Épisode III
03/15/2016 § 2 Commentaires
Episode III
C’était à l’aube
du IIIème millénaire. La
Confédération voulait renfor-
cer sa crédibilité sur la scène judi-
ciaire internationale. C’est ainsi que le
Premier de l’An 2002, le Ministère public de
la Confédération (MPC) new-look voit le jour. Il
se voit confier de nouvelles compétences dans le do-
maine du crime organisé et de la criminalité économique. Désormais, il est vraiment une autorité judiciaire indépendante qui n’est subordonnée qu’administrativement au DFJP, c’est-à-dire uniquement pour ce qui est des ressources (personnel, finances, infrastructure). Quant à la conduite des investigations, le Procureur général de la Confédération et ses acolytes travaillent désormais sans recevoir d’instructions de l’autorité de nomination. Du moins officiellement, car certaines affaires internationales touchant la Suisse ont parfois un caractère politique très marqué : Khodorkowsky, Printemps arabe, etc). C’est du lourd, comme on dit. Difficile donc, voire téméraire, de faire cavalier seul, sans prendre la température auprès des politiques. Bref, la séparation des pouvoirs, d’accord, mais… avec prudence. Tout à fait dans la ligne du sacro-saint principe du « compromis helvétique »…
Pour permettre au nouveau système de fonctionner correctement, il lui fallait aussi une Cour à la hauteur de ses ambitions. Aussi, le 1er avril 2004, le Tribunal pénal fédéral (TPF) a-t-il ouvert officiellement ses portes. Administration fédérale décentralisée oblige, les justiciables concernés par les enquêtes du MPC devront prendre à droite en sortant du Gothard, et se rendre sous les murs du Château de Bellinzone, pour comparaître devant cette instance fédérale unique.
Créé pour connaître des causes que le MPC lui soumet – dossiers présentant un caractère supra cantonal ou international, le TPF nous a été vendu comme une évolution dans le système judiciaire suisse, grâce à son collège de juges spécialisés dans le droit pénal. À voir… Parce que la nouvelle Cour pénale fédérale supprime tout de même une étape essentielle du processus judiciaire : le premier degré de juridiction « classique » de l’instance cantonale. Celui du Tribunal d’arrondissement avec ses braves juges laïcs, épaulant un Président juriste. Les « Juges du fait » comme on les appelle, dont la vocation salutaire est souvent de commencer par remettre l’Église au milieu du village, bon sens populaire oblige, avant de parler de droit.
Avec ce TPF, on zappe donc un échelon essentiel de la hiérarchie, pour se retrouver directement face à trois professionnels. Première conséquence (et non des moindres), on ne bénéficie plus des deux possibilités habituelles de contester un jugement. Contre les prononcés du TPF, il ne reste en effet plus qu’une seule et dernière voie de recours sur le plan suisse : le Tribunal fédéral (TF). Ce n’est pas anodin, parce que, seconde conséquence, ce faisant on supprime presque totalement la possibilité de revoir tranquillement au moins une fois ces fameux faits, base nécessaire à la bonne et juste application du droit. Qui, quand, quoi, comment, où ? Ces questions fondamentales auxquelles il faut impérativement répondre correctement avant de prétendre émettre un jugement. Si cela allait de soi, on n’aurait pas besoin d’avocats, si, si.
Voilà…
Avec tout cet arsenal judiciaire, on devrait pouvoir dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes des coucous suisses. Parce que nos supers procureurs traiteraient de supers dossiers, avec leurs supers pouvoirs, et les transmettraient à de supers juges qui rendraient de supers jugements. L’efficacité et le rationalisme helvétique au service de la Justice. Que vouloir de plus ?
Malheureusement, la réalité est un brin moins enthousiasmante. Objectivité, impartialité, respect des règles fondamentales, bref le kit minimal d’une procédure équitable, ne font pas toujours partie du package de tous les supers magistrats fédéraux, en particulier de certains Procureurs. Parfois, cela éclate au grand jour. Certains fiascos retentissant devant le TPF ont suscité pas mal de polémique, comme l’affaire Holenweger. Étonnant non ? Peut-être pas tant que ça. Il faut savoir que bon nombre de ces supers juristes auto-proclamés dans la fleur de l’âge ont choisi l’aventure fédérale, parce que leur carrière cantonale était un brin compromise. D’autres, tous frais émoulus des hautes écoles, n’avaient au moment de leur recrutement strictement aucune expérience du terrain.
