Le Serment de l’avocat : kèzaco ?

11/03/2015 § 2 Commentaires

Pour répondre à une question d’un follower sur la Twittosphère (le_leTigre, que je salue au passage), question se rapportant au serment de l’avocat, (s’il était partout le même ? réponse : non, pas tout à fait, mais la philosophie est identique), voilà qu’on tombe sur ce texte édifiant, paru dans la Gazette du Palais, du Dimanche 3 au mardi 5 septembre 2006, sous la plume de l’excellent confrère Patrick Michaud.

Voici donc un petit historique du serment d’avocat made in France, dont les barreaux romands se sont fait pour la plupart les héritiers. Nous ne sommes plus des auxiliaires de la Justice, mais des chevaliers du droit (selon le Confrère Michaud). Jolie formule, mais lourde responsabilité…

Le serment de Badinter : un socle pour le développement économique des avocats

Patrick MICHAUD (*) Avocat au Barreau de Paris
Ancien membre du Conseil de l’Ordre http://www.michaud2006.com

« Je jure, comme avocat, d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ». Nous, avocats, connaissons tous cette formule, sésame pour tout homme ou femme qui aspire à devenir avocat, mais également synthèse en cinq mots, qui sont autant de qualités, de l’essence même de notre déontologie professionnelle et de nos « fonctions dans la cité ». Et pourtant, un grand nombre d’avocats n’a pas prêté ce serment, pour la simple raison que les termes précités n’ont d’existence légale que depuis la loi du 31 décembre 1990 (article 2). Depuis son apparition au Moyen-Âge, le serment de l’avocat a en effet subi bien des modiications, qui reflètent la complexité des relations que le Barreau entretient avec le pouvoir politique.
I. LE PREMIER SERMENT :
UNE SOUMISSION RELIGIEUSE

Le principe d’un serment professionnel prêté par l’avocat remonte au droit romain : le Code de Justinien précise notamment (livre III, titre I) que l’avocat doit jurer sur les Évangiles de ne rien négli- ger pour la défense de son client et de ne point se charger d’une cause reconnue comme mauvaise.
Ces principes se retrouvent dans l’ordonnance de Philippe III Le Hardi du 23 octobre 1274, qui cons- titue l’une des premières dispositions réglementai- res relatives au Barreau français : « Les avocats, tant du Parlement que des bailliages et autres justices royales jureront, en latin ; sur les saints Évangiles qu’ils ne se chargeront que des causes justes, et qu’ils les défendront diligemment et fidèlement ; et qu’ils les abandonneront dès qu’ils connaîtront qu’elles ne sont point justes. Et les avocats qui ne voudront point faire ce serment seront interdits jusque à ce qu’ils l’ayant fait. Les salaires seront proportionnés au procès et au mérite de l’avocat, sans pouvoir néanmoins excé- der la somme de trente livres. Les avocats jure- ront encore qu’au-delà de cette somme ils ne prendront rien directement ou indirectement. Ceux qui auront violé ce serment seront notés de parjure d’infamie, et exclus de plein droit de la fonction d’avocats, sauf aux juges à les punir sui- vant la qualité du méfait. Les avocats feront ce serment tous les ans. Et cette ordonnance sera lue tous les ans aux assises ».

