Marseille agite la toile du barreau français.

En prolongement des clichés évoqués en début de semaine (ci-dessus), voilà un autre supposé travers de l’avocat stigmatisé par la fonction judiciaire. Celui d’abuser de la procédure pour tenter d’empêcher le travail de la Justice.

Chez nos voisins, on peut comprendre que le manque chronique de moyens des tribunaux engendre lassitude et agacements, ce qui pousse le juge à considérer que l’avocat s’ingénie à lui compliquer la tâche au lieu de se taire et lui permettre de liquider sa pile de dossiers en retard.

Malheureusement, cette attitude est également largement répandue hors de l’Hexagone.

Il est chaque fois regrettable d’entendre ce genre de reproches dans le landernau helvète. Surtout de la part de ceux sensés faire respecter l’ordre public. A quoi sert-il d’adopter des lois, si c’est pour ne pas les appliquer ? Le serment de l’avocat, que beaucoup de procureurs et de juges ont prononcé avant d’embrasser la magistrature, nous fait expressément promettre de défendre notre client, avec tous les moyens légaux à disposition, y compris si nécessaire la procédure. Ne pas le faire, équivaudrait à une faute professionnelle de l’avocat !

Cette intervention marseillaise n’a rien d’une galéjade. Elle est révélatrice de l’ambiance qui règne dans les couloirs du Palais et pointe sur un malaise récurrent dans le dialogue entre la magistrature et le barreau, dominé par la caricature du baveux traquant l’erreur de procédure pour faire innocenter son client.

A tel point que, lors des rencontres entre Ordre des avocats et représentants de la magistrature, pour faire l’état des lieux de la Justice, les intervenants évitent soigneusement les sujets qui fâchent. Notamment celui de la mission de l’avocat qui, s’il est un auxiliaire de la Justice, n’en est pas moins et avant tout au service de son client, que le Juge doit respecter son travail et s’abstenir de toute attitude négative à son égard…

En conclusion, soulignons que ces quelques ligne ne sont pas un billet d’humeur, mais un constat. Celui que les clichés négatifs sur la profession d’avocat sont aujourd’hui très largement répandus par les politiques en particulier. Preuve en est leurs attaques récurrentes contre le secret professionnel par exemple, pilier de notre activité, qu’ils essaient de réduire à une peau de chagrin en prétendant que les poules seront mieux gardées.

Rien n’est plus faux. Il ne faut pas avoir peur de l’affirmer haut et fort, et le répéter autant que possible. Sait-on jamais, cela finira peut-être par entrer dans la tête du justiciable. Surtout celui qui, heureusement pour lui, n’a encore jamais eu à faire avec Dame Justice. La plupart des gens ont oublié qu’elle est aveugle. Cela n’aide pas quand il faut s’y retrouver dans les méandres du droit…

Le 11…

… où le sens de la formule est toujours une qualité appréciée chez le client.

Certains ont plus de facilité que d’autre, à prendre un peu de recul et arriver à relativiser le sujet qui fâche.

Aujourd’hui, j’en retrouve un avec plaisir. Agriculteur, entrepreneur, officier supérieur et aujourd’hui retraité qui gère son patrimoine, avant de le transmettre à ses enfants. Avec le temps, nous sommes devenus amis.

Une anecdote illustre bien le personnage. Il y a quelques années, quand il était encore très actif dans la défense des producteurs agricoles, il m’appelle depuis son portable. Dis donc, avec quelques collègues, on est venu bloqué la station service Coop de X. On risque quelque chose ? Et je l’entends rigoler.

Là, il veut éviter l’escalade d’une bisbille avec un voisin à qui il a vendu une parcelle. Il n’a pas tout tort sur le fond. Mais, bon, il exagère avec ce qu’il demande… Moi, je vois les choses comme ça et comme ça et c’est correct pour les deux. Merci de me pondre quelques lignes pour lui faire passer la pastille !

Le sens de la formule…

Le 13…

… où l’on discute de la place de la victime dans le procès pénal.

De nos jours, à cause de l’émergence des réseaux sociaux notamment, les termes de plaignant-e ou de partie civile n’ont presque plus cours. Il n’y a plus que la victime.

Ceux qui la défende, dans les médias (et parfois en audience), oublie que la vocation du procès pénal n’est pas d’être axé sur la souffrance de la victime. Le procès est celui de l’accusé. Celui que l’État conduit contre l’auteur (présumé innocent !) d’un fait délictueux. Si punition il y a, ce n’est pas pour soulager la victime (même si cela peut y contribuer), mais pour réprimer le trouble à l’ordre social établi et aux règles de la vie en société causé par le délinquant. La vocation de la sanction n’est pas uniquement punitive, mais aussi éducative.

