June of 22…
… où on passe la surmultipliée pour entamer ce mois de juin, façon Steve dans Le Mans…
… donc ça mérite bien un vieux rock cool pour tenir la distance.
Le 1er…
… où l’on se prépare pour l’audience de demain, un bûcheron accusé d’avoir incendié une forêt par négligence.
Une instruction plus que lacunaire, en fait pas d’instruction du tout, soyons clair. Une simple ordonnance pénale, rédigée sur la base d’un rapport de dénonciation anémique de la patrouille de police qui n’est jamais arrivée sur les lieux de l’incendie, car elle s’était trompée de route !
Demain, ce n’est pas que le principal intéressé qui sera entendue par le Juge de Police, ensuite de son opposition à l’ordonnance pénale qui le condamnait, mais ses deux ouvriers, le garde forestier et, surtout, à la demande de la défense, un expert des questions d’incendie forestier venu du Tessin.
C’est bien joli de requérir l’audition d’une pointure scientifique, encore faut-il lui poser les bonnes questions. Et pas seulement qu’elles soient utiles pour un juriste, mais aussi compréhensibles pour lui. Les experts ont en effet une nette tendance à ne pas parler le même vocabulaire que le commun des avocats mortels…
Voilà donc à quoi on s’occupe, alors que la nuit fait son chemin.
Le 2…
… où nous y voilà avec notre petite liste de questions.
Tension pas seulement du côté de l’accusé, mais de la Juge également qui inaugure sa première audition en visioconférence. Comme d’hab’, quelques couacs techniques pour titiller les participants, puis tout fonctionne à merveille. Heureusement, parce que notre expert est intarissable sur son sujet et il est parfois difficile de noter tous les détails qu’ils donnent avec son merveilleux accent latin.
Mais, au final, on retient que notre client ne pouvait prévoir que le petit feu allumé pour lui et ses ouvriers à distance correcte de la forêt, ce matin d’avril enneigé et glacial, allait toucher une racine morte et remonter tranquillement sous la pente pendant 48 heures, pour aller finalement enflammer un tas de bois mort 10 mètres plus haut et mettre le feu à 7’000 m2 d’arbres alentours. Donc, à la poubelle le rapport de la police qui se bornait à dire que, manifestement, le bûcheron avait mal éteint son foyer. Les feux souterrains existent donc a-t-on appris ce jour. Ils sont imprévisibles, surtout dans nos régions humides, et ne pas avoir anticipé un danger aussi méconnu que méconnaissable ne constitue ainsi pas une violation fautive sur le plan pénal du devoir élémentaire de prudence. Acquitté !
CQFD… on a finit à 20h30 quand même.
Le 7…
… où la réplique du jour est : « Je dis ça, je dis rien. Mais faut quand même que mes deux sœurs soient conscientes que, s’il le faut, je me réjouis d’aller devant un Tribunal, pour qu’elles viennent expliquer comment on peut en arriver là aujourd’hui. Cela dit, mon avocat qui me connaît bien, saura comment me calmer pour ne pas en arriver là !
Voilà donc comment on devient – aussi – coach spirituel en droit des successions !
Le 8…
… où il y a une grosse agitation du côté de Bellinzone. On y parle football, mais pas autour du gazon. Nous sommes au Tribunal pénal fédéral (TPF). Pour rappel, cette autorité est une instance judiciaire fédérale décentralisée qui déroge à la compétence ordinairement dévolue au canton en matière de poursuite pénale dans notre système fédéraliste. Elle traite de cas présentant des spécificités particulières comme par exemple les crimes et délits contre des intérêts fédéraux (qui sont commis par ou contre des employés fédéraux, des institutions fédérales ou des personnes protégées par le droit international public, ou qui relèvent de la corruption, etc.), ou des infractions en relation avec des substances explosives et – ce qui nous intéresse particulièrement aujourd’hui – de criminalité économique, de crime organisé et de blanchiment d’argent de portée internationale ou intercantonale.
Car l’ambiance est bien à l’internationale avec des mots-clés comme FIFA, Blatter ou Platini. Autant dire que la concentration de journalistes au Tessin ces prochains jours va faire concurrence au WEF !