En 1344, le Parlement de Paris énumère en détail les obligations que l’avocat doit jurer de respecter. Indépendamment des principes généraux déjà évoqués, il doit s’engager à ne pas faire usage de moyens dilatoires ni d’affirmations inexactes ou étrangères à la cause. Le maximum de trente livres de rémunération est rappelé, mais l’avocat doit également promettre de toucher des sommes bien inférieures pour des affaires de peu d’importance.
À la fin de l’Ancien régime, ces textes du Moyen- Âge sont toujours connus et cités. Mais le serment que prête le nouvel arrivant au Barreau tient en quelques mots : il doit simplement promettre et jurer devant les magistrats du Parlement « d’observer les ordonnances, arrêts et règlements de la Cour ». Le renouvellement annuel du serment paraît avoir été pour sa part plus un rituel qu’une véritable obligation. Il n’est pas effectué par tous les avocats.
Au XVIIIe siècle, le Bâtonnier et les Anciens qui assistent avec lui à la rentrée des juridictions (au mois de novembre) renouvellent leur serment en jurant sur l’Évangile que leur présente le Premier président du Parlement. Cette cérémonie résume bien la double dimension, professionnelle et religieuse, qui caractérise le serment de l’avocat jusqu’à la Révolution, à l’exclusion de toute allégeance au pouvoir politique.
Si les avocats ont pu jurer d’être fidèles au roi pendant la guerre de Cent ans ou les guerres de reli- gion, ces serments qu’ils prêtaient avec d’autres sujets de la royauté n’étaient motivés que par un contexte politique troublé, et s’ajoutaient au ser- ment professionnel sans se confondre avec lui.
II. DE LA RÉVOLUTION JUSQU’À 1982 : LE SERMENT D’AVOCAT ÉTAIT DEVENU UNE ALLÉGEANCE POLITIQUE

En 1790, le Barreau est supprimé et le « défenseur officieux » se substitue au « ci-devant avocat ». Le serment professionnel ne réapparaît qu’avec la renaissance d’une profession réglementée, en 1804. Mais la formule alors retenue porte la marque des temps nouveaux : les futurs avocats doivent jurer
« de ne rien dire ou publier, comme défenseurs ou conseils, de contraire aux lois, aux règlements,
aux bonnes mœurs, à la sûreté de l’État et à la paix publique, et de ne jamais s’écarter du respect dû aux tribunaux et aux autorités publiques » (article 31 de la loi du 13 mars 1804). Le serment avait perdu sa dimension religieuse (il n’est plus prêté sur les Évangiles), mais il revêt désormais un caractère politique qui, durant près de deux siècles, sera lié à l’exercice de la profession.
Le poids du pouvoir se fait encore plus lourd lors- que Napoléon consent, sans enthousiasme, à rétablir les Ordres d’avocats. Je rappelle que le premier bâtonnier de l’époque, notre confrère Delamalle, avait été nommé par le duc de Massa, garde des Sceaux. L’Empereur décida alors de compléter le texte du Premier consul : indépendamment des engagements déjà formulés en 1804, le candidat au Barreau doit jurer « obéissance aux constitutions de l’Empire et fidélité à l’Empereur » et encore
« de ne conseiller ou défendre aucune cause que je ne croirai pas juste en mon âme et conscience » (1).
Cette dernière disposition, héritière du droit romain, n’est pas retenue par les Bourbons, qui conservent en revanche les termes de 1804 et corrigent le mode d’expression d’allégeance au pou- voir. L’avocat jure désormais « d’être fidèle au Roi et d’obéir à la Charte constitutionnelle » (2). La même ordonnance (article 39) faisait interdiction à un avocat de plaider en dehors de son ressort sans l’autorisation préalable de son bâtonnier, du Premier président de la Cour et du garde des Sceaux. Notre confrère Drault, du Barreau de Poitiers, avocat d’office pour défendre le général Berthon, a été alors radié par la Cour pour avoir soutenu que ce texte constituait une violation du droit fondamental du libre choix de la défense.
Louis-Philippe se contente d’une pure modification de forme (3) ; la formule de 1804 demeure en vigueur et l’avocat promet en outre « fidélité au Roi des Français, obéissance à la charte constitutionnelle et aux lois du royaume ».
La deuxième République a la sagesse de renoncer au serment de fidélité exigé par les régimes précédents, mais n’en maintient pas moins les termes de 1804 (4). Elle est imitée en cela par le Second Empire (5) et la troisième République (6). Le gouvernement de Vichy, à défaut d’imposer un serment de fidélité et d’obéissance au régime (7) modifie la formule de 1804 la « sûreté de l’État » devient la « sûreté extérieure », tandis que « le respect dû aux tribunaux et aux autorités publiques » devient « le respect dû à la justice et aux autorités de l’État français ».
L’avocat doit en outre ne rien dire ou publier de contraire « aux règles de l’honneur professionnel et de la confraternité » (8). Ce nouveau serment ne connaît qu’une existence éphémère. Il est abrogé dès le 3 septembre 1943 par un décret du Comité français de libération nationale, qui rétablit le serment en vigueur sous la troisième République, fidèle au texte de 1804. Celui-ci est de nouveau retenu lors de la nouvelle réglementation de la profession en 1954 (9). Désormais vieille d’un siècle et demi, la formule élaborée sous le Consulat parais- sait immuable.
C’est sans compter sur la série de mutations que vont connaître le Barreau et les professions voisines. Lors de la réforme de 1971, le texte de 1804, bien que maintenu, doit désormais cohabiter avec des exigences inconnues jusque-là : il est demandé à l’avocat de respecter, outre les tribunaux et les autorités publiques, « les règles de [son] ordre », et surtout d’exercer sa profession « avec dignité, conscience, indépendance et humanité » (10).
Pour la première fois, le texte du serment ne se contente pas d’exiger de l’avocat le respect des lois, des « bonnes mœurs » et des pouvoirs établis y compris « les règles de son Ordre » ; il fait aussi mention de qualités humaines et professionnelles :
« Je jure, comme avocat, d’exercer la défense et le conseil avec dignité, conscience, indépendance et humanité, dans le respect des tribunaux, des autorités publiques et des règles de mon Ordre, ainsi que de ne rien dire ni publier qui soit contraire aux lois, aux règlements, aux bonnes mœurs, à la sûreté de l’État et à la paix publique ».
Quelques années plus tard, un décret du 9 novembre 1979 abroge une mesure prise sous Napoléon (11) en vertu de laquelle le serment des avocats était renouvelé traditionnellement chaque année lors de la rentrée judiciaire (12). Il est ainsi mis fin à une tradition vieille de plus de 700 ans.
III. LE SERMENT DE BADINTER : UN SERMENT D’AVOCAT LIBRE ET RESPONSABLE
Un pas gigantesque : la mutation de 1982 et ses suites.

