Où il est question de pression populaire, d’internement à vie et de choix périlleux…
09/07/2016 § 2 Commentaires
Extrait du Journal @Mefaire, le 2 septembre 2016
… où toute la république est suspendu au verdict de Claude D. qui tombe dans l’après-midi.
Aucune surprise, le verdict de 1ère instance est confirmé sur toute la ligne : internement à vie !
Soulagement dans les chaumières, où tout autre résultat allant vers ce que d’aucuns auraient considéré comme un allègement du châtiment du monstre aurait provoqué ire et incompréhension.
Sans vouloir faire injure à la mémoire de la victime ni à la douleur de sa famille et de ses proches, ce verdict conforme aux aspirations du peuple interpelle tout de même sur le fonctionnement de notre système judiciaire dans des cas extrêmes comme celui-ci.
On ne peut en effet dissocier ce jugement du Tribunal cantonal, confirmant en tous points celui de première instance, de la volonté populaire. Tout le monde voulait voir Claude D enfermé à vie. C’est chose faite ! Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Circulez, il n’y a plus rien à voir !
Plus rien ? C’est vite dit.
Commençons par le peuple. S’il est satisfait, l’avocat ne peut quant à lui qu’exprimer son profond scepticisme. Si les prononcés de justice doivent être conformes aux aspirations de la foule pour être considérés comme valables, c’est la fin de l’indépendance des tribunaux. Bon, soyons lucides. Il y a des précédents… et nombreux. Il n’en demeure pas moins qu’un système judiciaire qui prétend fonctionner se doit d’être hors d’atteinte de toute influence populiste, politique ou idéologique. Car si l’on n’est pas capable de garantir au pire des monstres un examen de son cas dénué de toute passion, même le plus insignifiant des prévenus est en droit de craindre de ne pas être jugé avec toute l’objectivité et l’impartialité voulues. Certes, la justice est rendue par des Hommes et les hommes ne sont pas des machines, nous en avons déjà parlé. La confiance du justiciable dans ses Juges reste néanmoins à ce prix. Il ne faut pas l’oublier.
Revenons au cas de Claude D maintenant. Selon ce que les médias ont rapporté, la Présidente du Tribunal cantonal s’est exprimée plus ou moins en ces termes avant de clore l’audience : le verdict de première instance est confirmé, en particulier la mesure d’internement à vie, parce que Claude D présente un risque pour la sécurité publique qu’il n’est pas possible de voir diminuer à lointaine échéance.
A priori, difficile de prétendre que ce n’est pas une bonne décision. Nous sommes face à un double récidiviste en matière d’homicide intentionnel. Pas besoin d’être grand clerc pour considérer qu’il présente manifestement un danger accru pour la sécurité de son entourage.
De manière insidieuse, ce jugement revient pourtant sur cette question lancinante qui provoque moult débats dans les chaumières depuis que les Cours de justice font appels à des experts-psychiatres pour démêler le (trop rare) bon grain de l’ivraie (qui pullule en ce bas monde, comme chacun sait) : peut-il changer… un jour ?
Certes, dans le doute, le plus optimiste des Juges n’a envie de remettre une bombe à retardement en circulation. Il vaut mieux le garder sous les verrous ad aeternam. Mais ce fameux doute, pierre angulaire de notre système pénal, ne doit-il pas profiter à l’accusé ? Oui, quand il porte sur les faits, mais sur le futur, sur l’incurabilité d’un individu, quid ?
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, il faut 2 rapports d’expertise concordants, confirmant l’incurabilité à vie, pour prononcer une mesure d’internement… à vie. Et, jusqu’ici, la Haute Cour ne s’est pas montré très encourageante. Elle a plutôt cassé les verdicts cantonaux allant dans ce sens. Les Juges fédéraux ont-ils peur d’appliquer la loi dans toute sa rigueur ? Pas vraiment. Mais, quand la volonté populaire va à l’encontre des principes du droit international, ils deviennent prudents. Ils gardent dans un coin de leur cerveau la bonne parole – juridique – venue d’Alsace. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), à Strasbourg, ne leur laisse en effet guère de marge de manœuvre. Les sentences pénales fondées sur des a priori comme « jamais », « à vie », etc., ne trouvent pas grâce à leurs yeux. Tout condamné doit pouvoir conserver la possibilité de faire réexaminer sa situation carcérale régulièrement.
