Le Juge qui ne peut pas acquitter
01/31/2014 § 5 Commentaires
Il y a toutes sortes de magistrats. Les jeunes, qui compensent leur manque d’expérience par une attitude du genre « à moi, on ne me la fait pas ». D’autres plus âgés, certains cassants et distants, d’autres, facétieux, affûtant derrière leur petit sourire la phrase qui crucifiera dans un instant votre client. D’autres encore, d’apparence débonnaire, mais dont le côté bon-papa cache la finesse du raisonnement. Il y a ceux qui ne peuvent se priver de donner leur avis sur ce que l’on ne leur demande pas (il faudra que j’y revienne un jour), ceux qui veulent liquider la séance le plus rapidement possible pour aller jouer au golf, ceux qui égarent les pièces, en particulier le bordereau déposé la veille. Ceux avec qui vous avaient fait vos études et dont, au moment le plus intense de l’audience, vous vous rappelez les frasques lors des soirées universitaires. Et soudain, en plein milieu de l’audience, vos regards se croisent et vous êtes surs que, là, ils savent exactement à quoi vous pensez. Et puis, aussi ceux avec qui vous êtes bien content de n’avoir pas fait d’études, etc
Et puis, il y a Lui ! Lui, il est une catégorie à lui tout seul. Lui, il parle à son crayon, plutôt qu’à son greffier, car son crayon le comprend. Lui a une confiance absolue dans le système, car le système ne peut pas se tromper. Si un justiciable est déféré devant lui, aucune chance qu’il puisse s’agir d’une erreur.
Il y a quelques temps, il devait juger une affaire de trafic de stupéfiants. L’un des prévenus, toxicomane, avait financé sa consommation propre en vendant de la drogue, notamment à mon client, qui lui-même avait organisé son petit business. Pour sortir de prison, le premier avait avoué tout ce que les policiers voulaient entendre, en particulier des quantités de drogue totalement extravagante vendue à ses clients, dont mon lascar, qui n’avait surtout pas les moyens de s’acheter autant de drogue, même s’il en revendait une partie. Si l’on considérait la quantité totale de drogue prétendument vendue sur la durée retenue par la police (environ 2 semaines), on arrivait en moyenne à une consommation quotidienne que même le plus endurci des junkies n’arriverait pas à tenir. Lui, imperturbable : Non Maître, vous ne pouvez pas prétendre que votre client ne peut avoir consommé ou vendu autant de drogue en si peu de temps à si peu de clients, car, quand son dealer avoue ces quantités aux policiers, ils s’incriminent lui-même. Donc, il minimise certainement les faits ! Si, maintenant, il faut s’attendre à un peu de jugeote de la part d’un toxicomane incarcéré et en état de manque qui pense uniquement à sortir de tôle au plus vite, on est bien !
Lui a donc une confiance absolue en la police. Un policier, ça ne peut pas mentir. Pourquoi ? Bon sang, mais c’est bien sûr ! Il a prêté serment de fonction. Donc, dès cet instant, sa parole est d’or. Bon, on peut comprendre ce brave Juge. Jamais au grand jamais, il n’a été question, que ce soit, dans notre petit landerneau judiciaire, chez nos voisins, ou dans le monde entier, pour viser large, d’un quelconque dérapage, d’une quelconque affaire de corruption ou d’abus de pouvoir de la part des représentants de la maréchaussée !
Donc Lui, il est là pour condamner. Non pas, parce qu’il aime ça, mais parce qu’il est profondément convaincu qu’il s’agit là de sa mission sur terre et que, ainsi, il contribue à la bonne marche du système, dont il est l’un des rouages essentiels. Alors, quand je me retrouve devant lui avec un client accusé de recel, entendu en 2012, dans le cadre d’une autre affaire et chez qui on a retrouvé un appareil de photo volé en 2008, je m’attends à tout. Pourtant, le dossier est vide. Comme la police visait un plus gros poisson, ils ont à peine accordé une once d’attention à cet appareil, signalé volé 4 ans plus tôt, à l’autre bout du pays. Dans un procès-verbal le fleuve, consacré à l’affaire principale qui avait toute l’attention des inspecteurs, mon client avait juste déclaré que son frère, repartit depuis au Mexique, avaient acheté cet appareil dans la rue à un de ses copains, avec facture, garantie et tutti quanti, pour la moitié du prix de l’appareil neuf. Deux lignes et demie dans le rapport final de la police. Une enquête qui a abouti à une impasse sur les faits principaux et une ordonnance de condamnation contre mon client et son frère pour recel, infraction justifiée par cette phrase lapidaire : « X et son frère Y auraient dû se douter que la provenance de cet appareil était délictuelle ». Pourquoi ? Mystère, pas un mot d’explication. C’est comme ça un point c’est tout.
