May…

… où gentiment, mais sûrement Me Faire se remet à l’ouvrage. Sans doute marqué par le climat printanier morose, la production sur la blogosphère a accusé ces dernières semaines un petit coup de mou. Et comme le recours à l’IA n’aurait pas été fair-play pour combler l’absence de chroniques rédigées d’ordinaire à la lampe frontale sous le feu de l’ennemi, il a fallu attendre.
Et donc, merci d’avoir patienté !
Le 13…

… où Totonne John qui fait le gamin en version still standing, c’était une vue de l’esprit surgie du week-end.

On connaît les vendredis 13. Eh bien, il faut compter aussi sur les lundis 13 ! Ils sont pas mal dans le genre…

Pas moyen de sortir du lit ce matin. Fièvre, toux, nez Niagara. Soupir… mais rien à faire. A demain.

Le 14…

… où à 6h53, pensant naïvement qu’on était mieux que la veille, on file direct au bureau. Et où, à 12h48, on informe les pensionnaires de la FaireCave que, finalement, on retourne au lit, avec un Dafalgan bien tassé.

Le 15…

… où, selon le communiqué du Tribunal pénal fédéral (TPF) du jour, la Cour des affaires pénales (…) a reconnu Ousman SONKO coupable de crimes contre l’humanité et a prononcé une peine privative de liberté de 20 ans. En tant qu’ancien Ministre de l’Intérieur de Gambie, Ousman SONKO est jusqu’à présent le plus haut fonctionnaire d’État de son niveau hiérarchique qui a été traduit en justice et condamné sur la base de la compétence universelle.

Toutes les âmes bien-pensantes se satisferont de cette nouvelle judiciaire. Les méchants potentats africains sont sévèrement punis dans notre beau pays, aux frais du contribuable, mais ce n’est pas bien grave, puisque c’est pour une bonne cause. Vraiment ?

Cette fameuse compétence universelle pose tout de même problème. Grâce au droit internationale (domaine où les Helvètes ne prennent que ce qui les arrange), elle nous permet de juger des crimes contre l’humanité commis dans d’autres pays, sans qu’il y ait un quelconque rattachement factuel avec les bords de la Limmat ou Bellinzone. Il faut juste que la personne visée soit résidente ou arrêtée en Suisse.

Le problème donc, c’est que, s’il est bien évidemment difficile de faire exercer leur droit national contre d’anciens dirigeants dans leur pays, cet exercice est-il plus performant en Helvétie ? Le droit au procès équitable est-il mieux garanti sur nos monts ? Il est permis d’avoir des doutes. L’un des principes cardinal du droit pénal est de juger une personne à l’endroit où elle a commis l’infraction. Ne serait-ce que pour avoir un meilleur accès aux moyens de preuves.

Et, politiquement, c’est aussi une nouvelle brèche dans notre neutralité à géométrie variable, qui erre d’une rive à l’autre en fonctions des intérêts en jeux. Sans compter que nous n’avons aucun passé colonialiste qui légitimerait notre intervention.

Enfin, sans vouloir ôter leur mérite aux valeureux confrères qui ont dû retrousser leurs manches pour défendre leur client, on regrette qu’il n’y ait pas un salaud lumineux comme Vergès sur le banc de la défense. Pas pour le spectacle, mais pour oser dévoiler qui se cachait dans les anti-chambres de ces régimes bananiers et poser les questions qui fâchent…

Le 16…

… où l’on entre dans la dernière ligne droite de préparation des audiences de la semaine prochaine.

Derniers réglages avec les clients dans deux domaines aussi différents qu’une accusation de vols à répétition dans un EMS et l’audition de témoins architectes/ingénieurs/courtiers dans un litige fleuve portant sur l’exécution d’un contrat d’entreprise. Fleuve, parce qu’il y a plusieurs centaines d’allégués et que rationaliser toute cette prose pour que les questions posées – et les réponses on l’espère – permettent au Juge de cerner correctement le problème, eh bien, cela ne va pas être une mince affaire.

Chacune de ces deux audiences occupera presqu’une journée entière et elles se suivront en file indienne.

Ce matin on prépare le pénal qui se tiendra mardi à l’ombre du Moléson. Cet après-midi se sera l’audience civile qui suivra donc mercredi, mais à Genève.

L’avocat 4.02 est donc itinérant, mais aussi capable de « switcher » son cerveau d’un système juridique spécifique à un autre domaine, radicalement différent, qui n’obéit pas aux mêmes mécanismes. Une sacré gymnastique !

Le 22…

… où il suffit d’un seul sourire pour qu’une journée s’annonçant compliquée prenne le bon chemin.

Ce sourire fut celui d’une dame fort âgée, patientant bienveillamment dans la salle d’attente du Tribunal du Moléjon. Elle me voit dans ma robe, sait que je suis l’avocat de la personne accusée de l’avoir volée, et m’adresse quand même le plus chaleureux des sourires.

