September…

… où, 15 jours après la fin des « vacances » judiciaires, ces fameuses féries où le temps suspend son vol, c’est la rentrée… des écoles, des entreprises, des politiques, etc. et le Barreau prend le même chemin. Exit les mocassins. On remet chaussettes et Richelieu, d’autant que ça caille un brin le matin sur le chemin de la FaireCave.

 

Le 2…

… où, au détour d’un dîner, la question n’est pas le classique « comment faites-vous pour défendre des coupables ? », mais une fois n’est pas coutume : « que veut dire cette expression que j’ai entendu l’autre jour à la télé : jura novit curia ? »

Une petite explication donc, sur ce principe central de notre système judiciaire et qu’on pourrait interpréter comme étant la baguette magique du juge

Jura novit curia, c’est du latin. Une langue qui autrefois exprimait les fondements de notre savoir, mais qui est aujourd’hui devenue, par le rétrécissement de la pensée scolaire, une sorte de code secret réservé à des initiés, dont les juristes. Cela signifie littéralement « la cour connaît le droit ». En termes simples, cela veut dire que le juge connaît les lois – tant mieux – et peut les appliquer même si les avocats qui s’égarent dans leurs effets de manches ne mentionnent pas explicitement la bonne référence légale.

Cela permet ainsi d’assurer que la Justice soit tout de même rendue équitablement, même si l’avocat, cet étourdi, oublie de mentionner une loi ou une jurisprudence importante. Si tel devait être le cas la baguette magique du juge permet quand même d’appliquer le droit correctement.

Les juges vous diront que cela leur permet aussi de gagner du temps. Qu’ils n’ont pas besoin d’attendre que chaque détail juridique soit discuté devant eux pour prendre leurs décisions, qu’ils justifieront sur leur propre connaissance du droit. Le revers de la médaille, c’est que, parfois (pour rester poli), la Cour veut aller plus vite que la musique et néglige d’écouter l’homme de robe et les solutions auxquelles elle n’a peut-être pas pensé.

Cela dit, il ne faut pas perdre de vue, que, face à la complexification croissante des lois, l’application idéale de ce principe devient aléatoire. Nul n’est sensé ignorer la loi devient gentiment un vœu pieux, même pour le Juge.

Du côté des avocats, qui ne sont pas mieux lotis que les juges face au déferlement de nouveautés législatives de plus en plus absconses, pour pallier à toute éventualité, nous devons au minimum nous concentrer sur l’exposé complet, détaillé et compréhensible des faits. Car ce sont eux qui sont à la base de tout processus judiciaire. Oublier de porter un fait essentiel à la connaissance du Tribunal, et celui-ci ne pourra de toute façon pas appliquer le bon article de loi, qu’il le connaisse… ou pas.

Le 4…

… où l’on ne parvient pas à dissiper ce doute. Ces jeunes entrepreneurs qui assurent à ma cliente d’avoir la surface financière nécessaire pour mener la transaction à terme sont-ils sérieux (peu d’éléments en leur faveur pour l’instant), inconscients (là, il y a plusieurs indices), ou franchement malhonnêtes (c’est l’alternative à la 2ème possibilité) ?

Et on repense à cette citation d’Audiard : « Quand un homme a un bec de canard, des ailes de canard et des pattes de canard, c’est un canard. Et ce qui est vrai pour les canards est vrai aussi pour les petits m…. »

CQFD

Le 5…

… où l’on s’interroge sur la fragile limite entre l’acte stupide, heureusement sans trop de conséquence, et celui irréversible. Celui qui infléchit le cours d’une vie à tout jamais. Celui, dont on exprimera des regrets la plupart du temps sincère, mais que le Juge qui sera assis en face ne pourra plus reléguer au rang des erreurs de jeunesse.

Il y a quelques années, un toxicomane qui s’était fait « lever » sa copine toxicomane aussi par un autre amoureux des brumes artificielles de la bande, et qui se moquait de lui devant tous les copains toxicomanes (vous l’aurez deviné), a pris un couteau à éplucher les légumes et donné un coup, un seul, de cette toute petite lame à son rival. Mort. Une chance sur dix de porter un coup fatal avec un tel ustensile avait dit le légiste…

Aujourd’hui, nous avons une toute jeune fille, embrigadée par un esprit de camaraderie qui tient plus de l’aveuglement social que du partage de valeurs. Un beau matin, elle s’en vient participer au règlement de compte entre sa copine et sa « rivale » (tu me regardes mal et ton chien a mordu ma veste !). La copine désarme ladite rivale et lui balance un coup de surin qui lui était destiné. Heureusement, le coup finit dans la fesse. Quelques points de suture.

