Novembre…
… où le rush final s’amorce dès la Toussaint et le rythme ne décélère pas d’un iota. C’est chaque année la même histoire qui recommence. Les séances s’enchaînent, les décisions pleuvent et, donc, les délais de recours s’additionnent. Il faudra faire des choix, les magistrats le savent et les plus optimistes comptent bien là-dessus. Si seulement, on pouvait relever la tête du guidon et voir les choses d’un peu plus haut…
Le 5…
… où l’on assiste ce lundi matin brouillardeux à un des aléas les plus redoutés de l’avocat : le témoin qui se présente et qui commence par dire qu’il n’a pas dit la vérité à l’instruction, lors de son audition de police (la seule d’ailleurs qui figure au dossier).
Simplement, à l’époque, il n’avais pas « osé » dire ce qu’il avait vu, nous dit-il. En se tordant les mains et avec les deux pieds qui s’agitent sous la chaise. On sent bien le témoin droit dans ses baskets !
Le Président l’interpelle à 2 reprises. Les fausses déclarations en Justice sont punissables, car personne n’est dupe. Il transparaît en outre du dossier, que ce merveilleux zélateur de la partie adverse serait son amant (ce dont il se défend « peut-être qu’il y eu quelque chose dans le passé, mais plus aujourd’hui) et qu’il doit de l’argent à ma cliente. Pour la crédibilité, il faudra donc repasser.
Mais le mal est fait. Ce litige, déjà l’objet de déclarations tout à fait contradictoires entre les protagonistes, devient inextricable. Un jugement ne pourra – selon toute vraisemblance – que renvoyer les parties dos à dos, puisqu’il est désormais quasi impossible de séparer le bon grain de l’ivraie.
Mais, pourquoi me direz-vous ? Puisqu’il est apparemment si évident que le témoin ment ?
Certes, le Juge pourrait statuer ainsi. Mais, comme nous sommes dans une affaire pénale, où le degré de la force probante d’une preuve est laissée à la libre appréciation du Juge, la probabilité qu’il choisisse de ne pas trancher au vu de ces circonstances est très élevée. Donner raison à l’une ou l’autre partie débouchera à coup sûr sur un recours du perdant qui critiquera vertement son absence de clairvoyance (ce que les magistrats n’aiment pas, mais alors pas du tout). Renvoyer la balle, limite donc les risques et ménage la chèvre et le choux.
La Justice est souvent aussi affaire de calculs. Les juges savent en outre que les avocats doivent conseiller leurs clients et, surtout, les dissuader d’aller droit dans le mur.
Cela n’a pas manqué. Un accord sous forme de « pacte de non-agression mutuelle future » est improvisée sur le tard par les mandataires des parties et chacun des clients repart un brin déçu par la tournure de cette audience qui aurait dû voir sa victoire. Mais, au moins, le risque non négligeable d’une condamnation est désormais écarté.
Tiens le brouillard s’est levé…
Le 8…
… où l’on reçoit un arrêt de la Cour d’appel qui rejette le recours de notre client au motif que les critiques d’ordre appellatoires sont exclues en matière d’appel restreint…
On se demande bien alors si, en appel on ne peut plus développer des griefs appellatoires, ce que l’on encore exposer dans un recours ?!?
Le défunt code de procédure pénal de la Comté (qui comportait juste 68 articles) ne prévoyait que le seul pourvoi en cassation contre les jugements de première instance.
La cassation, c’est la voie de recours préférée des magistrats d’instance supérieure. Les critères d’admissibilité y sont si tordus que, d’abord le juge saisi se pose la question si cette affaire à l’heur de lui plaire et donc si cela vaut la peine d’entrer en matière. Sinon, irrecevable, merci d’être venu.
Le Tribunal fédéral a traduit cela par le concept de l’arbitraire. On fait toujours ce qu’on veut, comme on veut, mais c’est dit de manière politiquement plus correcte. Le justiciable, lui, doit comprendre qu’il en coûte de déranger les hautes sphères de la Justice avec des broutilles.
