Mi-aoû(h)t…

… où nous voilà de retour sur le pont, first day after les féries judiciaires, cette pseudo-trêve procédurale diversement respectée par les magistrats (surtout par ceux qui n’ont pas de progéniture à emmener faire des châteaux de sable). Ils trompent leur ennui, dans un greffe dépeuplé par les vacances scolaires, en notifiant à qui mieux mieux des invitations à déposer des écritures, aux avocats sirotant bien évidemment des Campari sodas à l’ombre des paradis fiscaux. Monde cruel, retour à la rame et en chantant… C’mon, let’s groove !

Le 16…

… où le retour au taf est on ne peut plus dans la norme. Des courriers, des invitations à se déterminer, des pavés de conclusions avec des bordereaux de pièces épais comme des bottins, etc. Bref, du papier et encore du papier. La déforestation, ça vous parle ? Tiens, parmi les règles de procédure à créer, pourquoi ne pas en introduire une qui oblige à utiliser du papier recyclé pour tout ce qui dépasse 10 pages ?

Mon maître de stage disait à l’époque où les vieux de la vieille fonctionnaient encore avec des machines à écrire et des carbones : S’il vous faut plus de 10 pages pour expliquer ce que veut le client et pourquoi il a raison, vous êtes foutus. La capacité de concentration d’un juge ne va pas au-delà !

Et n’oublions pas les mails ! Même si on les a déjà vaguement épurés, entre deux séances de transat, les survivants guettent fébrilement le retour de l’avocat dans la boîte de réception. Parmi eux, cette pépite : Me, j’espère que vous passez de bonne vacances. De mon côté, j’en ai profité pour lire la loi. Et je peux donc affirmer que, dans notre affaire, tous mes droits ont été bafoués. Meilleures salutations.

Si vous le dites. On peut voir ça comme ça. Le problème, c’est que l’autre partie part du même principe…

La Loi est une divinité tout à fait merveilleuse. Mais, c’est sa collègue, la Justice, capricieuse comme personne, qui tranche. Et le verdict est rarement aussi net.

Le 18…

… où l’on sort d’une discussion avec un client, avec un sentiment étrange. Nous avons fait le point sur le dossier d’instruction d’une enquête qui le vise, ainsi que plusieurs autres personnes.

Le dossier que m’a communiqué le procureur est très « light ». Il n’y a guère que le rapport préliminaire de la police et deux auditions. Rien d’autre. Et, pourtant, plusieurs noms sont évoqués ici et là dans la prose policière.

A ce stade, le procureur peut encore jouer au chat et à la souris et garder sous le coude certaines informations. On parle certes d’égalité de traitement dans le code de procédure pénale. Mais, c’est un leurre avec lequel l’avocat n’a d’autre choix que de composer. Et avec un sourire forcé. Car, son interlocuteur, le procureur a régulièrement un coup d’avance. Lui, il sait EN PLUS ce qui n’est pas (encore) dans le dossier. Donc, il faut avancer prudemment.

Un autre aspect de la procédure pénale est toujours difficile à faire comprendre aux non-initiés. Ce n’est pas tant la Vérité qui intéresse l’avocat, mais ce qu’il y a dans le dossier. Car, c’est avec ça qu’il défend son client. Si le dossier est vide, il ne peut en principe y avoir de condamnation. Nous sommes comme Voltaire face aux actes de l’affaire Callas. Les Procureurs moins, mais ils ne peuvent s’affranchir de toute contrainte, dont celle de prouver le crime.

Le client nous dit ce qu’il veut. Soit, et c’est souvent le cas, il n’est pas en mesure d’évaluer l’importance de tel ou tel fait. Et, là, nous mettons notre lampe frontale et nous essayons de creuser. Soit, il joue AUSSI au chat et à la souris avec son avocat. Un jeux dangereux. Car, aussi bon que peut l’être le défenseur, certaines sauces ne se rattrapent pas.

Donc, ce sentiment diffus, qui découle des regards amusés du client face à certaines pièces, de ses silences équivoques ou ses phrases inachevées, j’en ai fait part au client. Question d’expérience. Et de devoir aussi. A lui de choisir sa vérité. Mais au moins, il sait que son défenseur n’est pas dupe. De toute façon, comme dirait Mulder, la Vérité est ailleurs Scully.

Au final, la vérité d’un homme, c’est d’abord ce qu’il cache (Malraux).

Le 21…

… où, puisqu’on parle beaucoup d’intelligence artificielle (AI pour les initiés), ne devrait donc pas aussi parler de complotisme artificiel ?

