Janvier…
… où devant la tristesse de la pluie battante contre la vitre du bureau, on se prend à rêver de lochs enneigés, sur un fond musical approprié et, surtout, d’un single malt juste rafraîchi comme il faut. Pour la musique et le scotch, pas de problème, nous sommes équipés dans la #FaireCave pour soutenir un siège. Par contre, pour l’iconographie, il faudra aller chercher ailleurs. Bon, inutile de se lamenter sur notre triste sort de baveux en semi congé et en manque de neige. Il est temps de vérifier le matériel et d’embarquer nos gadgets, c’est reparti pour un tour !
Le 7…
… où il n’est plus trop question de s’abandonner au lyrisme celtique. Le calendrier reprend ses droits, sans ménagement. Et le courrier aussi. Avec son lot de nouvelles inutiles, alarmantes, cocasses ou franchement déplacées. Alors que l’on cherche à trouver un sens à cette mise en demeure adressée à l’un de nos clients, le téléphone vibre. C’est mon inénarrable Confrère Eugène qui, s’inquiétant de notre santé mentale, s’ingénie à nous envoyer toutes sortes de messages d’espoir, comme celui-ci : « Le fait que la méduse ait survécu des millions d’années sans être doté d’un cerveau, est un message d’espoir pour beaucoup de gens en 2019. »
On n’est pas franchement rassuré, mais qu’est-ce qu’on rigole !
Le 8…
… où l’on discute avec notre client architecte d’un dossier de construction qui, pour de multiples raisons (expertise, départ à la retraite d’un magistrat, etc.) traînent depuis des temps immémoriaux. Pensez-vous, ce dossier est encore régi par l’ancienne procédure civile, donc antérieur à 2011 !
Parmi les multiples griefs soulevés par la partie adverse, il y a tout un chapitre consacré à la piscine. Combien a-t-elle coûté ? Comment a été comptabilisé dans le devis ? À quelles conditions l’entreprise l’a-t-elle a réalisé ? bref, que des questions terre-à-terre. Jusqu’à ce que, pour vérifier une question de cadastre, on vérifie sur Internet la disposition des parcelles. Essais la qu’on constate que cette fameuse piscine, construite il y a bientôt 10 ans, n’a pas été reportée par le propriétaire sur son cadastre. Oups…
On va bien rigoler quand, au tribunal, lorsque le Président arrivera sur cette question, on lui dira : « Mais, Monsieur le Président, il n’y a aucun problème avec cette piscine, puisqu’elle n’existe pas ! »
Le 9…
… où, ce n’est pas pour tirer sur l’ambulance, mais, là, le Parquet complique quand même un petit peu.
C’est le genre d’affaires, ou tout le monde est content quand ça s’arrête. Un couple de concubins qui se disputent. Des noms d’oiseaux qui s’échangent. Deux ou trois coups de griffe par-ci par-là et, bien sûr, chacun y va de sa plainte pénale. Insultes, calomnie, diffamation, voies de fait, menaces de mort. Bref, la totale.
Et puis, les semaines, puis les mois passent. Chacun s’est reconstruit sa petite vie et ne veut surtout plus entendre parler de l’autre. Alors, on fait une convention dans laquelle chacun des ex-tourtereaux déclare retirer sa plainte et bon vent !
Sauf que le Ministère public ne l’entend pas de cette oreille. Menace il y a eu et c’est infraction, même si la plainte est retirée, doit être examiné par la justice. Et c’est ainsi que l’on se retrouve dans une salle d’audition, à tenter de convaincre le magistrat que de vouloir ressasser de vieux souvenirs, désagréables qui plus est, risque d’ouvrir de vieilles blessures et raviver un conflit dont personne n’a pu envie d’entendre parler.
Finalement, avec l’agrément de chacune des parties, la procédure est suspendue pour 6 mois et, sans nouvelles de personne au terme de ce délai, elle sera cette fois définitivement enterrée.
