Janvier…
… où, comme chaque début d’un nouveau tour de piste, les questions plus ou moins existentielles affluent sous le bonnet. Et il ne s’agit pas seulement de problèmes de procédures ou de droit applicable. C’est déjà compliqué, certes, le résultat laisse souvent perplexe. Mais on est tous logés à la même enseigne. Donc juste de quoi alimenter les discussions entre Confrères. C’est déjà en vigueur dans une procédure ouverte en 2024 les nouvelles règles sur les avances de frais ? Pas de quoi alimenter les blablas de cocktails mondains (pour ceux qui ne font pas dry January, encore que…). Non, là on aborde les questions névrotiques. Celles qui nous assaillent la nuit. On pourrait les qualifier de philosophiques, mais comme la lecture de Pascal ou de Nietzsche est moi répandu sous la robe que celle de la jurisprudence du TF, ce serait s’aventurer sur un terrain miné par notre inculture. L’avocat n’aime pas ça.
Bref, pour votre serviteur, l’une de ces questions récurrentes en ce début d’année est celle de savoir si le procès de rupture, sous une forme ou une autre, a-t-il encore un sens, sinon un avenir, à l’ère de ChatGpT où la rupture pourrait être qualifiées d’hallucination de l’IA ?
Le 7…
… où, puisqu’on est sur le thème de la rupture, commençons par aborder l’une de ses composantes principales : la personne défendue. Elle incarne la raison pour laquelle l’avocat, à défaut de se mettre en porte-à-faux avec le système – ce n’est pas donné à tout le monde – pourrait être tenté d’essayer de le discréditer, ne serait-ce qu’un chouïa.
Mais le défenseur doit alors au minimum s’assurer que son client a compris la stratégie, et qu’il y adhère.
C’est déjà un défi, car cela implique un minimum d’intelligence de la part de celui qu’on présente comme une victime du système.
L’autre défi est de vouloir tenter la stratégie de rupture, non pas à la défense du prévenu, mais à celle du plaignant. Le premier est le pivot du procès. C’est lui qui dicte le ton. Bon ou mauvais, les autres acteurs s’adapteront. Le plaignant, lui, doit susciter un minimum d’empathie pour entraîner les juges à sa suite et les juges n’aiment pas la rupture car elle est la négation de la fonction de gardien des clés qu’ils représentent
Démonstration par l’exemple, ce matin, en audience d’instruction, où la partie plaignante veut dénoncer l’inadéquation et l’inhumanité du système semi-carcéral au travers du au service d’ordre, que je représente.
Son avocat n’a eu de cesse d’écrire au procureur que son client (le plaignant), terrorisé par l’un des matons refuse d’être confronté à son bourreau…
… et quand le procureur lui demande, question rituelle, s’il accepte de lui être confronté, le plaignant répond bien sûr, je n’ai pas peur de lui !
Quel qu’en soit le degré, la stratégie de rupture ne s’improvise pas. Elle obéit à des mécanisme très précis et ne s’invente pas. Pas plus qu’elle ne fleurit à l’ombre des réseaux sociaux, où l’indignation hystérique est érigée en dogme.
Et il ne faut pas oublier l’une des composantes essentielles du procès de rupture. Son héros a déjà perdu le procès avant qu’il ne commence. C’est pour cette raison qu’il fait ce choix. Car il ne peut pas gagner sa cause par un procès classique.
Le 15…
… où le Tribunal fédéral vient d’un seul coup de ruiner les velléités littéraires des forçats.
L’affaire concerne la fouille de la cellule d’un pensionnaire en détention provisoire avant jugement pour suspicion de détention de « produits illicites ». Les matons ne trouvent pas la beuh espérée, mais deux carnets « pouvant contenir des informations utiles à l’enquête en cours« .
Le Ministère public demande alors à la prison de saisir ces deux carnets. Le détenu, par son avocat, s’y oppose au motif d’une violation de la sphère privée et du droit à un procès équitable. Il soutient en substance que les carnets saisis concerneraient les contacts intervenus en détention entre lui-même et ses défenseurs et seraient couverts par le secret de l’avocat.
Que nenni répond la Haute Cour !
Le secret des communications entre le client et son avocat couvre l’activité typique de l’avocat envers son client (courriers, mémos, conseils, etc) et, s’agissant du client envers l’avocat, toutes les informations, faits et documents confiés par le mandat à son avocat et qui présentent un rapport certain avec cette profession. Dans son arrêt, le TF dit même que tout cela est protégé lorsque le prévenu se prévaut du respect de sa vie privée et familiale, ainsi que son droit à être protégé contre l’emploi abusif des données le concernant.
A priori, ces braves gens n’ont jamais tenu de journal intime… Ils relèvent que les deux carnets étaient intitulés « Journal d’un prévenu » et que le recourant avait précisé en préambule tenir son journal pour les raisons suivantes: il avait beaucoup de temps à tuer, avait peur d’oublier tout ce qui lui arrivait et le tenait pour ses « amiexs », sa famille et ses camarades; les réflexions du recourant étaient en outre consignées à la première personne et de manière chronologique. Le TMC a encore souligné qu’aucun élément n’indiquait que les carnets étaient destinés à être adressés au défenseur du recourant. Sur la base de ces éléments, le TMC a considéré que les deux carnets devaient être assimilés à des journaux intimes, voire à des notes personnelles, et qu’ils n’étaient dès lors pas protégés […].
L’arrêt ne dit pas ce qu’il y avait exactement d’intéressant dans les chroniques carcérales de ce Papillon en herbe. Le problème n’est pas là. Il est choquant pour rester dans la mesure que ce qui est le produit de l’esprit et ne reflète que des opinions et des considérations internes et personnelles – c’est du moins comme cela qu’on comprend ce considérant – soit exposé aux Juges. Qu’un détenu n’ait même plus un espace de réflexion à lui ressemble fort à l’emprise d’un régime totalitaire sur un détenu politique. Voilà qui n’a pas de sens.
Cette cause-là pourrait bien retenir l’attention de Strasbourg, du moins faut-il l’espérer…

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