Juin…

… où il fleure bon l’été qui s’annonce enfin. Pas seulement dans les t-shirts, dans les maillots, mais aussi dans les dossiers. Les audiences s’enchaînent à un rythme effréné. Statuant sur le siège – comme ils disent – les magistrats font le forcing pour boucler l’affaire avant les vacances. C’est bon pour les statistiques. Pendant que l’on prépare la prochaine comparution, l’orage gronde sur la terrasse. Et rappelle quelqu’un parti trop vite, trop tôt…

que gronde l’orage
entre les rochers
mourir en montagne
mourir foudroyé
mon âme cette chienne
cette enragée
c’te pie musicienne
va pas la fermer

Le 1er…

… où l’on nous annonçait un matériel obsolète, une connexion aléatoire, donc une audience en vidéo-conférence de tous les dangers.

Il n’en fut rien. Matériel au top et connexion sans faille, avec une caméra qui permet de focaliser sur la personne qui s’exprime (donc pas d’image figée sur les pieds du greffier comme la semaine dernière !).

Heureusement, car, sinon, nous y aurions passé largement plus que les cinq heures que l’audience a duré, avec juste une ou deux pauses pipi.

Le 2…

… où, dans l’énervement du moment, on pourrait être tenté de laisser transparaître sur le papier tout le mal que l’on pense de la partie adverse et de ses pratiques. Comme ce Confrère monégasque qui s’est « lâché » en écrivant au Juge que :

Autrement dit la société constitue l’instrument rêvé de la cession du fonds hors de toute exploitation de celui-ci par l’acquéreur, voire la cession frauduleuse à un acquéreur frappé d’une interdiction d’exercer le commerce (comp. Article 8, c et d de la loi no 546 du 26 juin 1951).

Frauduleux… oups !

C’est ainsi que l’on finit à Strasbourg, à se faire taper sur les doigts par la Cour européenne.

Qualifier de noms d’oiseaux les agissements de son adversaire peut-il être considéré comme une des prérogatives de l’avocat bénéficiant d’une certaine latitude au nom de la liberté d’expression protégée par l’art. 10 CEDH ? Que nenni répond la CourEDH.

 La Cour relève en outre que le support juridique sur lequel se sont fondées les juridictions pour ordonner le bâtonnement traduit en réalité la volonté d’aménager et de tempérer l’immunité judiciaire dont bénéficient les avocats et leurs clients pour les écrits ou plaidoiries portés devant les tribunaux. Le texte de loi autorisant la suppression de certains passages est en effet un instrument juridique destiné à prévenir tout risque d’intimidation des parties ou de leurs avocats qui pourraient s’auto-censurer dans l’expression de leurs propos de crainte de s’exposer à des poursuites pénales. Toutefois, cette liberté de la parole ou de l’écrit porté devant les tribunaux ne doit pas être absolue. Le juge est le gardien de cet équilibre puisqu’il est investi par la loi d’une mission de contrôle de l’expression judiciaire qu’il peut supprimer s’il l’estime diffamatoire, outrageante, injurieuse ou attentatoire à la vie privée.

Nous voilà prévenus ! Cela dit, la richesse de la langue de Molière nous permet une certaine latitude dans les écrits. On peut ainsi, l’air de ne pas y toucher, fustiger l’adverse partie en usant de termes politiquement corrects pour le commun des mortels, voire les Juges « du siège ».

L’exercice consistant à « pourrir » l’adversaire, sans que celui-ci ne décèle l’affront dans l’écrit, ou mieux encore, l’identifie, mais n’y peut rien opposer, est hautement jouissif. Qu’on se le dise.

Le 5…

… quand on porte un litige à bout de bras depuis plusieurs l’année, l’audience – peut-être – finale qui s’annonce (la semaine prochaine), c’est un peu comme monter au grenier et ressortir des vieilles malles, pleines de souvenirs poussiéreux.

On retrouve toutes ces choses qu’on avait rangé dans un coin, en attendant le moment de pouvoir les utiliser. Ce moment est maintenant en point de mire. Certaines de ces choses, aujourd’hui, ne sont plus pertinentes. D’autres par contre, dont on ne se rappelait plus trop l’existence, sont restées d’actualité. Et elles ne provoqueront pas des torrents d’enthousiasme de l’autre côté de la barre.