C’est bien. Mais, tout de même, il est permis de s’interroger sur le sens de ce report. Une procédure suspendue est une procédure ouverte, donc un dossier qu’il faut gérer. À son terme, il faudra rendre une décision qui confirme le classement. On lit dans les journaux que la Justice, donc, y compris les Procureurs sont surchargés. pourquoi ne pas simplifier les choses quand 2 adultes majeures et vaccinées sont devant vous et vous confirme qu’ils sont passés à autre chose et qu’ils n’ont plus envie de revenir en discuter avec vous ? Définitivement, le mieux est l’ennemi du bien…
Le 10…
… où l’on encore l’occasion de visiter les merveilleuses salles d’attente du Greffe du Parquet. Déco gentillette, chaise à peu près confortable et, sur la table, quelques revues pour patienter. Sauf que, ce sont toujours les mêmes depuis des lustres. Le justiciable qui aime les vieux papiers peut donc se faire plaisir en consultant les archives de l’Hebdo, un journal disparu depuis des lustres du paysage médiatique romand.
Certes, on nous le rabâche à chaque législature, le budget de la Justice est à la traîne. Mais quand même… C’est décidé, j’ai un stock de vieux Journal de Mickey. Je sais maintenant où je vais pouvoir les fourguer !
Le 11…
… où, parfois il faut se faire violence, mais aujourd’hui, c’est une douce violence gastronomique.
Direction Bâle, l’Hôtel des Trois Rois, et son magnifique restaurant du Cheval Blanc, trois étoiles Michelin, 19/20 Gault & Millaut, avec notre petite amicale d’amoureux de la sphère orange.
Un peu d’iode, c’est bon pour nos petites cellules grises, non ?
Le 14…
… où, avec Me Will, nous enfilons blouses vertes, masques de protection et attrapons bistouris et scalpels ! Euh… enfin, façon de parler.
Bon, pas besoin d’anesthésiant ou d’oxygène certes, mais l’intervention quasi chirurgicale à laquelle nous allons procéder est d’importance. Nous mettons en effet la dernière main à un recours qui nous tient particulièrement à cœur. Il s’agit de cette affaire qui a vu la condamnation pour lésions corporelles par négligence d’un jeune footballeur, dont le tacle de la 15′ avait malencontreusement blessé son adversaire à la cheville.
Et là, on ne parle pas de n’importe quel recours, d’où le stress qui nous taraude depuis quelques lunes. En effet, c’est maintenant à l’autorité judiciaire suprême de notre beau pays, le Tribunal fédéral (TF pour les connaisseurs), qu’il revient de trancher ce dossier.
Bien sûr, nous n’aurions évidemment pas souhaité en arriver là. Malheureusement, le 30 janvier dernier, le Juge de première instance s’est égaré en retenant, à tort, que la victime n’avait plus le ballon dans les pieds au moment du tacle. D’où un comportement coupable de cet impétueux défenseur, alors que ce constat est contredit par les pièces du dossier. Quant aux Juges de la Cour d’appel, ils ont emprunté un autre chemin pour confirmer la condamnation de notre client, avec un raisonnement tout aussi contestable. De leur point de vue, puisqu’il y a eu blessure du joueur et carton jaune, même s’ils admettent qu’il s’agit d’une imprudence et non d’une faute grossière, ils considèrent qu’il s’agit d’une « violation importante » (sic) des règles du jeu. Pourtant, l’arbitre avait clairement déclaré à l’enquête que, même s’il était écrit dans son rapport que le carton jaune avait été infligé pour « jeux dur », il était clair pour lui que notre client n’avait pas eu l’intention de blesser et qu’il jouait le ballon, en étant en retard certes, « … mais si en retard que ça. »
Voilà pourquoi cette affaire prend le chemin de Lausanne, sous l’œil attentif des instances footballistique locales et même suisses. Il y a de quoi être nerveux en effet. Et pas seulement pour l’avenir du foot. Si cette condamnation est maintenue, cela signifierait que, sur un terrain de jeux, il vaut mieux ne pas prendre le risque de défendre et d’aller au contact avec l’adversaire pour tenter de lui prendre la balle, le puck, etc., ce qui est, rappelons-le, le but du jeu. Car si on le blesse par mégarde, celui-ci pourra en toute sérénité déposer une plainte pénale qui aura toute les chances d’aboutir à une condamnation. Parce que si l’on suit la logique aseptisée de nos Juges d’appel, un joueur ne devrait surtout pas prendre le risque de causer une blessure à son adversaire, car cela constituerait une « violation de son devoir de prudence ». Donc, plus question pour un joueur… de jouer.