L’enjeu pour les deux ex-amis du football international : faire admettre qu’un contrat oral (qu’ils qualifient de gentlemen’s agreement) portant sur une rémunération à 7 chiffres a bel et bien été conclu et n’a rien à voir avec la magouille dénoncée par le Ministère public de la Confédération (MPC).
Tous les avocats vous le diront, le problème avec les contrats oraux, c’est qu’il est difficile d’en apporter la preuve stricte. Ils sont parfaitement licites, mais, à défaut d’un texte plus ou moins clair couché sur le papier, la porte est ouverte aux interprétations diverses. Or, ici, pour diverses raisons qui oscillent entre les théories complotistes et des velléités de faire le ménage dans une institution controversée, la lecture du MPC est très négative (escroquerie, abus de confiance, gestion déloyale, faux dans les titres). Mais, il joue gros aussi dans cette affaire digne d’une finale de Coupe du Monde. Le Parquet fédéral s’est retrouvé dans la tourmente pour ses « rencontres fortuites » avec son big boss de l’époque, aujourd’hui déchu. Ainsi, l’objectivité de l’accusation, déjà sujette à caution en temps « normal » est ici très questionnable.
Le match commence donc aujourd’hui. Les chants de supporters seront remplacés par les réquisitions formelles des avocats, passage obligé et déterminant de ce genre de compétition.
Le 10…
… où il est question de faute justifiant le divorce. Enfin, non, puisque le droit suisse du divorce a été modifié voilà belle lurette, et qu’il n’est plus besoin de rechercher l’époux à blâmer pour lui faire supporter le poids financier de l’échec de l’union conjugale. En réalité, ça, c’est le point de vue du juriste. Celui du conjoint outragé est légèrement plus émotionnel. Très légèrement…
Ainsi, outre le fait de tromper sa meilleure moitié, vivre honteusement à ses crochets ou mener une vie de patachon, nous découvrons ce vendredi par la magie des dossiers un nouveau motif de désunion jugé irrémédiable par sa « victime » : ne pas savoir couper correctement une focaccia ! Toute connotation transalpine serait bien évidemment fortuite perbacco !
Cela dit, chers Confrères français, vous qui faites encore survivre la faute dans les procédures de divorce, vous auriez là un merveilleux cas à plaider.
Le 14…
… où tempus fugit, mais pas de la même façon pour tout le monde.
Parmi les aléas qui font la splendeur et la misère du métier d’avocat, le temps est l’un des plus difficile à maîtriser, même depuis l’invention d’Outlook. Bon nombre de Confrères d’ailleurs refusent d’abandonner leur bon vieux agenda papier. Vous avez beau leur parler de sauvegarde et de cloud, Houlaaa, on ne sait jamais ! Bien, bien, mais si vous le perdez ? Ah…..
Nous vivons donc sous le joug du Père des Heures, Cronos, dont soit-dit en passant le casier judiciaire est plutôt chargé, puisqu’il a été accusé d’avoir boulotté ses enfants ! Bref, les délais, les « DJ », derniers jours pour…, il y a largement de quoi perdre le fil… du temps.
Mais l’un des aspects à ne pas négliger est que, si l’avocat a appris à vivre avec le temps, ce n’est pas le cas des clients, qui supportent notamment difficilement – on les comprend – les pauses entre les étapes de leur procédure. Surtout quand on attend une réaction d’un Juge. Contrairement à une idée reçu, l’avocat n’a quasiment aucune influence sur leur rythme de travail, sujet quasiment tabou. Il préfèrera donc toujours ne pas aller trop titiller le magistrat qui dort. On ne sait jamais, il pourrait se réveiller fâché.