Deux bagarres aux fondements identiques : la stupidité, l’absence d’une once de réflexion sur les conséquences possibles de l’utilisation d’une arme blanche. Deux résultats différents : homicide pour l’amant déçu, lésions corporelles pour l’incapacité de communiquer autrement que par onomatopées, mêmes pas graves heureusement.

Le seul mot qui vienne immédiatement à l’esprit : le Destin.

Parfois, on se dit quand même que, dans la Grèce antique, la ligne de défense était intellectuellement plus motivante. Les Dieux ! Ces grands farceurs, avec leur facétieuse tendance à jouer avec les mortels. On pouvait ainsi plaider l’irresponsabilité. Alors que là…

Le 9…

… où l’on constate avec amertume que, lorsqu’il s’agit aujourd’hui de déposer un recours devant le Tribunal fédéral, la question n’est pas d’être convaincu d’avoir raison, car, s’il y a bien un point que notre Haute Cour n’examine pas, c’est celui-là. son attention est focalisée sur le point de savoir si la solution retenue par la dernière instance cantonale et défendable, pas s’il en existe une autre, préférable.

Pire, le défi n’est pas non plus de dresser la liste des arguments potentiellement capables de convaincre les juges fédéraux du bien-fondé de notre thèse.

Aujourd’hui, l’avocat se pose une seule question : est-ce que le recours sera recevable ? Irrecevable ou rejeté le résultat est le même pour le client, mais pas pour l’avocat. Si le recours est rejeté, c’est que la question soulevée était intéressante, mais pas suffisante pour changer la donne. Irrecevable, cela veut dire que l’on n’aurait même pas dû déposer le recours et qu’on devait le savoir.

Sur le fond, rien à dire. C’est le métier de l’avocat d’évaluer la situation et de conseiller son client. Sauf que les règles de procédure devant le TF, conçues initialement pour permettre aux juges fédéraux de recevoir des recours ciblés et correctement motivés, sont aujourd’hui interprétés par les récipiendaires de nos argumentaires de manière à ce que, suivant l’humeur du juge, le même recours puisse être jugé irrecevable, rejeté ou plus rarement admis. Simple question de point de vue.

Donc, la décision de déposer un recours – ou pas – en centrant l’argumentation sur une simple phrase où la Cour cantonale s’est, à notre avis, complètement mélangé les pinceaux, relève de la roulette russe.

Aujourd’hui, le client nous dit qu’il a bien compris la situation et les risques. Mais demain ?

Le 11…

… où, c’est un sujet récurrent de ce blog, l’avocat ne doit pas seulement composer avec les règles légales, mais également avec l’interprétation qui en est faite.

Prenons par exemple un tribunal civil. Il est composé de 3 juges, hommes ou femmes, peu importe, qui siègent en fonction de la répartition des dossiers. D’un à l’autre, la méthode sera très perceptiblement différente. Avec le premier, vous pourrez poser vos questions librement. Le second, dans la même situation, vous demandera d’indiquer précisément à quel allégué vous référez. Le 3e, ira jusqu’à refuser une question, même tout à fait pertinente, car elle ne correspond pas au catalogue des preuves qu’il a décidées d’administrer en vertu de son pouvoir discrétionnaire et divin. On peut effectivement présenter comme ça ce débroussaillage opéré par le juge avant d’entendre qui que ce soit. Car un recours contre une ordonnance de preuve, qui délimitent justement le champ d’examen du tribunal et, dans la foulée, les points sur lesquels les parties pourront poser leurs questions, est en principe irrecevable. Donc, si on est pas content, il faut attendre plusieurs mois, voire un ou 2 ans, pour pouvoir critiquer ce choix arbitraire dans le cadre d’un recours qui peut enfin être déposé contre le jugement final.

C’est dire que l’avocat, quand il prépare son audience, doit être prêt à tous les cas de figure. Parfois, on a déjà eu quelques expériences avec tel ou tel magistrat. Mais le plus souvent, non.

