Août…
… ou plutôt aouch ! Demandez le programme de la fin des féries judiciaires ! Où fermeture de la FaireCave rime avec soleil et doigt de pieds en éventail… enfin, presque !
Au menu, les vacances du Code pénal : Découvrez comment notre CP se détend dans les salles d’audition de la police. Spoiler : l’article 312 a pris un coup de soleil ! Sinon, l’été, c’est cocktail et apéro, non ? Alors, on a testé pour vous le Martini TF. Rien de tel, avec des glaçons, après une journée passée à transpirer sur la préparation d’une bonne grosse audience d’appel à venir.
Espérons que la canicule prenne – elle – des vacances d’ici-là. Parce que le combo robe noire d’avocat et tongs n’est certes pas clairement proscrit par les usages. Mais, c’est bien connu, les juges ont l’esprit plus large en matière de rejet de toutes sortes qu’en dress code. Moralité : Profitons tant qu’on peut de l’été. Sans oublier que, même en vacances, le droit ne prend jamais vraiment congé ! La musique non plus d’ailleurs. Mais, là, pas question de se plaindre under the Kokomo !
Le 6…
… où le calendrier des auditions ayant été fixé juste avant la constitution de votre serviteur à la défense de notre client, fermeture estivale de la FaireCave ou pas, pas question d’obtenir un renvoi. On se présente donc matinalement pour l’audition de trois témoins dans ce petit poste de police de province, coincé entre un office notarial et un institut de beauté, tout cela à l’ombre d’un château dominant le lac de Neuf Châtel.
L’affaire concerne un agent de sécurité à qui on reproche d’avoir abusé de son autorité de manière inappropriée au vu des circonstances.
Trois témoins sont entendus.
Ils ont vu le même fil des événements. Leur récit coïncide avec la chronologie de l’émeute auquel l’agent et ses collègues ont dû faire face.
Par contre, et c’est là l’objet de ce billet, nous allons être confronté à l’un des grands « classiques » du droit pénal : leur position – hiérarchique si l’on peut dire – par rapport à l’agent et au plaignant n’est pas la même et leur approche de la situation fluctue en fonction de leur ressenti personnel.
La première à être convoquée est une dame, maman d’un ado, dont la fonction d’assistante sociale, l’amène à se focaliser sur le passé du jeune plaignant et non son comportement au moment des faits qui nous occupent. Elle les qualifie tout de même indirectement comme étant totalement inadéquat. Ce qu’elle oblitère le plus possible cependant, derrière les excuses qu’elle trouve à son protégé. Son témoignage efface également complètement l’entourage complètement déchaîné du jeune homme et les velléités de ce dernier d’exciter encore plus ce groupe qui l’entourait. Du bout des lèvres, elle admet que l’agent a agi correctement face à de telles circonstances. Toutefois, elle conclut son témoignage, lors de la question rituelle : avez-vous encore quelque chose à ajouter ? par un « je sais bien que sur le moment la sécu ne pouvait pas faire autrement, mais aujourd’hui, je suis sûr que, avec le recul, l’agent aurait pu agir autrement ».
Et puis, il y a le second témoin. Coordinateur du centre où se sont déroulés les faits. Lui, il a dû s’interposer entre le groupe en colère et qui voulait en découdre avec le service d’ordre. Comme les faits se sont passés dans la cuisine du centre, outre le nombre de jeunes déchaînés auxquels il a dû faire face, il considère également avoir risqué sa vie en raison des couteaux qui traînaient là. On ne peut pas lui donner tort. Plutôt que qualifier le comportement du jeune homme ou celui de l’agent de sécurité, son témoignage revient invariablement sur des considérations autour de sa propre personne. Il conclut en disant que, suite à cet événement il a préféré changer son secteur d’activité.