Voilà ce qui nous amène à ces considérations temporelles ce mardi, particulièrement significatif de cet aspect de #laviedavocat, même si l’agenda est plutôt calme pour un jour de juin. Il y a ce jeune homme pris dans une affaire de stup. Il risque gros, mais insiste quand même pour relancer le procureur, silencieux depuis plusieurs mois, parce qu’il voudrait bien savoir si c’est les barreaux qui l’attendent. On le comprend aussi, mais, en ce qui le concerne, tout le temps qui passe, sans qu’il attire l’attention de la Justice parle en sa faveur. Et celui qui demande à nouveau si nous avons commencé à rédiger le recours, alors que nous n’avons pas encore reçu le jugement…
Mais bon, il y a aussi ceux sur lesquels le temps n’a pas de prise. Comme ce brave garçon qui vit dans la rue et dont la curatrice nous a demandé de lui donner un coup main. Il faut dire qu’il a un don pour les galères assez prononcé. Vous n’oubliez pas la séance de mercredi prochain, hein ? Lui Oui oui, ça ira…
Le 15…
… où il est question de chiffres et de peine requise.
A l’issue de la 1ère mi-temps du procès FIFA, le Procureur de la Confédération a donc requis une peine identique de 1 an et 8 mois avec sursis contre les deux accusés, Sepp Blatter et Michel Platini. Rappelons que les deux ex-dirigeants de la planète foot sont accusés d’avoir escroqué la FIFA en obtenant pour Michel Platini un paiement qualifié d’injustifié de 2 millions de francs.
1an et 8 mois = 2 millions… Pourquoi pas 2, 3 ou même 5 ans ? Ou moins… Selon quel mixologie le Parquet fédéral parvient à arrêter un telle proposition qui serait selon lui la juste peine à infliger si les deux hommes sont reconnus finalement coupables le 8 juillet prochain ? Bien sûr, la défense se concentrera dans les prochains jours à démontrer l’absence de toute culpabilité et s’emploiera à établir, sinon justifier, le fameux contrat oral litigieux. Et avant elle, la FIFA, partie civile un brin forcée par la tournure des événements, fera valoir son point de vue de lésée, forcément biaisée au vu des bisbilles internes de l’institution. Mais, pour l’instant, concentrons-nous sur un petit décryptage de cette phase du procès : les réquisitions de peine du Procureur.
Les deux plus-puis de nouveau-copains sont accusés d’escroquerie et de faux dans les titres pour avoir « volé » 2 bâtons. Bien. Mais ce n’est pas un simple vol au sens populaire, puisque la définition pénale de cette infraction concerne celui qui, pour se procurer ou procurer à un tiers un enrichissement illégitime, se sera approprié une chose mobilière appartenant à autrui (art. 137 CP). L’un (Sepp) est poursuivi pour avoir puisé dans sa caisse, l’autre (Michel) pour avoir participé ou favorisé la combine, dont il bénéficie. Parmi les infractions contre le patrimoine à disposition pour qualifier d’illicite leur comportement, l’accusation a choisi l’une des plus graves : l’escroquerie (art. 146 CP). C’est aussi l’une des plus délicates à démontrer, soit le fait – selon notre compréhension, puisqu’on n’a pas lu le dossier – que, dans le dessein de procurer à un tiers (Michel) un enrichissement illégitime, Sepp a astucieusement induit en erreur une personne (la FIFA) par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais, ou l’a encore astucieusement confortée dans son erreur et déterminée à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires. Ici, tout tourne finalement autour de l’astuce (le contrat), qu’il incombe au Procureur de « démonter » (et peut-on lire dans les médias, il s’y est employé pendant 5 heures, preuve que les faits ne sont pas aussi évidents que ça !). Et si on prouve que c’est une combine, l’infraction de faux dans les titres (art. 251 CP) suit dans la foulée, puisqu’il y a eu inévitablement des écritures comptables, le temps des « valises » étant révolu.
Voilà pour les contraintes liées aux infractions. Maintenant, passons à la peine requise. Escroquerie ou faux dans les titres, même combat : peine maximale de 5 ans. En plus, elles entrent en concours (art. 49 CP), puisqu’elles ont forcément dû être commises ensemble pour parvenir au résultat, ce qui implique une peine d’ensemble théoriquement envisageable de 7 ans et demi. Là, nous avons 1 an et 8 mois pour 2 millions, soit largement moins que la moitié.
