Février…
…où, après Janvier, dont l’ambiance sonnait comme un vers de La Fontaine, puisque l’avocat revenu de vacances sait que rien ne sert de courir, il faut partir à temps, nous voilà déjà en Février. Un brin essoufflé quand même. Comme on le sait, la tortue a bon dos, mais l’avocat a une tendance innée à se comporter comme un lapin de Garenne. Qui part certes au dernier moment. Mais avec un petit avantage sur le héros de la fable. Outlook et ses rappels automatiques…Et Youtube pour se motiver
Pick up your feet
You’ve got to move to the trick of the beat
There is no elite
Just take your place in the driver’s seat
Le 1er…
… où pour rester dans l’ambiance des fables de Monsieur Jean, on pourrait dire que l’une des vocations de l’avocat idéaliste est que la raison du plus fort ne soit pas toujours la meilleure. C’est ce qu’on nous vend sur les bancs de la Fac. L’expérience ne démontre pas forcément toujours que ce postulat soit naïf, mais il se nuance immanquablement au fil du temps.
Pour demeurer sur les terres du sieur La Fontaine, aujourd’hui dans la salle de conférence, ils se retrouvent trois forts marris, car leur pot de lait s’est renversé. En fait, ils n’avaient pas encore le pot acquis, que, déjà, ils y déversaient lait, veau, vache. cochon et couvée. Et voici qu’un fort habile et retors renard leur exhibe le pot, le gardant hors d’atteinte, voulant pour le libérer bonnes espèces sonnantes et trébuchantes.
Traduction si vous n’êtes pas versés en poésie, nous voici en plein dans un litige de droit commercial, où l’exécution de la dernière étape du contrat est bloquée par la partie adverse qui se fonde sur deux lignes d’un accord signé à la va-vite, sans une lecture attentive qui aurait permis d’éviter l’impasse dans laquelle ils se retrouvent maintenant.
Et c’est là que La Fontaine aurait pu se fendre de quelques vers sur le thème de L’avocat et son client, ce dernier fort marri par tant de perfidie et se trouvant fort démuni, l’hiver venu, aurait été bien inspiré de consulter le premier avant de sa signature apposer sur le pactum.
Moralité : tout ce qui brille n’est pas or. Le baveux le sait bien, et, du péril, essaye de garder son client, qui ne ne lui facilite guère la tâche…
Le 5…
… où selon une idée reçue dans la profession, en pénal, inutile de trop bûcher sur le dossier, seule l’éloquence compte.
Cela valait au début du siècle dernier, mais, depuis quelques temps, les dossiers pénaux ne sont plus constitués de quelques maigres feuilles de PV manuscrits et de rapports réduits à leur plus simple expression, laissant ainsi toute latitude à la tradition orale du procès pénal.
Aujourd’hui, les PV s’allongent, les documents « scientifiques » s’accumulent, le copié-collé fait des ravages dans la concision du raisonnement. C’est bien sûr la conséquence d’un monde où la ronéotypeuse a cédé la place à Word et Adobe. Mais pas seulement. La nouvelle procédure pénale multiplie les failles avec lesquelles pas seulement la défense, mais toutes les parties peuvent se glisser. Cela a inévitablement une conséquence sur les quantités de papier nécessairs pour coucher tout ça.
Les dossiers fleuves ne sont plus seulement réservés aux infractions économiques. Un accident sur une piste de ski, une affaire de stups mettant en scène plusieurs dealers à la petite semaine, se retrouvent rapidement alignés sur plusieurs dizaines de centimètres de classeurs fédéraux.
Et là, plus moyen de procrastiner. Une intervention efficace dans l’affaire en cours passe par quelques heures de détricotage. Connaître son dossier n’assure pas la victoire, mais une défense efficace des intérêts du client. Lequel n’est souvent pas conscient de la nécessité de ce travail de fond. Il y a beaucoup de papier Maître, mais, rassurez-vous pas besoin de tout lire. Je vais vous la résumer en 5′.
On lui rappelle alors Nietzsche…. Le diable se cache dans les détails. Rien n’est plus vrai. Et en audience, le Juge repère rapidement celui des avocats qui ne croit pas au diable.
Le 7…
… où l’on pense toujours pouvoir amener la partie adverse sur le terrain de la négociation, surtout quand c’est l’intérêt des deux parties.
Mais, parfois, on se heurte à un mur de suspicion, d’incompréhension et de négativité, conditionné par un esprit, certes intelligent (du moins sous une certaine forme), mais inaccessible à toutes solutions qu’il n’a pas pu imposer.
