Des Juges sous influence
12/07/2012 § 3 Commentaires
Récemment, un ami me demandait si le vécu des Juges avait une influence sur leur manière d’exercer leurs fonctions. Bonne question. A mes débuts, une certaine naïveté me poussait à croire que, une fois entré dans la peau du Juge, l’homme (ou la femme) se débarrassait de toutes les contingences humaines pour n’être plus qu’un pur esprit, insensible à toutes influences extérieures (café froid de l’automate en panne, automobiliste mal élevé qui brûle la priorité pour faucher la dernière place de parc, ordi qui bug, etc.)
Quelques années plus tard, me voilà plus lucides non seulement sur les capacités de certains Juges à rendre des décisions cohérentes, réfléchies et fondées (nous en reparlerons), mais aussi sur l’influence de leur culture personnelle et de leur vécu, plus importante que leurs idées ou influences politiques (puisque, faut-il le rappeler, dans notre beau pays, un magistrat sans soutien politique a très peu de chances d’accéder à une fonction judiciaire) sur leur manière de juger leurs (soit-disant) semblables.
J’ai donc répondu par l’affirmative, prenant comme exemple le compte rendu d’un jugement récemment lu dans la presse. Un agent d’assurance s’était auto-proclamé gérant de la fortune de sa maîtresse. Outre les honoraires faramineux qu’il s’était octroyé, le malotru avait également financé des achats pour ses besoins personnels, en particulier de la lingerie fine pour sa propre épouse ! La maîtresse grugée avait – paraît-il – découvert le pot aux roses après leur rupture. Honte sur lui, bouh le vilain ! Le procureur saisi d’une plainte de la courtisane n’en fera qu’une bouchée. Que nenni ! Le Tribunal a pratiquement complètement acquitté le gestionnaire d’opérette qui plaidait la vengeance, considérant que la maîtresse bafouée (et surtout dépossédée) lui avait donné accès à ses comptes bancaires en connaissance de cause et n’avait contesté les prélèvements qu’après la rupture.
Une telle affaire, lui dis-je, si elle est jugée par quelqu’un ayant vécu une rupture difficile ou bien par un Juge qui a une âme de Saint-Bernard, connaîtra sans doute une issue radicalement différente, acquittement ou condamnation. Un automobiliste jugé pour alcool au volant ne sera pas écouté de la même façon par le magistrat sympathisant de la Croix-Bleue ou son collègue dans la salle voisine, bon vivant et épicurien. Le droit est le même pour tous, le code pénal indique les mêmes dispositions. Mais la liberté d’appréciation du juge lui donne le pouvoir quasi absolu de choisir entre le jour et la nuit.
Mais alors, me dit mon ami, la Justice est un jeu de dupe où les avocats ne servent à rien. Non, heureusement (pour nous). C’est justement là que nous intervenons, pour guider le Juge vers la lumière (celle du client, d’accord, mais c’est notre rôle). Si, en plus, nous connaissons le Juge pour l’avoir pratiqué dans d’autres circonstances, nous serons encore mieux choisir nos mots.
Il est vrai que, parfois, en lisant le nom du magistrat sur la citation, nous savons que notre tâche sera difficile pour faire passer telle ou telle idée. Par exemple, je connais un Président pour qui un policier ne saurait mentir. Pourquoi ? Parce qu’il a prêté le serment de fonction, voyons ! Et on a beau lui répéter que les annales judiciaires sont remplies d’exemples contraires. Rien n’y fait ! Ainsi, lorsque je défendais un sosie de Tom Pouce contre deux armoires à glace de policiers qui déclaraient s’être sentis menacer par les petits poings musclés de mon client et lui avaient fait passer le goût de la contestation de manière assez énergique, ce magistrat répétait que, si les policiers assuraient avoir dû réagir énergiquement pour préserver leur intégrité, ils disaient la vérité, puisqu’ils étaient assermentés !