Juin…

… où les grillons commencent à chanter dans les prés, mais pas encore dans les couloirs du Palais. Palais qui d’ailleurs bruisse d’autres rumeurs, nettement moins agréables de querelles intestines, triste pour une autorité judiciaire, mais ce n’est pas notre propos. Restons sur notre terrain, sur celui de considérations plus ou moins lucides sur la splendeur et les petites misères quotidiennes de notre profession, considérations mâtinées de mélodies inspirantes… en tous cas pour votre serviteur, who moves like a Smooth Operator

Le 2…

… où, en écoutant d’une oreille distraite un podcast, on a saisi au vol un propos selon lequel l’avocat serait un « mendiant d’humanité » dixit un représentant anonyme mais avisé du Parquet. Jolie formule, certes, mais pour faire joli dans les salons, et uniquement dans la bouche de ceux qui se méprennent sur notre rôle. Celui-ci ne peut en effet être réduit à ce cliché minimaliste. Ce serait méconnaître de manière crasse le rôle fondamental que doit jouer la défense dans l’équilibre du système judiciaire.

Contrairement à cette vision réductrice, l’avocat se doit d’être le grain de sable. Celui qui se révèlera indispensable au bon fonctionnement de la machine judiciaire. Métaphore à deux sous certes, mais le grain et la justice sont loin d’être antinomiques. Le premier illustre la fonction régulatrice de la défense face à une machine judiciaire trop bien huilée. Sinon, c’est l’emballement des rouages, implacables, et le justiciable sera immanquablement broyé au final. Et tout le monde préfèrera trouver ça normal pour se donner bonne conscience.

Et pas besoin d’avoir la folie des grandeurs ! Pour incarner ce poil à gratter indispensable, nul besoin de s’aventurer sur le terrain de la rupture conceptualisé par notre maître (eh oui quand même!) Jacques Vergès. Notre approche ne doit pas se vouloir aussi radicale et utiliser le procès comme forum public pour questionner l’opinion du même nom sur la légitimité de la poursuite. Rares sont en effet les procès qui donnent cette opportunité, en tous cas dans nos Landerneau helvétiques où les procès politiques se comptent sur les doigts. Dans la plupart de nos défense, nous ne sommes que rarement amenés à (re)mettre en cause la légitimité de la poursuite. Mais, même dans une procédure « mineure », créer un certain chaos (procédural souvent) permet de réorienter un procès voulu trop lisse par le Parquet et le Juge aussi, et essayer de parvenir à un résultat plus humain.

Car c’est souvent d’humanité dont il est question. « L’avocat est avant tout au service de celui qui est là« , formule de Robert Badinter sauf erreur qui résume l’essence même de notre mission : apporter l’humanité là où le système quoiqu’en pense certains tend vers la déshumanisation.

Nous sommes là pour rappeler que la personne que l’on défend a sa place parmi nous et qu’on ne peut réduire quiconque au seul acte commis. Faire comprendre au Tribunal que celui qu’on juge n’est pas si différent d’eux ! Ce défi – qui ne peut être réduit qu’à de simples concepts intellectuels – ne se limite pas à nier les faits reprochés, quand c’est possible, mais à les expliquer sous une autre lumière. Pour amener les juges à s’interroger sur eux-mêmes. Ce qui m’a toujours surpris au travers des échanges entre avocats, c’est que la plupart d’entre nous partage le même sentiment après quelques visites en prison. Celui qui est assis là, en face de nous n’est pas si différent. Il a des parents une famille…

Un grain de sable, c’est bien. Mais, parfois, suivant les circonstances, il doit se métamorphoser en roc. Les vieux barbons comme votre serviteur se rappellent Gisèle Halimi et le procès de Bobigny, en 1972. Plaider en faveur de la dépénalisation de l’avortement, voilà quelque chose d’énorme. Nous n’aurons pas tous l’opportunité de nous poser la question si nous avons les épaules assez larges et la détermination nécessaire pour affronter un tel défi, faire changer la loi en défendant l’accusée. Mais on peut a minima se rappeler que derrière l’avocate, il n’y avait pas seulement une personnalité hors du commun, mais un serment.

Déplacer les montagnes n’est donc pas la condition sine qua non pour pouvoir assumer le rôle d’empêcheur de juger en rond. Dans chaque cause, même moins médiatique (rappel : pour tout avocat digne de ce nom, la cause du moment, assistance judiciaire ou pas, est LA cause et est tout ce qui compte), peut se cacher une dérive du système judiciaire. Et voilà que l’avocat se retrouve bon gré mal gré le dernier rempart contre l’arbitraire.

Conclusion : nous ne sommes pas des « mendiants d’humanité ». Au contraire, nous portons à bout de bras l’humanité dans un système qui se croit dispensé d’examiner cette question. Car c’est ça la Justice. Et sans avocat, point de Justice, comme le martelait dans son livre celui qui m’a donné la vocation, Albert Naud (« Les défendre tous », Ed. Robert Laffont).

Le 3…

… où, tiens puisqu’on parlait hier de ce merveilleux avocat qu’était Albert Naud, je ne résiste pas à vous faire lire l’accroche de son livre « Les Défendre Tous », qui m’a donné quelques clés pour faire ce métier :

« Je suis avocat. Un métier formidable, je veux dire terrifiant, avec des problèmes, des tortures, la nuit qui rôde, des remords. Savez-vous que je serre la main de l’assassin ? Mais si vous saviez comme ils sont petits et faibles, en face de l’énorme machine judiciaire, dressée pour les broyer ! Et puis, il y a le devoir, le service commandé en somme.
J’ai défendu Laval, moi, résistant. Commis d’office par le Bâtonnier, je l’ai aussi aimé comme on aime un frère à l’instant de la mort. Je l’ai embrassé avant qu’il ne tombe sous les balles, comme j’aurais embrassé mon frère. C’était, sous ses allures de Gitan, un homme distingué qui est mort hautement.
Je les ai aimés tous, vous dis-je. Choisi ou commis d’office, j’ai fait corps avec eux. Les défendre tous comme ils sont, avec leurs bassesses, leurs nostalgies à jamais stériles, leurs étincelles divines (ils en crépitent) et leurs terreurs dernières, a été et reste mon devoir.
J’ai défendu Michel, l’assassin des chauffeurs de taxis. J’ai défendu Lucien Léger, « l’étrangleur ». Sa tête sauvée, il m’est resté fidèle. J’ai défendu « La Chatte », l’espionne aux yeux qui ne cillaient pas et dont l’arrogance transcendante égalait le courage. J’ai défendu David, bravache et blême, jetant hâtivement sa prière vers le ciel avant la salve ; j’ai défendu Bernaud, le sorcier assassin ; j’ai défendu le colonel Ahmed Dlimi, accusé d’avoir assassiné Ben Barka.
Ce sont eux, mes morts, exécutés ou en survie judiciaire, qui m’ont précipité dans la lutte contre la peine capitale, que je mène depuis trente ans. J’ai vu trop mourir, comprenez-vous ?
Mais j’ai ri aussi, tout au long de ma carrière. Avec Louis-Ferdinand Céline, insultant ses juges, avec Jacques Bourin, président de la R.F.F.I. (République Farfelue de Fresnes Indivisible).
Je vous raconte tout cela. Vous jugerez sur pièces ma carrière. Moi, je n’en aurais pas voulu d’autre
.
Albert Naud »