Les psys parleront de pervers narcissique. Mais, ici, foin d’expertise de l’intéressé. Et, de toute façon, ce serait inutile. Nous sommes en procédure matrimoniale et c’est de bon sens dont nous aurions eu besoin, pas d’explication scientifique sur son mode de fonctionner.
La frustration est d’autant plus grande que, lasse et résignée, ma cliente met un terme à mon intervention, car son merveilleux époux lui a promis un pont d’or dans le divorce si elle vire son avocat…
Aux innocents les mains pleines.
PS : pour preuve de sa bonne foi dans le règlement mirifique du divorce qu’il fait miroiter à son épouse, il a aussi viré son propre avocat. Nous voilà rassurés.
Le 9…
… où l’on apprend le décès de Robert Badinter, image d’Epinal de la profession d’avocat. Celui que nous voudrions tous être. Celui qui fait avancer les choses de manière significative. Celui qui fait l’unanimité sur l’humanisme de son discours.
Mes Confrères qui l’encensent actuellement (à raison) oublie que ce n’était pas seulement avocat. C’était aussi (et peut-être avant tout) un politicien d’une trempe exceptionnelle. Celui que toute cause voudrait avoir dans ses rangs pour réussir à élever ses arguments à une dimension supérieure, celle d’une universalité de la raison et du bien commun.
C’est du moins ainsi que je percevais cet homme au verbe si puissant, au travers des différents documents médiatiques que l’on trouvait (et trouve depuis quelques heures partout) depuis l’annonce de la nouvelle.
Quand je lis ces questionnaires de Proust adressés à toutes sortes de people, je me demande toujours : A la question, avec qui aimeriez-vous partager un repas ? Je reste honnête, ma première réponse serait presqu’à coup sûr Ventura, Gabin, Blier, Audiard et Blanche. Mais si je pouvais organiser une seconde table, c’est vrai que je me dirais Pourquoi pas Moro Giafferri, Naud, Pollack, Lombard, Dupont Moretti et Badinter ? Je me ferais tout petit (si si c’est possible).
Le 12…
… où l’on se dit que niveau charge émotionnelle, les litiges de succession n’ont finalement pas grand chose à envier au domaine matrimonial.
Un divorce ou une séparation, c’est un constat d’échec. Avec son lot de mauvais souvenirs qui remontent à la surface et, parfois, de coups plus ou moins bas pour s’assurer un avantage au moment du règlement final.
Une succession, c’est une histoire générationnelle, avec tous ses non-dits, ses rancœurs enfouies pendant des années et qui viennent tout à coup vous péter à la figure. Et c’est à l’avocat de rationaliser le débat qui prend souvent des airs de tragédie antique.
Et voilà qu’on ne peut s’empêcher de penser à ses classiques lors de certains échanges entre client.e.s et adverses parties. Jusqu’à prêter à certain.e.s les visages d’Electre, d’Antigone ou d’Agamemnon. Juridiquement, ça n’aide pas beaucoup. Mais, au moins le débat prend une dimension plus littéraire.
Le 14…
… où l’on fait un peu de sémantique avec un client.
La partie adverse, ce sont les défendeurs, pas « les charognes ». Cela dit, le terme n’est pourtant pas si inapproprié. Le charognard est celui qui se repait de sa victime. Et c’est précisément ce que s’acharnent à faire nos deux contradicteurs.
Mais voilà, le Code de procédure civile verrouille les qualificatifs applicables à telle ou telle partie, afin de permettre aux débats de gagner en clarté et aussi en sérénité. Et je ne vous parle même pas du Code pénal, cher Monsieur.
Le 16…
… où l’on se retrouve dans la rubrique nécrologique pour saluer un Confrère, pour le second vendredi à suivre..
Dire que c’est une surprise serait exagéré. Même lui savait qu’il n’y avait que deux issue possibles à son combat. La victoire, mais même les plus optimistes y croyaient peu, ou la mort.
La seconde vient de le cueillir soit-disant pendant une balade autour de sa geôle glacée en Antarctique russe.
Pour votre serviteur, il n’y a pas de comparaison possible entre Robert Badinter et Alexei Navalny, courageux opposant à Poutine, mais personnage tout de même un peu plus controversé à l’humanisme un tantinet ciblé.