Enfin, dans cette salle minuscule, surchauffée par le soleil qui tape sur l’unique minuscule fenêtre, vase clos à peine rafraîchi par un ventilateur anémique, on termine la journée par l’audition du dernier témoin. L’ex-collègue de l’agent. Lui aussi a décidé de changer d’orientation professionnelle ensuite de cet épisode. Il est toutefois resté près des casseroles, puisqu’il exerce désormais le métier de cuisinier ! Il a toutefois gardé un œil très professionnel sur le fil des événements. Sans barguigner, il considère que l’intervention de l’assistante sociale a clairement déclenché l’émeute, car, en s’interposant entre le jeune trublion et son collègue qui voulait l’isoler, afin d’éviter justement que cela ne dégénère, elle a permis à l’excité d’ameuter toute la troupe. Ce qui s’est passé, c’est donc un peu la faute du jeune, beaucoup celle de l’assistante et pas du tout celle de son binôme qui appliquait les consignes de sécurité à la lettre.
Voilà qui aurait interpellé Descartes. Un évènement identique pour tous. Trois façons d’en faire état… et au Juge de décider ensuite si mon client a réagi correctement ou non. Sans avoir rien d’autre sous la main que ces trois témoignages et le vécu de mon client qui a déposé tout de suite après les faits.
Ce n’est pas nouveau. Bien au contraire. Face à un évènement émotionnellement impactant, les déclarations des témoins s’avèrent régulièrement fluctuantes en fonction de leur rapport avec la victime ou l’auteur. C’est humain.
Plusieurs facteurs influencent ces variations.
Les témoins proches de la victime, comme cette assistante sociale mère d’un ado du même âge, fonctionnent à l’empathie. Ils sont donc émotionnellement affectés, ce qui peut altérer leur perception et leur compréhension des événements.
Ils peuvent aussi ressentir une certaine pression par rapport à leur entourage professionnel, comme le coordinateur ou l’agent de sécurité. Pouvais-je anticiper cela et peut-être l’éviter ? Ce qui peut les amener à modeler leurs déclarations en fonction d’une crainte qui, souvent, n’a pas lieu d’être.
Dans d’autres circonstances, qui n’entrent toutefois pas en considération dans notre cas, la peur de représailles peut également pousser des témoins à minimiser ou à exagérer certains aspects de leurs compte-rendus.
La position sociale et professionnelle est enfin un facteur non négligeable. Les témoins occupant des positions de pouvoir (l’agent) ou ayant une certaine réputation à maintenir (le coordinateur) peuvent être tentés d’édulcorer leurs déclarations pour éviter des répercussions négatives sur leur carrière ou leur statut social. Inversement, ceux qui se sentent vulnérables ou marginalisés peuvent être plus susceptibles de se conformer aux attentes perçues des enquêteurs.
En conclusion, les déclarations des témoins sont cruciales dans les enquêtes criminelles, mais elles sont souvent influencées par divers facteurs liés à leur relation avec le contexte. Comprendre ces dynamiques est essentiel pour évaluer leur fiabilité et assurer résultat équitable.
Le 7…
… où il est question du procès antitrust perdu par Google et ses conséquences possibles en Suisse.
Le géant californien Google a en effet récemment perdu un procès historique contre le ministère américain de la Justice. Cette décision pourrait marquer un tournant majeur dans la régulation des grandes entreprises technologiques et pourrait avoir des répercussions significatives, y compris en Suisse ou chaque ménage dispose de son moteur de recherche (par défaut).
Dans ce procès de longue haleine – il a débuté en novembre 2020 – Google était accusé par l’état américain d’abus de position dominante dans la recherche via le net et la publicité en ligne. Le juge Amit Mehta a conclu que Google agissait au travers d’un quasi monopole, en particulier grâce à des accords avec des fabricants de smartphones et des navigateurs pour pré-installer son moteur de recherche par défaut. Des sommes astronomiques auraient d’ailleurs été payés à Apple contre cet avantage. Ceci a permis à Google de maintenir et renforcer sa position dominante, avec 90 % des requêtes en ligne passant par son moteur de recherche.
La décision de ce tribunal outre-atlantique devrait avoir de grandes conséquences pour Google, voire même entraîner des changements structurels. Google a certes fait appel, mais, quel que soit le résultat qui n’interviendra pas avant longtemps, le verdict pourrait déjà avoir pour effet de l’obliger un tant soit peu à revoir ses pratiques commerciales et, au final, favoriser une concurrence plus équitable.
A terme, cette procédure devrait aussi impacter la Suisse et nous autres internautes helvètes.
