September…

… où, ce n’est pas que l’on se sente d’humeur morose. Mais, chaque fin de troisième trimestre, cette balade post Velvet Underground ressort du néant quand la lumière du jours commence à se faire plus rare. For it’s a long, long while / From May to December / And the days grow short / When you reach September... Magic Lou
Le 4…

… où tout fout l’camp. Le respect, tout…

Audience ce lundi matin. Dans un souci pédagogique d’éducation des masses adolescentes sur le fonctionnement de Dame Justice, le prof d’une classe d’apprentis électriciens a emmené ses élèves assister à nos plaidoiries.

On perçoit d’emblée la joie trépidante agitant ces têtes blondes, alors qu’ils s’apprêtent, avec une impatience teintée d’innocence, à découvrir juges et avocats en action. Ah, les braves enfants… Avachis sur chaque pouce de terrain pouvant servir de fauteuils, quand ce n’est pas carrément assis par terre dans le couloir des pas perdus, regardant passer goguenards les avocats en robe et leurs clients…

Prudent, en début d’audience, le Président rappelle à haute et intelligible voix qu’il ne peut les empêcher de pianoter sur leurs smartphones, mais pas question de communiquer avec l’extérieur sur ce qu’il va se passer à l’intérieur. C’est interdit par le code martèle-t-il, dura lex, sed lex, même sur Snapshat.

A les entendre pouffer dans mon dos, les yeux toujours rivés sur leur phone, on sent que le message est passé.

Jusque là, tout est normal.

En fin d’audience, par contre, on voit tout à coup le sourcil du Président se braquer, inquisiteur, en direction du fond de la salle. On se retourne.

Sans attendre la clôture des débats, nos électros, soudain électrisés à l’approche de la libération et manifestement pas au courant du protocole, se sont levés et sortent d’un pas indifférent, comme si la cloche avait sonné la récré.

Regard interloqué du Président devant cette entorse au protocole Oui… mais bon, enfin… ce n’est pas tout à fait fini quand même…

Tout fout l’camp, j’vous dis…

Le 6…

… où tous les avocats connaissent cet adage : le client est notre pire ennemi.

C’est (très, trop ?) souvent vrai, mais on fait avec. Et cela s’accompagne souvent d’une autre constatation : le client est tout aussi un danger pour lui-même. Ce qui reviens en définitive un peu au même, je vous l’accorde.

Un exemple.

En matière d’atteinte à l’honneur, on peut tenir des propos graves à l’égard de quelqu’un, propos qui remplissent objectivement les conditions légales de la diffamation ou de la calomnie. Mais, si l’on parvient à prouver que ces accusations sont vraies, ou, au minimum qu’on avait toutes les raisons de les tenir pour vraies, alors pas de sanction. Véracité ou bonne foi sont des preuves libératoires

C’est ce qui s’est passé dans ce dossier. Le Procureur a considéré que l’auteur d’accusations de maltraitance dans une crèche, n’avait finalement pas tout faux.

L’affaire a donc été classée. Maintenant, le client réclame à corps et à cri son dossier. Pourquoi ? Pas difficile à deviner. Il veut le brandir devant tous ceux qui ont refusé de le soutenir durant l’instruction. J’ai rien vu ou je ne veux pas d’histoires, difficile d’en vouloir à ceux qui risquent de perdre leur place, même si ça ne fait pas le beurre de la défense. Heureusement, un rapport de surveillance a permis de pallier efficacement à l’absence de témoignages directs.

Donc, notre client veut son dossier. Un petit mail, discutons-en, c’est plus prudent, reste lettre morte. Par contre, le secrétariat est littéralement harcelé.

Que faire ? Sur le principe, il a le droit d’avoir le dossier d’instruction dans ses mains, l’affaire étant terminée. La pratique varie chez certains avocats, je le constate souvent. Pour moi, la phase d’enquête d’une procédure pénale reste secrète. On parle d’ailleurs bien de secrets de l’instruction. Si certains de ses éléments se baladent dans la nature (p. ex. les PV dont les journalistes sont friands), ce n’est jamais bon pour personne. Durant cette phase, qui peut durer des mois, voire plus, les clients peuvent toujours venir consulter le dossier à l’Etude. On en discute, on analyse, mais je ne leur donne jamais de copies avant que la messe soit dite. Une fois que c’est terminé, c’est autre chose, mais il faut rester prudent. Un secret doit parfois le rester.

