YAKA demander !

03/08/2017 § 3 Commentaires

Extrait du Journal @MeFaire, du 6 mars 2017

… où l’on découvre, mi-amusé, mi-sidéré, que, sur nos monts, si tu veux consulter l’agenda professionnel de notre généralissime en chef, ben, y’a qu’à demander !

Le crédit de cette découverte stupéfixante revient à un collègue de l’Hexagone, s’inquiétant d’obtenir la confirmation d’une visite officielle du Procureur général de la Confédération à son voisin. Sa question était donc de savoir si l’on pouvait obtenir de l’administration fédérale cette information.

Le premier réflexe consisterait à répondre que le Parquet fédéral n’a rien d’une agence de renseignement. Mais, ce serait un peu court. En creusant un peu, on tombe sur un texte légal méconnu « sur le principe de la transparence dans l’administration », soit une loi fédérale (LTrans en abrégé) dont la vocation est de fixer les règles permettant à tout un chacun d’avoir accès à certains documents officiels de l’administration publique, afin de s’enquérir de son activité et, donc, par voie de conséquence de la contrôler, histoire notamment de savoir à quoi sont utilisés les deniers publics.

A priori, même si la loi en question prévoit une application assez large, on est toujours tenté de revenir au postulat de base, soit que les infos en rapport avec l’organisation de l’activité du Procureur général de notre belle Helvétie relèvent de la sphère interne d’une administration qui n’est pas particulièrement réputée pour sa propension à communiquer. Donc, le non devrait toujours l’emporter sur la transparence.

Pour en être sûr, cherchons tout de même dans la jurisprudence s’il y a des cas d’application susceptibles de nous conforter dans cette solution, facile certes, mais assez logique, vu le contexte. Il ne s’agit en effet pas de consulter les archives de l’Etat civil pour établir un arbre généalogique, mais bien de découvrir ce qui se trame dans les coulisses du pouvoir judiciaire.

C’est là que nous découvrons un arrêt assez « spectaculaire », dont notre Haute Cour a le secret quand il s’agit de remettre certaines églises au milieu du village de la Justice.

Il s’agit d’une décision récente, puisqu’elle a été rendue en juin dernier. Un journaliste de la Sonntagszeitung avait demandé en mai 14 à l’Office fédéral de l’armement de pouvoir consulter l’agenda Outlook de l’ancien chef des armées. Comme on peut s’en douter, l’Office en question a envoyé promptement paître le journaleux trublion osant formuler une pareille demande. Pas démonté pour un sou, l’intéressé s’est adressé au Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (!), lequel conseille à l’Office de donner suite à la demande.

Rien à faire. Celui-ci persiste et signe, mais transmet tout de même un extrait de l’agenda Outlook sous la forme d’un résumé par semaine, où la plupart des inscriptions sont caviardées. Ni une ni deux, notre ami recourt auprès du Tribunal administratif fédéral qui lui donne raison ! Têtu, l’Office refuse de baisser pavillon et s’adresse aux Juges de Mon Repos.

Voici une synthèse de leurs réflexions.

Tout d’abord, la Haute Cour considère que l’application de la LTrans fait aussi partie des tâches de l’Office qui est donc une administration comme les autres, toute préposée à la sécurité du pays qu’elle est. Pas de favoritisme, donc. On peut imaginer que le même raisonnement pourrait s’appliquer au MPC.

Ensuite, elle se penche sur la question de savoir si l’agenda Outlook du chef de l’armement peut être considéré comme un document officiel et répond aussitôt par l’affirmative puisque, au sens de cette loi, est un document officiel toute information enregistrée sur un support quelconque, détenu par l’autorité dont elle émane ou à laquelle elle a été communiquée et qui concerne l’accomplissement d’une tâche publique. Elle souligne quand même que les documents qui n’ont pas atteint leur stade définitif d’élaboration ou qui sont destinés à l’usage personnel ne sont pas considérés comme des documents officiels.