Mais, il y en a beaucoup, dont la seule vertu est de montrer l’inanité de la position de nos contradicteurs et surtout de leur manière de considérer leur prochain. La difficulté pour l’avocat dans ce genre de situation est de ne pas faire feu de tout bois, au risque de lasser le Juge au moment de la plaidoirie finale. Il faut donc sélectionner les témoignages les plus significatifs de cette interminable guéguerre qui a occupé la quasi totalité des autorités et administrations concernées de la Comté. Pas facile…

Parlons aussi un peu des parties. A ma gauche, des châtelains, citoyens d’une principauté qui leur permet de se défiler, chaque fois que c’est nécessaire. A ma droite, leur ex-gardien/homme à tout faire/régisseur, mon client, commerçant de son état, qui avait gardé son enseigne en parallèle à ses activités champêtres.

Nos châtelains l’engagent en 2016 pour s’occuper de leur propriété, une maison de maître comme on dit, perdue au milieu des bois. L’idée est simple : tu t’occupes de nos sous-bois et environs, en contre-partie tu occupes la maison du gardien. Et on ne se doit rien.

Les bailleurs prennent la précaution de fixer un loyer bien supérieur à ce que vaudrait sur le marché cet appartement. Certes, il dispose de 5,5 pièces, mais l’endroit est paumé en lisière de forêt, au-dessus d’anciennes écuries. Le chauffage « péclote », alimenté par une installation vétuste (et dangereuse selon le maître-ramoneur). Il n’y a aucun raccordement au réseau. Donc, pas de télé, pas d’internet, et la 3G quand tout va bien. Pas de balcon, pas de terrasse. Seulement les bois alentours.

Bref, il faut avoir envie d’habiter là-bas. Mais, mon client est ébloui par l’idée merveilleuse de se retrouver le Seigneur du château. Le fol…

Il déchante vite. La tâche est énorme et, surtout, les frais (matériels, produits, etc.) que les bailleurs se sont engagés à rembourser prennent rapidement l’ascenseur. Quand il présente sa 1ère facture, les châtelains font la sourde oreille. Quand il insiste, il reçoit un commandement de payer lui réclament les baux impayés en retour et une résiliation de bail !

La guerre est déclarée. Elle va durer 7 ans.

Mon client s’oppose donc au congé, comme c’est son droit, et réclame son dû devant le Tribunal des baux de la Comté. Dans l’attente du jugement, il se barricade dans sa « cabane » de 5,5 pièces au fond des bois.

Le litige s’enlise comme seuls savent le faire les mauvais procès. Les bailleurs ne veulent pas indemniser leur désormais ex-gardien, mais toujours locataire. En 2019, suite à une énième tentative de négociation avortée, nos adversaires décident de passer à la vitesse supérieure. Ils portent plainte, notamment pour escroquerie (il est venu squatter chez eux sachant qu’il s’incrusterait) et abus de confiance (ils lui ont confié des meubles pour les vendre et il n’a jamais rendu l’argent). Deux accusations totalement fantaisistes, contredites par des preuves irréfutables. Peu importe, quand on veut se débarrasser de son chien on prétend qu’il a la rage.

Ils lui coupent aussi l’eau en plein été. Et quand notre ex-régisseur vient la rétablir dans le local technique, soit un trou bétonné au milieu de la forêt, ils hurlent à l’outrage, à la violation de domicile et déposent une autre plainte… Celles-ci sera réglée par un jugement séparé, entièrement à leurs torts et frais. C’était le minimum syndical, mais ça ne les a pas découragé.

Le paroxysme est atteint l’été suivant. Pendant que l’ex-gardien qui ne garde plus rien se dore au soleil de la Méditerranée, les châtelains s’introduisent dans l’appartement du manant qui persistent à les défier. Ils évacuent tout son mobilier, démontent toutes les portes, les installations de la cuisine (robinet, frigo, potager, etc…) et coupent tous les fils électriques à raz ! En résumé, ils saccagent leur propre bien.

Le locataire n’en démord pas. De retour des plages, il remet tout en place et se barricade à nouveau, protégé par une ordonnance du Tribunal menaçant les châtelains des foudres de la Justice s’ils se risquaient à un nouveau coup de force. Rappelons ici que c’est tout à fait correct. Même en litige avec le bailleur, l’appartement du locataire est un lieu sacré et s’y introduire est une violation de domicile, même s’il s’agit de leur propriété, comme ils le clameront plus tard, en vain.