Bref, appelons ça une lettre du SAV de l’avocat, mais une mise en garde s’imposait. Cher client, soyez prudent. Ce n’est pas tant que toute vérité n’est pas bonne à dire. Mais, maintenant que vous avez échappé aux foudres de la Justice, car la procédure aujourd’hui classée a permis de démontrer que vous aviez de toutes les raisons de croire que vos accusations étaient fondées, n’allez pas vous mettre à nouveau en difficulté. Car cette fameuse démonstration libératoire de la bonne foi, ça ne marche qu’une fois !

Comme disait Coluche, j’t’ai prévenu, j’t’aurai prévenu.

Le 8…

… où la confiance règne (à l’égard du Barreau).

Audience de police ce matin. Une affaire d’accident sur un chantier. J’accompagne le directeur de l’entreprise.

Le policier à mon client : vous êtes bien Monsieur X, né le …., domicilié à…. ?

Réponse Oui. Il tend sa carte d’identité. Pas besoin, c’est bon.

Et vous êtes son avocat, Me …. ?

Oui !

Le policier : Merci de me présenter une pièce d’identité !

Voilà qui n’est pas courant. D’habitude, on s’assure d’abord et surtout de l’identité complète de la personne auditionnée, bout de plastique à l’appui. C’est assez logique quand même. Mais pas l’avocat. On sait que s’il fait le mariole, il risque de le payer cher. Donc, on se contente généralement de juste confirmer son nom pour le PV.

Aujourd’hui, c’était le contraire. Cela n’a pas empêché l’audition de bien se dérouler.

Le 13…

… où l’on expérimente à nouveau le décalage parfois absurde entre la réalité et les contraintes de la procédure.

Un après-midi sous le soleil de la Riviera, à retrouver pour la 4ème séance de préparation d’une réplique notre chère cliente. Il y a pire comme conditions de travail, certes. Mais voilà, depuis plusieurs semaines, cette affaire nous « prend la tête » comme on dit.

A tous les deux. C’est mon métier. Mais elle, avec sa santé chancelante, c’est difficile. Concentration extrême, car mes questions remontent le temps et il faut retrouver les pièces qui vont être indispensables pour valider notre action judiciaire.

Car le défi est de taille. Et pas seulement à cause du contexte (action en responsabilité). C’est surtout en raison de l’évolution, devenue quasiment absurde, des contraintes de procédure civile en matière d’allégations. Aujourd’hui, l’avocat doit tellement décortiquer les faits, pour que la demande soit simplement jugée recevable (et pas forcément admise !) par le Tribunal, que l’historique à la base du litige s’en retrouve complètement désincarné. Chaque fait doit être prouvé pour lui-même sans égard au tableau général de la situation.

On peut dire qu’il n’est plus suffisant de prouver que la fusée a atteint la lune et qu’elle y a bien aluni. Il faut aujourd’hui démontrer qu’absolument chacun des composants de l’engin spatial étaient de nature à lui permettre d’arriver dans l’orbite lunaire et que tous ensemble lui permettaient de s’y poser…

C’est donc beaucoup plus difficile.

Mon contradicteur l’a bien compris et a multiplié les embûches dans la réponse à notre ouverture d’action. Contesté que la demanderesse ne pouvait plus prendre le bus à partir de cette date, car elle n’a pas prouvé à quelle fréquence elle le prenait avant. Comme si chacun conservait ses tickets pour éventuellement prouver quelques années plus tard qu’il prenait bien le bus !

Mais, voilà ! C’est le système – soit-disant « amélioré » – que les technocrates de la procédure civile ont imaginé. Point de vue validé et même complexifié par la jurisprudence de notre Haute Cour ! Coluche disait : Les technocrates, c’est la nouvelle race de fonctionnaires. Les technocrates, tu leur donnes le Sahara. Dans cinq ans, on peut racheter du sable. Eh bien voilà, avec le nouveau système, l’avocat ne doit pas seulement amener son sable. Mais tout le sable !

Conséquence perverse : on a ainsi réduit comme peau de chagrin ce fameux pouvoir d’appréciation du Juge, ce bon sens qui devait guider ses pas au travers des méandres du droit. Lui permettant de trancher au final en équité, même si certains coins de l’affaire demeuraient obscurs. Parce qu’une solution cohérente se dégageait de l’ensemble. Et ça c’était de la Justice. Pas de la mixologie technicofactuelle.

Le 15…

… où l’on opère un bref téléportage sur site parisien pour discuter – notamment – de protection des données dans un contexte d’assistance et de prise en charge médicale internationale.

Sujet passionnant et complexe, surtout depuis le 1er septembre. La Suisse, avec sa nouvelle loi fédérale sur la protection des données, se met au diapason de l’Union européenne et du RGPD, déjà en vigueur depuis quelques années.

