Février…

… où l’on doit patienter en attendant les confettis. Quoique… des confettis dans les dossiers, ça ne fait pas sérieux, Me ! Et que dire de les ramener dans son lit, façon Poinçonneur des Lilas ? Donc, en attendant de faire des petits trous, essayons de ne pas trop esquinter la langue de Molière dans nos longs développements juridiques. Difficile de concilier les rigueurs procédurales du respect du fardeau de la preuve avec une plume fluide, surtout quand, en arrière-plan Gainsbarre nous parle de Marilou et de son iris absinthe. « Serge », icône anti-woke pour les esprits chagrins, formidable artisan d’une langue loin d’être morte, régulièrement malmenée, y compris dans la littérature des prétoires.
Le 5…

… où l’on se prépare pour la première audience sur le fond d’un dossier de défaut de construction commencé, par le dépôt d’une requête de conciliation, il y a… 8 ans !

8 ans d’allers et retours, d’esquive procédurale de la partie adverse, peu pressée d’aller affronter ses responsabilités dans un prétoire, et aussi de changements à la barre du Tribunal. 3 magistrats s’y sont succédés, abandonnant le dossier au bord de la route qui les a conduit vers de nouvelles fonctions. Mes clients ne sont pas loin de se sentir maudits. Comment leur expliquer les splendeurs et misères de la procédure civile.

Cette fois, on dirait pourtant bien que c’est la bonne. Une date est bloquée et un programme nous a été communiquée. Après tant d’années, toute notre activité est concentrée sur la première ligne « Tentative de conciliation ». C’est la formulation officielle, mais elle a tout de suite interpellée mes clients qui, malgré le temps passé à observer leur dossier faire du sur place, restent malgré tout des néophytes en matière judiciaire : « Qu’est-ce que ça veut dire exactement Tentative ? On essaie juste pour voir ? « 

La négociation, surtout sous la haute main d’un magistrat, est un exercice particulier. Connaître son dossier, ses limites et anticiper celles de l’adversaire. Et surtout dégager un fil conducteur pour que le Juge voit que notre proposition de règlement du litige obéit à la logique du dossier.

Mais y en-a-t-il, une, de logique dans ce dossier dont mon doc Word qui concentre tous les allégués et arguments couvre pas moins de 217 pages ?!?

Le 7…

… où, en parallèle de la préparation de notre dossier civil aux allures de Péplum, pas le temps d’oublier les autres. Une audience pénale s’annonce lundi, et plutôt délicate.

Le client y est accusé de différentes infractions économiques, dont des faux dans les titres, des violations des règles pénales en matière comptable et, cerise sur le gâteau (ou plutôt idée saugrenue du Procureur), de blanchiment d’argent… alors que, manifestement, l’intéressé est en délicatesse avec la lecture basique d’un texte. Il déchiffre avec peine les mots et est donc dans l’incapacité de saisir, même de manière fragmentaire un document complet, qui plus est s’il est officiel, ou d’en saisir la portée.

Cette particularité de l’affaire est apparue en cours d’instruction, quand votre serviteur a fini par comprendre que ce brave homme n’entendait rien au courrier que je lui adressai. Me, on en est où ? … Ah, je viens de vous envoyer une lettre avec toutes les explications…. J’ai vu, mais, soyez gentils de m’expliquer un petit peu, j’ai pas tout compris…

Le Procureur a été moins réceptif à cet argument. Pour tout dire, il s’est assis dessus : Monsieur, si vous êtes le patron, vous devez savoir que, quand vous signez un document, c’est que vous avez compris ce qu’il dit ! Il a donc déposé un acte d’accusation très sévère, réquisition de peine ferme, assortie d’une expulsion judiciaire… avant de le conclure par un laconique « Le Ministère public ne participera pas aux débats« .