Le constant sur la situation en Russie est tout de même assez effrayant. Le seul candidat qui restait en lice en vue des prochaines élections présidentielles s’est vu refusé le droit d’être inscrit sur les listes électorales. Et celui dont on s’était débarrassé en l’envoyant pourrir au fond d’un goulag aux confins du pays, meurt subitement, alors qu’il appelait à la désobéissance civile le jour du vote en invitant ses partisans à se manifester à midi.
Cette citation intemporelle et emblématique d’un autre « copain » du Kremlin, Alexandre Soljenitsyne, résume si bien la situation « Ils nous mentent, nous savons qu’ils mentent, ils savent que nous savons qu’ils mentent, mais ils continuent de nous mentir et nous continuons à faire semblant de les croire ».
Mais pour combien de temps encore ? En tuant Navalny, Poutine l’a élevé au rang de martyr et rendu immortel, selon un autre écrivain, Boris Akounine.
Le 20…
… où les sirènes confédérales nous susurrent à l’oreille depuis quelques temps que Justicia 4.0 est en marche. Bientôt, les dossiers des tribunaux seront tous numérisés et plus besoin de se les coltiner dans des sacs IKEA. Les échanges seront facilités, l’accès à l’information plus simple. Bref, la justice numérique va simplifier la vie du monde judiciaire.
Mais ce n’est pas encore pour tout de suite.
Et, manifestement, certains arrondissements « périphériques », non seulement ne cherchent pas déjà à se mettre à la page, comme la plupart des Ministères publics par exemple, mais nous font bien comprendre que, ailleurs, c’est ailleurs, et, chez eux, ben, on a toujours fait comme ça depuis le Major Davel. Et ça ne va pas changer pour l’instant !
Tenez, par exemple on reçoit la communication officielle de la Justice de Paix d’une Comté qui abrite – paraît-il – des Chineuses. L’inventaire complet d’une succession avec les pièces justificatives, soit des dizaines et des dizaines de pages peuvent être consultés au greffe durant le mois imparti aux héritiers pour dire s’ils l’acceptent.
Appel plein d’espoir ce matin : Vu que ce n’est pas la porte d’à côté, pouvez-vous nous envoyer le dossier par la poste ? Ou, si vous avez scanné le dossiers, nous le faire suivre par lien sécurisé ? … Non, on ne fait pas ça ici. Vous devez venir sur place. Et prendre assez de monnaie avec. Ici, les photocopies, c’est deux francs pièce…
Et voilà comment on se retrouve sur la route, avec un paquet de monnaie dans les fontes. Parce qu’on se méfie. On ne sait jamais. Peut-être croiront-ils que l’on vient voler leur âme si on commence à scanner les docs avec l’application de l’IPhone et il sera interdit de l’utiliser sous peine de repartir couvert de goudrons et de plumes. Gasp !
Le 21…
… où on est un peu honteux d’avoir fait les gros yeux à notre jeune Padawan pour vouloir demander un délai additionnel de 30 jours pour formuler des conclusions civiles, quand l’audience est dans une quinzaine.
En effet, ce matin au courrier, un tribunal nous demande de prendre position jusqu’au 4 mars sur la requête de notre adverse confrère, qui demande un délai supplémentaire au 29 février pour déposer des documents…
Le 23…
… où la salle des pas perdus de ce tribunal proche de Chillon est étrangement vide ce matin.
Heureusement pour tromper l’ennui dans l’attente du feu vert, une post ado en grande représentation met un peu de mouvement. Après avoir presque enfoncée la porte d’entrée, son portable brandit comme un étendard, elle se précipite sur l’huissier. Je veux voir ma sœur, elle est ici !
Certes, Mademoiselle, mais les parties discutent avec leurs avocats dans des endroits distincts. Il y a une suspension d’audience. Il va falloir attendre.
Ce n’est pas possible, je dois lui parler maintenant.
Puis, lorsque les deux sœurs sont enfin réunies, les donzelles prennent des airs affectés et échangent à haute voix. Sans retenue ni réflexion. On dit tout et surtout rien d’important pour le maigre public, certainement supposé être en admiration devant ces deux purs produits de la cool attitude qui s’agitent bruyamment, comme au lycée.
Je deviens vieux, je pense. Mais, il y a tout de même un message que les deux donzelles font passer. Un tribunal, le rituel judiciaire, ses règles et ses contraintes, ça n’a pas plus d’importance que ça à leurs yeux. On n’est pas impressionné pour un sou et on le fait clairement savoir à ces gens à l’air sérieux qui se baladent en robe noire.

Tu crois que je peux faire un selfie ? Il est marrant ce grand type avec son air sombre et sa pile de papier sous le bras…