Depuis la fameuse affaire Chapuisat Favre, une telle conception va à l’encontre de la plupart des jugements rendus en Suisse et dans les pays voisins en matière de blessures sportives. Jusqu’ici l’idée était de sanctionner – pénalement – l’action du joueur effectuée « contre le jeu », soit la brutalité ou la violence délibérée, et de laisser en dehors du pré carré du droit pénal toutes les autres actions intervenant « dans le jeu », qui découlent de l’engagement inévitable des acteurs d’une rencontre sportive. Et si une blessure survient, cela fait partie du risque connu accepté par celui qui rentre sur le terrain.
Pour revenir maintenant à des considérations plus techniques, un recours au Tribunal fédéral n’est jamais une mince affaire. Même si certains parallèles peuvent être faits avec le monde médical, en matière judiciaire, ici c’est l’incertitude qui prédomine. Alors que, dans une salle d’opération, le médecin n’a pas vraiment de place pour le doute et que chacun de ces gestes sont précis, millimétrés, avec Me Will, nous alternons les certitudes avec le flou et les doutes. D’abord convaincus d’un argument, avant de le relativiser. Nous soulevons un grief, pour se demander ensuite s’il ne pourrait pas être finalement contre-productif. Deux théologiens en train de discuter du sexe des anges…
Et pourquoi donc ? Parce que notre Haute Cour n’est pas une instance d’appel. Se limiter à démontrer que les juges précédents auraient dû choisir une autre solution, parce que celle du jugement se révèle inopportune, conduira inévitablement à un rejet. Il faut au contraire présenter, « par une démonstration précise et soignée » que la solution retenue par la dernière instance cantonale est arbitraire. Selon la jurisprudence, cela signifie qu’en aucun cas on ne pouvait arriver à un tel résultant, parce qu’il est insoutenable, choquant et heurte le sentiment de justice !
Vaste programme… des mots, pour en qualifier d’autres, souvent suivant l’air du temps. Mais nous n’avons pas d’autres solutions pour rétablir une situation gravement injuste.
En tous cas, nous sommes prévenus. Nous avons lu des tonnes d’arrêts où, en termes assassins, notre Cour suprême renvoie le recourant à la niche, parce qu’il s’est fourvoyé sur un terme. La critique du recourant est purement appellatoire… Circulez ! Il n’y a rien à voir… Mais l’espoir fait vivre paraît-il et l’on espère que, parmi ces docteurs de la science juridique siégeant à Mon-Repos, il y en a quelques-uns qui ont eu une balle au pied ou dans les mains dans leur prime jeunesse et savent que les blessures sont inhérentes à la pratique du sport, en particulier quand deux équipes s’affrontent pour la gagne. Sinon, on pourra bientôt remplacer la Champions League par des tournois de baby foot…
Le 15…
… où il est question de choc des cultures.
On ne parle ici pas peinture, ou littérature, mais culture judiciaire. Attention, pas « juridique », mais « judiciaire ». « Ethnique » pourrait-on même ajouter.
Depuis quelques années, votre serviteur a défendu et défend encore des ressortissants de steppes loin à l’est de nos monts. Des pays auxquels Coluche aurait volontiers collé ce qualificatif qu’il affectionnait tant en parlant des Cours de Justice : « Il y a l’avocat qui connaît la loi, et puis l’avocat qui connaît le juge… »
Même si ce n’est pas tout à fait le sujet, on y pense en bataillant avec un client sur la manière de lui permettre de récupérer des fonds qu’une banque ne veut pas lui restituer, non pas qu’elle conteste qu’il soit bien l’ayant-droit des fonds qu’il réclame, mais il manque un formulaire, qu’il faudra des mois pour obtenir. Les sociétés offshore, c’est joli, mais il faut être connaisseur. Et ne surtout pas oublier que, dans les administrations des îles machins-choses, les préposés sont plus souvent au bar de la plage que derrière leur guichet.
Et donc, il manque ce fichu formulaire, dont on nous explique qu’il viendra, un jour peut-être et qu’il faut attendre. C’est là où le la bat blesse. La patience est une vertu inversement proportionnelle à l’importance des fonds bloqués.
Bien que dans notre pays, il y a tout un système légal réglementant le monde bancaire, mon client n’en démord pas. Pas besoin de faire de longue lettre, d’étaler notre science juridique, de mettre en demeure, etc. Merci d’aller simplement au guichet, de demander le directeur et de régler la chose avec lui !
So easy…
Le 16…
… où, donc , on veut bien faire plaisir au client de la veille, mais on va tout de même s’assurer que le fameux directeur de banque est bien assis dans son fauteuil avant de se déplacer pour des prunes.