Donc, ça vaut combien 2 millions ?
Nous voilà en face de l’une des principales caractéristiques du droit pénal. Ce n’est pas le résultat que la société, représentée par le Tribunal pénal fédéral, via le procureur – qui tient donc le rôle d’accusateur public – doit punir, mais la manière, donc la gravité de la faute. Et, là, c’est l’éternel débat éthico-juridique, sur ce que valent de gros sous face au commun des mortels, au devoir de sauvegarder l’institution dont on est le dépositaire, face à une certaine idée du système du sport spectacle dans le cas présent aussi. Les avis divergeront inévitablement. Les procureurs aussi, ce qui explique la différence qu’il peut y avoir d’une peine requise à l’autre, même devant la même autorité avec le même procureur. Aucun dossier ne peut se comparer à un autre. Fort heureusement, le tribunal fédéral s’est toujours refusé à toute forme de tarification, pourtant réclamée par les zélateurs de la société bien pensante, pour qui sanctionnez, sanctionnez, il en restera toujours quelque chose.
Un autre facteur n’est – ici comme ailleurs – pas à négliger. Les pénalistes savent aussi que, bien souvent, on met un peu la charrue avant les bœufs une fois arrivé dans la salle des délibérations. Normalement, la Cour devrait décider d’abord de la peine et ensuite examiner si elle est compatible avec un sursis complet (jusqu’à 24 mois), ou partiel, auquel cas, elle ne doit pas dépasser 36 mois. Mais, dans la tête de beaucoup de représentants de la Justice, impossible de ne pas se demander pour commencer si tout « ça » mérite de passer quelques temps derrière les barreaux. Partant, en fonction de la lumière rouge ou verte qui s’allume dans un coin de leur cerveau, la suite de la réflexion est conditionnée par cette première pierre posée. Et c’est aussi bien comme ça.
Donc, au final, d’un côté, vous pouvez comprendre que le processus de fixation de la peine (que le procureur estime d’abord au terme de son réquisitoire, puis que le tribunal fixe, en fonction de ce qu’il retient de son raisonnement) obéit certes à une certaine logique, mais qui est réinventée à chaque nouveau cas. De l’autre, 1 an et 8 mois pour 2 millions, alors que la peine théorique pourrait largement dépasser les 36 mois, on ne comprend pas trop. Ou que trop. 5 heures pour démontrer une seule escroquerie, même subtile, c’est beaucoup. Comme déjà relevé plus haut, les faits à considérer ne sont à l’évidence pas aussi cristal clear que le procureur prétend, alors que l’on sait déjà que le contexte est un peu tiré par les cheveux vu les luttes intestines chez celle que l’on prétend aujourd’hui lésée. Dans ces circonstances, souvent l’accusation tente un petit coup de bluff pour « sauver » son dossier, en suggérant l’air de rien : Mesdames et Messieurs du Tribunal, vous avez comme moi que les faits ne sont pas aussi pénalement qualifiables qu’on le voudrait, mais ce qui s’est passé reste très discutable sur d’autres plans. Alors, vous pouvez les condamner sans vous faire de mal à une peine très très mesurée qui ne les envoie pas à l’ombre, histoire de marquer le coup et votre désapprobation morale, éthique ou ce que vous voulez. On verra bien, s’ils font recours, ce que l’autorité supérieure en dira. Elle réfléchira peut-être comme vous. Mais, si elle vous désavoue, au moins, vous leur aurez déjà donné une bonne leçon.
Donc, la seconde mi-temps sera disputée, la défense n’étant pas dupe de ce genre de petit stratagème parquetier. Et, quand la ruse est trop évidente, les Juges préfèrent souvent jouer la prudence. Personne n’aime se faire taper sur les doigts s’il peut l’éviter…
Le 16…
… où, avant que la défense ne prenne la parole au Procès FIFA, la partie « plaignante » s’est exprimée jeudi.