Elle n’en veut à personne d’être là. Tout ce qui vient maintenant, ce n’est que du bonus. Ce sera son aventure de la journée, qu’elle racontera à ses petits-enfants, ses copines, à la caissière au supermarché.

Les personnes réagissant positivement à leur astreinte à comparaître, c’est assez rare pour qu’on le souligne.

PS : pendant ce temps, l’autre plaignant, assis bougon en face de nous, ne lève même pas les yeux de son téléphone portable…

Le 23…

… où l’ambiance est un peu plus tendue au Tribunal de première instance au bout du lac.

Pourtant, nous ne sommes plus en pénal, mais dans une interminable histoire de contrat d’entreprise avorté. Et là, ce n’est pas aux plaignants d’être entendus, mais aux témoins. Les deux premiers attendent, le visage fermé. Pas de sourire là. L’ingénieur est tendu comme une corde à piano. C’est sa première fois comme témoin. Et on sent bien qu’il a une trouille bleu de dire une bêtise. Son patron et architecte qui doit être entendu dans la foulée est manifestement agacé de devoir perdre son temps

En tout, ils sont trois prévus pour être entendu cet après-midi. De manière optimiste, la Juge les a convoqués pour 14h00, 14h45 et 15h30. Optimiste, parce que les écritures de la procédure couvrent plus de 400 allégués et chacun des trois témoins intervient sur bon nombre d’entre eux.

Presque sans surprise, l’audition de l’ingénieur, se termine aux alentours des 16h00.

L’audition du second témoin, l’architecte, porte sur près du double d’allégués…

La Juge soulève un œil inquiet et s’adresse aux avocats : Comment vous voyez la suite. Ma greffière enregistre des PV depuis 8h00 ce matin. Elle ne tiendra pas le coup. Manière polie de nous faire comprendre que le Tribunal ne souhaite pas jouer les prolongations au-delà du raisonnable.

Après discussions avec des mandataires manifestement plus habitués aux courses de fond, la Juge décide d’entendre le témoin n° 3, le courtier, qui est arrivé entre-temps et n’attend « que » depuis 30′. Et donc de renvoyer chez lui le second témoin, qui a dû hypothéquer sa journée pour pouvoir être présent.

Les pas perdus du Tribunal résonne encore de ses commentaires acerbes lancés à la tête du pauvre huissier. C’est un scandale, une honte de faire perdre leur temps comme ça à des gens…

Quand il est passé furibard devant votre serviteur, une esquisse de sourire compatissant a bien été tentée. Je vous laisse imaginer si ça a marché…

Le 24…

… où la vidéoconférence marque indéniablement un progrès significatif dans l’exercice de notre profession.

Pouvoir discuter quasiment face-à-face avec un client, surtout s’il est domicilié dans un pays étranger, pouvoir lui soumettre des documents de visu, en discuter avec lui et directement pouvoir répondre à ces questions et gommer ses incertitudes, c’est un progrès et un confort.

Encore faut-il que, même si notre interlocuteur parle français, il soit également capable de le lire. Et, lorsque l’on se rend compte que ce n’est pas le cas, on a beau essayer de lui expliquer qu’il faut cliquer sur le lien qui apparaît à l’écran où il est indiqué « Rejoindre la réunion maintenant », c’est à peu près comme s’il se retrouvait face a des idéogrammes chinois.

Donc, après 20 minutes de vaines explications par le bon vieux téléphone, nous avons poursuivi nos échanges par ce canal.

PS : regards hilares de mes collègues au terme de cet échange, qui m’ont entendu répéter inlassablement oui, voilà, vous cliquez sur les mots en bleu « rejoindre la réunion maintenant » … non, ça ne marche pas chez moi … oui, j’ai compris, vous ne savez pas où vous devez toucher votre écran … oui, j’attends, votre épouse va venir vous aider … je comprends, elle ne sait pas lire le français non plusne vous énervez pas contre elle, ça ne sert à rien … essayer de toucher l’écran un peu partout … non, ça ne marche toujours pas chez moi

Le 29…

… où on parle partout de révolution avec l’IA dans la profession d’avocat, en oubliant malheureusement du côté du Barreau l’humain et donc l’évolution de ce métier qui fait toujours fantasmer plus d’un juriste.

Le Courrier international consacre une page au « pacte Faustien » des jeunes avocats de Londres, qui acceptent de se tuer à la tâche derrière les boxes des gros cabinets de la City. On commence à 9h. Une journée calme se finit à 21h. Mais souvent, c’est jusqu’à 3h du matin que les young guns s’esquintent les yeux. Les UberEats du coin font la navette avec les pizzas et autres canards laqués. Les taxis d’entreprise les ramènent chez eux, les attendent au pied de l’immeuble et retour au taf après une petite douche. Quand le lit et le lavabo ne sont pas tout simplement mis à disposition sur place !