D’aucuns y verraient une certaine forme de rancœur de la part du Procureur, pour n’avoir pas réussi à coincer mon client sur une infraction plus croustillante. Mais je ne peux pas croire qu’un magistrat puisse être rancunier et veuille faire condamner une personne, alors qu’il sait pertinemment qu’il n’a pas le moindre début de preuve de sa culpabilité et qu’il ne se donne même pas la peine d’en chercher. Toujours est-il que l’ordonnance de condamnation du Procureur est frappée d’opposition, ce qui nous conduit devant un Juge pour débrouiller cette ténébreuse affaire. Lui !
Il n’y a pas à dire, il est en forme ce matin. Il empoigne la séance à bras le corps, oubliant de demander au préalable, comme le veut la procédure, s’il y a des questions préjudicielles. Il n’y en avait pas, d’accord, mais bon, faut quand même demander, c’est marqué dans la loi… Alors, monsieur, vous avez vu le vendeur, il avait l’air de quoi ? Vous dites qu’il y avait une garantie, vous l’avez vue ? Oui, d’accord, mais l’avez-vous lue ? J’ai bien compris que vous me dites que c’est votre frère qui l’a acheté, mais est-ce que vous avez lu le certificat de garantie ? Est-ce que vous avez comparé le n° de série indiquée et celui de l’appareil ? Comment vous ne vous rappelez plus aujourd’hui la date précise de l’achat en 2009 ? Etc., etc.
La plaidoirie est courte. Elle se résume à rappeler le principe d’accusation, qui veut les faits soient précisément décrits et que l’on comprenne sur quels éléments précis on veut se fonder pour accuser et condamner. Le dossier est vide, il n’y a aucune preuve que mon client pouvait se douter que l’appareil acquis par son frère et qu’il a ensuite laissé au moment de quitter le pays avait été volé. Le prix n’avait d’ailleurs rien d’extravagant pour un appareil d’occasion. Bref, un acquittement doit être prononcé.
Une heure de délibération plus tard, le Juge revient dans la salle d’audience, respire un bon coup et déclare le plus sérieusement du monde que… le dossier est renvoyé à l’instruction pour complément d’enquête !
On va compléter quoi, nom d’un petit bonhomme ? Mon client a toujours dit la même chose. Son frère est retourné au pays il y a 3 ans et on ne va pas faire une commission rogatoire internationale pour un malheureux appareil photo. Personne ne connait l’identité du vendeur, qu’on ne pourra donc pas entendre. Les faits se sont déroulés il y a 5 ans.
J’imagine la tête du Procureur qui voit ce dossier revenir sur son bureau. Va-t-il avoir le bon sens de classer cette affaire sans faire de chichi, histoire d’éviter des frais totalement inutiles à la collectivité ? Ou le Parquet va-t-il faire une niche au Siège en lui retournant à nouveau le dossier, genre réponse du berger à la bergère ? S’il choisit la 2e solution, mais que va bien pouvoir faire notre Juge qui ne peut (et ne veut) pas acquitter ? Le retourner à nouveau à l’instruction ? Un problème quasi-kafkaïen dont mon client est le jouet involontaire.
Un jouet dont j’aimerais bien que le Juge qui ne peut pas acquitter se lasse. En attendant son prochain exploit… Mais, avec Lui, tout est possible !
Et pendant que des juges s’occupent d’une stupide affaire d’appareil de photo, des notables ayant réalisé des infractions pénales qui devraient être poursuivies d’office (faux dans les titres, abus de confiance, etc) ne sont pas inquiétés (canton de Vaud). Suite à mes plaintes pénales, aucun notable n’a été interrogé, ni aucun témoin et mes plaintes ont obtenu « refus de suivre ». Il s’agit d’une décision totalement arbitraire, car aucune procédure pénale n’a eu lieu. Vraiment scandaleux dans une démocratie.
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Je me demande si, en Suisse, un juge peut être condamné quand il ne fait pas son métier correctement. Cela est-il déjà arrivé qu’un juge soit condamné ? Merci d’avance à ceux qui pourraient me fournir un exemple.
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Mon cher Maître,
… et que pensez-vous du juge qui octroie des dommages-intérêts aux fans de Michael Jackson ? soit à des « victimes » du décès d’un homme qu’elles ne connaissaient pas ?? 🙂
http://www.lematin.ch/monde/Michael-etait-comme-mon-frere/story/24578091
Grosses Bises.
C.
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L’article ne dit rien à propos des frais judiciaires et des honoraires des avocats. Qui les supporte ? Ce serait intéressant, parce que, finalement, victimes ou non, avec un franc symbolique, elles n’iront pas loin.
Cela dit, je suis en train de faire le compte de mes rocks stars préférées et susceptibles de mourir bientôt. Pas de quoi devenir riche non plus…
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Il y a aussi ceux qui se trompent « volontairement ». On les met dans quelle catégorie ceux-là ? :-)))
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