Noirvember…
… où la pluie dégouline sur les vitres extérieures de la #FaireCave. Toutes les leds sont allumées dans le hall d’entrée où trône encore un malheureux ventilo, dernier témoin survivant des grosses chaleurs estivales. Il est 16h12. Il fait presque nuit dehors et ça caille sacrément. Day after Halloween. Day before court. Pendant qu’on oublie un peu les défunts en revoyant les cotes du dossier de prud’hommes que l’on plaidera demain, l’univers au-delà de l’espace lumineux irradiant des deux lampes de bureau et de l’écran du laptop semble peu à peu se dématérialiser. Morcheeba en fond sonore accompagne le crépitement de la pluie…
Le 2…
… où, dans la Comté, les audiences de prud’hommes sont généralement audiencées à partir de 17h00.
Ici comme ailleurs, la raison de cet horaire tardif est historique. Permettre à employés et employeurs de finir leur taf avant d’aller en découdre en Justice.
Mais pas cette audience. Elle débute à 14h00 pile. Fort heureusement d’ailleurs, puisque nous allons terminer passé 18h30. Le Président a donc eu une louable prémonition. C’est vrai que l’affaire est compliquée. D’abord, par son objet. Il y est question d’heures supplémentaires. Sujet délicat. Si les deux parties ne sont pas d’accord entre elles (et allez savoir pourquoi, quand cela implique que l’employeur devrait payer une somme rondelette s’il les admet, la discussion est plombée d’entrée de cause), l’employé se retrouve à devoir les rendre « hautement vraisemblables » à défaut de les prouver.
Comme si ce n’était pas déjà assez compliqué, il faut encore composer avec une difficulté supplémentaire : l’employé maîtrisant plus la langue de Dante que celle de Molière, un traducteur assurera l’intérim entre le demandeur et le Juge.
Et, dans cet exercice, si la personne qui effectue la traduction n’est pas rompue à cet exercice, cela ne simplifie pas les choses. Impossible d’en vouloir à cette brave dame qui a essayé de faire de son mieux, mais nous avons tous transpiré sur ses approximations et interprétations, pour obtenir une transcription cohérente des déclarations du demandeur.
Si l’audience s’était tenue à l’heure prud’homale habituelle, nous serions sortis du Tribunal vers 22h00. Là, il est un peu plus de la demie de 18h00, mais cela ne change pas grand chose.
Les couloirs sont vide, dehors il fait déjà nuit et toujours très humide. Le charme des audiences au mois de Noirvembre.
Le 3…
… où tout fout’l’camp.
On vient légaliser des signatures chez notre notaire fétiche sur le coup de 11h30. Une opération qui prend 10′ chrono en étant large.
Et… ? Et… ? On cherche vainement du regard le flacon du classique Cru de l’Hôpital qui attend dans la glacière que l’on veuille bien lui faire un sort. C’est que, voilà, on a ses petites habitudes tout de même.
Mais aujourd’hui, que pouic, pas d’apéro ! Alors qu’on est vendredi !
Soyons magnanimes, déjà qu’on est attendu chez le Sarde, au restaurant de l’île. Et puis notre cher notaire, depuis qu’il est papa, a dû égarer la boutanche au milieu des Pampers. Il est donc pardonné. Mais que cela ne devienne pas une habitude…
Le 8…
… où certains clients savent faire rimer discussions austères sur la pertinence d’une clause contractuelle et cadre épicurien.
Et avec un certain succès, ma foi, puisque la solution se dessine entre la poire et le fromage, lorsqu’on aborde l’épilogue du somptueux menu de chasse du Pérolles. Merci à Pierrot, dont la table ne démérite pas, n’en déplaise aux censeurs hexagonaux, et à Julien, ainsi que toute l’équipe pour leur accueil attentionné.
PS : là aussi, il ne faut pas que ça devienne une habitude…
Le 13…
… où la phrase du jour, essuyée par mon malheureux jeune Confrère en réponse à une question voulue subtile, mais qui ne pouvait qu’agacer, efface le spleen existentiel de l’avocat qui, par la fenêtre voit la lumière décroître, la pluie s’intensifier, et, dans le prétoire, le processus judiciaire s’éterniser, alors que des deux côtés de la barre, c’est un discours de sourds.
Et cette réponse, on l’a vu venir dès la question, supposée déstabilisante (la partie adverse est convaincue que notre client ne paie pas ses factures lui-même) :
-Monsieur, pouvez-vous nous expliquer comment vous payez vos factures ?
-Ben, à la poste.
Même la Présidente, épuisée par une journée éprouvante, a esquissé un sourire
Le 14…
… où une question taraude votre serviteur. L’avocat d’une partie au procès, qui expose par écrit la position de son client face à la question juridique qu’il demande au Tribunal de trancher, et, cette position, il est évident qu’elle ne pourra être validée, qu’est-ce qui le pousse à agir de la sorte ?