Pour la suite, je vous passe les détails et les plaintes diverses pour avoir coupé une haie, déplacé une boîte aux lettre, posé des moustiquaires, triché avec les impôts, les autorités administratives, etc., etc.

2022 marque la fin de l’histoire du bail, avec un jugement civil qui dit certes bien que le locataire doit quitter les lieux, mais lui donne raison sur bons nombres d’autres points. Inutile de trop s’étaler sur ces considérations techniques. En 2023, nous arrivons maintenant à l’épilogue pénal.

Sans grand discernement, il faut le dire, le Parquet a renvoyé tout le monde dos-à-dos devant le juge, même pour des dénonciations qui, à l’évidence ont été faites uniquement par pure chicanerie, pour rester poli. Mon client, lui, ne s’est plaint qu’à deux reprises. La première, fatigué de ses plaintes incessantes, il a porté plainte pour dénonciation calomnieuse soit le comportement de celui, ou plutôt ceux en l’occurrence, qui, sachant l’autre innocent, s’ingénient néanmoins à lui créer des misères judiciaires. Et puis, bien sûr, il y a eu le saccage de son appartement en été 2020. Violation de domicile, on l’a vu. Dommages à la propriété, vu qu’ils lui ont démonté sans égard ses meubles et autres installations. Et contrainte, soit ceux qui, en usant de violence, auront essayé de faire adopter à un tiers un comportement différent que celui qu’il entend suivre.

Donc, il s’agit maintenant de fourbir son matos et se préparer à la bataille. Car affrontement il y aura. Les deux parties se détestent aujourd’hui cordialement. Il n’y aura pas de paix des braves. En outre, un Confrère pourtant tout à fait pertinent a cédé sa place de l’autre côté de la barre à des défenseurs dont la mesure n’est pas la qualité première. Ne disent-ils pas sur leur site internet que, pour défendre leurs clients, ils n’hésiteront pas à sortir à sortir les griffes… et les dents. Voilà qui doit faire mal, à moins d’être un loup-garou. Le tout agrémenté de photos de chiens se battant… Tout un programme. Qu’ils ont appliqué à la lettre dans ce dossier, n’épargnant pas mon client, mais aussi son défenseur, l’accusant de tous les maux, et aussi de mentir effrontément au Juge !

C’est l’une des autres difficultés de ce type d’affaire. Quand une partie déverse des torrents d’agressivité sur son client, celui-ci attend une réponse à la même hauteur de la part de son propre mandataire. Il est toujours délicat de lui expliquer que le Juge n’est pas dupe, qu’il attend de la mesure et de la pertinence d’un avocat plutôt qu’une violence dans les propos, violence que ne justifie de toute façon pas le fond du litige. Et donc que se mettre au niveau du carré de sable avec l’autre partie sera contreproductif. C’est là qu’intervient la confiance nécessaire entre un justiciable et son défenseur. Rompu à ce genre d’exercice (heureusement tous les litiges ne dérapent pas de la sorte entre avocats !), il sait quand il faut hausser le ton pour être, cette fois, bien entendu par l’autorité judiciaire.

Il ne s’agit pas de passivité ou de courber l’échine, mais d’offrir une réponse adéquate à une attitude inadéquate. La langue française est, pour notre plus grand bonheur, assez riche pour modeler certains propos de façon que, sous le couvert de propos mesurés, les missiles fusent. Et le Tribunal voit en principe les cibles qu’ils touchent.

Voilà donc le programme de la semaine. Comme on l’a écrit il y a quelques jours, à la fin de l’envoi, il faudra toucher. Mais, pour l’instant, on dépoussière encore, on dépoussière toujours…

Le 6…

… où, puisque l’on n’a pas qu’un seul dossier à la fois, comme à la télé, on se retrouve à négocier devant le Juge un litige entre l’architecte et son client.

Selon une règle non-écrite, et parfois pas toujours sensée, la négociation consiste à s’entendre sur le prix de la paix, chacun gardant ses frais pour lui.

Ici, le problème est que les frais de mandataires ont depuis longtemps dépassé la valeur du litige. C’est parfois la difficulté de pouvoir trouver une solution équitable quand les questions juridiques devant être en principe réglées avant que chacune des parties sachent exactement où elle en est et puisse s’asseoir à la table des pourparlers, en connaissant exactement ses forces et ses faiblesses, ont suscité des coûts nécessaires, mais désormais sans rapport avec la valeur litigieuse.