Pour bien comprendre le problème, il faut tout d’abord savoir que, dans notre affaire, les Juges vaudois avaient le choix entre deux types de mesures pour compléter leur verdict.
Tout d’abord, ils ont puni Claude D pour ce qu’il a fait dans le passé, soit un assassinat, alors qu’il en avait déjà commis un auparavant. Pour cela, ils n’ont pas barguigné : réclusion à perpétuité. Difficile de les contredire.
Ensuite, ils se sont occupés de l’avenir, puisque, justement Claude D aura la possibilité dans un futur assez lointain tout de même de demander une remise de peine. C’est là qu’on parle de la mesure d’internement. Les juges doivent alors se poser la question de savoir à quelle hauteur faut-il installer le garde-fou – sans jeu de mots – pour protéger la population dans le futur. Si haut, qu’on ne voit même plus le ciel ? Et tout le monde aujourd’hui s’accordera à dire que Claude D ne devrait même pas avoir droit à la lumière. Ou, pourra-t-il juste entrevoir l’horizon, solution préconisée par la CEDH ?
En matière d’internement, notre pays connaît justement ces deux options.
La première, classique, est l’internement ordinaire qui permet d’imaginer l’horizon. Prononcé sans limite de temps, il est réexaminé régulièrement, en principe chaque année. Aucun problème, s’il aboutit à une confirmation régulière de la dangerosité et au maintien des conditions de détention et donc à un internement à vie dans son résultat.
La seconde, exceptionnelle, est donc l’internement à vie, pour lequel on doit pouvoir affirmer au moment du jugement que le condamné est incurable… jusqu’à sa mort. Cette incurabilité n’est alors pas fondée sur l’impossibilité d’une évolution de la personne, mais elle se place du point de vue de la science et de son évolution probable. Et là, les milieux scientifiques sont partagés. Certains considèrent qu’il est possible de déterminer qu’une personne n’évoluera pas favorablement dans le futur. D’autres, et comment les en blâmer ? affirment que, au vu des connaissances scientifiques actuelles, personne ne peut affirmer avec certitude qu’il n’existera pas un jour un traitement adéquat.
C’est bien joli toute cette science, mais notre Haute Cour, ainsi que la CEDH, font du droit. Et le droit est en principe beaucoup plus terre-à-terre. C’est pourquoi, le verdict de Lausanne est problématique, puisque, si l’on exige une certitude à vie, la « lointaine échéance » évoquée par la Présidente risque d’être considérée comme insuffisante pour justifier la seconde mesure.
Et pourquoi serait-ce problématique mon bon Monsieur ?
Parce que, motivé ou non par la volonté populaire, on peut légitimement se demander pourquoi le Tribunal cantonal n’a pas choisi la route la plus sûre, soit la première option ? Elle présentait un risque minime de se faire casser par le TF et elle aurait encore plus difficilement être remise en question à Strasbourg. Là, il n’y aurait aucune place pour un débat scientifique à haut risque. Car, dans le futur, la probabilité qu’un expert considère tout à coup dénué de toute dangerosité un double assassin paraît assez extraordinaire.
Au lieu de cela, on a pris le risque que, même si le jugement est maintenu aujourd’hui, dans 20 ans par exemple, Claude D saisisse la Cour européenne en disant : on ne veut pas me laisser sortir de prison uniquement parce que la science n’a pas évolué depuis ma condamnation ! Cet argument n’aurait rien d’idiot et serait susceptible de trouver grâce auprès des théoriciens du droit qui y siègent. En raisonnant de manière à peine absurde, on pourrait imaginer le pire des scénarios, une remise en liberté n’ont pas parce qu’il a été démontré qu’il n’y avait plus aucun risque de récidive, mais parce que la CEDH considérerait inadmissible de maintenir quelqu’un en prison, simplement pour le motif que la science n’a pas fait de progrès en matière de prévention de la dangerosité des pires psychopathes !