Anticiper,c’est la seule manière de pouvoir parer à toutes les éventualités. Même à un scénario aussi inhabituel que celui vécu ce jour au bout du lac. La pratique assez libérale en matière de questions aux témoins, qui a eu cours lors de la première audience d’instruction, devient brusquement, en cours d’audience, sensiblement plus rigide au cours de cette seconde partie.

Ce qui nous amène, un peu par des chemins détournés et tortueux, il est vrai, au sujet que nous voulions mettre en évidence dans ce billet. Soutenue par une jurisprudence toujours plus « technique » de la Haute Cour, en matière d’allégation des éléments factuels et de leur admissibilité dans le cadre de l’examen du juge, le procès civil s’en trouve complètement désincarné.

Le fond de l’histoire, le fil rouge du litige, la vision d’ensemble de la problématique par le tribunal sont complètement relégués au second plan. Au lieu de contextualiser les questions, elles sortent du chapeau, presque sans suite logique ou chronologique.

La qualité des réponses s’en ressent et, fatalement, cela se répercute sur celle du jugement.

On nous annonce pour 2025 une réforme du code de procédure civile, axée sur l’accessibilité de la justice. L’intention est louable, mais tant que chaque magistrat interprétera les règles de fonctionnement du procès à sa sauce, nous ne serons guère plus avancés.

Le 13…

… oh my goodness !

Le 20…

…où on nous bassine quotidiennement avec l’intelligence artificielle qui va révolutionner la profession d’avocat.

Sauf que nous ne sommes pas seuls concernés dans le processus juridique. Quid des juges ? Peuvent-ils céder à la tentation de faire rédiger leurs décisions par Big Brother ?

Une première réponse compréhensible et utilisable dans nos Landerneau a été rendue en août dernier. Étonnamment, elle ne vient ni des pays anglophones ou des cours de justice de la vieille Europe, comme on pourrait s’y attendre, mais de Colombie (T-323 Blanca c. EPS) !

Dans cette affaire, la Cour a jugé que l’utilisation de ChatGPT 3.5 par le juge d’appel pour la rédaction du jugement, après que la décision ait été prise selon des méthodes traditionnelles, ne constituait pas une violation du droit à un procès équitable. Cependant, la Cour a souligné les limites de ChatGPT 3.5, un outil qui n’est pas directement voué au système judiciaire, et la nécessité d’une utilisation limitée et supervisée.

Comment ces lointains juges (dont votre serviteur ignore tout de leur système légal) ont-ils considéré l’utilisation et les limites de l’IA pour l’établissement des faits du dossier et le prononcé de leur verdict ?

En ce qui concerne les éléments factuels, l’interprétation autonome n’est pas acceptable. L’IA ne doit pas se substituer au raisonnement humain pour interpréter faits, moyens de preuves ou textes juridiques. Le juge doit rester aux commandes.

Il doit aussi prendre garde aux risques de biais inhérent à l’IA. Elle se base sur des données que l’on ne maîtrise pas, même si certaines sources sont citées et donc vérifiables. Cela peut conduire derechef à des idées toutes faites et sans fondement par rapport au dossier en question. Et donc, au revoir l’équité que devrait revêtir tout jugement. L’avocat sait que, même sans IA, ce n’est pas toujours le cas. Mais c’est un autre débat. Revenons à nos puces électroniques. Il faut impérativement vérifier systématiquement et intégralement la fiabilité et la pertinence des sources d’information utilisées par l’IA, si elles sont données et porter un regard très attentif sur ce qui n’est pas documenté.

En résumé, c’est le juge qui rend au final la décision et pas la machine toute seul. Traduit en langage de juriste, le principe du juge naturel reste incontournable. Ses sources « d’inspiration » devenant quasi universelles au travers du net, il doit prendre garde à bien rester sur ses terres. C’est un droit du justiciable à être jugé par « son » juge et pas par une entité délocalisée.

Vous l’aurez compris, image créée par l’IA…

Au final ? L’IA arrive au galop dans nos officines juridiques et autres hémicycles judiciaires. L’avocat doit en ce qui le concerne, veiller à ne pas engager sa responsabilité civile en se fourvoyant pour avoir voulu faire son intéressant en l’utilisant. Du côté des Juges, foin de responsabilité, en principe. A moins de faire une grosse bourde ou de violer outrancièrement les règles de fonctionnement de l’institution, ils restent hors de portée. Si on n’est pas content de leurs décisions, on ne peut pas les attaquer pour incompétence. Il faut faire recours. Mais, alors, comment se garder d’une utilisation fantaisiste ou abusive de ChatGPT ou Copilot dans la décision papier qui sera notifiée au justiciable ?