Sans surprise – avait-elle le choix ? – son avocate relaie le point de vue du MPC. Comme il n’y avait pas de base à de tels honoraires, il y a bien eu astuce. Elle réclame donc – c’est logique – le remboursement des quelques 2,2 millions de francs versés à Michel Platini, versement indû, puisque ce paiement n’aurait pas été mis à l’ordre du jour, ni mentionné ou discuté dans les couloirs du temple du football mondial.
Bien, bien. Mais il y a un hic. Quelques jours plus tôt, un témoin a fait des déclarations qui ne vont pas vraiment dans ce sens. Et pas n’importe quel témoin. L’ex-chef des finances de la FIFA, Markus Kattner a déclaré devant la Cour du TPF qu’il était «convaincu de la légitimité du paiement».
Nul doute que cette contradiction assez interpellante va être relayée demain.
Le 17…
… où, suite et pas encore fin du procès FIFA, sans surprise donc, la défense de Sepp Blatter a demandé un acquittement pur et simple.
L’argumentation tient en quelques mots : la FIFA n’avait aucune raison de verser 2 millions sans motif valable. Elle pourrait sembler un peu courte, si elle n’était pas relayée par un élément difficilement contournable et dont la crédibilité semble indiscutable. Lorenz Erni, l’avocat du Haut-Valaisan, s’est bien évidemment référé au témoignage de l’ancien directeur financier de la FIFA, Markus Kattner, selon lequel il n’y avait pour lui aucune raison ou indice lui permettant de douter de la légitimité de ce paiement qualifié aujourd’hui de déloyal (cf. le 16 ci-dessus).
Rappelons que, sur le principe, le TPF devra se déclarer convaincu, au delà de tout doute raisonnable, qu’il n’y a aucune chance, mais alors vraiment aucune, pour que ce paiement puisse être justifié sur une base contractuelle, pour prononcer un verdict de culpabilité. Et ce ne peut-être que tout ou rien. Donc, alors que les deux principaux intéressés déclarent de concert qu’il y avait un gentlemen’s agreement oral (admis en droit), que le caissier en chef confirme que l’accord et le montant sont ok, les Juges fédéraux devront disposer des éléments nécessaires tirés du dossier pour démontrer que tout ce petit monde ment effrontément.
Mais pourquoi pas me direz-vous ? Remarque pertinente. C’est pourtant là que le bât blesse semblerait-il.
Tout d’abord, aucun secret n’entourait le paiement selon Lorenz Erni. Plutôt étonnant, car si la transaction est « fictive », c’est en général l’inverse. La demande de Michel Platini a été signée par Sepp Blatter et a ensuite été traitée par le département financier de la FIFA et ses employés, comme d’autres paiements d’ailleurs, ce qui est donc un autre indice de son bienfondé.
Ensuite, s’ils mentent, le TPF devra expliquer pourquoi et quel était le but de la manœuvre. Selon ma compréhension des retours journalistiques, l’acte d’accusation du MPC ne donne peu ou pas d’infos à ce sujet. Donc, entre autre chose, il manquerait le mobile. Beaucoup de bruit a été fait à l’époque sur le fait que ce montant était en réalité un pot-de-vin pour soutenir et faciliter les réélections à venir. Très bien, mais encore faut-il l’établir et ça c’est le boulot de l’accusation de démontrer la réalisation des conditions des infraction qu’il dénonce. Sinon, c’est un peu comme en matière d’homicide : si on n’a pas le cadavre, on est mal…
Avec son talent habituel, Me Erni a résumé son point de vue : « Je me suis sérieusement demandé si je pouvais vraiment passer plus de cinq minutes sur ma plaidoirie. (…) L’accusation portée contre M. Blatter par le MPC est tellement absurde (…). Il est si clair qu’il peut être démontré en quelques minutes que seul l’acquittement est possible. » Deux heures de plaidoirie quand même. On est perfectionniste ou on ne l’est pas. C’est tout de même bien moins que les 5 heures qui ont été nécessaires au Procureur pour établit son point de vue (cf. le Le 15… ci-dessus)
Le 20…
… où, sans surprise à Bellinzone, la défense de Michel Platini rejoint celle de Sepp Blatter.