L’Office soutenait que les informations contenues dans un agenda n’entrent pas dans le champ d’application de la loi. Même si le fonctionnement d’une telle administration n’est aujourd’hui plus concevable sans l’utilisation d’agenda électronique, on ne saurait néanmoins en inférer que l’agenda Outlook serve directement à l’accomplissement d’une tâche publique.

Erreur, corrigent nos Juges fédéraux, la LTrans ne vise pas que des documents destinés à être archivés dans les cartons. Au contraire, elle est là pour promouvoir la transparence quant à la mission, l’organisation et l’activité de l’administration. Elle contribue également à informer le public. Dans ce cadre, les informations contenues dans Outlook dépeignent globalement l’activité officielle du chef de notre armée. Celui-ci a utilisé son agenda en rapport avec l’accomplissement de sa fonction et, donc, aussi pour exécuter des tâches publiques, même si des rendez-vous privés et des anniversaires y étaient aussi consignés. En conséquence, ledit agenda doit être considéré comme un document officiel auquel la LTrans est applicable.

À l’Office contestant de surcroît que les rendez-vous saisis dans cet agenda puissent être considérés comme des informations pertinentes, nos Juges répondent que la LTrans vise toute information enregistrée sur un quelconque support. Donc, savoir si et, le cas échéant, pour qui l’information est importante ne joue aucun rôle. En outre, il ne saurait être question de « voyeurisme » comme l’affirme l’Office. Outlook donne dans son ensemble une vision de l’accomplissement de la fonction du chef de l’armement et des processus de la direction militaire. Il s’agit donc d’une information pertinente.

L’Office prétendait encore que l’agenda Outlook en question ne constitue pas un document ayant atteint un stade définitif d’élaboration, parce qu’ils ne montrent pas si les rendez-vous inscrits ont effectivement eu lieu ni si la liste des participants aux réunions est restée inchangée.

À ce sujet, nos grands penseurs retiennent que la demande du journaliste porte sur une période révolue, à savoir les deux dernières années. Le document demandé est donc à cet égard définitif. La liberté d’action de l’autorité n’est ainsi exposée à aucun risque reconnaissable. D’ailleurs, l’Office n’en allègue aucun. Il se contente d’exposer que l’agenda Outlook n’indique que des rendez-vous et des séances prévus, sans préciser si ces événements se sont effectivement déroulés de la manière et avec les participants annoncés. Là, ils se réfèrent aux arguments du journaliste qui indiquait  – avec raison selon eux – que d’éventuelles modifications de programme (non-inscrites) sont inhérentes à un tel agenda et qu’il importe seulement de connaître les projets du chef de l’armement et qui il avait l’intention de rencontrer. Comme le public doit savoir que les inscriptions d’un agenda ne concordent pas toujours avec les occupations effectives de son utilisateur, il n’y aurait aucun risque de malentendu.

L’Office avait aussi soulevé l’argument que l’agenda Outlook était destiné à l’usage personnel du chef de l’armement. Il n’a donc servi que d’outils de travail et d’aide-mémoire pour l’organisation des rendez-vous sans apporter de vision sur l’activité administrative utile au public. De surcroît, ils n’étaient accessibles qu’à un cercle restreint de personnes, soit aux cadres les plus élevés de la direction de l’Office.

Pour le TF, cela ne joue aucun rôle. Outlook n’est pas seulement destiné à l’organisation individuelle du temps disponible, à la mémorisation des événements prévus et aux invitations. Il sert aussi à la communication et à la coopération entre collaborateurs, dont il soutient également l’activité. Ce n’est donc pas un document destiné à l’usage personnel. Il a une influence déterminante dans l’ensemble de l’activité et des processus de l’Office, même si son cercle de personnes habilitées à y accéder est limité. C’est au contraire un instrument de conduite essentielle dont aucun cadre supérieur ne saurait se passer aujourd’hui.