Le premier critère doit être celui de la transparence. Le juge qui décide d’avoir recours à l’IA doit informer les parties au procès de son utilisation, en expliquant sur quelle partie du jugement elle est intervenue, pour résoudre quel(s) problème(s) et les données utilisées.

Ensuite, il faut pouvoir assurer que l’entièreté du processus judiciaire, du dépôt de la demande au jugement final est resté sous contrôle humain permanent. Impossible de garantir dans le cas contraire l’équité et le respect des droits de chaque partie.

Cela implique que le juge a été au préalable formé à l’utilisation responsable et éthique de l’IA, en intégrant ses implications juridiques et ses limites. Et qu’il reçoive une habilitation spéciale à cet effet. Pas de formation olé-olé dans la cafeteria par un collègue qui a découvert l’IA la semaine dernière !

Moralité, utiliser l’IA dans le système judiciaire, yes you can ! Mais pas n’importe comment pour garantir que le procès reste équitable, respecte l’intégrité du processus judiciaire et la primauté du jugement humain. Comme pour nous autres avocats, L’IA peut devenir un outil précieux pour améliorer l’efficacité du travail et la prise en compte d’éléments pertinents supplémentaires permettant d’affiner le résultat. Mais elle ne doit jamais remplacer nos petites cellules grises.

Le 21…

… où il y a la chronique judiciaire, mais quid des chroniqueurs du procès ? Qui plus est, quand le procès est historique ?

Réponse contrastée dans The Writers’ Castle: Reporting History at Nuremberg (« Le château des écrivains. Journalisme et histoire à Nuremberg » ; de Uwe Neumahr, traduit par Jefferson Chase, Pushkin Press, 2024).

On y explore l’envers du décor du procès de Nuremberg à travers le prisme du « Press Corps », un groupe de journalistes venus du monde entier pour couvrir les débats judiciaires.

En marge de l’arène judiciaire, ces hommes et femmes, pour la plupart des lettrés de renom (comme Erika Mann, Erich Kästner, John Dos Passos, Elsa Triolet, Janet Flanner, Rebecca West, Martha Gellhorn, Walter Cronkite, Walter Lippmann, Joseph Kessel, Willy Brandt) y débattent de la complexité du procès, de la notion de culpabilité et de la responsabilité allemande. Leurs discussions reflètent les tensions et les ambiguïtés de l’après-guerre. Fallait-il pointer du doigt les failles du procès ? Comment concilier justice et vengeance, même si le procureur Jackson prônait l’éducation des masses et la dissuasion morale, message que devaient justement véhiculer les journalistes présents ?

Une autre particularité piquante de ce reportage sur les reporters est leur décompensation après les témoignages glaçants et les images vidéos atroces des camps suivi de l’atmosphère délétère du « Schloss Faber-Castell », où ils étaient logés tous ensemble.

Le sujet reste cependant centré sur ce qu’on a qualifié à juste titre de procès des vainqueurs et qui reste un moment hors normes dans l’Histoire (en attendant de voir si les nombreux crimes de guerre dénoncés ces derniers temps verront leurs auteur comparaître devant un tribunal internantional). Imaginez : 21 accusés, 8 juges, 250 journalistes venus du monde entier, dont des Russes qui avaient pour instruction de masquer leurs propres massacres, des français qui voulaient venger les résistants exécutés, des américains bien sûr qui avaient pour mission de souligner la bienveillance des gagnants…

On découvre que la « naïveté » de l’approche de l’Oncle Sam a été pointée du doigt par certains journalistes, dont Janet Flanner du New Yorker, qui se montrera si virulente dans ses critiques de son pays, qu’elle finira par se faire virer de son journal…

Mais les questions controversées n’étaient pas que pour le grand public. Le livre se concentre surtout sur l’impact de procès sur ses chroniqueurs qui étaient ainsi confrontés à des questions morales complexes, ce qui suscitait des débats houleux dans les chambres de fortune du Schloss Faber-Castell, où ils étaient tous logés dans une promiscuité qui a aussi contribué à créer certains débordements. Après la tension des débats, l’Hôtel a abrité des noubas mémorables, avec tout ce qui peut se passer quand des dizaines d’hommes et de femmes vivent en vase clos avec open bar.