Ce matin, l’autre partie accepte notre proposition, généreuse aux yeux de nos clients, mais veut que l’on couvre au moins en partie ses frais. Hors de question pour nos clients qui estiment avoir déjà fait un effort conséquent. Regard d’incompréhension de la part du Juge qui semblait – a priori – trouver la proposition cohérente.

Donc, nous voilà repartis pour un tour. Avec en perspective de nouveaux frais conséquents.

Les mauvaises langues diront que ce sont les avocats qui se frottent les mains en pareilles situations. Ce n’est pas faux, mais tout travail mérite salaire. Il ne faut perdre de vue non plus que, tout litige, civil du moins, implique au moins deux adversaires. Et si l’un ne veut pas transiger, l’autre n’a pas le choix. Il doit poursuivre la procédure, car, s’il abandonne maintenant, tous les frais sont pour sa pomme. C’est pourquoi, il faut bien préparer son client. En lui exposant tous les tenants et aboutissants de son affaire, y compris les aspects qui ne l’intéressent pas, soit ce qu’il risque en cas de défaite.

Là, pas sûr que cette dernière info a été bien partagée. Ou alors, l’autre partie plaide au bénéfice d’une assurance de protection juridique, ce qui crée un déséquilibre dans la prise en compte des risques du procès.

PS : faites des assurances de protection juridique. Et assurez-vous que vous avez le libre choix de votre avocat !

Le 12…

… où nous voilà dons dans l’arène pour cet affrontement préparé de longue date (voir le 5).

Tuons le suspense d’entrée. De débordements significatifs, il n’y en a pas eu. L’équanimité du Juge y a certainement été pour quelque chose. Ou peut-être une petite prise de conscience de l’autre côté de la barre qu’il valait mieux faire profil bas. Parc que, parmi ce fatras de dénonciations tous azimuts contre leur locataire, les seules infractions avérées, documentées et prouvées même si contestées, sont le saccage de son appartement et les dégâts causés à son mobilier (sans compter, comme on l’a vu, ceux que les châtelains se sont eux-mêmes infligés).

Seul moment, plutôt comique, la question de la situation personnelle de nos adversaires. En matière pénale, tout prévenu doit indiquer au moyen d’un formulaire adéquat ses sources de revenus et ses charges.

Ici, nos adversaires ont snobé le Juge en ne lui retournant pas ledit questionnaire. Et donc celui-ci revient à la charge vers le premier des châtelains qui visiblement n’attendait pas cette question qui le met derechef mal à l’aise. Il se tortille sur chaise, anone des onomatopées, avant de se tourner vers son avocat, qui cherche à lui venir à l’aide. Se retourne vers le Juge, continue de marmonner… Finalement, celui-ci met un terme à son calvaire. Bref, vous ne voulez pas répondre à cette question. Ben oui, tout le monde l’a compris. Pas question de dévoiler au vulgum pecus la manne qui permet d’entretenir une telle propriété. Manne bien au chaud dans les coffres de la Principauté dont il arbore le passeport et les plaques minéralogiques…

Au final, les deux parties ont plaidé longuement l’essentiel des nombreux volets de leur litige et attendent maintenant que le Juge tranche. Il va avoir du boulot. Encore une fois, on ne peut que déplorer que le Procureur n’ait pas élagué certaines branches mortes de toutes ces procédures réunies en une seule, pour ne garder que l’essentiel. Les débats auraient gagné en clarté et la Justice n’aurait à n’en pas douter pas pu être plus mal rendue…

Le 14…

… où l’exercice n’est pas si inhabituel que ça, mais particulier quand même.

Nous sommes, avec le client, face à un rapport d’expertise (dans un litige de construction portant – notamment – sur l’installation de chauffage). L’expert chauffagiste nous donne raison face aux théories alambiquées de la partie adverse sur la répartition possible de la charge de chauffage (N : elle voulait diminuer la taille des chauffages dans l’appartement qu’elle achetait pour mettre un poêle à bois. Très joli certes, mais insuffisant pour garantir l’apport calorifique nécessaire du séjour/salle à manger). L’expertise est sans appel. Non, ça ne fonctionnera pas, ça ne peut pas, ça ne pourra jamais et ça va même avoir une répercussion en terme de consommation énergétique sur l’appartement d’à côté.