Pourquoi ? Parce que cette décision, la première du genre aux USA (et ailleurs), n’est peut-être pas la dernière. Ce qui signifierait que le background de nos moteurs de recherches risquent bien d’évoluer à terme. Google n’est pas seul dans la ligne de mire. Amazon, Apple et Meta font face à leurs propres poursuites en matière de monopolisation. Il est donc pratiquement impossible que nous autres « clients » contraints et forcés de ces entreprises transfrontalières ne soyons pas impactés. Pour les avocats, le marché en vogue du legal tech en sera inévitablement affectés, ce qui ne sera peut-être pas sans conséquences bénéfiques à l’heure où l’IA s’invite dans nos Etudes.
Wait and see
Le 13…
… où je me tâte.
J’ai une justification assez originale pour demander au Juge de prolonger encore une fois un délai déjà reporté à plusieurs reprises (d’abord l’avocat (Bibi donc) débordé, puis le client, puis les pièces difficiles à trouver, etc.)
Là il faut juste qu’on se parle par vidéoconférence pour accorder nos violons, vu qu’il est à l’autre bout de la planète. Mais bon, alors qu’on devait se connecter demain, il m’annonce ce soir par courriel : Arrivé cette nuit d’une tempête tropicale de catégorie 1. On se barricade et on se prépare à ne plus avoir d’électricité, d’eau et d’internet pendant quelques jours…
C’est tout de même plus original comme motivation de ma nouvelle demande de prolongation ? Ou bien, je me contente d’une simple, je demeure dans l’attente d’informations de la part de mon client, histoire de ne pas trop avoir l’air d’en faire juste un poil trop ?
Je me tâte.
Le 15 août…
… où c’est une journée toujours un peu spéciale.
Elle marque la fin des féries judiciaires d’abord. Fini de laisser le temps filer mollement en jetant un œil léger sur Outlook. Les minutes commencent à nouveau à s’égrainer méthodiquement dans le sablier. On les entend presque tomber une à une.
Mais le 15 août, c’est aussi l’anniversaire de la mort de celui qui fut unique, probablement l’un des plus grands d’entre nous, Jacques Vergès.
Son nom résonne encore dans les couloirs des tribunaux et dans les mémoires de ceux qui ont suivi ses affaires les plus médiatisées. Immense talent, immense culture, relent sulfureux autour de son passé resté secret et fausse modestie agaçante pour beaucoup. Mais, qu’on le respecte ou pas, 15 ans plus tard, Vergès laisse toujours une empreinte indélébile dans le monde juridique et continue d’inspirer, sinon des vocations, à tout le moins l’amour de la défense pénale. Pour les jeunes, lisez son Dictionnaire amoureux de la Justice. Cela vous donnera une autre dimension de notre profession. « Je suis cet homme qui salue toujours le malheur. Comme ma profession m’en fournit l’occasion, il n’en est pas, pour moi, de plus belle.«

Né en 1925 à Oubone, en Thaïlande, Jacques Vergès a grandi à La Réunion avant de rejoindre les Forces françaises libres à Londres en 1942. Après la guerre, il s’inscrit au Parti communiste et obtient des licences en droit et en histoire. Son engagement dans la guerre d’Algérie et sa défense des militants du FLN marquent le début de sa carrière d’avocat.
Ces débuts, dans des conditions qui relevaient plus de la guérilla politique que de l’arrivée feutrée au palais dossier sus le bras, vont façonner celui qui n’allait pas tarder à s’imposer comme l’avocat des causes judiciairement perdues.
Vergès se fera un nom en défendant des clients controversés, allant des anciens nazis comme Klaus Barbie aux dictateurs africains, Slobodan Milosevic à Saddam Hussein, en passant par le terroriste Carlos, jusqu’au jardinier Omar Raddad. Sa méthode de défense provocatrice (c’est lui qui a inventé le terme de « défense de rupture ») , lui a valu les surnom « d’avocat de la terreur » ou « d’avocat du diable »
Jacques Vergès sentait le souffre pour ses détracteurs (presque aussi nombreux que ses fans). En marge des procès, il était aussi connu pour son style de vie flamboyant. Amateur de cigares, une passion à laquelle il a été initié par Che Guevara lui-même, il cultivait une image de rebelle et de provocateur, toujours prêt à défier les conventions.