Ce refus de l’obstacle est malheureusement en passe de se généraliser dans la Comté. Le Parquet considère a priori que sa présence aux débats n’est réservée qu’aux causes qu’il estime digne de son intérêt. Il suffit de résumer succinctement un état de faits problématiques, de ne souligner que les éléments à charge du prévenu, et inutile de s’encombre avec les explications du principal intéressé. Ces explications ne devaient tout de même pas être si tartes, puisque, basée sur elles, la « directrice ad intérim » de la fiduciaire de mon client a été condamnée derechef pour faux dans les titres ! Mais pas un mot là-dessus dans ses conclusions. Passez votre chemin, il n’y a rien à voir…

Certes, on pourrait dire que, finalement, pas de Procureur aux débats, c’est plutôt confortable. Effectivement, ça fait un contradicteur de moins. Et pas n’importe lequel. Mais, tout de même… Le boulot du Parquet, c’est de soutenir l’accusation publique et il n’est pas là pour se faire des amis. Déposer un acte d’accusation qui n’est qu’une interprétation sélective du dossier, qui élude systématiquement les points problématiques de réalisation éventuelle des infractions reprochées, requérir ensuite un peine ferme (ce qui signifie qu’on exclut d’emblée la moindre circonstance atténuante, puis, demander l’expulsion d’un gars qui est en Suisse depuis 30 ans, a charge d’une famille qui est sa seule raison de vivre (Vous savez, moi, c’est plutôt travail, famille et maison.), eh bien, c’est une chose grave.

Le prévenu qui, jusqu’à preuve du contraire, est présumé innocent, mérite tout de même un minimum de respect. Et que dire de celui dû au Juge, à qui on file la patate chaude avec la mention « Bonjour chez vous » ?

Quant à l’avocat, dans un cas comme dans l’autre, il est dans les écailles du saumon qui se prépare à remonter la rivière. Combien de cascades à négocier, avant d’arriver au sommet ?

Voilà pour les remarques existentielles. Au boulot, maintenant.

Le 10…

… où nous voici donc en début de cette audience, avec notre client, accusé de tout un bataillon d’infractions économiques et ce challenge de faire comprendre au Juge qu’il a bien signé les documents problématiques, mais qu’il était (et est toujours) incapable de déchiffrer tout seul les détails de ce dont on l’accuse.

Rappelons pour la bonne compréhension des choses que, en droit pénal, ce n’est pas tant le résultat qui compte, mais surtout ce que l’auteur voulait faire, ou a pris le risque de faire.

Finalement, cette démonstration, balayée au cours d’une instruction à sens unique, comme on l’a évoqué dans le billet du 7 (ci-dessus), et qui m’inquiétait donc un tantinet, s’est faite tout naturellement.

Le Juge a demandé d’emblée au prévenu s’il avait bien compris les actes qu’on lui reprochait dans l’acte d’accusation. C’était le bon moment pour demander au magistrat de lui soumettre l’acte d’accusation, le premier chiffre des réquisitions du Parquet, et de lui demander de les lire et d’expliquer ce qu’il y comprenait.

Le résultat a été on ne plus éloquent…

L’accusé a buté au bout de quelques mots difficilement identifiés sur « intentionnellement« , qu’il arrivait à peine à lire et comprenait encore. Le procès était lancé, mais dans un cadre où désormais mon client était non seulement écouté, mais maintenant entendu par un Juge à l’écoute.

Le 17…

… où, ce lundi après-midi, notre procès civil en mode Péplum (voir Le 5… ci dessus) prend ses quartiers pour une première demi-journée au Tribunal de la Comté.

Au programme, interrogatoire des parties (il y en a une dizaine, ça va durer), puis discussion sur les preuves à administrer, sur la suite de la procédure, etc. Les plaidoiries finales, pourtant mentionnées dans la citation à comparaître, cde n’est pas pour tout de suite.

Mais, pour mes clients en tous cas, s’ils sont là, c’est pour la première ligne du programme annoncée par la Présidente du Tribunal : Tentative de conciliation. Leur contradicteur, entrepreneur impénitent de travaux jamais finis, va-t-il enfin, 8 ans après le début de la procédure esquisser un signe d’ouverture ? Lui qui a dit, écrit, et admis dans les écrits judiciaires qu’il assumerait ses responsabilités, mais qu’il n’ouvrirait pas le porte-monnaie !

Nous sommes les demandeurs. Donc, c’est à nous de dégainer en premier. De manière tout à fait opportune dans un tel dossier, la Présidente isole les deux factions, car elle entend discuter séparément avec chaque partie sur les mérites de la procédure. Cela lui permet aussi d’avoir une meilleure écoute des positions respectives, sans prendre position.