Voilà.

Mais, malgré ce constat sans appel, nos contradicteurs demandent, par la voie de leur avocat, à pouvoir poser des questions à l’expert lors d’une audience spécialement dévolue à cet effet.

Et donc, nous sommes là, à nous demander quelles questions pourraient relativiser des conclusions sans équivoque ? Y a-t-il dans ces 20 pages de démonstration technique précise une faille ? Quelle réponse de l’expert pourrait-elle bien être remise en question ?

Nous devrions être rassurés par l’absence de réponse cohérente à ces questions.Et pourtant. Ce baroud d’honneur adverse a insinué un doute. Aurions-nous raté quelque chose ?

Le doute… Cet ennemi silencieux de l’avocat. Pernicieux, immuable. On en parle beaucoup en matière pénale. Il profite à l’accusé. Mais torture son avocat qui s’ingénie à lui donner du corps, petit à petit, pour convaincre le juge qui, pragmatique et terre-à-terre, voit déjà dans le dossier toutes les preuves nécessaires à la condamnation.

Dans les procès civils, il est présent partout. Dans les allégations de fait. En avons-nous assez écrit ? Avons-nous les preuves nécessaires ? Le client, convaincu de la justesse de sa démarche se demande pourquoi son avocat paraît si soucieux. Le doute traîne aussi ses savates autour de nos raisonnements juridiques. Sommes-nous à côté de la plaque ? D’aucuns diraient, cher Me, avec votre expérience, vous ne devriez avoir aucun doute.

Pas forcément. L’expérience nous enseigne que le chemin le plus court de A à C, ne passe pas toujours par B. Et notre cerveau reptilien traque l’anicroche, voire l’aveuglement.

Au moins, on ne s’ennuie jamais !

Le 19…

… où l’on traverse la moiteur de cette matinée orageuse en direction du Tribunal de la Comté du Bout du Lac, avec ce doute qui nous taraude depuis quelques jours.

Une halte sur un banc à l’ombre d’un chêne du magnifique Parc des Bastions n’y changera rien. On a voulu la jouer en mode flânerie depuis la gare. Mal nous en a pris. Nous voilà arrivé au tribunal d’instance à l’état liquide…

Heureusement, nous sommes en avance et l’expert a du retard, ce qui nous laisse le temps de reprendre figure humaine et de profiter des courants d’air.

Une fois les débats entamés, nos doutes laissent place à un léger sourire. Il y a les experts qui connaissent bien leur sujet, mais impressionné par un cadre qu’ils ne connaissent pas bien, bafouillent leurs conclusions. Et puis, il y a ceux qui maîtrisent leur sujet ET sont rompus à cet exercice. En trois phrases, les questions trop vagues de la partie adverse se voit opposer un je ne suis pas sûr de comprendre votre question, mais dans tous les cas de figure, ça ne changera rien à mes conclusions…

Nous voilà rassurés. Et à peu près sec.

Le 21…

… où la situation au terme de cette audience d’instruction est assez hallucinante.

Un ex-employé d’une fondation attaque pour diffamation et calomnie une ancienne membre du conseil de cette même fondation. En amont de l’audience du Procureur, cette dame, par le canal de votre serviteur, transmet des documents démontrant que les certificats de travail dont le plaignant se targue, sont des faux. Des légères modifications par rapport à l’original et une signature fait défaut.

Déjà là, on peine à suivre le plaignant, car le certificat original était déjà plutôt élogieux. Passons…

Il avait aussi produit à l’appui de sa plainte un extrait de son casier judiciaire national démontrant – selon lui, cela va sans dire – qu’il était vierge, alors qu’il prétend que la dame fait courir le bruit auprès d’employeurs potentiels d’une condamnation à une peine de prison ferme au pays. Mais via un confrère de cette république qui n’a de démocratique que le nom, le Procureur découvre un courrier de l’administration pénitentiaire locale qui déclare en termes fleuris que le fameux extrait est un faux éhonté !

Que nenni s’exclame le plaignant ! C’est cette lettre qui est fausse, ou plutôt « fabriquée ». Dans mon pays, on peut tout acheter. Même un jugement. Pas faux. Nous voilà donc bien.

