Quand le TC sous-entend que « ça craint »

07/18/2016 § 3 Commentaires

Extrait du Journal @MeFaire du 15 juillet 2016…

… où l’on se demande quel sens profond donner à un considérant de notre Cour cantonale d’appel pénal .

Sur le fond, il s’agit d’une affaire où l’on recourt contre le verdict de prison  ferme infligé à une jeune qui a effectivement tout ce qu’il fallait pour être dans le collimateur des Juges.

Sur la forme, l’un des motifs du recours était que le Tribunal de 1ère instance s’était adjoint les services du Juge suppléant, en cas de défection de ses membres. Donc, le remplaçant potentiel assiste aux débats, au cas où…

Jusque là, rien de critiquable. Le problème réside dans le fait que le jugement indique que ce brave homme a aussi pris part aux délibérations. Et c’est bien là que le bât blesse. La loi indique la composition du Tribunal, c’est-à-dire qui décide d’envoyer quelqu’un en prison… ou pas : un Président, 4 Juges, point final. Si un 5ème Juge entre dans la salle des délibérations et prend part de manière active aux discussions, donne son avis, vote, etc. Celui-ci aura inévitablement une influence sur le verdict final et, dans notre cas, c’est la taule pour 4 ans.Ce n’est pas de la rigolade.

S’il les mérite, où est le problème me direz-vous ? La question n’est pas là. La composition du Tribunal est fixé par la loi. Si on admet maintenant que Pierre, Paul, Jacques ou Jean qui passent par là, quelle qu’en soit la raison, peuvent s’inviter, donner leur avis et que celui-ci aura peu ou prou une influence sur le résultat de n’importe quel procès, il n’y a plus de contrôle sur la régularité du processus judiciaire. Et ça ce n’est pas admissible dans notre État, que l’on prétend de droit.

La Cour d’appel a donc dû trancher cet argument. Le résultat de son analyse est assez surprenant :

« e) La doctrine est ainsi loin d’être unanime. Une nette majorité des auteurs admet néanmoins
que le juge suppléant peut assister aux délibérations, la question débattue tournant pour l’essentiel de
savoir à quel titre il y participe: par une présence uniquement passive, avec voix consultative ou avec
voix délibérative. Dans le cas présent, le juge surnuméraire a été présent au moment des
délibérations, mais il n’est intervenu d’aucune manière au cours des discussions, ainsi que l’ensemble
du Tribunal pénal l’a attesté dans sa prise de position du 14 décembre 2015. Il n’y a pas lieu de mettre
en doute cette affirmation. Dans la mesure où le juge surnuméraire n’a eu aucune influence sur les
délibérations qui ont conduit au prononcé du jugement du 2 juillet 2015, il faut admettre que la
composition du Tribunal pénal est restée dans la marge de ce qui est admis par la loi. Cela étant, à
l’avenir, la Cour ne peut qu’inviter les tribunaux à suivre la pratique proposée par SCHMID, qui a seule le
mérite d’éviter toute ambiguïté ou apparence problématique quant au rôle joué par un juge suppléant
nommé en vertu de l’art. 335 al. 3 CPP. La Cour constate dès lors que la composition du Tribunal pénal de la Gruyère était régulière. La conclusion principale de X. tendant à l’annulation du jugement et à la répétition des débats
en première instance est rejetée. »

On peut déjà commencer par un sourire complaisant (soyons polis) à la lecture de l’affirmation selon laquelle le Tribunal dans son entier a juré que le suppléant est resté confiné dans son rôle de potiche et n’a jamais, ô grand jamais, émis la moindre remarque, ce dont la Cour cantonale n’a pas lieu de douter… (petite remarque au passage : nos braves juges ne se rendent pas compte à quel point ce genre de phrase complaisante réduit leur crédibilité à néant. C’est cela diront les moins critiques, copinage diront les plus virulents. Même pas vrai, la plupart du temps… Mais ça n’aide personne. La Justice doit être rendue sans que le plus petit doute quant à l’impartialité de ses Juges ne puissent exister).

Donc, si on traduit la prose de la Cour, cela donne à peu près ceci : Bon, les gars. En Suisse, pas de précédent sur un cas de figure identique. Donc, on se rabat sur les ouvrages des grands théoriciens. Et, là, il y a à boire et à manger. Comme les collègues de 1ère instance nous jure qu’ils ont fait tout juste. On va les croire, parce que ça nous arrange et que, de toute façon, le gugusse est pomme pour le reste. Dans ces conditions, inutile de remuer ciel et terre. Mais bon, ok pour cette fois les gars. Mais, si vous nous lisez, à l’avenir ne faites plus ça, parce que ça craint…

Moralité, on ne sait plus très bien si on a tort simplement parce que la Cour considère que notre client ne mérite pas un coup de pouce, parce que, finalement, il a amplement mérité son sort. Ou si on nous dit : On ne va pas désavouer nos camarades de 1ère instance, mais, comme vous n’avez pas complètement tort, si le cœur vous en dit, allez donc frapper à la porte du Tribunal fédéral. Si les grands penseurs de Montbenon tranchent cette question de principe en vous donnant raison, tant mieux pour vous…

PS : lundi 18, 1:01, où un merveilleux follower, historiquement au point, attire à juste titre mon attention sur mes errances en matière de géolocalisation. Il faut bien sûr lire « Mon-Repos », au lieu de Montbenon, d’où la vue du parc est beaucoup plus belle. Un grand merci à lui 👍

§ 3 réponses à Quand le TC sous-entend que « ça craint »

  • pidji dit :

    Bon Me Faire,
    je me rappelle un vieil arrêt du même Tribunal cantonal qui expliquait que si la loi prévoyait 5 juges, elle sous-entendait 5 juges réveillés. et que si l’un des juges s’était assoupi, on n’avait plus la composition du Tribunal et donc le recours était admis.

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  • Le jugement dit ceci: « Dans le cas présent, le juge surnuméraire a été présent au moment des délibérations, mais il n’est intervenu d’aucune manière au cours des discussions, ainsi que l’ensemble
    du Tribunal pénal l’a attesté dans sa prise de position du 14 décembre 2015 ».

    Vous déposez un recours, car justement ce juge a participé activement aux débats. Mais les juges prétendent le contraire …

    Ma question: Existe-t-il un PV de l’audience réalisé sérieusement ?
    Il me semble que le PV, s’il a été réalisé sérieusement, devrait permettre de prouver que ce 5e juge a été actif pendant cette audience.

    Nouveau problème: Souvent les PV d’audience ne correspondent pas à la réalité …

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    • maitrefaire dit :

      Attention, on ne parle pas des débats, mais des délibérations. Et, là, pas de PV, et c’est tout à fait normal. Quant à l’exactitude des PV tenus en audience, donc durant les débats, ils sont relus et signés par les intéressés. Si quelque chose manque ou est retranscrit de manière inexacte, on peut donc toujours le modifier, le compléter ou, dans le pire des cas, indiquer son désaccord.

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