Une histoire de foot
02/01/2018 § 1 commentaire
Extraits du Journal @MeFaire, de fin janvier 2018, ou il est question de ballon rond et d’assassin
Le 29…
… où l’on enfile ses crampons ce matin, afin de peaufiner nos derniers arguments en vue de l’audience de demain matin.
On va y parler football, puisqu’un tout jeune homme va se retrouver sur le banc des accusés. On lui reproche un tacle qualifié de « violent », uniquement parce qu’il a entraîné une blessure assez grave chez son adversaire qui a eu la cheville brisée.
Bien sûr, ce n’était pas son intention. Mais le résultat est là. Difficile de faire comprendre à la victime que, en droit pénal, ce n’est pas le résultat qui compte, mais bien ce que l’auteur a pris le risque de faire. Nuance, tout est dans la nuance…
Affaire banale pourrait-on dire, puisque ce genre de mésaventure est courante sur les terrains. Eh bien justement, c’est pour cela que les enjeux de cette affaire ne sont pas anodins. Notre brave joueur est ainsi devenu involontairement le centre d’une querelle dogmatique sur la planète foot, pour l’instant à l’échelle locale. Mais, demain ?
En effet, pour cette action malheureuse, il s’est seulement pris un carton jaune. Normal, direz-vous. Cependant, en règle générale, les actions telles que celle-ci, quand elles sont sanctionnées par un carton jaune, ne finissent pas au Tribunal. Pour le commun des mortels, cela fait partie du risque que l’on prend en enfilant son maillot et en entrant sur la pelouse. Bien sûr, la victime, ou plutôt ses parents, ne voient pas les choses de cette façon. Ils ont déposé plainte certes, mais quelques semaines plus tard, quand la gravité de la blessure et, surtout, ses séquelles possibles, se sont révélées.
Et c’est donc cette question que va devoir trancher un Juge demain : est-ce qu’une violation de la loi du sport (Règle n° 12 de la FIFA), qui n’a pas été sanctionné comme brutalité injustifiée par l’arbitre, mais uniquement comme une imprudence, arbitre qui a confirmé à l’enquête que le joueur était en retard, mais pas trop, et qu’il voulait seulement jouer la balle, peut être en plus qualifiée pénalement et valoir une condamnation devant la Justice à son auteur ?
Dans le vestiaire, juste à côté de moi, Me Will, notre padawan, enfile également son maillot. Footballeur actif, dont le corps porte encore les stigmates de son parcours sportif, il se sent tout à fait concerné, et motivé. Ses recherches l’ont porté jusqu’au-delà de nos frontières, notamment en Allemagne, où le droit n’est pas tellement différent du nôtre. Dans les arrêts trouvés à propos de l’interprétation de la même Loi de la FIFA, les juges ne considèrent également pas le résultat (la blessure), ni même l’intelligence ou non de l’action entreprise (tacle, pied levé, etc.), mais seulement de savoir si le geste peut être qualifié de déloyauté à l’égard de l’esprit du jeu. L’anti fair-play…
Le 30…
… où on se retrouve dans l’arrière-salle d’un tea-room avec notre jeune footballeur tout emprunté dans son uniforme militaire.
Très tôt ce matin, dans la caserne où il effectue son service obligatoire depuis 15 jours, il a enfilé sa tenue de sortie pour venir répondre devant un Juge une accusation de lésions corporelles simples par négligence. Comme il le dira tout à l’heure, jamais il n’aurait imaginé se retrouver là en pénétrant sur la pelouse le jour du match !
Loin des clichés que certains peuvent avoir des footballeurs, et surtout du portrait détestable que fera de lui la partie civile dans quelques minutes, nous avons affaire à un jeune homme droit dans sa tête, bon élève, travailleur assidu, bref, presque le gendre idéal. Sauf que, lui, ne vient pas diner, il est là pour être jugé…
Sa carrière footbalistique est éloquente. Depuis qu’il a commencé ce sport en 2010, celui que ses accusateurs vont décrire tout à l’heure comme un danger public sur un terrain, a disputé près de 200 matchs, pour seulement 6 cartons jaunes et un rouge, ce dernier étant consécutif à 2 cartons jaunes, justement le jour funeste du match en question. Il a aussi été le capitaine de son équipe
Son adversaire malheureux, assis à quelques mètres de lui dans la salle d’audience, est tout aussi l’archétype du bon gars, bien emprunté de se trouver ici et qui explique, avec une toute petite voix, qu’il ne sait pas s’il pourra rejouer au foot un jour, car sa cheville le fait toujours souffrir.