Eh bien non. Nada… que pouic… pas de directeur jusqu’à vendredi. Mais il nous fait gentiment savoir que, pour gagner du temps, nous pouvons parler avec la responsable du service juridique. Sauf que, aujourd’hui, elle est en congé !
Le 17…
… où l’on croyait naïvement qu’avec toutes ces séries judiciaires, tous ces commentaires sur les réseaux sociaux de gens plus ou moins informés, nos clients auraient un bagage technique pour répondre à un interrogatoire policier un peu plus développé qu’il y a une bonne centaine d’années.
Eh bien, pas du tout. On pourrait même être tenté de penser le contraire.
Démonstration par l’absurde :
Permanence ce matin : appel de la maréchaussée pour assister une dame interpellée au saut du lit sous la prévention de vol, abus de confiance, utilisation frauduleuse d’un ordinateur.
Rencontre avec la dame en question, dans les locaux de la police, à l’heure du café, sauf qu’il n’y a pas de café. L’accueil à l’Hôtel de police laisse à désirer, mais passons…
Question de votre serviteur : «Savez-vous pourquoi on vous a interpellé ? » Réponse de ma cliente contrainte et forcée : «Aucune idée, mais, alors là, aucune idée… »
Quelques minutes plus tard, nous nous retrouvons devant l’Officier de police judiciaire qui commence de but en blanc : «Madame, nous vous entendons dans le cadre d’une enquête instruite à votre encontre sous les préventions de vol, éventuellement abus de confiance, et utilisation frauduleuse d’un ordinateur. Par ordinateur, j’entends également les bornes bancaires pour retirer des espèces. Spontanément, avez-vous quelque chose à nous déclarer ? »
– Non !!!.. Enfin…peut-être…
Nous y voilà (mais alors, question stratégie, vous qui me dites passer vos journées à regarder des séries, Engrenages, ça ne vous dit rien ?)
… soupir….
Le 18…
… où le trafiquant impénitent confond collaboration et absolution.
Suite et fin de notre permanence ce vendredi, avec Me Postit qui se retrouve avec un jeune ottoman arrondissant ses fins de mois en vendant de l’herbe qui rend heureux. Tant qu’on reste entre copains, c’est toujours illégal, mais on s’en tire généralement sans trop de bobos. Par contre, quand on veut appliquer à son entreprise les préceptes du commerce en terme de croissnce, certes les profits augmentent (temporairement du moins), mais les emm… arrivent au galop. Stupéfiant, mais vrai.
A ce stade de l’enquête, la rhétorique de l’avocat envers son client peut en général se résumer ainsi : « Vous avez bien sûr le droit de vous taire et de nier ce qu’on vous reproche. Mais, en matière de stup, si on ne vous a pas arrêté en flagrant délit, c’est que la police enquête sur vous ou votre réseau depuis un petit bout de temps. Les premières questions qu’ils vous poseront, ils en connaissent déjà les réponse. C’est juste pour vous tester. Donc, à vous de voir qu’elle ligne vous voulez adopter. Mais s’ils savent déjà tout, vous avez peut-être meilleur temps de collaborer, ça vous permettra de plaider la bonne collaboration comme circonstance atténuante et d’espérer une réduction de peine. »
Message bien reçu de notre entrepreneur en THC. Vu qu’il apparaît rapidement que son réseau, ses clients, les quantités vendues figurent déjà au dossier, il lâche le morceau. Mais, bon, c’est un gros morceau. Donc, pas question de repartir tout de suite libre et avec les félicitations du jury. Le Procureur demande donc sa mise en détention préventive, collusion et fuite ne pouvant être exclues.
Et là, gros pétage de plomb « Mais, bon sang, je vous ai tout dit ce que j’avais fait et vous voulez quand même m’en… !?! »
En droit, faute avouée n’est pas à moitié pardonnée et il faudra tout de même payer une partie de l’addition, même avec la meilleure des collaboration…
Le 21…
… où on a le sentiment étrange d’avoir passé la journée à faire l’inventaire d’une épicerie. Et surtout la désagréable sensation d’avoir raté l’étiquetage de quelques bocaux, soit parce qu’ils étaient cachés derrière les autres, soit parce qu’on les a confondus avec d’autres produits qui avaient la même apparence.
Donc, au final, Il reste des bocaux, mais plus d’étiquettes. Et on ne sait pas pourquoi.
Splendeurs et misères de l’avocature…
Le 22…
… où, on le sait, nos clients ne sont pas des prix Nobel de droit. Ce n’est pas ce qu’on leur demande de toute façon.