Lui qui voulait vivre 100 ans, en aurait eu 99 aujourd’hui. Quinze ans après sa mort, il reste une figure controversée, mais toujours incontournable du barreau. Son approche unique de la défense, son engagement pour des causes souvent impopulaires continuent d’inspirer et de diviser.
Il reste cependant une figure tutélaire en matière de défense pénale, d’où ce petit hommage personnel, parmi tant d’autres, à un homme qui a su, par son talent et sa détermination, marquer l’histoire du droit.
Le 16…
… où, ce qui devient malheureusement récurrent, c’est devoir expliquer au client les tenants et aboutissants des règles de la confidentialité en matière de pourparlers transactionnels dans les affaires civiles.
Si ce principe lui est bien compréhensible dans les affaires commerciales – pour trouver une solution immédiate et éviter un long procès, on veut bien abandonner à bien plaire l’une ou l’autre prétention – il passe beaucoup moins bien dans les conflits du droit de la famille, procédures de divorce en tête.
Cette confidentialité clairement expressément décrite dans nos Us et Coutumes, soit les règles déontologiques contraignantes pour tous les avocats inscrits au Barreau veut que l’on ne puisse pas opposer dans une procédure ultérieure les concessions que l’on était prêt à faire pour trouver une solution hors tribunal. Transgresser cet interdit peut valoir à l’avocat une sanction.
Hélas, serais-je tenté de dire, cette règle a été poussée jusqu’à l’absurde par la jurisprudence. Non seulement, on ne peut pas dire au Juge que l’autre partie était avant d’entrer dans la salle audience prête à lâcher du lest alors qu’elle réclame maintenant le beurre, l’argent du beurre et même la laitière ! Mais, on ne devrait pas évoquer l’existence même de discussion.
C’est complètement idiot. Pour deux raisons principales.
La première, c’est que cela fait partie du rôle de l’avocat de trouver des solutions hors procès, qui coûte cher et dont le résultat – même avec le meilleur dossier du monde – est toujours incertain.
L’autre est que, presqu’à coup sûr, au début de chaque procès, le juge demande aux parties : Est-ce que vous avez au moins tenté de discuter et de trouver un accord ? Et on devrait répondre non, quitte à l’irriter, parce qu’on n’a pas le droit d’en parler ?
Mais cela va plus loin. Certains avocats ont bien compris un avantage qu’ils peuvent tirer de ce prescrit.. Il y a désormais une multiplication de dossiers, où une partie profite de cette « impunité » pour émettre des prétentions irréalistes ou grossièrement malhonnêtes, parce qu’ils ne veulent pas tempérer leur client par peur de le perdre, car celui pourrait croire que son avocat n’est pas combatif ou ne croit pas à son dossier. Cela a pour résultat d’annihiler toutes velléités de trouver un compromis équitable chez l’autre partie. C’est sans risque pour leur crédibilité devant le tribunal, puisque leur « cher Confrère » est pieds et poings liés. Il ne peut pas dire au Juge, mon client souhaitait vraiment trouver une solution, mais les prétentions émises de l’autre côté de la Barre étaient totalement hors de propos ! sauf à prendre le risque d’une amende pour violations des règles déontologiques.
On voit même que chez certains, cela va encore plus loin. On sabote systématiquement et délibérément toutes tentatives d’ouverture d’une partie, pour mener inexorablement l’affaire au procès !
Pas difficile de comprendre pourquoi. Un long procès rapporte plus à l’avocat qu’une bonne discussion…
Le 20…
… où l’on rejoint la petite salle de police, où l’on avait tant transpiré quelques jours plus tôt (voir le billet du 6 août).
Suite des auditions et toujours cette compréhension différenciée d’un seul événement vécu par différents acteurs.
Arrivé au terme de cette nouvelle longue journée dans ce minuscule local, le sergent délégué par le procureur pour mener toutes les auditions m’annonce que celui-ci vient de lui transmettre de nouvelles plaintes.
Rendez-vous en septembre !
Le 21…
… où il est question du mètre étalon de l’avocat, le temps !