Dans les procès portant sur des faits à caractère sexuel, la présomption d’innocence se mue presque irrémédiablement en présomption de culpabilité (cf. ci-dessus, le 4). Ce retournement de situation découle la plupart du temps d’un syllogisme factice – qui ferait bien marrer Socrate – selon lequel si la victime a le courage d’en parler et de donner des détails, c’est forcément que tout ce qu’elle dit est vrai. Raisonnement dénué de toute cohérence, mais des magistrats chevronnés tombent régulièrement dans ce panneau grossier.

Les choses se compliquent encore si la partie civile qui se qualifie de victime décide de prendre une posture militante en marge de la procédure pénale, qu’elle disqualifie désormais, pour mieux prendre la Justice en otage. Voyez où j’en suis en dehors du prétoire, vous ne pouvez donc que condamner. Le procès n’a donc pas lieu d’être, puisqu’il contribue à une trahison éhontée du statut « idéalistique » de la victime.

Au-delà de la difficulté pour l’avocat de mener à bien la tâche de défendre l’accusé, on ne peut que constater le tournant socio-culturel que veulent faire prendre au processus judiciaire certains esprits militants, bien-pensants auto-proclamés. Et tant pis pour la garanti du procès équitable dans une société démocratique.

Le 18…

… où l’audition d’un témoin n’est pas seulement destinée à clarifier les faits.

Même si le nouveau code de procédure pénale (CPP) souffle 13 bougies, les vieux de la vieille dont je fais partie – que je le veuille ou non – se rappellent de son prédécesseur.

Pas fondamentalement différent. La Comté n’était pas une république bananière. Mais assurément plus pragmatique. Ses acteurs évoluaient dans un univers procédural moins balisé. Le progrès a certes du bon. Mais nous avons perdu quelques bonnes choses en route.

C’est le sujet du jour : le témoin.

Aujourd’hui, le témoin est la personne qui n’a pas participé à l’infraction, qui est susceptible de faire des déclarations utiles à l’élucidation des faits. C’est dire que le Procureur ne s’intéresse qu’à ce qui concerne précisément ce qui s’est passé et peut être qualifiée d’infractions.

L’avocat s’intéresse – parfois – aux circonstances qui se sont déroulées en amont (ou en aval) de l’instant fatal. Et aussi au regard que porte certains proches sur celui ou celle accusé-e à tort ou à raison. Comprendre, puis pouvoir expliquer, qui sont réellement les gens fait aussi partie du travail de la défense. Mais aujourd’hui le Procureur fasse à une demande d’entendre quelqu’un non directement lié aux faits dont il est saisi fait généralement la sourde oreille.

Là, dans cette salle de police borgne au confort rudimentaire, on entend la maman de mon client, très intimidée d’être en face de ce policier en uniforme et de l’avocat de son fils. Cette audition est faite à ma demande.

Bien sûr, d’aucuns s’exclameront : La maman, voyez-vous ça ! On vous voir venir à 15 km, maître. Une maman, c’est une maman, pas un témoin. C’est cousu de fil blanc votre truc.

Peut-être. Toujours est-il que le Procureur a accepté cette réquisition de preuve. Bon prince ? Un peu sans doute, mais cela prouve aussi qu’il se pose des questions. Nous sommes dans une affaire où l’autre accusé admet avoir consommé des stupéfiants, dont une partie lui était fournie par mon client, le fameux fils. Celui-ci conteste.

Comment en est-on arrivé là ? Simple. Après avoir entendu les explications du fils sur son parcours avec le triste sire qui l’accuse aujourd’hui, il apparaît qu’ils passaient régulièrement tous les deux dire bonjour à la maman et elle a bien vu comment il était complètement cramé par la coke et comment il se comportait avec nous.

Voilà de quoi on parle en cette fin d’après-midi dans les gais locaux de la police. Mais pas que. La maman parle aussi de son fils, comment il voit les choses, comment il gère les situations stressantes. Des informations qui n’interpellent pas trop le policier qui tape consciencieusement le PV. Mais qui permet à votre serviteur de mieux cerner son client et, de fil en aiguille, savoir comment lui parler…

Le 19…

… où l’on s’installe pour une audience de police.

