Messieurs, vous pouvez ranger vos crampons !
11/23/2018 § Poster un commentaire
Extrait du Journal @MeFaire du 19 novembre…
… où ce n’est pas tant que le droit ne soit pas une science exacte – et que parfois on se ramasse – qui est complètement déroutant en cette fin d’après-midi, mais bien le fait que le bon sens semble avoir complètement déserté les cours de Justice quand il s’agit de faire la part des choses.
Cette détestable mode qui consiste à vouloir que tout soit parfait et que l’aléa disparaisse des relations humaines a rattrapé aujourd’hui trois juges d’appel dans cette affaire du jeune footballeur poursuivi pour lésions corporelles, ensuite d’un tacle effectué une fraction de seconde trop tard et qui a conduit à une sérieuse blessure de la cheville de l’adversaire et un carton jaune pour son auteur.
L’ensemble de la jurisprudence suisse et étrangère insiste sur le fait que, en matière de sport, plus particulièrement dans les sports de contact, comme le football, le hockey ou le basket, les critères standards du droit pénal en matière d’atteinte à l’intégrité physique d’une personne ne tiennent plus. Il faut que l’acte puisse être qualifié d’anti-jeu pour tomber sous le coup de la loi pénale.
Mais, aujourd’hui, non, tout cela n’existe plus. Certes, l’arbitre avait délivré un carton jaune, en précisant toutefois que, s’il y avait de l’agressivité dans le geste, il n’y avait par contre aucune malveillance, et que le but du joueur était clairement de jouer la balle. Malheureusement, l’arbitre a aussi appliqué la terminologie du football dans son rapport postérieur au match et donc a qualifié de « jeu dangereux » le tacle, puisqu’il s’agit de la justification footballistique classique d’un carton jaune.
Et voilà donc que, si c’est un geste dangereux pour l’arbitre, ce qui correspond à la définition de l’alinéa 1 de la loi du jeu numéro 12 qui différencie justement l’imprudence de la brutalité, et donc du carton rouge, cela devient forcément pénal pour la Cour :
« La qualification juridique de cet acte s’est avérée complexe dès lors qu’on se trouve en présence
d’un cas limite. La Cour d’appel a décidé de s’écarter de l’avis doctrinal de Bondallaz, qui ne prétend appliquer le droit pénal qu’aux cas où l’on peut établir à charge de l’agresseur une brutalité excessive résultant d’une maladresse impardonnable, en d’autres termes une faute grossière sanctionnée d’un carton rouge. Elle a retenu que si le tacle est un geste sportif admis, il relève néanmoins du droit pénal lorsqu’il est effectué en violation des règles de prudence et mérite le qualificatif de jeu dangereux, généralement sanctionné par un carton jaune. Constatant qu’en l’espèce, le tacle effectué par le prévenu a été qualifié de jeu dangereux par l’arbitre et sanctionné d’un carton jaune, la Cour d’appel
a confirmé la condamnation pour lésions corporelles par négligence prononcée en première instance. »
Dans la jurisprudence allemande, on qualifie le football de « sport de combat », parce que, disent nos voisins, il induit une inhibition particulière dans le feu de l’action, si bien que ce qui peut être considéré comme une atteinte à l’intégrité physique et une violation du devoir de prudence élémentaire hors du terrain, ne peut être qualifié ainsi dans le cadre d’un match où, des deux côtés du terrain, on joue pour la gagne.
Il est particulièrement triste que des juristes, censés de surcroît particulièrement qualifiés, puisqu’ils interviennent en seconde instance, et qui ont le pouvoir de décider de l’avenir d’un jeune homme, en lui décernant un casier judiciaire, fassent preuve d’aussi peu de clairvoyance et de capacités à adapter le curseur à la situation dont ils ont à juger. Qualifier de « brutal »un joueur qui en plus de 200 matchs n’a été averti que six ou sept fois démontre une distance avec la réalité qui est vraiment inquiétante, mais tout à fait dans l’air du temps, depuis qu’il faut à tout prix être plus blanc que blanc et ne tolérer aucun écart dans la société. Si l’on continue dans cette voie, bientôt, on n’osera plus toucher l’adversaire dans les matchs de boxe de peur de finir au tribunal. Eh oui, tout simplement parce qu’on lui a fait mal, alors qu’il est rentré sur le ring en connaissance de cause et animé des mêmes intentions de gagner le combat.
Triste, vraiment, parce que ce n’est pas ce que l’on demande au droit pénal…
PS 1 : Et le rugby, on en parle ? Quelques jours ont passé. Il est maintenant samedi soir, 22 heures, je regarde France – Fidji à la télévision. Les gentils îliens sont en train de mettre la pâtée au coq sportif. On n’en est à 18-14 et la frustration commence à monter du côté bleu. Les armoires à glace blanche résistent tant qu’elles peuvent. Ça frictionne, ça correctionne, ça envoie des pastèques pour couper l’élan adverse. Maintenant, si on arrêtait le match et que l’on venait expliquer à ces braves gens ce que nos juges ont imaginé en matière de respect du devoir de prudence sur un terrain de jeu, ça les ferait bien marrer les hexagonaux et leurs adversaires fidjiens…
PS 2 : comme c’est le week-end, on se livre à une petite revue des réseaux sociaux et on découvre que des illuminés, persuadés qu’on nous ment depuis la nuit des temps, vont jusqu’à tenir des colloques pour démontrer que la terre est plate et qu’il y a des gens qui payent pour assister à ça (si, si). Peut-être que cette affaire m’obnubile un petit peu trop, mais je ne peux pas priver de faire un lien avec ces technocrates du droit qui veulent asseoir leur conception du monde juridique en dépit du bon sens, de la réalité qui nous entoure et, aussi, sans aucune considération pour la société et notre jeunesse. Parce que finalement si l’on va lui dire faites du sport au lieu d’aller glander devant la gare ou dans les couloirs des supermarchés et de chercher des noises avec la bande d’à côté et que, au bout du compte, ils risquent quand même de se retrouver au tribunal, parce qu’ils ont préféré mouiller le maillot de leur équipe, eh bien, je pense que Coubertin y trouverait à redire. Et pas que lui…
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