Acquittement sur toute la ligne requis donc. A lire les médias, Numéro 10 ne botte pas en corner et enfonce le clou du complot visant à l’écarter de la course à la présidence de la FIFA. Une explication qui en vaut une autre, tant cette organisation supra nationale, qui a assez d’influence pour arriver à organiser un match dans une zone de guerre, touche à des intérêts qui dépassent largement le simple cadre du sport.
Suite et fin le 8 juillet.
Le 21…
… où, comme on a l’habitude de travailler avec un léger fonds sonore en arrière-plan, on se demande ce que c’est que cette musique assourdissante qui envahit le bureau ?
On change la playlist sur Spotify. Rien à faire, ça continue et de plus en plus fort. Le téléphone sonne, c’est tout juste si on l’entend. Compris, nous sommes le 21 juin. Merci à la programmation sur la scène installée juste sous nos fenêtres, nous sommes aux premières loges, mais c’est 15h00…. On aurait pu commencer plus léger, non ?
Le 22…
… où il arrive que certaines parties se retrouvent désespérées en pleine audience. Parfois, ce sont leurs avocats, ou les témoins. Le Juge c’est plus rare.
Nous sommes ce matin dans le somptueux tribunal de la Baie de Lôzan pour la 3ème audience dans un litige de constructions « XXL ». Au vu des épisodes précédents, la matinée promet d’être longue.
11h10, alors que l’audition de notre contradicteur se termine et que le greffier s’apprête à imprimer ses déclarations pour qu’il puisse les relire et les signer, paf, la lumière s’éteint dans la salle ! Quelques secondes de saisissement. Le Président : Ah, je n’ai plus d’écran ! Le Greffier : Moi si, c’est bon. Mon Confrère de la partie adverse : Dites-moi pas qu’on a perdu les 2 heures de PV ?!?
Avant que le magistrat puisse lui répondre, la lumière revient, partiellement.
Impression du PV, signature du quidam. On passe aux témoins encore à entendre.
Le Président nous informe dans la foulée que des travaux de conformité sur le système électrique de la vénérable bâtisse sont en cours, mais bon, on sent une légère pointe d’agacement à l’égard des électros qui ne sont semble-t-il pas au fait des contraintes judiciaires, voire plus vraisemblablement qui s’en fichent carrément.
11h25, audition en cours du 1er témoin, rebelotte. Cette fois, plus de lumière ni d’écran pour le Tribunal. Le Président atterré essaye de biper l’huissier, mais bon, comme il n’y a plus de courant… Celui-ci, plongé aussi dans l’obscurité dans l’antichambre de la salle d’audience, vient tout de même voir ce qu’il se passe à côté.
Le Président, dont on sent qu’il commence à transpirer sous sa robe, et pas à cause de la chaleur estivale : Mais dites-leur d’arrêter de couper le courant, qu’on puisse finir. ! L’huissier repart donc signifier aux câbleurs que Dame Justice travaille et qu’elle a besoin d’énergie pour ce faire.
L’audition se poursuit. Il est presque midi et… paf ! Nouvelle coupure. Le Président : Mais c’est pas vrai. Qui a autorisé de faire ces travaux pendant qu’on travaille. C’est pas possible ! Nouvelle mission à l’huissier : signifier aux électrologues qu’ils remettent du jus et qu’ils ne touchent plus à rien.
La lumière revient donc, les écrans aussi, mais pas l’imprimante cette fois. Le Greffier, après le redémarrage laborieux de son ordinateur, le constat que l’on a juste perdu la dernière minute des déclarations de la personne auditionnée (ouf !) : Là, mon ordinateur me demande de réinstaller le pilote d’impression…
… il est 13h10. L’audience a pu se terminer tant bien que mal. Le Président s’essuie le front : J’ai aussi séance cet après-midi, si ça continue comme ça….
Le 24…
… où, comme le client devrait, au mieux, se montrer quelque peu « sceptique », si on lui dit que le projet d’ouverture d’action devant le Tribunal n’a pu lui être envoyé comme convenu, ce vendredi, parce que « notre secrétaire a dû prendre congé aujourd’hui pour raisons familiales et Me Isotta indisponible, car elle a dû amener son compagnon aux urgences pour la bonne et simple raison qu’il avait été mordu par le chat », alors que c’est la stricte vérité, un simple mail invoquant un imprévu de dernière minute a été jugé préférable.
