Crédibilité et véracité

04/24/2018 § 6 Commentaires

Extrait du Journal @Mefaire, du 20 avril 2018…

… où, sous les mains expertes de notre capilliculteur préféré, on muse dans la presse de boulevard au milieu des mèches tombantes pour y dénicher cet article intitulé : Viols : Méchant doute sur le test de crédibilité des victimes.

Tiens donc.  Un tribunal peut-il à la fois considérer qu’une victime présumée d’inceste est «crédible», que ses accusations sont «probables», et qu’elle n’avait aucun intérêt à mentir – tout en décidant d’acquitter l’accusé au bénéfice du doute? C’est en tout cas la conclusion à laquelle sont arrivés mercredi trois juges de la Cour d’appel pénale neuchâteloise. En l’absence du principal intéressé. Portugais de 46 ans, l’homme reconnaît avoir abusé de sa nièce par alliance il y a douze ans lorsque celle-ci en avait 20. Mais nie fermement avoir violé sa fille, Carla* (aujourd’hui âgée de 26 ans), entre 2002 et 2008.

Et de poursuivre… lors d’un examen psychologique dit de crédibilité, Carla a rempli l’ensemble des 19 critères reconnus par le Tribunal fédéral (TF), censés permettre de distinguer les récits d’événements vécus de ceux inventés de toutes pièces.

Fidèle à sa pratique, l’auteur de l’article s’en va demander chercher des avis externes, dont une Procureure spécialisée dans les affaires de mœurs. Elle se déclare choquée par ce verdict, rejoignant sans doute l’immense cohorte des gens bien pensants, qui – comme elle – n’ont pas lu le dossier complet ni assisté aux débats et qui ne connaissent finalement de cette affaire que ce qu’on leur a rapporté, avec toute la subjectivité et la sélectivité que cela implique.

Votre serviteur ne connaît pas plus les arcanes de ce dossier, certes. Toutefois, trois éléments ont été gentiment balayés sous la carpette dans cette chronique judiciaire :

  • une expertise de crédibilité, même si tous les critères sont remplis, ne permet pas d’établir qu’une personne dit la vérité; elle ne permet que de conclure que son récit est crédible (d’où son nom), donc que son histoire peut être vraie, mais non qu’elle est vraie, ce qui est très différent;
  • comme il y a rarement dans un dossier une photo avec l’auteur en train de commettre son forfait un sourire sardonique aux lèvres, le Tribunal doit mettre plusieurs éléments bout à bout pour se forger une intime conviction sur le bien-fondé de l’accusation et, comme toutes preuves vont rarement dans la même direction, il y a (presque) toujours des éléments dissonants dont il devra aussi tenir compte;
  • si, une fois la somme de tous ces faits réunis, il subsiste un doute, même ténu, il doit profiter à l’accusé et celui-ci se voir relaxé, qu’il soit présent ou non (ici, l’homme est resté au Portugal, d’où il ne peut être extradé, malgré son engagement à revenir), c’est une règle absolue.

Beaucoup persistent toujours à croire qu’il suffit de condamner à tout va pour éradiquer le crime. Heureusement, depuis Voltaire et l’affaire Calas, nous savons que ce n’est pas vrai…

§ 6 réponses à Crédibilité et véracité

  • Rüf Antoine dit :

    Pauvre Voltaire, malheureux Calas, à quelle sauce ne vous accommode-t-on pas! En fait, on sait depuis les premières vengeances privées (était-ce chez les Magdaléniens, l’Homme de Tautavel ou notre brave Cro-Magnon) que la répression n’éradique pas le crime. A preuve, il s’en commet encore, et toujours quelques dizaines de millénaires plus tard… La problématique de l’affaire Calas n’est pas celle de la répression comme outil de prévention, mais celle de l’erreur judiciaire, d’une Justice arbitraire rendue avec des oeillères et des verres opaques, méprisant les faits au profit d’un préjugement moral (ou plutôt: « moral »), socio-culturellement orienté.

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    • MeFaire dit :

      L’allusion à Voltaire était bien dans cet état d’esprit. Mes réminiscences littéraires m’avaient soufflé que c’est à l’occasion de l’affaire Calas qu’il avait soulevé ce principe, repris en chœur par les avocats pénalistes, mais qui ne figure dans aucun code, selon lequel il valait mieux cent coupables en liberté qu’un seul innocent en prison. Ma mémoire m’a cependant joué un petit tour. C’est bien Voltaire, mais dans son livre Zadig ou La destinée, qui a écrit en 1747 : « <Le roi avait perdu son premier ministre. Il choisit Zadig pour remplir cette place. […] C’est de lui que les nations tiennent ce grand principe : qu’il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent » Mea culpa, mea maxima culpa

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      • Rüf Antoine dit :

        Mieux vaut un repentant non coupable et en liberté que cent coupables non repentants et emprisonnés. Acquittement sans autre forme de procès. Mais il faut cultiver notre jardin (Candide)

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  • Le Tigre dit :

    Je doute qu’une gamine de 16 ans à l’époque des faits, violée pendant 6 ans par son propre père, apprécie vos citations de Voltaire. Quant à la vague socio-culturellement orientée, elle n’existe que par le fait que les victimes ne sont pas reconnues dans leurs droits depuis des millénaires.

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    • MeFaire dit :

      Le point n’était pas de savoir si l’acquittement était juste ou pas. Ces expertises de crédibilité, tout comme l’ADN, n’est pas une preuve définitive de l’innocence ou de la culpabilité, ce que l’article tendait à faire croire.

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  • piji dit :

    On ne peut admirer que la différence d’approche entre l’avocat de la défense et le Juge (de quelque instance qu’il soit). L’avocat se pose des questions, de savoir si telle déclaration est compatible, avec tel ou tel autre document, si un tel comportement est compatible avec la réalité. Le juge arrive avec ses gros souliers. Si une expertise dit que la neige est chaude, elle sera chaude. Si un témoin dit que le prévenu marchait au plafond avec l’air coupable, on retiendra l’air coupable.

    Car les juges ont des certitudes. Il doit être très intéressant de lire les considérants des juges qui s’occupent de personnes intégristes, de voir ce qu’ils pensent de gens qui ont aussi des certitudes mais pas les mêmes qu’eux.

    Le doute ne suffit pas. Maintenant on veut un doute qualifié. Si le témoin marchait au plafond sa vie privée ne regarde pas le tribunal. Il ne faut pas se perdre dans les détails.

    Et il est rappelé que les coupables n’ont ni souvenirs ni émotions, ils n’ont que des mobiles.

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