Un premier pc qui bugue ce matin dans le secrétariat. Il ne « voit » plus le second écran. Même chose pour votre serviteur 30′ plus tard. Message dans les paramètres : Cher utilisateur, il n’y a AUCUN second écran ici ou ailleurs. Moi, Windows, je ne vois RIEN. Quatre redémarrages tout de même, pour lui rendre la vue. Miracle, mais non biblique.

Pendant ce temps, chez mon brave partenaire, une app se met soudain aux abonnés absents, pendant une bonne heure.

Notre responsable IT nous dit que c’est probablement les conséquences d’une mise à jour de Microsoft…

Je veux bien. Mais, alors pourquoi à midi au resto, ma carte s’est déclarée « inconnue » sur le terminal de paiement à deux reprises avant de fonctionner. Moi j’vous l’dis, ça sent le complot, artificiel woui Mônsieur, mais ça sent comme les couches de la veille tout ça !

Le 22…

… où notre tentative de détendre l’atmosphère est un échec complet.

Pourtant, alors que le mercure à l’extérieur de ce petit tribunal de province franchit allègrement les 30°, la clim’ fait son œuvre. Il fait bon dans la salle d’audience. En plus, nous sommes là pour valider une convention judiciaire, patiemment peaufinée dans le respect des droits et obligations de chacune des parties. Donc, le Juge a le sourire. La dernière affaire de la matinée avant le repas de matinée s’annonce sous un soleil radieux.

Mais voilà, l’émotion, le soulagement, la solennité du moment, tout cela affecte mon client, je le vois bien.

Alors, pour le détourner de ses ruminations, je lui raconte l’histoire de la croix de procession fièrement accrochée au-dessus de la greffière. Elle a survécu à la purge stalinienne, il y a bien des années, de tout symbole catholique dans les tribunaux de la Comté. Un avocat luthérien devait y divorcer et il avait remis en cause l’impartialité des juges locaux face à un protestant, en raison de ces crucifix qui titillaient les magistrats (selon lui). Et il a eu gain de cause. Exit toute référence visuelle au Christ des prétoires, sur ordre du Service de la Justice !

Personne ne s’en est rendu compte alors, mais nous avions là un avant-goût du wokisme !

Cette relique trônant dans le Tribunal de la Cité à la Rose avait néanmoins échappé au cagibi, grâce au Président d’alors qui avait décrété qu’il ne s’agissait pas d’un crucifix, mais d’une croix de procession. Et toc.

Si la greffière trouve mon histoire tout à fait intéressante(en tous cas, elle a la gentillesse de me le faire croire, car cette histoire a certainement déjà largement circulé dans les couloirs du greffe), mon client fixe un point devant lui sans desserrer la mâchoire.

Essayé… pas pu.

Notre expérience, et notre fonction, nous permettent, nous obligent même, à avoir un certain recul. Qui peut même passer pour de la nonchalance, quand l’affaire comme aujourd’hui est pliée avant de franchir la porte de la salle d’audience. Le client, lui, il faut le comprendre, n’est pas dans son élément. Même si tout est réglé, à satisfaction mutuelle, il donnerait beaucoup pour être ailleurs…

Le 23…

… où, malgré le mercure qui pète tous les records, on (re)met un pantalon pour accueillir un nouveau client. Il arrive en short et lance : Mon Dieu, vous n’avez pas trop chaud comme ça ?

Soupir…

Le 28…

… où il doit bien avoir 10 ans de plus que moi le Confrère de l’autre côté de la barre, avec ses cheveux gris.

Alors, pourquoi a-t-il l’air si emprunté quand il s’adresse au Juge de police (juge unique dans les affaires pénales de moindre importance) ? Ah oui, un civiliste sans doute. Il n’a voulu pas « lâcher » son client chez la concurrence et se risque dans les couloirs de la justice pénale…

En plus, il vient de la capitale et, manifestement le français n’est pas sa langue maternelle.

(…)

L’audience se termine. Sur le départ, je le salue d’un traditionnel Au revoir Confrère.

Au revoir Maître.

Sourire condescendant. Vous savez entre avocat, ici, on s’appelle Confrère…

Oui, mais moi, je ne suis pas encore avocat. Je fais mon stage du Barreau !

Eh bien, en voilà une surprise. En même temps, ça fait un p’tit coup de jeune. A mon grand âge, rencontrer des cheveux gris en plein stage. Voilà qui rajeunit !