En 1982, le législateur rompt totalement avec la tradition consulaire, à la faveur d’une discussion parlementaire tendant à réviser la législation relative à la répression des fautes commises à l’audience par un avocat. À la suite de plusieurs événements qui discuté et modifié par l’Assemblée nationale. La commission des lois (dont le rapporteur est Gisèle Halimi) observe que la loi à réformer prévoit de sanctionner l’avocat pour « tout manquement aux obligations que lui impose son serment » commis à l’audience. Elle suggère en conséquence une nouvelle formulation du serment, afin de garantir au mieux la liberté de défense. Le texte proposé par la commission des lois (et approuvé par le gouvernement) rejette l’héritage napoléonien et retient seulement les quatre vertus introduites en 1972. L’avocat jure simplement « d’exercer la défense et le conseil avec dignité, conscience, indépendance et humanité ». L’Assemblée nationale (22 avril 1982) puis le Sénat (3 juin 1982) adoptent ce texte sans difficulté. Un amendement, tendant à ajouter « dans le respect des lois », est présenté à l’Assemblée, mais retiré lors de la discussion. Aucun orateur ne se fait le défenseur de l’antique formule de 1804, définitivement abrogée par la loi du 15 juin 1982.
Les déontologues du Barreau soulignent la double innovation que constitue la formulation adoptée en 1982 : le serment est désormais dépourvu de tout caractère politique et ne comporte plus d’interdictions ; il exige seulement de l’avocat quatre qualités, présentées par le ministre de la justice, Robert Badinter, comme les « quatre vertus cardinales de l’avocat ».
L’autre nouveauté de ce serment est de résulter d’un débat parlementaire : le serment de l’avocat ne relève désormais plus du domaine réglementaire mais du domaine législatif. C’est en conséquence une loi seule qui peut modifier les termes du serment.
Mais bien plus importante devait être la modification survenue dix ans plus tard. Lors des débats parlementaires relatifs à la réforme de 1990-1991, la formule du serment a été profondément mais trop discrètement remaniée. L’avocat jure en effet d’exercer non plus « la défense et le conseil », mais probité n’est pas une qualité primordiale du Barreau.
Ainsi défendue, la probité (considérée comme un devoir professionnel par la réglementation depuis Napoléon) rejoint la dignité, la conscience, l’indépendance et l’humanité parmi les termes du serment (article 2 de la loi du 31 décembre 1990).
Ces différentes qualités figurent au rang des principes essentiels de la profession, dont la méconnaissance constitue une faute professionnelle. C’est dire que si la formulation actuelle du serment garantit la liberté de la défense, elle met également l’accent sur les exigences de l’éthique professionnelle. Les médecins avaient « le serment d’Hippocrate », les avocats ont « le serment de Badinter ». L’analyse politique de ce serment nous libère de toutes servitudes religieuses, politiques, judiciaires et autres. Par le serment de Badinter, nous sommes redevenus les héritiers des Lumières c’est-à- dire des contestataires mais aussi des créateurs de droit.
Notre serment n’est plus le serment d’un auxiliaire de justice mais celui d’un chevalier du droit et de la justice dont les « fonctions » sont d’abord de défendre et de protéger l’homme dans tous les aspects de sa vie tant au niveau du conseil que du litige, de les conseiller, les représenter et les assis- ter notamment devant le juge mais aussi de participer à la création du droit en proposant notamment aux magistrats de créer de nouvelles règles de droit adaptées à chaque situation humaine de notre époque.
Notre serment ne vise plus la défense et le conseil mais l’ensemble des fonctions d’un avocat. Être avocat est plus qu’un métier ; être avocat est aussi une fonction.
Notre serment, le serment de Badinter, nous permettra alors de reprendre notre place, toute notre place dans la cité.