Mais là où les choses se compliquent, c’est quand ils se révèlent de surcroît avoir quelques lacunes dans les additions et les soustractions basiques. C’est le cas de ce client qui vient nous consulter avec, dans les mains, une convention de séparation préparée par le conseil de son ex-douce moitié. C’est juste pour vérifier, car, nous dit-il, il est d’accord avec Madame. Donc, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Quoique…
-… et, alors, vous payez maintenant à Madame CHF 3000. – par mois ? Mais, alors, je ne comprends pas pourquoi il est marqué icique vous devez payer une pension de CHF 500. – pour chacun de vos 3 enfants, et qu’il n’y a rien d’indiquer pour votre épouse. Si je sais bien compter, cela fait CHF 1’500. – au total ?
-Euh…, mais je suis d’accord de payer CHF 3000. – !
– Le problème, c’est que vos revenus sont de CHF 4800/mois et que vous avez CHF 2000. – de charges incompressibles. Par conséquent, votre disponible n’est que de CHF 2’800.-/mois, CHF 3000. – c’est plus que ça ?!?
– Oui, mais c’est marqué là que je dois lui verser au moins CHF 2900. –.
– Non, ça c’est le montant de ses charges incompressibles, sans compter celles des enfants qui sont de CHF 1’600.- supplémentaires. En résumé, votre disponible ne permet pas de couvrir le déficit de votre épouse et de vos enfants, la convention que vous propose l’autre avocat ne porte que sur un montant de CHF 1500. –, ce qui implique que, après le paiement de la contribution d’entretien à vos enfants, il reste encore un disponible en votre faveur, alors que votre épouse ne travaille pas.
-Comprend pas…
– En langage claire et non mathématique, il y a fort à parier qu’aucun juge ne va valider une telle convention, puisqu’il vous restera de l’argent dans les mains à la fin du mois, alors que du côté de votre femme et de vos enfants, on sera de toute façon loin du compte.
-Ça veut dire que nous avons un problème ?
-Oui, nous avons un problème…
Le 23…
… où l’on se rappelle au bon souvenir de notre défunt maître de stage qui nous martelait la règle cardinale des 3 P : prescription, procuration, provision. Et non l’inverse (sauf pour les cas complexes ou les clients qui sont en délicatesse avec la facturation), sinon nous passons pour d’affreux grippe-sous.
Sauf que, là, on va s’arrêter à « Prescription ». L’abandon de biens au détriment de la personne assise en face de moi dans cet héritage remonte à… 19 ans. La bénéficiaire de cet acte, sa mère, est décédée en 2007. Quant à l’action de l’héritier qui conteste la succession, elle doit être introduite dans l’année suivant le décès ou la connaissance des faits. Madame, à mon grand regret, je dois vous dire que c’est cuit. Et même re-cuit, car je vous l’ai déjà dit en 2011, répété en 2015, et je crains qu’il n’y ait rien de changé en 2019…
Donc, parfois, la règle des 3 P se mue en Prescription, Prescription et… Prescription.
Le 24…
… où l’on se dit qu’il y a eu les tablettes de cire, puis les parchemins, le pigeon voyageur, puis le fax et l’email. Et maintenant, il y a Whatsapp et les Confrères itinérants qui ne jurent que par cette application, laquelle ne sert donc pas qu’à créer le groupe de l’apéro du Jeudi soir ou celui de l’entraînement du mardi.
On peut envoyer des message gratos, autant de fois qu’on veut par minutes, quand on est pressé et qu’on n’a pas envie de réfléchir avant d’écrire. On peut y joindre des contrats, des instructions écrites, des articles de presse et on sait quand le destinataire peut les lire et le relancer s’il ne réagit pas immédiatement. On peut même téléphoner de partout dans le monde à toute heure du jour… et de la nuit !
Bref, il faut absolument dissuader nos partenaires professionnels d’utiliser cette application !
Le 25…
… où la rigueur du droit sert de paravent à l’honnêteté intellectuelle, lors d’une séance dite « de conciliation » dans le Tribunal des Vignerons.
Le procès oppose une entreprise semi-publique de transports en communs à notre cliente, une personne à qui la nature a joué un sale tour et qui se retrouve aujourd’hui obligée de se déplacer avec un scooter électrique. Une personne « à mobilité réduite » comme on dit pudiquement.