La partie civile tient aujourd’hui la place du procureur, qui n’est donc pas venu soutenir son point de vue selon lequel le geste de mon client a excédé ce qui était tolérable. Même si elle tient des propos que l’on pourrait prêter au Parquet, son but n’est pas de protéger la population contre les footballeurs un peu trop primesautier, mais d’assurer à son client un avantage dans la procédure civile qu’elle prépare. La blessure ayant, comme on le dit, laissée des séquelles, dont la portée n’est pas entièrement mesurable aujourd’hui encore, c’est un beau procès qui s’annonce. Si l’auteur du tacle est condamné au pénal, la faute civile sera pratiquement incontestable et il n’y aura plus que le calcul du dommage à faire.
Les débats sont réduits à leur plus stricte expression. Les 2 acteurs confirmant les déclarations faites à l’enquête, mon client précisant seulement que, après l’action litigieuse, le ballon était à côté de son malheureux adversaire, ce qui implique que, contrairement à ce qu’on prétend de l’autre coté de la barre, la victime était encore en possession du ballon au départ de l’action.
Les plaidoiries sont beaucoup plus étoffées, chaque partie exposant sa conception du football. D’un coté, un sport où, certes on a le droit d’essayer « d’attraper » la balle, mais on doit quand même pouvoir la monter tranquillement dans le camp adverse, sans se faire sauter dessus. J’ironise un brin, mais c’est grosso modo le message qui a été délivré.
La défense que j’ai eu l’honneur d’assurer a prôné que, dans une compétition telle qu’un match de foot, les acteurs sont engagés dans un but, sans jeu de mots, prendre la balle dans les pieds de l’adversaire et la mettre dans le goal. Il y a de l’agressivité, car sinon il n’y a pas de match. Cette agressivité est connue, acceptée par les joueurs qui n’ignorent pas le risque de blessure et canalisée dans le sens de la victoire, mais pas à tout prix. Il y a une limite à ne pas dépasser, limite qui est décrite dans la Loi n° 12, où l’action qualifiée d’imprudence conduit au carton jaune et la brutalité, à l’exclusion, concept que l’arbitre a parfaitement défini en confirmant qu’il n’avait pas de doute sur le carton jaune qu’il a signifié au joueur fautif. L’imprudence est une faute dans le jeu, la brutalité une faute contre le jeu et elle seule peut amener un joueur devant le Juge.
Le juge a maintenant quelques jours pour se forger une opinion, pendant que joueurs, entraîneurs, responsables d’équipe retiennent leur respiration…
Le 31…
… où l’on démarre la journée avec le podcast du journal du soir du 30, où nos débats footballistiques font la une, alors qu’aucun journaliste n’était présent dans la salle pendant tous les débats.
Se prendre un carton jaune pour un tacle et finir devant le Juge précède le papier de notre quotidien local où Son gros tacle l’amène devant le Juge.
Jusque là, rien de bien inquiétant.
Mais, plus loin dans la journée, Me Will, notre padawan, alerté par ses coéquipiers, nous transmet la brève du média préféré des pendulaires errant dans l’hyper-espace des halls de gare, Condamné pour un tacle assassin, il conteste…
Vu l’escalade vertigineuse des qualificatifs, vivement que la journée se termine, sinon mon client sera bientôt présenté comme le Hannibal Lecter des stades…
C’est juste pour embêter un Confrère que j’aime beaucoup, mais le basket est BEAUCOUP plus violent que le foot. Et pour le reste je suis partisan du fait que les journalistes devraient avoir un permis et qu’en cas de faute on leur donne une sanction. En cas de faute grave, il devraient repasser des examens pour voir s’ils ont les compétences.
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