July…

… où l’on entre, cœur vaillant, mais un peu inquiet tout de même, dans cette Twilight Zone du mois de juillet, où le 15, il y a une rupture du continuum espace-temps. Comme d’habitude, d’abord 15 jours de marche forcée, avant de compter les courriers des magistrats qui ne sont pas encore en vacances et qui nous le font sentir de manière disons subtile… ou pas.
Le 3…

… où l’on reçoit une décision qui, comment dire, irrite quelque peu.

Forcément, quand la notification ne fait pas plaisir, c’est qu’on a perdu. Et c’est le cas. Mais ce n’est pas la défaite qui provoque cette légère démangeaison au niveau des maxillaires, c’est la réponse de la Justice.

Le dossier était mal emmanché. Le client était prévenu, mais voulait tout de même continuer, pensant avoir une carte dans sa manche. Cette carte, son mandataire la trouvait quelque peu biseautée. La Justice n’est pas une science exacte, loin sans faut, mais pourquoi pas ? A condition que le client soit bien conscient et averti des conséquences probables de son entreprise, ce qui était le cas.

Le juge n’a pas accordé la moindre attention à la carte. Il l’a à peine discuté dans son jugement. Il n’a même pas expliqué pourquoi il ne l’a pas retenu. Pourtant, il y en avait des choses à dire ! Il a simplement dit : circulez, il n’y a rien à voir !

Voilà ce qui dérange. L’accès à la justice est un droit accordé à tout le monde dans une société démocratique. Du moins, c’est ce que l’on nous serine depuis les bancs de l’université. De plus en plus, on constate pourtant que les juges, sous le prétexte pas forcément faux qu’ils sont débordés, refusent intellectuellement d’élargir leur champ de vision, surtout si l’argument est imprévu, et réduisent leur verdict à leur bibliothèque de copier-coller.

Les clients, qui ont une vision biaisée de l’appareil judiciaire et une compréhension souvent limitée à ce qu’ils ont vu à la télé, s’attendent à voir leur argument tout de même un tant soit peu traité.

Ce que beaucoup de magistrats peinent à comprendre, c’est que le justiciable acceptera plus facilement d’avoir tort si on a pris le temps de discuter son point de vue, même à côté du sujet, si on prend la peine de lui expliquer pourquoi, précisément, on ne peut pas lui donner raison, que l’argument soit pertinent ou pas, car le client, lui, cette pertinence, elle lui échappe complètement.

Dans son Dictionnaire amoureux de la Justice, Jacques Vergès écrivait sauf erreur que les juges croient que rendre la justice, c’est simple. On peut rester simple, tout en gardant un œil sur la vocation de la chose judiciaire. Elle n’a pas pour seule vocation de sanctionner, mais aussi d’expliquer…

Le 14…

… où ce n’est pas tant que l’on en tire une fierté incommensurable, mais les dix derniers jours n’avaient d’autre objectif que de parvenir au 14 juillet, veille des féries judiciaires, mais on n’y est arrivé – presque sans dépression. Mission accomplie.

Quelques sueurs froides, pas trop d’heures de sommeil…

… c’est déposé !

Alea jacta est !

Les 16 et 17…

… où l’on a presque l’impression de travailler comme Lino et Cie à l’époque du cinéma en noir et blanc.

Réveil à l’aube, on travaille son texte, on envoie courriers et prise de positions, entre deux cafés, et à midi, on discute le coup au restaurant, à l’ancienne.

Le 18…

… où, parfois, la théorie, même basique, ça ne marche pas.

Au fil du temps, même sans avoir fait de MBA en négociation, on sait que la préparation minutieuse du dossier, l’exploration méthodique des besoins réels de l’autre et une certaine patience associée à de la fermeté au moment opportun, permettent quelquefois de convaincre sans vaincre et ainsi d’éviter un procès.

La compréhension de l’autre est donc la clé de voûte du système de négociation qui permet à son client d’arriver au meilleur résultat possible.