Et, là, le terrain est plutôt ardu. On ne parle pas de chiens écrasés, mais de grosse galette. Ce qui a a priori une influence néfaste sur le recul nécessaire dont devrait faire preuve tout magistrat qui se respecte. Parce que là, dès qu’ils pensent avoir reniflé un os et avant même d’avoir la confirmation que c’en est bien un, certains ne veulent déjà plus le lâcher. Peu importe l’argent du peuple et le bon sens. Ici c’est le MPC ! On est là pour ça et on ne peut pas se tromper !
Ben voyons. C’est avec ce genre d’autocritique à deux balles que l’on transorme des taupinières en montagnes. Ou que des affaires relevant des affaires intérieures de contrées lointaines ont amené des magistrats helvétiques à faire du prosélytisme hors de nos frontières, histoire de sauver leur investigation du naufrage. Vous ne le savez peut-être pas, mais en matière d’accusation de blanchiment, s’il n’y a pas eu de crime à l’étranger, il ne peut y avoir d’infraction, et donc de condamnation, en Suisse. Donc, quand ils se rendent compte qu’ils n’ont rien (ou presque) à se mettre sous la dent en Helvétie, certains plénipotentiaires fédéraux sont tentés de prendre leur bâton de pèlerin pour aller convaincre leurs homologues étrangers, ces empotés qui n’ont rien compris à leur propre ordre juridique, que, fort heureusement, un juriste à croix blanche est là pour leur ouvrir les yeux et trouver la voie. Lao Tse l’a dit…
Heureusement pour nous, certains dossiers transpirent. Parce qu’évidemment, ce genre d’exploit ne se crie pas sur les toits. Et pour cause. Non seulement ce n’est pas très fair-play envers le ou les accusés (on a critiqué des régimes totalitaires pour moins que ça), mais cela viole aussi quelques règles fondamentales internationales (indépendance, souveraineté, etc.). Bref, la base de l’État de droit parait-il.
De la science-fiction ? Pas vraiment, non. La preuve dans les lignes à venir. C’est effectivement une histoire de ce genre qui va vous être contée. Tout y est vrai et n’entretient de rapport avec la SF que par son titre à peine allusif : Coal Wars, car on va parler de charbon. Même si cette saga n’a guère connue de notoriété dans notre pays, celai n’enlève rien à son importance au regard du respect des institutions et du droit, car elle est hors norme à tout point de vue. Elle sera scindée en plusieurs volets, pas forcément chronologique (Star Wars quand tu nous tiens), histoire d’en faciliter la compréhension, autant que de vous éviter un sacré mal de tête.
On découvrira comment le MPC, pensant avoir soulevé le plus gros lapin de son histoire, a foncé tête baissée dans une affaire pour laquelle il n’y avait pas le moindre élément tangible qu’une infraction avait été commise. Juste les déclarations fumeuses d’un personnage qui l’était tout autant et qui n’avait pas le moindre rapport avec les faits dont il parlait. Une affaire qui, en outre, ne concernait la Suisse que de manière très, très lointaine. La Tchéquie, cela n’a rien d’une autre galaxie, certes, mais ses institutions n’ont tout de même pas grand-chose à voir avec les nôtres. Cela n’a pas empêché nos enquêteurs à croix blanche de vouloir se les approprier. Pire, conscients de l’impasse dans laquelle ils s’acheminaient, ils ont tordu les règles du procès équitable pour sauver leur dossier. Et ça ne s’est pas arrêté là. Au lieu de sanctionner une instruction résolument orientée et l’acte d’accusation inconsistant qui la clôturait, alors que c’est – paraît-il – son rôle, le TPF a contre toute attente validé cette mascarade en rendant un jugement de condamnation aussi abracadabrant que démesuré, jugement aujourd’hui toujours en cours d’instruction devant le Tribunal fédéral.
Chers lecteurs, dans les épisodes à venir très bientôt, vous découvrirez donc
l’histoire des Juges suisses qui voulaient blanchir le charbon tchèque…
la suite… la suite !
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Bonsoir,
J’apprends ceci: « Vous ne le savez peut-être pas, mais en matière d’accusation de blanchiment, s’il n’y a pas eu de crime à l’étranger, il ne peut y avoir d’infraction, et donc de condamnation, en Suisse ».
Cela signifie-t-il que le blanchiment d’argent en Suisse n’est jamais condamné s’il n’a eu lieu qu’en Suisse ??? Alors à quoi servent les lois suisses liées au blanchiment d’argent ??? Vraiment étrange.
Il faut aussi savoir que si vous dénoncez une très grave affaire financière, dans le canton de Vaud, eh bien elle ne sera pas traitée non plus. Les infractions d’escroquerie, faux dans les titres, faux témoignages, etc, etc seront simplement étouffées … par le juge pénal !
Les escrocs dans le domaine de la finance ont donc encore de beaux jours devant eux.
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