(*) Cette étude n’a pu être réalisée que grâce à l’assistance d’Yves Ozanam, archiviste du Barreau de Paris, les conclusions politiques n’engageant que l’auteur.
(1) Article 14 du décret du 14 décembre 1810.
(2) Article 38 de l’ordonnance du 20 novembre 1822.
(3) Décision du 22 octobre 1830.
(4) Décision du 13 septembre 1848.
(5) Décision du 30 avril 1852.
(6) Décret du 20 juin 1920, art. 23
(7) Projet que le Conseil de l’Ordre avait pris soin de rejeter dès le 21 février 1941.
(8) Acte dit loi du 26 juin 1941, article 23.
(9) Article 23 du décret du 10 avril 1954.
(10) Article 23 du décret du 9 juin 1972.
(11) Article 35 du décret du 6 juillet 1810.
(12) Usage dont s’acquittaient en principe le Bâtonnier et le Conseil de l’Ordre, mais qui n’avait plus cours à Paris.

§ 2 réponses à Le Serment de l’avocat : kèzaco ?

  • Le Tigre dit :

    Oh merci ! d’avoir fait ce travail de recherche pour un Tigre. Fort intéressant. Je relirai demain à tête reposée. Et peut-être des questions.

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  • Les avocats dans le canton de Vaud doivent prêter serment. Mais étant donné qu’ils savent qu’ils sont bien protégés par la justice, ils font de fausses déclarations en toute quiétude. Je détiens les preuves écrites concernant trois avocats. Les preuves sont simplement ignorées par les juges … Quant à la Commission d’éthique de l’Ordre des avocats vaudois, impossible d’y accéder car le Bâtonnier fait barrage … Meilleures salutations et merci pour votre article. Mes salutations au Tigre et mes félicitations pour sa ténacité.

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