Notre client ne sait pas très bien pourquoi il est là. Votre serviteur non plus, au demeurant.

Lecteurs assidus (et attentifs) de ce blog, vous venez de lever un sourcil interrogateur. Comment est-ce possible que ce brave homme soit entendu dans être au courant des charges pesant contre lui ?

Justement parce qu’il ne comparaît pas devant les inspecteurs comme prévenu, mais comme personne appelée à fournir des renseignements. Nous en avons déjà parlé dans le passé. Le PàdR dans le jargon du métier est cette personne au statut particulier. On ne sait en effet pas encore à ce stade de l’instruction si elle pourrait éventuellement être accusé d’une infraction, soit au terme de son audition, ou plus tard. Et donc, si cela devait arriver et qu’on l’a entendu comme témoin, et qu’il est finalement prévenu, eh bien, tout est à recommencer. Parce qu’un témoin interrogé dans une procédure pénale comparaît seul, sans l’assistance d’un avocat et doit obligatoirement dire la vérité (sinon c’est un faux témoignage punit par le Code). Quant au prévenu, lui a le droit de se taire et même… de mentir. C’est son privilège. Donc, pour ne pas prendre de risque, on a créé ce statut particulier du « témoin assisté ». Il peut comparaître avec son avocat, se taire, ou choisir de répondre à certaines questions et à d’autres non.

L’exercice n’est pas simple. Parce que celui qui est assis ce matin sous les néons de la salle de police se demande à chaque nouvelle question, s’il y a un piège qui se cache derrière. Et il se tourne vers votre serviteur, guettant son approbation.

Comme on s’en doutait (un peu quand même), cette convocation matinale découle d’une plainte pour violation des règles de l’art de construire. Cette infraction (art. 229 du Code pénal) punit celui qui enfreint les règles de l’art en exécutant une construction et par là met sciemment ou par négligence en danger la vie ou l’intégrité corporelle des personnes. La peine prévue peut aller au maximum jusqu’à 5 ans. Ce n’est pas rien.

La personne visée par la plainte est surtout l’ingénieur qui a calculé la statique de l’ajout d’un appartement dans les combles d’un vieux bâtiment. Des fissures sont rapidement apparues à l’étage inférieur et la propriétaire a donc « attaqué » au civil tous les corps de métier concernés, dont mon client, le charpentier.

Comme manifestement cela ne suffisait pas, elle a doublé son action d’une plainte pénale. Pourquoi a-t-elle fait ça ? Parce que, si un des artisans, ingénieurs, architectes est condamné sur le plan pénal, plus besoin de prouver qu’une faute a été commise sur le plan civil ce qui facilite les choses, notamment les discussions avec les assurances.

Cela dit, on ne sait toujours pas trop ce qu’on fait là ce matin. La procédure civile a déjà donné lieu à une expertise qui exclut pratiquement à coup sûr mon client du champ des possibles responsables. Mais le Procureur a donné un os à ronger à la maréchaussée. Celle-ci va donc chercher. Mais pas trop vite.

La plainte date de juillet 2023. Les corps de métier sont entendus depuis le début de l’année avec plusieurs semaines d’intervalle. Hâtons-nous, lentement…

Le 22…

… où l’on discute du futur de l’Etude.

Mais il n’est pas question de recrutement, de profils de candidats, mais… d’informatique.

Qui l’eut crû il n’y a même pas 20 ans de cela. A l’heure de l’intelligence qui est paraît-il devenue artificielle, les choix sont devenus également stratégiques s’agissant de l’évolution de l’infrastructure IT.

Toujours surpris de voir de jeunes confrères venir en audience avec une valise à roulette pleine de classeurs d’où s’envolent des nuages de post-it, avec un simple bloc de papier. Et aussi de passer pour un geek face aux petits nouveaux.

Alors qu’on ne voit quasi plus une feuille de papier sur les bureaux spartiates des médecins ou des architectes, malgré tous les séminaires organisés par la Fédération suisse des avocats (surtout outre-Sarine il faut bien l’avouer), les pc portables sont encore bien rares dans nos salles d’audience. Et il n’est pas rare d’entrer dans un bureau d’avocat, où le serveur trône encore dans un coin de l’entrée, avec le disque dur de sauvegarde posé dessus !

La révolution est en marche ? Pas sûr…

Le 25…

… où sous le ciel aux allures bibliques de la Cour d’appel pénal, deux vérités s’affrontent. L’une subjective, défendue par le Parquet et la partie civile. L’autre que l’on souhaite objective, celle de mon client.