Le plaignant tente alors une contre-attaque en fin de séance. Ma cliente affirme n’avoir jamais eu le titre de présidente de la fondation. Mensonge s’écrie-t-il ! Voici une procuration spéciale en ma faveur où elle signe en tant que présidente. Très étonnée, elle examine le document et déclare : Pour commencer, la dénomination de la fondation au dessus de ma prétendue signature est inexacte. A la date où est signé ce document, cela faisait plusieurs années que nous avions changé le nom. En outre, il y a la mention « Dr » devant mon nom et je n’ai jamais eu ce titre. Enfin, je n’ai jamais vu ce document. Donc, c’est un faux. Sans compter que le document qui accompagne la procuration, soit une attestation notariale de la soi-disant authenticité des signatures, porte une date qui ne correspond pas…

Nous voilà donc arrivés au terme d’une audience d’instruction qui a duré près de 5 heures, avec des faux qui pleuvent à tous les coins de rue. Du jamais vu et du travail en perspective pour le Procureur.

Le 23…

… où l’on a vu que, dans l’affaire Mike, les 6 policiers ont été acquittés de l’accusation d’homicide par négligence. Impossible de se prononcer sur le bien-fondé de ce verdict sans connaître le dossier. Le fait que le Procureur abandonne l’accusation n’est pas anodin. Les avocats de la défense savent que, même face à une accusation bancale, les émissaires du Parquet peinent à « lâcher leur os ». Donc, là, …

Bien sûr, d’aucuns y ont vu une complaisance de l’avocat public envers un corps avec qui il doit collaborer tous les jours. Encore une fois, Mesdames et Messieurs les justiciers du net, sans connaître le dossier, donner un avis sur une affaire dont on ne connaît que des ouïes-dires est aussi pertinent que de souffler dans un violon.

Toujours est-il que ce verdict a enflammé la salle, les journaux et les réseaux sociaux. Et pas pour applaudir la Justice, à l’évidence honteusement bafouée pour toute une cohorte de bien-pensants, puisque, pour eux, s’il y a eu mort d’homme, il doit forcément y avoir un coupable…

Pour l’instant, ces bien-pensants d’Helvétie ne franchissent pas la ligne rouge pour s’en prendre aux juges ou aux avocats, comme on l’a malheureusement vu aussi cette semaine en Hexagone.

On y a en effet vu un militant d’extrême droite condamné pour injures publiques envers un avocat lyonnais.

Sur les réseaux sociaux, Me David Metaxas avait été la cible de messages de menaces et d’appel au meurtre. Avait notamment circulé sa photo sur laquelle une cible de tir avait été placée. « On va te flinguer bâtard, a-t-on pu lire sur un tweet. Ce ne sont pas des menaces, mais un avertissement. On va te crever sale bâtard, ton cabinet va exploser, on est chez nous à Lyon. »

Et que dire de Me Élise Arfi devenue la cible de menaces et de persécutions après avoir défendu l’ex-petit ami de Shaïna, condamné samedi à 18 ans de prison pour le meurtre de cette adolescente ?

Ces torrents de bêtise et de haine gratuite, déversés par ceux qui n’acceptent pas que la Justice – parfaite ou non – soit rendue selon des règles strictes et pas par la vox populi, ceux qui assimilent l’avocat au client qu’il défend, nous sont encore épargnés. Mais pour combien de temps ?

Les sifflets de l’affaire Mike sont-ils les trompettes de Jéricho de la sérénité de nos Cour de Justice ? Espérons que non, sinon, il va falloir doubler nos robes de pare-fiel…

Le 26…

où le week-end n’a semble-t-il pas calmé les esprits.

Des « justiciers » anonymes ont tagué et aspergé de peinture blanche le Tribunal qui a acquitté les 6 policiers que la vindicte populaire voulait voir condamner (billet du 23 juste avant)

On a le droit de ne pas être d’accord avec le verdict et de l’exprimer. Nous sommes dans un pays libre. Plus libre que d’autres en tous cas. Des pays où les contestataires risquent leur vie. Ici, adéquats ou pas, ce sera une amende… Donc, on peut mesurer le « sens du devoir » de ces pourfendeurs du dimanche aux risques qu’ils prennent.

Mais là n’est pas la question.

Parmi ces courageux tagueurs, combien ont lu le dossier ? Ou simplement suivi tout le procès depuis la salle d’audience ? Histoire d’avoir un avis plus ou moins éclairé sur le verdict qu’ils décrient.