La partition n’est toutefois pas complètement la même. Ah, cette fameuse Swisstouch. Mais, en l’occurrence, notre législation sera moins un carcan qu’un cadre général à respecter. Du moins, on l’espère, car les exemples d’application des nouvelles règles ne sont pas attendus avant plusieurs mois.

Pendant ce temps, les entreprises suisses et leurs partenaires hors frontières essaient de trouver leur chemin, entre contraintes opérationnelles (ici on parle parfois de sauver des vies) et légales.

Bref, du grain à moudre à l’ombre des arbres centenaires du parc de Levallois-Perret. En attendant d’aller se « restaurer » (LOL) au 11 Quai Conti, à la Monnaie de Paris. Oui, il y a pire comme endroit pour se sustenter et, il faut le dire, c’était sublime.

Le 19…

… où, en se demandant quelle est la meilleure stratégie à envisager dans ce dossier difficile, on se rappelle, un peu par accident, cette répartie à un journaliste de l’un de nos maîtres à tous, Georges Kiejman.

-Qui est le meilleur avocat pénaliste de France, à l’heure actuelle ?

-Moi, je ne suis que le n° 2. Mais, je ne connais pas le nom du n° 1...

Nous tous qui frissonnons au moment d’enfiler la robe et d’entrer dans le prétoire, nous ne sommes pas au niveau de nos maîtres, dont nous avons dévoré les livres. Nous devons donc rester humbles.

Maître Emile Pollak, avocat notamment de Gaston Dominici, en 1970, dont le livre
« La parole est à la défense » a guidé mes premiers pas

Nous n’avons jamais eu à marcher à côté de l’un de nos clients au petit matin vers l’échafaud. Et nous n’aurons jamais à le faire. Exercer ce métier avec le risque de la peine de mort change l’intensité des décisions à prendre avant de monter à la barre.

Ce n’est pas le même rapport de force. Ni le même rapport à la notoriété, concept devenu très relatif à l’ère de l’hystérie numérique.

Le 22…

… où la frontière entre la défense du client et la distance que l’avocat doit garder par rapport aux actes reprochés était d’une certaine façon à l’ordre du jour, ce matin, dans la salle d’instruction du Procureur.

Pourtant, le dossier est d’une triste banalité. En tous cas, dans le milieu des jeunes délinquants, même si les choses auraient pu mal, très très mal, tourner. Ce que les juristes dans la salle sont apparemment les seuls à s’en rendre compte.

Une bagarre entre filles. Pas seulement un crêpage de chignons. On parle d’un couteau et de plusieurs estafilades, dont une plaie à la fesse d’une dizaine de centimètres. A un autre endroit, même moins que dix centimètres peuvent être fatals. J’ai déjà eu l’occasion de défendre l’auteur d’un tel coup mortel. On ne joue pas avec les couteaux. On y gâche sa vie et celle des autres.

Les trois prévenues, deux à mains nues contre celle qui brandissait le couteau, livrent chacune leur version des faits. Selon de quel côté du ring on se trouve, les versions changent. Le couteau passe comme par magie d’une main à l’autre. Heureusement, un témoin a permis d’identifier la main du crime, si l’on peut dire.

On revient à la distance nécessaire entre la personne que l’on défend et les faits qu’on lui reproche.

C’est normal de réagir comme ça, vous auriez fait quoi vous ?

Eh bien non, jeune fille. Ce n’est pas normal de foncer sur une personne qui tient un couteau dans les mains. Et la preuve, c’est que vous avez pris un coup, mal placé, c’est indéniable, mais le simple bon sens vous aurait permis d’échapper à cette blessure.

L’avocat peut le dire à sa cliente. Il n’a par contre ici pas besoin de le faire savoir au magistrat. En l’occurrence, bénéficiant d’une longue expérience de l’instruction, il a pointé, parfois avec une pointe d’humour et quelques références que seuls les plus de vingt ans pouvaient comprendre, les incohérences de certaines affirmations, la plupart du temps balancées avec une certaine morgue par l’une ou l’autre des protagonistes.

Au final, prise de conscience = néant. Les parents de celle qui portait le couteau attendaient même à la sortie du greffe, prêts à en découdre. Cherchez l’erreur serait-on tenté de dire.

Ce matin, la défense a fait son travail, efficacement et avec la distance nécessaire. Pour être honnête, il n’y avait pas de challenge particulier à assurer. Seuls les principales concernées étaient dans l’incapacité de prendre du recul. Juste une belle histoire à raconter sur Snap !