Le terrain est d’autant plus miné qu’il est question de contrainte sexuelle et de viol dans le contexte d’une soirée que les deux participants voulait placer sous un signe résolument SM, après un précédent « galop d’essai » que celle qui va porter l’accusation avait elle-même qualifié « d’hyper cool ».

Un thème qu’elle conteste plus ou moins désormais. Mais les dizaines et dizaines de pages d’échanges Whatsapp récoltés au dossier et précédents les faits ne laissent guère planer de doute sur la nature de la relation que voulait entretenir les deux participants.

On est bien loin de Fifty shades of Grey ce matin dans nos (d)ébats procéduraux.

La tâche de la Cour est délicate. Difficile de juger ce genre d’affaires. Il n’y a bien sûr aucun témoin direct des faits. Donc, les deux versions doivent s’apprécier sur des éléments extérieurs, avant et après.

Et, après, c’est là qu’elles divergent. D’un côté, la vérité de l’accusation, subjective avec son interprétation biaisée des échanges postérieurs à la funeste nuit. Subjective toujours, en tricotant sur l’évident lien de causalité (pourtant non démontré) entre le tableau clinique actuel, forcément la conséquence des exactions subies (alors qu’on élude un passé médical de problèmes cervicaux et de troubles dépressifs).

De l’autre, celle de la défense, plus objective, avec ces innombrables exemples d’échanges crus au style télégraphique basique. Donc, pas besoin d’être un spécialiste de la sémantique pour comprendre qu’on a envie d’expérimenter autre chose que la position du missionnaire. Objective encore quand on avance l’existence admise de par et d’autres d’un safe word, que la plaignante n’a de son propre aveu jamais utilisé, parce qu’elle l’aurait subitement oublié !

Etc., etc.

On pourrait revenir en effet sur une foule d’autres éléments dissonants, dont les juges ont finalement dû aussi tenir compte, puisque l’accusé a été acquitté sur toute la ligne, alors qu’il avait été condamné en première instance. Une longue plaidoirie, finalement couronnée de succès.

Aucun triomphalisme cependant. Une grande satisfaction certes pour mon client , qui, les larmes aux yeux, confiait à l’issue des débats avoir le sentiment d’avoir été écouté pour la 1ère fois depuis le début de cette sombre histoire.

Un dossier tout de même assez particulier. Et pas seulement en raison du contexte scabreux. Quoique… L’accusé qui choisit tout d’abord de changer d’avocat. On peut le comprendre. Mais ce n’est pas le fait d’avoir été condamné en première instance qui lui a fait perdre confiance dans mon prédécesseur. Au dernier moment, celui-ci n’a pas voulu se présenter devant le Tribunal pour défendre son client, et c’est son associé qui a dû reprendre le flambeau. Choquant. L’avocat a charge d’âmes aussi. Ce n’est pas que du papier. S’il ne veut pas mouiller sa chemise, qu’il le dise tout de suite. Pas sur les marches du Palais.

De l’autre côté de la barre, changement de monture également. A l’annonce de l’appel, la plaignante abandonne aussi son avocate, alors que celle-ci avait obtenu la quasi-totalité de ce qu’elle réclamait. Mais, comme la plaignante le dira plus tard, tout le monde lui a dit après le premier verdict qu’elle aurait dû réclamer plus.

Deux circonstances assez étonnantes pour qu’on les relève.

Sinon, aucun triomphalisme donc. Comme souvent, dans ces dossiers qui vous prennent aux tripes, plutôt des sentiments partagés une fois la robe rangée. On se questionne sur l’honneur que retrouvera difficilement l’homme dont cette accusation avait fait perdre son travail (une bonne âme l’avait dénoncé anonymement auprès de son employeur qui avait préféré virer immédiatement son chef de succursale par crainte d’éventuels remous).

On craint aussi les réactions de la plaignante. Tout simplement parce qu’elle s’est placée elle-même dans l’impossibilité de faire face au verdict devant l’auditoire qu’elle a rassemblé en montant aux barricades pour dénoncer les outrages de la procédure envers les victimes de violences sexuelles. A l’annonce de l’appel, elle a en effet commencé à ameuter la presse et le web. Jusque là, rien d’exceptionnel, il y a des précédents. Ou cela c’est désormais compliqué pour elle, c’est qu’elle a présenté à son public, journalistes, amis, thérapeutes, une version assez éloignée des faits, dont le déroulement est décrit de manière assez similaire par ses deux acteurs. Seule la question du consentement diverge. Mais, dans ce qu’elle a choisi de raconter, exit les aventures SM, pour une histoire plus convenue de date avec un presqu’inconnu et qui aurait mal tourné. Prisonnière de cette version à l’extérieur du prétoire, quelle attitude peut-elle adopter ? Parce qu’impossible pour elle de rectifier maintenant ses précédentes déclarations… Sentiment d’impuissance donc, face à une version médiatique que l’on ne pourra jamais corriger. Et de gigantesque gâchis après ces mauvais choix qui l’ont conduit là où elle se retrouve maintenant.