Cette entreprise l’a privée pendant 7 mois d’accès à ses bus, sous prétexte que son scooter n’était pas aux normes, ce qui état faux, avant de se raviser sur notre intervention. Le problème est que le mal était fait. Isolée, privée de son autonomie habituelle pour accéder à ses médecins traitants, à ses diététiciens, etc.., sa santé déjà si précaire, s’est encore aggravée. Elle se retrouve maintenant dans une situation où… de battre, son cœur fatigué peut s’arrêter à tout moment.
Son dommage ? Impossible de le chiffrer exactement. Mais les aides supplémentaires auxquelles son budget limité a dû recourir permettent de s’en faire une idée.
Le problème ? Nous sommes dans un cas de responsabilité civile. RC pour les initiés. Et, en RC, la victime ne doit pas seulement prouver que son état actuel a empiré. Elle doit démontrer que c’est sans l’ombre d’un doute à cause de son contradicteur et sans aucune cause supplémentaire extérieure, qu’elle se retrouve dans cette situation. Facile à dire. Beaucoup plus difficile à démontrer juridiquement.
La partie adverse le sait pertinemment. Elle se réfugiera derrière le fait que la santé de sa passagère était déjà bien altérée et que son état actuel n’est qu’une suite logique, sans qu’elle y soit pour quelque chose. Elle va aussi jouer la montre, espérant que le problème ne se résolve de lui-même…
De notre côté, avec Me Will, nous n’allons pas baisser les bras, malgré les difficultés évidentes qui nous attendent. Et notre cliente, qui a mis un Tigre dans son moteur (électrique), nous transmet son énergie…
Le 28…
… où cette incapacité de la caste des psys à adopter une position conforme à leurs constatations, au nom de leur sacro-sainte neutralité, ne facilite pas le débat judiciaire.
Cette procédure matrimoniale s’éternise depuis des mois. Dès les premiers échanges, Monsieur a accusé notre cliente de tous les maux, en particulier de stigmatiser son rôle de mère, dont il n’a de cesse de vouloir la déposséder. Elle serait borderline, atteinte d’un syndrome de Münchhausen par procuration, etc. Devant tous les intervenants, son époux ne cesse de la dénigrer et demande systématiquement le renvoi ou le remplacement de toute personne qui ne partage pas son avis autorisé.
Malgré toutes ces avanies, pour le bien de son fils, notre cliente a accepté une garde partagée et nombre de concessions, pour qu’il ne perde pas le lien avec son père, si peu adéquat soit-il. Face à cette situation, le Juge a ordonné une enquête auprès du Service de protection de la jeunesse.
Son rapport vient de tomber. Non, notre cliente n’est affectée d’aucune tare. Elle est une bonne maman, qui fait des efforts salutaires pour maintenir le lien avec le père de son enfant, malgré tous les obstacles celui-ci place sur sa route, dans le seul but de la déstabiliser. En conséquence, l’enfant est bien évidemment perturbée par cette lutte de pouvoir incessante. Comment lui en vouloir ? Il a à peine 10 ans. À terme, le Service préconise par conséquent que la garde partagée soit remplacée par une garde exclusive attribuée à la mère, si le père n’arrive pas à se comporter de manière adéquate, ceci dans l’intérêt de l’enfant.
Ça a le mérite d’être clair, non ?
Eh bien, malgré ces conclusions on ne peut plus tranchées, le collège de spécialistes de l’enfance qui signe ce rapport écrit noir sur blanc, dans ses propositions, que les 2 parents doivent être invités fermement (!) à respecter leurs rôles respectifs et à ne pas perturber la relation de leur enfant avec l’autre. Le père, c’est compréhensible. Mais la mère ? Ils ne cessent de répéter à quel point elle fait juste. Et on devrait quand même lui tirer les oreilles, juste pour que Monsieur ne se vexe pas ?
Fort heureusement, dans cette affaire, la contradiction est tellement criarde que le Juge ne devrait avoir aucune difficulté à trier le bon grain de l’ivraie. Toutefois, cette incapacité à appeler un chat un chat fournira malheureusement toujours des arguments à la partie adverse, qui ne se privera pas de faire appel d’un jugement fondé sur une expertise aux conclusions contradictoires…
Le 29…
… où l’on s’en va défendre l’employé contre l’employeur au sujet d’un litige concernant une quantité astronomique d’heures supplémentaires dans un tribunal d’une lointaine Comté.