Ce qui interpelle dans ces débordements, c’est combien notre société compte d’individus prêts casser, à détruire, à faire mal, tous azimuts, en se donnant bonne conscience, car leurs actes sont fait au nom d’une soi-disant juste cause ! Cause dont ils n’avaient aucune idée 10 jours avant de s’embraser.

La faute aux réseaux sociaux ? Pas seulement. Il y a une dose de frustration latente dans un nombre de plus en plus grands de nos concitoyens. Frustration n’est pas loin de fruste, soit celui que nous qualifions poliment de béotien ou de rustaud. Un clivage entre deux mondes est en train de se créer. Il n’est pas très visible en Helvétie, terre des gens dont l’immense majorité préfère rester bien tranquille dans ses pénates. Mais il devient de plus en plus marqué pas loin de nos frontières. Comment allons-nous faire face aux inévitables mauvais exemples venus d’Hexagone notamment ? Tôt ou tard, ils vont tout aussi inévitablement être source d’inspiration pour ceux qui voudront passer de Netflix à la réalité…

Le 28…

… où l’Hexagone s’embrase effectivement suite à la mort d’un jeune homme de 17 ans tué par un policier a priori à bout portant et intentionnellement.

Pas besoin de mettre de liens, tapez « Nahel », vous trouverez des centaines de pages consacrés à cette tragédie. Les journalistes bien sûr, mais aussi les people et nos fameux « justiciers », chacun y va de son laïus plus ou moins bien inspiré. Vous y verrez des individus même pas masqués casser, incendier, voler Darty & consorts qui sont bien évidemment responsables de la mort de Nahel et doivent payer cette infamie en voyant leurs biens détruits ou « enlevés ».

Et encore plus hallucinant, au-dessus de cette mêlée, la mère de cet enfant mort que l’on transforme – avec son adhésion totale semblerait-il – en Jeanne d’Arc. Il n’y a même plus de deuil, on passe tout de suite à la vengeance.

Sur fond de guéguerre politique, omniprésente chez nos voisins, dès qu’on peut taper sur le gouvernement, cette furie populaire va se propager comme une gangrène…

Le 29…

… où, pendant ce temps, les hackeurs ne chôment pas.

Téléphone ce matin à la #FaireCave, où notre fidèle secrétaire reçoit l’appel d’une certain Me Rubino (original, mais inconnu au bataillon), qui prétend m’avoir appelé sur mon portable la veille (bien vu, genre j’ai son phone perso, donc on est copain) et qui lui parle d’un virement qui doit intervenir rapidement pour éviter une action judiciaire (ok, là, on est toujours raccord avec le quotidien d’un avocat).

Je lui aurais donné le mail de notre comptable, pour lui communiquer les coordonnées du compte de destination, mais il l’a égaré. Peut-elle lui redonner le mail de la personne qui, chez nous, « appuie sur le bouton pour les transferts » ?

Bon, un mail, qui n’a rien de confidentiel qui plus est, où est le mal. Elle le lui donne.

Et raccroche. Mais, tout ça n’est pas net se dit-elle.

Vous connaissez un Me Rubino ? ….Que nenni.

Il ne vous a pas appelé hier et vous ne lui avez pas donné le mail d’Emilie ?… Non, pourquoi ?

Résumé de l’appel et, derechef, mail à Emilie : Méfiance, un certain Me Rubino rôde et n’est pas franc du collier…

Le 30…

… où l’on reçoit un mail d’Emilie.

Hello,

Un petit mail pour vous informer que j’ai eu la chance d’avoir ce Monsieur Rubino de l’Etude Mazar au téléphone ce matin.

Il m’a d’abord demandé si j’avais bien reçu l’e-mail de son assistante avec les coordonnées de paiements pour le dossier que vous avez en commun.

J’ai répondu que non !

Ça l’a énervé alors il a épelé mon adresse mail (qui était incorrecte mais je lui ai dit que c’était étonnant car c’était la bonne adresse mail 😊)

Je lui ai ensuite proposé qu’il me donne le nom du dossier en question, afin que je puisse vérifier de quel versement il s’agissait… (histoire de le piéger!)

Il n’a pas trop aimé, il a commencé à s’énerver…

Puis il m’a dit « vous voulez savoir le nom du dossier ? Et bien je vais vous le dire, c’est « grosse bite », sale pute et il a bouclé !

Charmant….

Si même les hackers n’ont plus la classe, mais où va-t-on ?

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