Dans certaines situations, on parvient même à toucher le Graal, soit que l’autre partie propose une solution, convaincue que c’est elle qui a trouvé le point d’équilibre, et non son interlocuteur ! C’est la méthode prônée par Winston Churchill qui aurait fait un bon avocat.

Dans le cas qui nous occupe aujourd’hui, force est malheureusement de constater, avec le client, que notre interlocuteur n’est pas fait de ce bois-là. Même si l’on acceptait à 100 % ses conditions, qui sont en l’occurrence partiellement inacceptables, il trouverait encore à redire et nous reviendrait inlassablement avec un « mais… »

Quel est l’intérêt de cette constatation qui relève du simple bon sens et de l’observation psychologique de la nature humaine (compétence indissociablement liée à notre métier) ?

Il s’agit d’attirer l’attention sur une des particularités de notre profession qui est en train de prendre une ampleur démesurée, et surtout injustifiée, au regard de l’efficacité de l’avocat. En tous cas, celle qu’on lui demande.

Sur le principe, nos règles déontologiques nous imposent de ne pas pouvoir étaler devant un juge le détail des discussions transactionnelles qui ont eu lieu en amont du procès. C’est bien. Comme ça, les parties peuvent parler librement sans craindre de se voir opposer plus tard une concession qui, face au refus de l’autre partie, n’entre désormais plus en ligne de compte.

Seulement voilà, le système est devenu complètement paranoïaque depuis que notre Haute Cour, déconnecté d’une certaine « réalité du terrain » construise des règles sensée protéger les négociations de toute interférence, mais ubuesque dans leur mise en pratique. En le respectant à la lettre, vous risquez de vous retrouver devant un juge qui vous demande : « Mais, cher maître, avant d’en arriver là, dites-moi que vous avez quand même essayé de trouver une solution pacifique à votre différent ? » Et là, si l’on suit la jurisprudence du Tribunal fédéral, on n’aurait même pas le droit de répondre… Vous voyez le tableau ?

Dans ce litige qui dure depuis des années, le juge ne pourra donc que s’énerver s’il pense que les avocats n’ont même pas essayé de s’arranger avant de venir troubler sa digestion ! Et c’est précisément ce qui va arriver, puisque notre contradicteur est hermétique à toute discussion constructive, et c’est bien pour ça que ça dure depuis si longtemps…

Le 28…

… où il n’y a pas que le droit dans la vie.

28 juillet 1985, disparition de Michel Audiard, mon dialoguiste et parfois même philosophe préféré.

On lui doit tellement de phrases, aussi lapidaires qu’efficaces, aussi ironiques que pertinentes. Voici quelques-unes de mes préférées.

Face à une personne qui tient des théories, disons, audacieuses, Jean Gabin répondait : « Il existe aussi des poissons volants, mais ils ne constituent pas la majorité du genre. »

« Un intelligent assis ira toujours moins loin qu’un con qui marche ». C’était dans Un Taxi pour Tobrouk.

« Les cons, ça ose tout, c’est d’ailleurs à ça qu’on les reconnaît. »

« Vous savez quelle est la différence entre un con et un voleur ? Le voleur, de temps en temps, il se repose. »

Il n’y en avait pas que pour les cons. « Combien ça pourrait nous rapporter ? » … « 20 ans de placard. Les bénéfices, ça se divise. La réclusion ça s’additionne ! » Dans Le cave se rebiffe.

« Où est-ce que tu as vu que l’argent faisait le bonheur ? Tu as été élevé chez les laïcs, toi ?« 

Et ce mystère, Audiard a-t-il inspiré Leonard Cohen, autre grand philosophe qui a accompagné (et accompagne toujours) votre serviteur : There is a crack, a crack in everything, That’s how the light gets in (Anthem) avec cette sentence quasi biblique « Bienheureux les félés, car ils laisseront passer la lumière » ?

Beaucoup d’émotions donc…

Allez ! Une dernière pour la route : « « Monsieur Naudin, vous faites sans doute autorité en matière de bulldozers. Mais vos opinions sur la musique moderne et sur l’art en général, je vous conseille de ne les utiliser qu’en suppositoire.« 

Le 29…