Le soir, entre deux bouteilles de schnaps, les discussions étaient donc vives. Les opinions divisées sur la culpabilité et la responsabilité des Allemands. Seuls les dirigeants étaient-ils individuellement coupables ? Ou collectivement tout le peuple germanique ?

Certaines journalistes adoptait une position plus radicale en critiquant le fond du procès lui-même. Elsa Triolet, la muse d’Aragon, décrivait le tribunal comme un « village Potemkine », et les débats de « mise en scène ». Elle a exprimé un profond scepticisme quant à sa capacité à véritablement juger les crimes nazis.

D’autres, comme Martha Gellhorn, en appelaient ouvertement à l’éradication du nationalisme allemand, le comparant à une maladie mortelle.

Le procès de Nuremberg reste un événement historique exceptionnel. Les crimes qu’on y jugeaient suscitaient tout de même de grandes interrogations sur la capacité de rendre la Justice. Qui juge ? Quelle est la place de l’accusé ? Celle du procureur aussi, qui a dû composer avec les contraintes imposés par les organisateurs russes, français et américains. Au milieu de tout cela, des journalistes qui, conscients de la dimension de l’événement, doivent avant de relater eux-mêmes trouver leur place face à l’Histoire.

Le 24…

… où l’on se rappelle une vieille interview de la reine du crime, Agatha Christie, à qui un journaliste demandait comment faisait-elle pour être si juste quant à ses personnages, à leurs réactions si parfaitement « collées » à leurs origines sociales ?

Elle lui a répondu par ce simple mot : l’observation.

Observer les gens est une inépuisable source d’enseignements. Sherlock Holmes ne dirait pas le contraire (pour rester dans les histoires de détectives). C’est aussi un don que l’on développe dans ce métier, surtout quand on est pénaliste.

Nos clients nous confient parfois jusqu’à leur âme. Mais, bien souvent, la communication n’est pas leur fort ni la pertinence du regard qu’il porte sur la situation qui les a amené à vous consulter.

Alors, on les observe. Et parfois, on apprend beaucoup de choses sur leur façon de fonctionner, même sans poser de question et même sans que le client s’en doute.

Le 25…

… où l’on ne peut s’empêcher de rire devant cette perle involontaires, découverte lors de la relecture du PV d’audition de mon client, un agent de sécurité visé par la plainte d’un trublion qui voulait en découdre avec lui.

« Alors qu’il voulait forcer le passage, je l’ai bloqué avec une aile de poulet« .

Un PV d’audition n’est pas toujours aussi clair que l’auteur des déclarations le voudrait. Ici, il faut comprendre qu’il n’a pas brandi un chicken wing du McDo pour stopper la progression du jeune excité, mais qu’il a fait l’usage d’une clé de bras basique, telle qu’enseignée dans le manuel du parfait agent de protection.

Voilà qui détend un peu la fin d’une journée complète d’auditions.

Le 28…

… … où, force est de constater, que pas seulement nos politiciens, mais même certains représentants emblématiques de notre ordre judiciaire, s’évertuent de plus en plus à se distancer de l’image d’Epinal de la Suisse.

Le débat actuel sur les suites à donner à l’arrêt de Strasbourg pointant du doigt l’Helvétie pour non-respect de ses obligations en matière climatique en est un très bon exemple.

Récemment, un juge fédéral, soit un représentant de notre plus haut degré de juridiction, celui qui rend des décisions contraignantes pour tous les autres pauvres mortels, a exprimé son rejet de ceux qu’ils qualifient de juges « activistes de Strasbourg ». Ne respectez pas cette décision, nous exhorte-t-il (alors que lui , plus qu’un autre, sait que nous y sommes contraints par le biais des accords internationaux votés en 1949, donc auquel nous (enfin nos grands-parents) avons expressément accepté de nous soumettre).

Mais, ce rebelle parmi les prétoires n’est pas isolé. Le Parlement et le Conseil fédéral discutent aussi âprement de ce sujet. Sujet qui ne devrait même pas faire débat. Devons-nous nous conformer à nos engagements internationaux ? Et l’UDC de saisir la balle au bond : pourquoi ne pas sortir carrément de la CEDH ?