Cela dit, la victime du félidé va mieux, septicémie stoppée et opération sous narcose complète pour réparer les dégâts causés par la morsure sur l’avant-bras…
Le 27…
… où cette journée est placée sous le signe de la défense numérique.
Client à Puerto Rico, confrère à Barcelone, Tribunal à l’ombre du Château, votre serviteur au bureau, devant son écran.
L’audience virtuelle fait suite à deux heures de mise au point sur tous les aspects saillants du dossier le matin. Pas pas trop tôt quand même. Il est 5 h. du mat’ pour le client, qui a de petits yeux. Elle va durer plus de trois heures et demie, quand même.
Le constat final est intéressant.
La communication à distance a permis tout d’abord à l’avocat de pouvoir échanger rapidement avec le client et son Confrère à propos des documents importants à prendre en considération, et d’obtenir par le biais du partage d’écran toutes les informations pertinentes.
Ensuite, la Justice a pu rapidement mettre en place une audience et un consensus entre les parties a pu s’élaborer en direct, dans un intervalle beaucoup plus rapide que s’il avait fallu suivre les canaux habituels de communication.
Seul bémol, malgré la chance d’avoir un bon contact avec le client – jamais vu en chair et en os – difficile de « prendre la température » de l’audience à mesure de sa progression. Même si la Présidente a parfaitement su poser le cadre et guider les débats, la partie adverse échappait parfois au champ de vision de la caméra, comme un des juges, qui s’exprimait à l’occasion ou posait des questions.
Conclusion, la « défense numérique » représente clairement un avantage dans certaines situations, afin d’éviter notamment que le processus judiciaire ne s’enlise à cause de la distance. Par contre, l’amélioration doit clairement porter sur le matériel équipant les salles d’audience. Par exemple, sans que ce soit Houston, notre salle de conférence est équipée d’un écran, dotée d’une caméra qui recherche, cadre et suit la personne qui s’exprime. Car, pour que la Justice puisse couvrir correctement les situations, il faut que tout un chacun puisse avoir une perception identique de ce qui se passe dans l’arène.
Moralité : avant de vouloir acheter une tablette à chaque élève depuis la 3H, équipons d’abord les salles d’audiences, afin que la mise sur pied d’une audience à distance ne dépende plus que d’un simple clic !
Le 29…
… où il faut prendre la mesure du procès V13 qui s’achève ce mercredi soir à Paris.
Il s’agit du plus long procès de l’histoire judiciaire française : 10 mois. Le « record » – si l’on peut dire – était détenu (!) jusqu’ici par le procès de Maurice Papon, qui avait duré 6 mois, d’octobre 1997 à avril 1998.
Plus de 2500 parties civiles et 300 avocats, 20 accusés dont 14 présents, 500 tonnes de documents de procédure… et au final le verdict sur les peines à infliger ensuite des attentats du 13 novembre 2015 à Paris. La cour d’assises spéciale a donc enfin rendu sa décision sur le sort de Salah Abdeslam et de ses coaccusés jugés depuis septembre pour les pires attentats jamais commis en France (130 morts). Il a – sans surprise – été condamné au maximum légal possible, soit à la perpétuité incompressible. C’est une première pour des faits de terrorisme, car ce régime a été jusque là réservé à quelques rares accusés pédophiles.