A moins d’avoir obtenu son brevet dans une pochette surprise, il sait que jamais , mais alors jamais, un Juge ne le suivra sur ce terrain. Ou bien alors, il suit les instructions d’un client, qu’il n’ose pas contrer, ou qu’il ne parvient pas à dissuader de prendre ainsi position ? C’est plus vraisemblable et déjà plus compréhensible. Mais le travail de l’avocat est justement de conseiller à son client d’éviter de se positionner d’une manière qui le discrédite d’emblée aux yeux du Juge.
C’est vrai qu’il y a des gens qui se vexent. Ils croient leur avocat est là pour faire tapisserie et exposer sans discernement les élucubrations les plus diverses (les fictions télévisées véhiculent d’ailleurs bien ce cliché). Et n’hésitent pas à changer de défenseur si celui-ci tient un autre discours que le leur.
Quand un justiciable débarque dans le prétoire après avoir changé trois fois de mandataire, on se dit souvent : Toi, mon coco, tu as enfin compris que le troisième disait la même chose que les deux précédents. Mais, parfois, en lisant la prose de notre nouveau contradicteur, on esquisse un sourire. Tiens, tiens. en voilà un qui a trouvé un confrère qui accepte de relayer ses théories.
Il ne faut pas se voiler la face. Il y en a qui relègue le bon sens au placard pour ne pas perdre le client. Et, face à l’augmentation exponentielle du nombre d’avocats débarquant sur le marché et voulant se démarquer par leur style, disons agressif, la concurrence prend le pas sur le bon sens. Dommage, autant pour eux que pour ceux qui plaident avec raison. Les premiers ne se rendent pas compte que ce n’est pas la capacité à foncer dans le tas qui impressionne le client. Plutôt celle de le guider efficacement au milieu des écueils. Et ils sous-estiment le tort qu’ils font à la profession, en mettant en avant une image d’Épinal de l’avocat menteur, obnubilé par son ego.
Voilà, voilà, on s’égare vite en conjectures quand on lit les âneries qui s’étalent dans le mémoire reçu ce matin…
Le 20…
… où l’on apprend de ces choses !
Parce que, justement, de « chose« , point n’est question.
Bon, ça on le savait depuis le début du IIIème millénaire, suite à la modification du Code civil (CC), les animaux ne sont pas de choses.
Voilà qui était déjà bien implémenté dans notre cerveau de juriste. Mais quid du chien dont les futurs ex-époux ne se disputent pas seulement la garde (à savoir qu’un se demande s’il a une obligation légale de prendre Mirza chez lui quand celui qui détient en principe l’animal veut partir en vacances), mais aussi la prise en charge des frais du canidé qui est inscrit dans le registre de la Comté au nom de l’époux non-gardien ?
Et, c’est là qu’on en apprend de belles. A savoir, que contrairement à ce que supposait votre naïf serviteur, il existe une disposition légale qui a induit jurisprudence finalement assez fournie, surtout pour un sujet dont la résolution semblait devoir se baser sur le bon sens, plutôt que la loi. On se disait donc – naïvement je vous dis – que les Juges avaient d’autres choses (!) à fouetter…
Que nenni.
Donc, il y a donc cet art. 651a CC, aussi entré en vigueur le 1er avril 2003 – non, ce n’est pas un poisson – qui nous dit que lorsque les animaux vivent en milieu domestique et ne sont pas gardés dans un but patrimonial ou de gain, le juge attribue en cas de litige la propriété exclusive à la partie qui, en vertu des critères appliqués en matière de protection des animaux, représente la meilleure solution pour l’animal. Ce n’est pas tout. Il peut condamner l’attributaire de l’animal à verser à l’autre partie une indemnité équitable; il en fixe librement le montant.
C’est là que la jurisprudence s’en mêle. On peut lire notamment dans un arrêt de 2016 de longs considérants sur le sort du chien de la famille. L’arrêt interpelle tout de même parce que la problématique de l’animal occulte pratiquement tout le reste ! Jugez plutôt: en vertu des critères appliqués en matière de protection des animaux, représente la meilleure solution pour l’animal (al. 1) et prend les mesures provisionnelles nécessaires, en particulier pour le placement provisoire de l’animal (al. 3). La cour cantonale a précisé que, tant que la copropriété d’un animal demeure au sein d’un couple marié, des mesures provisionnelles – aussi bien dans le cadre de mesures protectrices au sens des art. 172 CC que dans celui d’une procédure de divorce au sens de l’art. 137 CC – pouvaient ainsi être ordonnées. Analysant la situation sous l’angle du bien-être de l’animal conformément à l’art. 651a CC, la juridiction précédente a relevé que selon les allégations formulées par l’époux en première instance, c’était lui qui s’occupait du chien pendant la vie commune, ce qui n’avait pas été contesté par son épouse. Ainsi, on pouvait admettre prima facie que des liens particuliers unissent l’époux et l’animal. Il était également rendu vraisemblable, en l’absence de contestations de l’épouse, que l’époux travaille principalement à la maison, alors que l’épouse travaille à l’extérieur et dispose d’un appartement sans jardin. D._, l’enfant des parties née en 2003, et le chien C._ étaient certainement attachés l’un à l’autre, mais une fillette de onze ans ne disposait assurément pas de la maturité nécessaire pour assumer seule la charge de l’animal en l’absence de sa mère. En définitive, compte tenu de l’ensemble des circonstances, il apparaissait vraisemblable que l’époux offre un cadre de vie plus favorable au chien, de sorte qu’il convenait de le lui confier, à titre provisionnel.