Autres pays, autres mœurs et pourtant toujours le même Code de procédure civile. Depuis 2011, l’exception culturelle n’a plus vraiment cours, mais certains landerneaux, dont les juges s’accrochent à leur petite marotte, réservent toujours leur lot de surprises pour les baveux itinérants.
Et nous voici donc à nous accrocher sur la manière de transcrire les déclarations d’un témoin, à qui l’on a posé la question de savoir s’il se rappelait d’un événement particulier et qui répond immédiatement « Franchement, non ! », avant de relativiser fortement sa réponse. Forcément, le témoin en question est toujours l’employé de son patron et il s’est rendu compte que sa réponse spontanée et sincère était une bourde.
La Présidente est une bien jeune personne. Elle nous fait comprendre qu’elle exerce la fonction de magistrate prud’homale en marge de son activité dans le barreau local. Apparemment, il s’agit d’une pratique courante dans cette Comté. A priori, rien à dire, sauf si ce magistrat ad hoc ne parvient pas à maintenir la distance nécessaire avec les membres de son barreau, comme nous l’avons déjà vécu et raconté dans ce blog. Mais, ce n’est pas le problème aujourd’hui.
Le problème, c’est l’interprétation de l’art. 176 CPC concernant la manière de retranscrire ce qui est dit dans l’arène par les magistrats. Cette disposition se contente d’indiquer que « l’essentiel des dépositions » est consignée au procès-verbal. Or, quand votre serviteur demande à la Présidente de faire inscrire au PV « Franchement, non ! », celle-ci regimbe et dicte à la greffière que le témoin ne se rappelle pas de tous les détails, ce qui n’est évidemment pas la même chose. Comme on insiste, en se permettant de rappeler – avec tout le respect que l’on doit à la Cour – que le Code de procédure ne dit pas qu’il faut interpréter les déclarations des personnes entendues à la barre, la maîtresse de cérémonie nous fait cette déclaration sidérante : « Maître, je n’écris jamais ce que le témoin dit dans le PV ! »
Nous voilà prévenus ! Notre plaidoirie consistera donc en un exercice de sémantique testimoniale…
Le 30…
… où horresco referens, la gente féminine aurait-elle pris le contrôle du monde juridique ?
Hier, tribunal des prud’hommes entièrement composée de descendantes d’Eve. Aujourd’hui, instruction au ministère public, rebelote. La procureure, la greffière et même la représentante de la partie plaignante ! La merveilleuse hégémonie mâle prendrait-elle l’eau de toutes parts ?
Plaisanterie mise à part, ce subtil glissement vers la parité devient lentement, mais sûrement, la norme dans notre univers de juristes, où le mâle porte souvent la robe d’ailleurs, signe prémonitoire sans doute ! Et, quoiqu’en dise les survivants de l’Ancien Régime, il n’y a pas lieu de s’en plaindre, loin de là (de la parité, pas la robe…)
Mais tout de même, quand on voit cette remontée du petit tailleur Chanel dans les statistiques, nous sommes en droit de nous demander si le droit ne porterait des gènes féminines ? En tous cas, à l’heure actuelle, les bancs de la Faculté de Droit sont usés en très large majorité par de jeunes et sémillantes juristes en herbe. Quant aux candidatures des stage, elles suivent la même proportion. Et je ne parle même pas de notre merveilleux Ordre, dont la Bâtonnière porte aussi jupette (fort bien d’ailleurs). Si la représentation féminine au sein du Barreau actif est néanmoins encore minoritaire, la magistrature, elle, prend donc gentiment de l’avance, démonstration à l’appui au cours des 2 dernières journées.
Côté traditions grammaticales (avocat, avocate ? confrère, consœur ? procureur, procureure ? assesseur, assesseure), votre serviteur reste assez attaché aux coutumes et s’agace de la féminisation à tout crin de n’importe quelle fonction, aussi inutile que parfois ridicule, car la reconnaissance du genre ne signifie pas à celle des compétences. De toute manière, les rangs des juristes des deux sexes sont largement composés de personnes extrêmement compétentes. Mais, comme partout, il y a des gâche-métier des deux côtés !
Le 31…
… où, paraît-il, rien ne sert de courir, il faut partir à temps !
Mais, là, nous sommes partis tellement vite depuis ce début d’année, qui semble déjà si loin, et nous voilà aux portes de février.
Bref, non, non, rien n’a changé, tout va continuer, hey hey…
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