Une bonne demi-heure est ainsi consacrée l’exposé dans les grandes lignes de notre chemin envisagé vers une issue cohérente de ce serpent de mer, chiffres à l’appui. L’exercice est concluant semble-t-il.

La Présidente passe alors à l’entretien avec le défendeur et son conseil. Une nouvelle demi-heure, cette fois à attendre l’issue de la discussion de la partie adverse avec la magistrate.

Et… rien !

L’échec d’une tentative de conciliation est monnaie courante. Les clients sont forcément déçus. Quant à l’avocat, au pire il fait avec en considérant les choses de manière « philosophique » (on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif !), au mieux il en tire différents enseignements : la réaction du tribunal à certains arguments évoqués dans la discussion libre par exemple. Un froncement de sourcils de l’un des Juges et c’est un abîme de réflexions qui s’ouvre sous les pieds du plaideur.

Mais, surtout, ce qu’on attend, c’est au moins une contre-proposition. Même saugrenue, même impossible, et donc refusée, elle est souvent utile. Elle permet de fixer plus concrètement les piquets qui entourent le champ de bataille.

Mais, là, rien…

Tout le monde reste donc sur sa faim. Pas de contre-proposition, même inadéquate. On aurait fait avec. Au moins, cela aurait été un point de départ. Non.

Dans les litiges civils, comprendre comment cela fonctionne dans le for intérieur des parties n’est pas une préoccupation pour le tribunal. Il doit trancher. Point final. Cela ce joue sur le mérite des écritures et des preuves. C’est tout.

L’avocat, lui, doit composer avec les contraintes de la procédure bien sûr. C’est ce qu’il apprend sur les bancs de l’université. Mais, se contenter d’une telle vision est réducteur. Il y a aussi le vécu des clients, comprendre leurs attentes au-delà du procès. C’est tout aussi important. Et, après, il y a la personnalité de la partie adverse. Si on peut la discerner (science on ne peut plus subjective, donc aléatoire et partant dangereuse, mais voilà), cela permet tout de même – avec un brin d’expérience – d’anticiper certains mouvements. C’est aussi une des composantes de L’art de la Guerre, tel que conceptualisé par Sun Tzu, six siècles avant JC. Son manuel qui prône l’approche indirecte de l’adversaire et vise à contraindre l’ennemi à déposer les armes sans combat mérite de figurer au panthéon des bibliothèques de droit pour les avocats.

La différence avec la guerre dans les contrées chinoises d’antan, c’est que, au moins, ici, pas besoin de préparer ni d’anticiper le prochain mouvement de l’adversaire. La procédure civile a un côté très mécanique. Une fois le train lancé, il n’y a plus qu’à prendre une étape après l’autre.

La tentative de conciliation avant d’aborder le fond du litige est le seul moment un peu créatif. Ici, il n’aura pas duré longtemps. Place donc à la mécanique procédurale.

Le 20…

… où on reçoit avec une grande satisfaction la notification du jugement qui clôt – on l’espère – les tourments de notre entrepreneur accusé de faux, de blanchiment et autres infractions à caractère économique (lire le 10 ci-dessus).

Il est en effet acquitté sur toute la ligne !

Sur le plan technique, l’avocat est content (!) de voir qu’il est reconnu que toutes les infractions reprochées n’étaient pas suffisamment étayées par l’instruction, puis décrites comme il se doit dans l’acte d’accusation, et que le Parquet n’avait donc pas correctement effectué son travail, ce qui doit au final profiter à l’accusé.

Sur le plan émotionnel, après une phase d’explications (nécessaires, car il ne s’en sortira pas tout seul) le client apprendra avec reconnaissance que, malgré son inconséquence, surtout en accordant sa confiance à une fiduciaire que l’on peut qualifier de Radeau de la Méduse, de par ses interventions et conseils désastreux, il n’avait pas agi de façon malhonnête.

La morale de cette affaire pourrait être celle d’une fable de La Fontaine, dont mon client partage bon nombre de traits de caractère avec ses personnages : En toute chose, il faut considérer la fin…

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