C’est notre ressource la plus précieuse et, pourtant, on en sous-estime bien des aspects. Quand l’avocat parle de temps, son interlocuteur ne comprend que l’aspect facturation à l’arrache. Aucune minute de galvaudée sur le time sheet, qui, il est vrai, est souvent le bourreau des gens de robe.
Mais, le temps, ce n’est pas que cela.
Nous sommes tous des victimes de notre agenda et des échéances qu’il comporte. Le respect des délais ! Quel avocat ose prétendre qu’il n’en a jamais « coulé » un ? En priant le ciel pour que cela ne soit pas grave et ne l’oblige pas à s’adresser penaud à son assurance.
Le temps, c’est aussi un sablier tyrannique quand on prépare une échéance, comme par exemple l’audience prochaine de Cour d’appel qui occupe depuis quelques jours l’esprit de votre serviteur. On a cette impression diffuse que, quoi qu’on fasse, les grains de sable filent inexorablement vers le néant et que notre maîtrise du dossier devient de plus en plus aléatoire à mesure que la date butoir se rapproche.
Et que dire du temps qu’il nous reste pour s’occuper des nôtres ? La famille, les copains, l’apéro. Cette partie de pétanque si souvent remise ! On va finir par transporter de la terre dans le hall d’accueil du bureau, comme ça, c’est réglé ! Ça risque quand même de jaser dans le Landerneau. Mais, bon, pas d’autre solution…
C’est oublié que le temps peut aussi être notre allié dans la stratégie de conduite du dossier. Au début de leur stage, nos jeunes poussent reçoivent un manuel de stratégies militaires écrit au VIe siècle avant notre ère par Sun Tzu, un général chinois : L’art de la guerre.
L’idée générale de l’ouvrage est que l’objectif de la guerre est de gagner sans combattre, en contraignant l’ennemi à abandonner la lutte, s’il le faut en utilisant toutes sortes de subterfuges.
Avant l’invention de la montre, Sun Tzu considérait déjà que la gestion du temps était un élément crucial. Vous me direz : manuel militaire et procédure juridique ne vont pas naturellement de pair. Pas forcément…
L’art de la guerre insiste largement sur l’importance de la planification avant toute bataille. Il recommande de connaître non seulement son ennemi, la partie adverse, mais aussi soi-même, avant d’entreprendre toute démarche belliqueuse.
Sun Tzu attirait déjà l’attention sur la problématique des campagnes militaires prolongées qui épuisent les troupes et les ressources. Il prônait donc une gestion scrupuleuse de ce que l’on peut avoir à disposition, ce qui peut se traduire chez l’avocat par s’assurer au préalable d’être au fait de toutes les ressources documentaires disponibles et de les utiliser de manière optimale pour maximiser l’efficacité. Le cerveau, la planification, le contrôle des sources, l’intelligence artificielle avant l’heure.
Connaître l’ennemi, soi-même, c’est déjà bien. Mais il ne faut pas oublier le terrain ! Au VIe siècle avant J.-C. comme aujourd’hui, les erreurs se payent cash. Alors, il faut savoir où l’on met les pieds, surtout si l’on se dirige vers une juridiction qui ne nous est pas familière.
Et, comme dans toutes les procédures juridiques, il faut parfois s’adapter aux conditions changeantes. Sun Tzu souligne l’importance de la flexibilité et de l’adaptabilité sur le champ de bataille, afin de pouvoir immédiatement tirer parti d’une opportunité si elle se présente.
En résumé, avant de partir à la guerre, il faut non seulement être prêt, mais évaluer correctement les forces et les faiblesses en présence, avant de tirer l’épée. Il ne faut donc pas déclencher une procédure s’il manque des éléments. C’est peut-être là le challenge le plus difficile. Quand Sun Tzu envoyait des espions dans le camp ennemi pour déterminer si l’on pouvait livrer bataille maintenant ou s’il fallait mieux rester bien à l’abri, derrière les murs de la forteresse, l’avocat doit composer avec son client qui, parfois, néglige d’amener les informations nécessaires ou passe complètement sous silence des éléments factuels d’une importance capitale.