Le simple fait de poser ces questions est plus qu’inquiétant. Car, par opportunisme politique ou fierté mal placée, non seulement nous disons ni plus ni moins « ce qui ne nous plaît pas, nous le refusons », comme Moscou (cf. ci-dessous), mais nous nous rabaissons par la même à un discours bêtement nationaliste, au lieu de voir un petit peu plus que le bout de notre honneur soi-disant égratigné.

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) n’a fait que constater que la Suisse ne respecte pas ses engagements en matière de politique climatique. Et quand nos politiciens s’agitent devant ce constat qualifié d’injuste, on peut sourire. Ils oublient que la Cour EDH, lors de son analyse, a retenu que le Conseil fédéral était déjà parvenu à la même conclusion et l’avait même exprimé à haute voix il n’y a pas si longtemps !

Nous sommes dans un pays libre (paraît-il !), donc tout le monde doit pouvoir donner son avis. Dans les limites du débat d’idées s’entend. Les politiques défendent des idées ciblées, souvent à sens unique, contrées par leurs collègues. C’est le débat démocratique. Quant aux juges, ils restent des citoyens, mais lorsqu’ils s’expriment avec la casquette de leur fonction, ils sont soumis au devoir de réserve. Et donc ne pas inciter le justiciable à refuser un système dont ils sont les garants.

Mais le problème ici n’est pas le respect des opinions de tout un chacun, principe fondamental. Le problème est que l’on refuse justement le débat et donc la liberté d’opinion, car cette liberté est biaisée dans ce débat.

La vraie question n’est pas un pseudo-diktat de la CEDH. C’est au contraire pourquoi nos élus et quelques autres quidam en mal de publicité réagissent ainsi. Qu’est-ce qui leur fait si peur dans ce verdict qui ne fait qu’énoncer un fait ? Parce que si nous ne sommes à l’évidence pas les plus mauvais élèves de la classe, celle-ci n’est de toute manière composée que de cancres. Alors pourquoi tant d’agitation sur nos monts ?

C’est un peu comme avec des ados pris en faute. On s’agite, on conteste, on se pose en victime. Tout ça pour essayer de masquer une réalité qu’ils ont parfaitement comprise. Bien sûr que nous n’en faisons pas assez sur le plan climatique. Comme tout le monde. On se donne bonne conscience en triant les poubelles, mais pour la plupart, ça s’arrête là, parce que, justement nos politiques montrent timidement l’exemple, mais sans forcer. Ne pas vexer les lobbies qui les élisent (aussi). C’est comme en matière de dopage. Cette fois, c’est nous qui sommes pointés du doigt. On se défend alors avec l’argument teenager : les autres font pire que nous !

La réalité est toute simple, mais nous la refusons. La situation climatique se dégrade un peu plus chaque année. Par intérêt, par paresse, nous préférons rester avec notre bonne conscience, parce que nous avons versé 50.- à une ONG pour soutenir le ramassage des déchets en forêt.

Si on revient sur la position de la Suisse en matière de respect de ses engagements internationaux, la réaction de nos élus rappelle une décision antérieure de la Douma russe de refuser les jugements de Strasbourg si ceux-ci sont jugés contraires à la constitution russe. Traduction : si ça contrarie notre souveraineté, gardez votre décision. Comparaison n’est pas raison, mais il y a de quoi s’inquiéter. On parle d’un pays qui n’est pas particulièrement connu pour respecter les droits de l’homme. En 2015, elle avait adopté une posture similaire – dans un contexte uniquement judiciaire il est vrai, soit l’affaire Ioukos – affirmant la primauté de sa constitution sur les décisions de la CEDH. Notre beau pays qui se vante de ses engagements en faveur des droits de l’homme veut-il vraiment suivre cet exemple ?

Quel mal y aurait-il à montrer l’exemple, à en faire plus que les autres, même à notre échelle mondiale plus que limitée ? Serait-ce honteux de reconnaître que, comme les autres certes, nous n’en faisons pas assez, mais que nous au moins, nous allons travailler à nous améliorer. La Suisse aime bien se poser en référence dans beaucoup de domaine. Pourquoi pas là aussi ?