Et maintenant. Cet acquittement sera-t-il porté au Tribunal fédéral ? La réponse à cette question ne m’appartient pas. Mais, ce que je sais, si c’est le cas, cela restera un immense gâchis, quelque soit le résultat.

Le 26…

… où l’on refait gentiment surface après nos aventures de la veille.

Mais pas complètement. Certaines circonstances continuent de m’interpeller. Comme ce double changement de mandataires pour la seconde instance.

Parfois, l’avocat et sa/son client-e, ça ne « matchent » pas. Cela peut arriver. Nous faisons dans l’humain, soit la matière la plus complexe à travailler. Question de confiance, d’éducation, de compréhension, d’humeur du moment, etc… les raisons du « divorce » peuvent être nombreuses. Mais, que cette rupture se manifeste au même moment chez les deux acteurs d’un dossier, c’est beaucoup plus rare.

La nature particulière du sujet est-elle seule responsable ? Probablement pas.

La plaignante a justifié publiquement son changement de défenseur, car elle s’estimait mal informée face aux aléas de la procédure et considérait – après coup – qu’elle aurait pu obtenir plus.

L’avocat de l’accusé quant à lui ne se sentait manifestement pas les épaules, puisqu’il a déclaré forfait juste avant les débats et transmis la patate chaude à un de ses associés…

Ce qui amène au sujet de ce billet. Nous sommes dans un mode où la seule porte de sortie pour l’avocat est l’excellence.

Les politiciens veulent aujourd’hui brider notre secret professionnel, uniquement destiné selon eux à protéger des criminels et non à défendre des libertés. Pour bon nombre de nos concitoyens, l’avocat n’a qu’un but : compliquer la vie de tout le monde et gagner de sommes indécentes sur le dos de ses clients. La concurrence se manifeste par conséquent par toutes sortes de prestataires de service offrant des services juridiques dans des conditions incertaines (celle de la responsabilité notamment). Sans compter la concurrence au sein même de la profession. Chaque année débarque un nouveau bataillon de jeunes juristes qui veulent avoir leur nom sur une plaque, pensant qu’ensuite le prestige du mot Maître suffira. Les fols…

Le monde qui nous entoure évolue à la vitesse Grand V. L’excellence de l’avocat consiste avant tout à s’adapter, tout en restant fondamentalement conditionné par le fait qu’il doit être LA personne de confiance. Et cette confiance, elle ne va pas de soi. Elle se construit au fil du mandat. Rien à voir avec les caricatures de Daumier.

Il ne s’agit pas seulement de respecter à la lettre la déontologie, dont les tribunaux se font parfois hypocritement juges. Les juges sont nos interlocuteurs, pas nos clients. Ni d’être un geek maîtrisant les outils informatiques.

Non, tout cela ne suffit plus. L’évolution de la société n’a d’égale que la complexification des rapports humains. Pas seulement dans les affaires de mœurs, où le discours est devenu complètement biaisé. Dans tous les aspects de la société. L’avocat n’est plus seulement là pour fournir une réponse technique, mais une solution plus globale, qu’il devra souvent détecter lui-même grâce à ses qualités d’empathie et d’écoute. Et, pour prendre exemple sur le dossier de la veille, l’empathie ne s’arrête pas à s’associer aux difficultés de la personne qu’on défend, mais à avoir le courage de lui parler des embûches du dossier, donc des risques encourus, et comment les intégrer dans la procédure, pour pouvoir y faire face.

Toutes ces considérations font un peu donneur de leçons. Mais au fil des années, ces constations s’imposent comme une évidence. Dans son Dictionnaire amoureux de la Justice, Vergès écrivait que tant de gens croient que c’est facile. Qu’il suffit de trouver quelqu’un évanoui à côté du cadavre et couvert de son sang pour pouvoir en déduire qu’il s’agit du coupable. Et les romans de gare, ce n’était pas vraiment son genre !