Mais, parfois aussi, dans certains litiges, comme celui d’aujourd’hui, le temps permet à une solution que l’on entrevoyait pas quelques mois plus tôt d’apparaître tout à coup, au coin du chemin. C’est un peu comme si on recevait des renforts d’un allié inattendu. Voilà une de ces fameuses opportunités dont on parlait plus haut et qu’il faut savoir saisir.
The slow way is the fast way disent les bouddhistes. Le client n’est en général pas trop fan de cet adage quand on l’évoque en début de mandat. Mais, au final, s’il repart avec son litige réglé…
Les 24 et 25…
… où, quand on reprend de A à Z, en passant par Cithare, un dossier en vue de la préparation de l’audience finale, qui ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices, on se sent un peu comme un médecin légiste.
Autopsie du cadavre, le jugement de première instance, pour essayer de déterminer les causes de la mort et leur fournir une nouvelle réponse, plus en adéquation avec la faute commise par cet entrepreneur plus malheureux que malhonnête.
Partir comme ça à la guerre, sans faire preuve d’un grand optimisme, cela jure un peu avec les préceptes de Sun Tzu, dont on vient de parler. Mais, bon, pas le choix. L’appel, pour la défense du condamné, a été déposé, car le verdict ne laissait pas beaucoup d’autres solutions. La partie civile s’est également engouffrée dans la brèche, car elle ne trouvait pas l’addition finale assez salée. A-t-elle bien pesé le pour et le contre ? Nous serons bientôt fixés.
La bataille s’annonce donc difficile, car il faudra compter avec 2 adversaires supplémentaires, et ceux-là sont de taille : les juges de la Cour d’appel, qu’il va falloir convaincre de nous suivre, au moins sur la partie la plus problématique pour notre client, et la représentante du parquet, spécialisée dans les infractions économiques, sujet de la procédure, et qui ne va pas se priver de dire tout le bien qu’elle pense de notre petite incursion derrière les lignes ennemies (traduction : proposition de relecture de la jurisprudence en matière de faux dans les titres et d’escroquerie).
Cette reprise de ce vieux dossier qui, comme toutes les bonnes procédures de criminalité économique, comportent quelques classeurs, certes devenus virtuels depuis qu’ils ont été enregistrés dans notre nuage, mais qui, sous format papier, étaient plein à craquer d’auditions, notes, rapports divers, sans bien évidemment oublier les interminables listings de la banque.
Leur consultation relève désormais de la dissection juridique. Heureusement, au moins, il n’y a pas les odeurs !
Le compte à rebours est lancé. Dans moins d’une semaine, nous serons fixés.
Le 27…
… où, pour nous changer les idées, on s’en va faire un tour en forêt.
Rien de bucolique ou de sylvestre là-dedans. Il s’agit d’un accident ou un arbre mort s’est écroulé sur une promeneuse, laquelle reste définitivement handicapée. Pas vraiment de quoi se dérider….
Alors qu’il avait classé la plainte de la victime, considérant qu’il était impossible de pointer sur la responsabilité de qui que ce soit dans ce malheureux accident, sur recours de cette dernière, la Chambre pénale a obligé le Procureur à reprendre l’instruction contre mon client, responsable communal du dicastère des forêts, et le garde forestier.
Aujourd’hui, c’est l’audition de l’inspecteur du Service compétent. Précis, clair, didactique. Il faut bien comprendre que le secteur sous la surveillance des personnes incriminées comporte au bas mot 1,3 millions d’arbres. Impossible de tous les contrôler régulièrement… 10 hommes n’y suffiraient pas.
Cela nous ramène à une problématique de plus en plus accrue en matière d’accidents. Les gens n’acceptent plus l’aléa. On va à l’hôpital, on en sort forcément guéri, sans bobo et ni séquelle. On va se promener en forêt ou à la montagne, il ne doit rien nous arriver. Bien sûr, c’est ce qu’on veut. Sauf que la médecine, comme le droit d’ailleurs, ne sont pas des sciences exactes. Et que dire de la nature ?
Une forêt, c’est un écosystème. Qu’on le veuille ou non, il y a toujours un risque. Comme en montagne, où un rocher peut se détacher de la falaise, sans qu’il y ait un fautif… dixit notre inspecteur.