Cette peine aura-t-elle une vertu autre que symbolique ? Difficile de l’imaginer, tant dans certaines strates terroristes, la sanction de l’occident est une porte ouverte sur le paradis. Il est donc peu probable que ça refroidisse certaines velléités terroriste. Et il paraît tout aussi difficile d’imaginer que, au-delà du symbolisme très relatif de la sanction, une véritable prise de conscience ait eu lieu du côté des autorités. Non seulement, ce sont surtout la première et la dernière ligne droite du procès qui ont retenu l’attention des médias, L’essentiel des audiences intermédiaires n’a intéressé que les professionnels, dont les avocats, au travers de leurs comptes sur les médias sociaux. Leurs visions croisées, certes très intéressantes, mais surtout techniques, ne donnaient pas vraiment lieu à un véritable débat sur le fonds du problème. Mais aussi, au final, on nous a beaucoup parlé de Salah Abdeslam et quasiment pas des autres. Ceux qui ont rendu ce massacre possible et qui ont grandi à l’ombre des Cités françaises et belges. Le vrai problème est là. Les djihadistes vivent à nos côtés, et pas seulement chez nos voisins…
Le 30…
… où, alors que le débat sur le respect de la femme et de ses droits se poursuit un peu partout, dans les débats de Cour, on remarque quand même une évolution dans le discours de (certaines) magistrates.
Il fait beau ce matin sur les bords du lac, près du port des Vignerons, où se situe des locaux d’une division du MP de la Baie de Lôzan. Votre serviteur y assiste un jeune homme dont le comportement avec sa copine (mineure!) du moment n’a pas été « adéquat ». La question de possibles violences sexuelles et/ou physiques est posée.
La victime étant entendue en premier, votre serviteur est pour l’instant le seul mâle dans la salle d’audience. Même si on n’a aucune velléité particulière d’adopter une ligne de défense stricte, on se dit que certains mots devront être tout de même choisis avec prudence, quand il s’agira d’énoncer certaines questions indispensables à l’élucidation des faits reprochés. Ce ne sera finalement même pas nécessaire, la Procureure menant parfaitement les débats et posant surtout les questions de manière très directe. De son côté, la jeune fille s’exprime très clairement et remet de surcroît « l’église au milieu du village ». Des mots, pas forcément inadmissibles ont été échangés, de la tension, de l’insistance et de la jalousie déplacée, mais pas de violences vraiment qualifiables sur le plan pénal. Juste un comportement inadéquat.
La Procureure, on l’a dit, est très directe. A la fin de l’audition de la mineure, elle lui parle très clairement :
-Mademoiselle, je vais vous faire un peu de morale, un peu de droit et je vais vous donner un conseil : quand on se ballade sur les sites de rencontres, voilà ce qu’on récolte. Heureusement pour vous, il ne s’est rien passé de grave. Il faut maintenant tourner la page. Si ce triste garçon vous fait des excuses, êtes-vous d’accord de retirer la plainte ?
Quand le garçon en question entre dans la salle, la Procureure lui résume la situation et son point de vue. Elle lui dit aussi que les femmes ne sont pas vaches que l’on peut saillir à merci !
Paroles fortes, dites sans ambage par une magistrate, puis relayées par l’avocate de la jeune fille. Mais le message a certainement été mieux reçu par mon client, secoué qu’on lui parle avec des mots aussi précis sur son comportement, qu’un discours lénifiant sur les roses dont on doit prendre garde aux épines.
C’est le point de se billet. Cette manière de parler cash témoigne d’une évolution dans la magistrature qui se féminise de plus en plus et c’est tant mieux. Il n’y a pas si longtemps juge-e-s et procureur-e-s adoptaient encore le ton de la maîtresse d’école dans le prétoire. Aujourd’hui, l’égalité revendiquée à juste titre se fait aussi au niveau du langage, poli, mais ferme et sans fioriture.
PS : la procédure s’est conclue par des excuses et un retrait de plainte. Quand on a demandé à votre serviteur s’il souhaitait ajouter quelque chose aux discours conjugués du Parquet et le partie plaignante, eh bien, sur le plan de la morale, il n’y avait rien à dire de plus, cela venait d’être fait et bien fait. Par contre, il semblait important de rappeler juste que le parcours de vie de ce jeune homme. Ceci expliquant partiellement cela. Discours téléphoné sur l’enfance malheureuse diront certains. Là, c’était vrai et tout bonnement atterrant. Elles ne le savaient pas. Moi si. Si nous avions vécu ce par quoi il est passé, qui sait où nous serions maintenant…