Bref, on avait tout ce qu’il fallait pour bien faire sur le plan du droit et mettre Claude D hors circuit. Une réclusion à perpétuité doublée d’un internement ordinaire, mesure qui permettrait déjà aujourd’hui le maintien en détention, sans réelle possibilité de changement. Il y a des précédents, le « Sadique de Romont » pour n’évoquer que lui. Au lieu de cela, en voulant selon toute vraisemblance respecter la déontologie populaire, on prend le risque de voir le TF casser ce verdict ou, si ce n’est pas lui, la CEDH. Demain, ou dans 20 ans…
Les avocats de Claude D ont déjà annoncés que, selon toute vraisemblance, il y aura recours à Mon-Repos. Les journalistes l’avaient déjà anticipé. Et l’on ne pourra faire grief auxdits avocats de faire leur travail, car ils connaissent le droit et la jurisprudence suisse et internationale, comme votre serviteur. Ils savent donc qu’ils ont toutes leurs chances d’avoir un écho favorable, qui risque de très mal raisonner aux oreilles de la populace…
Merci Monsieur pour votre analyse très intéressante. Ce qui est compliqué pour les novices en droit (comme moi): ce sont toutes les théories contradictoires existantes. On ne sait plus très bien ensuite qui a raison …
Concernant la décision de la Cour d’appel présidée par Mme Bendani, je ne pensais pas qu’elle s’opposerait à la décision d’Eric Cottier. Ce n’est, à mon avis, pas la pression populaire qui a déterminé cette décision d’internement à vie de Claude D., mais la pression du Procureur général du canton de Vaud …
Meilleures salutations.
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Et oui.
Cela soulève plusieurs problèmes. Le premier est celui de la démocratie. Le peuple se laisse bercer par des idées qu’il croit bonnes et vote n’importe quoi (l’imprescriptibilité des actes sexuels avec des mineurs, le renvoi des criminels étrangers ( le deux mots finissent par n’en faire qu’un seul dans certains esprits) et on en passera beaucoup. Aristote était déjà sidéré de voir que les émotions incontrôlées d’une foule puissent avoir force de loi. Ce qui était vrai du temps d’Aristote l’est encore plus maintenant que les sujets de vote sont toujours plus techniques et que la majorité des votants ne comprend ni les questions posées ni les enjeux.
Deuxième question les experts : ce sont ces êtres merveilleux qui passent quelques heures avec une personne et qui prétendent mieux le connaître que ceux qui ont vécu vingt ans avec lui. Si l’avis des experts n’était que scientifique ça irait encore. Mais les experts expriment aussi leurs peurs. Maintenant, plus aucun expert n’ose dire il faut remettre une personne en liberté. L’expert a bien trop peur qu’on lui reproche un jour d’être le responsable de l’écrasement d’un moustique par ledit récidiviste.
Troisième question les juges : ils savent ce qui se passe dans la tête des gens. Et comment, en lisant des feuilles de papier. Un chien passe de heures entière, chaque jour de la semaine, y compris les samedi et dimanche, à observer les humains mais lui a la sagesse de ne pas juger.
Quatrième question : le système pénitentiaire qui fait ce qu’il veut avec ses condamnés. Il existe de gens très sérieux qui prétendent que peler des patates dans telle institution améliore bien plus la santé mentale de certains détenus que s’ils allaient en traitement chez un psy. Il n’y a officiellement qu’un centre reconnu pour les traitements psychiatriques. C’est Curabilis à Genève, et il est déjà débordé. Pour peu que le détenu suive un traitement, il est complètement livré à ses traitants. Il n’y a aucun contrôle. Ces gens ne répondent pas aux questions. Ils déplacent les détenus parce que ….na.
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