Les plus chanceux touchent environ £ 150’000 par an, soit un peu plus de CHF 170’000. C’est bien payé, surtout quand vous n’avez pas le temps de le dépenser, sauf en charges diverses, parce que Londres reste une des villes les plus chères du monde.

A Genève ou à Zurich, où l’on aime se calquer sur les grandes métropoles, il est bien connu que les rookies avocats et les stagiaires savent que celui qui part au fitness à 18h00 ne fera pas long feu. Il faut produire et facturer, dans l’espoir d’intégrer un jour le cercle des associés.

En fait, ce n’est pas une évolution. Dans les grands centres urbains, marqués par une compétition effrénée, cela a toujours été plus ou moins comme ça. La course au time sheet est certes devenue plus féroce, car les gros paquebots locaux voient maintenant leurs concurrents venus de l’extérieur des frontières débarquer sur le trottoir d’en face !

C’est lorsque que l’on s’éloigne un peu du jet d’eau qu’une certaine évolution est peut-être plus perceptible, s’agissant de la manière dont les jeunes avocats abordent la profession.

Chaque année des dizaines de jeunes brevetés se lancent seuls dans l’aventure, croyant que c’est facile. Qu’il suffit de mettre une plaque sur une porte et de se faire appeler Maître, pour que les chalands se bousculent dans la salle d’attente, que les notes d’honoraires émises en fonction de la considération qu’ils ont de leur travail et non des intérêts en jeux se paient rubis sur l’ongle – avec le sourire s’il vous plaît – parce qu’il faut bien manger et payer la coti du club de golf.

Et comme je suis avocat, il me faut une jolie voiture pour montrer que les affaires vont bien, etc. etc. Quant aux factures, loyer, assurances, et tout le bazar, ça se règle bien sûr tout seul !

Et chaque année, on en voit donc des dizaines intégrer le Barreau local en prêtant serment, l’œil gourmand et plein de rêves de revenus qui vont désormais prendre l’ascenseur.

L’année suivante, ils sont déjà nombreux à démissionner, même pas pour aller intégrer les rangs de la magistrature, devenue un miroir aux alouettes, mais pour intégrer le monde des banques ou des assurances ou devenir chef d’un service juridique dans l’administration. Salaire garanti, stress limité, horaire compatible avec le fitness, l’apéro et la vie de famille… What else ?

Alors oui, il y a une évolution des attentes de ce métier auprès de jeunes pousses qui croient qu’un titre change tout et que les sesterces tombent comme par magie avant d’avoir commencé à mouiller sa chemise. Mais, aujourd’hui, nos Ordres cantonaux se concentrent timidement sur les révolutions technologiques, sans d’ailleurs en saisir les tenants et aboutissants, et négligent non pas la formation des jeunes, elle est faite, mais l’INformation auprès de la relève, pour que justement elle soit de qualité et en adéquation avec la situation économique.

Expliquer par exemple que le client est rarement dupe. Facturer CHF 10’000 d’honoraires quand la valeur litigieuse est à peine de la moitié, ça n’a pas de sens. Rédiger des conclusions de 35 pages au tribunal pour expliquer, certes en jolis termes juridiques savants, que le soleil se lève le matin, ça n’a pas de sens.

En les traitant ainsi, ces gens ne reviendront plus chez un avocat pour résoudre leurs problèmes juridiques. Ils se rabattront sur des solutions qui leur sembleront plus accessibles, plus économiques, mais sans bénéficier d’une écoute et d’un conseil, car celui-ci les a déçus, il ou elle croyant que c’était facile de gagner de l’argent en masse dans ce métier…

Le 31…

… où le Confrère adverse termine la réfutation écrite de nos arguments non pas par des conclusions, comme c’est généralement ce qu’on attend.

Vous n’êtes pas d’accord, certes, nous l’avions compris à la lecture de vos 35 pages de développements divers. Donc, on attend votre résumé pour qu’on s’y retrouve.

Mais là, foin de conclusions. Le pavé se termine par un dernier chapitre intitulé… « Quintessence« …

On pourrait dire qu’à l’heure où la langue de Molière s’appauvrit dans les écrits juridiques, le copié-collé ayant pris le pas sur la structure de la pensée, cette « pirouette » sémantique est à saluer.

La quintessence n’en demeure pas moins une qualification un peu pompeuse dans une démonstration juridique. Si l’on s’en tient au Robert, il s’agit soit du cinquième élément, l’éther, la qualité pure d’une substance comme l’alcool ou ce en quoi se résument l’essentiel et le plus pur de quelque chose. Mis à part que l’on est un peu saoulé par les vapeurs éthérées de cet écrit dont la pureté nous échappe, what else à nouveau ?

Le juge en charge du dossier nous demande une réplique sur les arguments de notre contradicteur. Va-t-on aller jusqu’à les qualifier de quintessencié, soit d’alambiqué, toujours selon la définition du Robert ?