En ce qui concerne notre Comté, manifestement, le fantôme du vieux code hante encore les travées de l’ancien cloître de Saint-Augustin.
Le 11…
… où l’on entame une semaine qui nous voit passer du siège habituel de défenseur du prévenu, à celui de la victime.
Ce matin, c’est une audience d’instruction. Donc où le Ministère public instruit les faits pour déterminer s’il y a eu infraction et si la cause peut être déférée au Tribunal.
Dans cet exercice, quand on défend le prévenu, souvent énervé d’être là (et c’est bien le cas ici, il le rappelle vertement d’entrée de cause), on veille à ce que ses droits soient scrupuleusement respectés et que l’instruction puisse mettre en lumière tous les éléments, mêmes des vétilles, qui sont de nature à mettre en doute l’accusation.
Du côté de la victime, l’avocat cherche avant tout à la protéger de la violence de l’instruction, toujours déstabilisante quand la crédibilité d’une accusation est sur le fil.
La Procureure – ici qui mène très respectueusement son audition, il faut le souligner – est souvent obligée de faire l’arbitre entre les velléités de déstabilisation de la défense du prévenu et celles d’évitement de la victime.
Au delà de la nature intrinsèque de la cause et des inquiétudes pour le bien-être de la cliente, l’expérience reste riche en enseignements. Sur la stratégie de la partie adverse notamment.
Qu’est-ce qui fonctionne… ou pas. Quand on défend le prévenu, on sait que la présomption d’innocence est un leurre dès qu’on franchit la porte d’une salle de justice. Si votre client est là, c’est forcément qu’il y a une bonne raison pour le juge et le public. La Justice est aveugle certes, mais les magistrats se targuent toujours d’avoir une excellente vue et le système dont ils dépendent ne peut pas se tromper souvent croient-ils.
Prétendez le contraire et vous serez considérés comme un blasphémateur, même si vous apportez quantité de précédents à l’appui. Et, croyez-moi, les avocats pénalistes en ont plein leur besace !
Bref, quand on représente celui qu’on accuse, on cherche la faille. Et, souvent on s’égare dans les méandres des incohérences, souvent ténues, du dossier. Parce que, on le sait, il y a toujours des failles dans n’importe quel dossier pénal. There is a crack in everything / That’s how the light gets in disait si merveilleusement Leonard Cohen. En pénal, le salut de l’accusé, innocent… ou pas, vient effectivement souvent de ces failles. Alors, on cherche, parce que c’est notre mission, défendre.. Parfois, on s’y perd.
Se placer aux côtés de la victime donne un point de vue différent. Là, on peut analyser plus froidement les arguments de l’adversaire. Ce qui paraît pertinent, ce qui l’est moins, ce qui amène l’audience à se poser de nouvelles questions, inattendues…
Là, nous avons une personne qui se prétend scientifique. Tout ce qui lui arrive, ces accusations qu’il qualifie de grotesque, il les analyse scientifiquement dit-il en s’exprimant posément.
A la question quasi-rituelle de la Procureure pourquoi la victime vous accuse-t-elle ? le scientifique sort de sa coquille et nous inflige un (très) long monologue sur les diverses hypothèses qu’il a longuement examiné nous dit-il. Impossible de le stopper. Ce qu’il a à dire est fondamental. Et son avocat insiste pour lui laisser cet espace de parole libre. En face, on sait par expérience que c’est un exercice très délicat, dont le client ne mesure pas la dangerosité du retour de flammes.
Donc, discours préparé avec son mandataire ou déclamation spontanée de l’esprit cartésien qu’il veut afficher ? Peu importe, c’est le final qui est intéressant.
Il conclut, longuement, mais avec certitude, que sa dernière hypothèse est la bonne. La victime l’accuse parce qu’elle souffre d’un trouble dissociatif de l’identité. TDI pour les initiés. Il nous l’explique. Une personnalité en elle sait ce qui s’est réellement passé. L’autre, l’accuse croyant dire la vérité. Bref, ma cliente ne sait pas ce qu’elle raconte !