Les Juges fédéraux se sont enfin attelés à la question des caviardages opérés systématiquement et sans explication par l’Office sur le « résumé » transmis au journaliste. Ils considèrent qu’aucun indice concret ne dénotent en quoi la communication de l’agenda pourrait compromettre soit la sécurité individuelle du chef de l’armée, soit la sécurité intérieure ou extérieure de notre beau pays. Même s’ils reconnaissent une certaine pertinence aux arguments selon lesquels la divulgation d’entretiens confidentiels dans la coopération internationale en matière d’armement et de recherche pourrait nuire aux intérêts de la politique extérieure de la Suisse et choquer des partenaires étrangers, ou accroître le risque d’accords anticoncurrentiels dans le secteur des fournitures où règne la confidentialité, ou, encore, entraîner la révélation de secrets d’affaires, ces motifs ne justifient pas le refus complet de la consultation de l’agenda. Hormis les événements privés, pouvant être caviardés sans faire de chichi, chaque autre amendement doit faire l’objet d’une explication individuelle quant à sa justification pour satisfaire au principe de la transparence. Non sans un certain humour, la Haute Cour relève qu’avec la LTrans le législateur a opéré un changement de paradigme et renversé le principe du secret de l’administration. Ce n’est plus le secret sous réserve de transparence, mais la transparence sous réserve du secret !

En conséquence, même si c’est un travail de fourmi, chacun des rendez-vous occultés, et il y en a des wagons, devra faire l’objet d’un commentaire précis et d’une justification adéquate pour être admise comme devant être soustrait à l’accessibilité de la presse selon la LTrans. Donc, l’Office devra réexaminer chacun de ses caviardages conformément aux principes exposés dans l’arrêt !

N’est-ce pas merveilleux ? La transparence est désormais devenue une valeur Suisse à élever au rang du chocolat et des coucous. On ne peut s’empêcher de voir dans cette nouvelle forme d’acquisition les scories de la disparition du secret bancaire. Si, bien évidemment, la transparence est de mise pour que nous puissions nous assurer du bon fonctionnement de nos institutions, on peut néanmoins s’étonner que, même dans un pays démocratique, on pousse le vice aussi loin en obligeant nos plus hauts dirigeants n’ont pas à nous lever le voile sur leurs petits apéros entre amis, mais bien sur un pan de leur activité ou la confidentialité est en principe de mise. On ne peut s’empêcher de penser qu’une telle demande formulée aux États-Unis, en France, voire en Russie, se heurterait à une fin de non-recevoir sèche et sonnante. On peut même imaginer que, même si elle émanait d’un journaliste accrédité auprès des plus hautes institutions étatiques, son auteur puisse rencontrer quelques tracas. Mais, pas de problème chez nous. Ici on lave plus blanc que blanc et, si vous voulez savoir si notre grand chef de guerre a rencontré Poutine pour prendre le thé, y’a qu’à demander ! L’administration doit vous dérouler le tapis rouge…

§ 3 réponses à YAKA demander !

  • merci Monsieur pour cet article très intéressant. Certaines personnes vont s’étouffer en prenant connaissance de ce nouveau paradigme: Ce n’est plus le secret sous réserve de transparence, mais la transparence sous réserve du secret ! Il va neiger …
    Et maintenant il va falloir appliquer la transparence à d’autres domaines. Par exemple en réclamant que la vidéo devienne la norme dans les Tribunaux suisses. Merci de signer la pétition figurant en 3 langues dans les dernier articles de mon blog. http://egalitedescitoyens.blog.tdg.ch/
    Meilleures salutations.

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    • MeFaire dit :

      Personnellement, je ne suis pas pour la vidéo systématique dans les salles d’audience, notamment pour des motifs de protection des victimes dans certaines affaires délicates. Par contre, je suis pour que les débats judiciaires soient enregistrés sur un support audio, ce qui permettra de vérifier la bonne tenue du PV par exemple. Le système de prendre au moyen d’un appareil sténo l’intégralité des débats, c’est-à-dire sans que ce soit le magistrat qui dirige la tenue du PV, pourrait aussi être envisagé.

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  • A Me Faire: Pour quelques cas (1% des cas ?) faudrait-il priver de vidéo le 99% des autres citoyens ? L’institution judiciaire refuse d’utiliser la vidéo pour pouvoir continuer à manipuler les faits comme elle le désire. La transparence est urgente. Meilleures salutations.

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