Il sera donc curieux de voir comment cette affaire va finalement se conclure. Le procureur prendra-t-il le risque de clore l’instruction supplémentaire par un nouveau classement ? La question de savoir si une personne peut se voir reprocher la validité de la victime sera-t-elle soumise à un tribunal ? Et si nous devons en arriver là, un juge pourra-t-il considérer qu’il y a une violation de la position de garant des responsables de la forêt ?
Parfois, le droit nous amène à nous poser de drôles de questions et de devoir affronter leur réponse en justice où l’on doit trancher s’il y a eu faute. La faute à qui ? On ne peut pas condamner « pas de chance » !
Le 29…
… où l’on se rappelle que l’on parlait de maîtrise du temps il y a quelques jours.
Belle théorie, mais à nouveau ce constat, incontournable, l’avocat ne maîtrise pas grand-chose et surtout pas sa journée. On a beau vouloir se concentrer sur l’audience du lendemain. Rien n’y fait. Il y aura toujours un appel, une échéance, une visite impromptue qui viendront semer la zizanie dans cette brillante planification, renouvelée sans cesse chaque matin, avec l’espoir que, aujourd’hui, cela va fonctionner ! Quand même, depuis le temps qu’on fait ce métier, on connaît la musique…
C’est donc comme ça que l’on se retrouve, l’esprit déjà bien éreinté par une longue journée, à mettre la dernière main à une plaidoirie qui, à mesure que l’on avance, prend des contours de Radeau de la Méduse.
Heureusement, l’enjeu en vaut la chandelle. Sur un point au moins du jugement de première instance, le tribunal s’est complètement fourvoyé en subordonnant le sursis au remboursement de la partie civile, sans se poser la question de savoir si la situation financière du condamné lui donnait une marge suffisante.
S’il y a bien un principe cardinal dans le droit pénal, principe que l’on a de plus en plus tendance à oublier sous une certaine pression « politique » opportuniste, c’est que la vocation du procès pénal n’est pas de permettre à la victime de rentrer dans ses fonds, mais de protéger la société en éduquant le condamné, afin qu’il ne recommence pas. Vœu pieux, certes, mais la justice n’a pas à transformer son jugement en entreprise de recouvrement. D’aucuns y verraient une évolution bienvenue. Mais, alors, le travail des tribunaux ne serait plus le même et la société n’y gagnerait rien.
Donc, la nuit est déjà bien avancée. Essayer de dire des choses pas trop stupides nécessite de garder un minimum d’esprit affûté. Il est temps de laisser Morphée nous remettre les idées un petit peu en place.
Le 30…
… où, au final, l’objectif minimal est atteint au forceps. L’appel est admis sur la question de la condition posée au sursis de mon client. Cette partie du jugement est tout simplement biffée. Il dormira mieux ce soir. Moi aussi d’ailleurs…
Cela n’a toutefoispas été sans mal et cela a duré, comme à l’accoutumée, plus longtemps que prévu.
Question du Président de la Cour : Combien de temps pensez-vous plaider ?
Demande récurrente, surtout quand midi approche. Et toujours cette difficulté à répondre. D’abord, on se dit qu’il ne faut pas trop effrayer les juges, histoire de garder intacte leur attention dès le début de l’exposé. Ensuite, il y a le texte sur lequel on a transpiré la veille imprimé en note plus ou moins télégraphique sur une quinzaine de pages. Et il y a maintenant ce qu’on peut en faire, après des débats qui amènent forcément des éléments nouveaux.
On digresse, en essayant de ne pas trop s’égarer. Au final, on tient le perchoir toujours plus longtemps qu’on ne l’escomptait.
J’avais répondu environ 30 minutes au Président. Au terme de la plaidoirie, Il m’assène tout de suite : Vous avez plaidé 59 minutes.
La procureure qui avait annoncé 15 minutes, en a utilisé environ 25. On ne lui a rien dit.
L’acte de plaidoirie de la défense est un droit de l’accusé. La parole de l’avocat est libre, tant qu’il en abuse pas bien sûr. Encore que là, une limite est difficile à poser. Bref, on ne sait jamais trop comment prendre ce genre de remarque sur son temps de parole. On se sent quand même un peu comme un écolier pris en faute… Au moins, ça nous rajeunit !