Ce brave émule de Freud nous démontre donc qu’il a compris le fonctionnement interne de la personne qui l’accuse et qu’il sait qu’elle croit dire la vérité alors qu’elle ment en réalité.
On peut lui laisser la paternité de cette analyse, mais…
… alors pourquoi a-t-il déposé plainte contre elle pour dénonciation calomnieuse, soit l’infraction de celui ou celle qui dénonce quelqu’un qu’il SAIT innocent pour faire ouvrir une procédure contre lui ? Si la victime croit fermement qu’il est coupable, elle ne peut le SAVOIR innocent, isn’t it ? En pénal, l’intention de l’auteur-e est centrale dans l’appréciation de sa culpabilité.
Là, notre scientifique est resté muet. Pas son avocat…
Le 13…
… où l’on retourne donc sur le banc de la défense de la victime.
Et, bon sang, ce qui a été dit le 11, reste parfaitement valable.
Là, nous sommes au Tribunal. Instruction quasi-terminée. Donc, il faut juger maintenant si l’accusé est coupable. Un acte d’accusation retranscrit 7 points reprochés au prévenu, qui les nie tous, sauf le dernier. Un bête excès de vitesse, dûment documenté, qui se retrouve pris dans la tourmente du fait de l’attraction des procédures ouvertes vers le juge saisi des plus graves. Une broutille donc, incontestable de surcroît.
La victime que je défends a subi les exactions de l’accusé dans 3 des 6 autres cas.
A part un de ces copains qui racontent un épisode rocambolesque, toutes les preuves (auditions, constats médicaux, documents écrits de sa plume) convergent dans la même direction : la sienne.
Cicéron, notre père spirituel, avait définit les trois axes de la défense pénale. Le premier : ce n’est pas moi. Le second : si vous parvenez à prouver que c’est moi, ce n’est pas ce que vous croyez. Et, enfin, si vous parvenez à prouver que c’est bien moi et que c’est aussi ce que vous croyez, eh bien, j’avais de bonne raisons de le faire…
Dans sa plaidoirie finale, le défenseur de l’accusé va pousser jusqu’au paroxysme les deux derniers axes.
Une des autres victimes a reçu un coup de couteau attesté par l’hôpital ? Erreur, elle s’est blessée elle-même par mégarde.
La personne que je représente a été explicitement menacée des pires maux ?Mauvaise compréhension de sa part. Son client a en réalité cité un poème persan qui voue aux gémonies celui qui accuse à tort un innocent.
Elle est aussi victime d’une lettre la dénonçant aux autorités pour des actes graves ? On ne peut pas reprocher cela à son client. Ce sont ces autorités elles-mêmes qui lui ont demandé de dénoncer la victime, car ils avaient des soupçons sur elle. Qui sont ces personnes ? On ne sait plus, mais, peu importe. De toute façon, l’accusation n’a pas apporté la preuve scientifique que ce qui figure dans deux mails calomnieux n’est pas vrai.
L’exercice était courageux, mais du côté de celui qui représente l’une des victimes, avec à ses côtés un procureur à qui on la fait pas et qui détaille précisément tous les éléments constitutifs des infractions dénoncés dans un dossier où tout va dans la même direction, pour vous laisser le champ libre de l’exposé des dégâts causés par ce triste sire, on a l’impression d’un saumon qui s’entête à vouloir remonter une rivière trop pentue.
Verdict bientôt, mais quel qu’il soit, cette semaine nous aura donc permis d’en apprendre beaucoup sur la façon dont on peut être perçu par l’auditoire quand on se lève à la défense de l’accusé, ce qui reste notre vocation première. Et vu la responsabilité que nous endossons dans cet exercice, il vaut mieux ne pas s’aventurer sur des terrains improbables…




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