Tout le monde est d’accord, sauf l’épouse.
Dans un autre considérant, elle contre-attaque : selon elle, il est erroné de considérer que des liens particuliers unissent celui-ci à l’animal, alors que depuis l’arrivée du chien dans la famille, ce sont elle-même et l’enfant D.________ qui s’en occupaient. Elle affirme qu’elle » le sortait tous les jours, le brossait très régulièrement, lui brossait les dents chaque semaine, le nettoyait entre les rendez-vous chez la toiletteuse pour chien et l’emmenait chez le vétérinaire « , alors que son époux » ne l’a baigné qu’une seule fois et brossé qu’un maximum de 5 fois durant les trois ans de vie commune « .
Bonjour l’ambiance… et discussion vaine au demeurant. Le recours de l’épouse a été déclaré irrecevable. Le dilemme reste donc entier. Que faire ?
En creusant un peu, on trouve dans le commentaires de juristes éclairés la confirmation que, contrairement à ce qui prévaut souvent en matière de partage de propriété, on ne peut pas donner à chacun un bout (Commentaire romand, Edmond Perruchoud, ad art. 651a CC, n. 9). Pas question de couper la poire (allégorie) en deux.
On en revient donc à la case départ. Il faut donc s’entendre aussi sur cet aspect, au risque de voir le Juge décider, souverainement comme on dit, de l’attribution de cette pauvre boule de poils qui n’en demande pas tant.
Le 21…
… où il faut appeler les choses par leur nom, ce fut une entreprise démolition. Et le plus triste, c’est que la Justice l’a validée.
La justice « juridique » d’abord. Et oui, on savait que ce serait short, mais face au désarroi de notre client, que faire ? Sorti du placard, comme on dit chez les bobos de la rive-gauche, son épouse n’a pas supporté ce qu’elle a considéré comme une humiliation. On peut la comprendre. Jusqu’à un certain point. De là à tout faire pour que les enfants haïssent un père qui les aime sincèrement, il n’y a un pas que beaucoup n’aurait pas osé franchir. Pas elle. Elle l’a fait avec une hargne peu commune. Chaque allégué a été contesté sur le ton du mépris le plus profond.
Ce n’est pas tout. Dame Justice, yeux bandés, mais balance sensée montrer le fragile équilibre entre loi et humanité, il n’y a pas eu non plus. Aux certificats médicaux du psychiatre qui a tenté de trouver les mots pour décrire l’état d’esprit chamboulé par son patient incapable de retrouver un travail, le jugement que l’on a sous les yeux oppose une sèche fin de non-recevoir, pour enfoncer encore un peu plus le clou. Le thérapeute n’est décrit ni plus ni moins comme un gentil charlatant. Son patient n’a-t-il pas essayé de reprendre le travail entre deux dépressions ? Allons, c’est bien sur la démonstration qu’il n’est qu’un simulateur…
Alors, recours ? Non.
Mon client est au bout du rouleau. Il ne supporterait pas une procédure d’appel qui n’aurait certes pas apporté à coup sûr de redressement de cette fichue balance, mais, au moins, un peu d’empathie.
Pour ceux que cela choque – hein, on ne fait pas des gamins quand on est comme ça – je l’ai entendu dans mon dos – je dirais simplement que la question de ce qu’on pense d’une personne ne doit pas interférer sur la question à trancher. Le droit demande d’examiner posément, sans a priori, les faits et décider ensuite, en essayant d’intégrer tous les paramètres. On appelle ça l’équité. Ici, elle est aux abonnés absents.
Triste spectacle que de voir cet homme en larmes.
Le 24…
… où nous voici à l’antenne locale de notre Radio préférée pour discourir au petit matin des implications de la nouvelle loi sur la protection des données sur notre quotidien. Vaste sujet…
Merci à Mike pour son accueil et son choix des thématiques abordées. Il y avait tant de choses à dire, mais les impératifs de la programmation ne sont pas bousculables. Même pour les avocats prêts à disserter toute la matinée ! Lol





