La concentration des pouvoirs dans les mains du MP, un progrès ?… Vraiment ?

11/30/2017 § 2 Commentaires

 Extrait du Journal, du 28 Novembre 2017,

… où la préparation d’un cours sur les grands principes de la procédure pénale attise quelques réflexions, ruminées au fil des pages de ce journal.

Commençons par la concentration des pouvoirs en main du Ministère public (MP). Bye bye le Juge d’instruction, maître de cérémonie de l’enquête depuis l’ancien régime. La faute aux énarques zurichois qui ont réussi à imposer leur modèle axé sur un MP omnipotent depuis les premiers balbutiements de l’instruction. Et là, c’est un peu comme le secret bancaire. On se rend compte aujourd’hui à quel point nous nous sommes fait encorner, le remède étant pire que le mal.

Certes, le Juge d’instruction (JI) n’était de loin pas le plus parfait ou le plus impartial des magistrats. Preuve en est que, lors du changement de régime en 2011, la plupart ont retrouvé de l’embauche chez les Procs ! Le concept d’instruction à charge  et à décharge s’apparentait à de la physique cantique pour beaucoup d’entre eux. Mais au moins, on savait à qui on avait à faire. Un magistrat au rôle bien défini, à mi-chemin entre le Parquet et la défense, qui supervisait l’instruction et après basta.

Tandis que, maintenant, le procureur a d’abord la responsabilité de l’instruction, appelée procédure préliminaire, puis celle de l’accusation. Deux casquettes qui sont antinomiques !

En effet, dans le cadre de cette fameuse procédure qui n’a de préliminaire que le nom – parce qu’elle conditionne toute la suite – le Parquet n’est plus une partie, mais une autorité indépendante. Il assure la direction de la procédure, décide des mesures à ordonner, supervise l’administration des preuves, etc.

Les défenseurs de nouveau système diront que, en vertu de la maxime de l’instruction, il est toujours  tenu de rechercher d’office tous les éléments pertinents à charge et à décharge. La belle affaire ! Si, avant, on avait à faire à un JI, qui avait certes souvent la tête près du bonnet, le Proc’ d’aujourd’hui sait que, s’il pense aller au procès avec son dossier, il faut le bétonner d’entrée de cause. Parce que, plus tard, devant le Tribunal, où il ne sera plus que l’accusateur public, c’est-à-dire une partie au même titre que la défense ou le lésé, il sera trop tard. Alors, forcément, c’est humain, au lieu de se contenter de collecter les différents éléments du dossier, il ira surtout piocher là où ça peut faire mal…

Au moins, avec le JI, la défense avait une sorte d’interface avec le Parquet, ce qui assurait un certain équilibre des forces. Tandis que, maintenant, tous les pouvoirs sont en mains du MP, d’où l’inconvénient de n’être pas d’emblée sur un pied d’égalité, puisque, avant de devenir la robe de l’Etat devant le Tribunal, le Proc’ est tout d’abord un magistrat qui n’a de compte à rendre qu’à la loi. Cette double casquette donc, juge un jour et partie le lendemain, a sans conteste une influence très nette sur l’objectivité de la procédure préliminaire que les innombrables voies de recours prévues par le Code de procédure pénale (CPP) ne parvient pas à gommer tout à fait, du moins la plupart du temps.

Qu’on le veuille ou non, selon ce système nouveau voulu par des technocrates du droit, le centre de gravité historique du procès pénal, les débats, s’est sensiblement déplacé vers la procédure préliminaire. L’oralité des débats, ainsi que l’immédiateté des preuves, ont pris un coup dans l’aile, reléguant souvent l’audience, soit l’essence même du procès pénal, au rang de simple formalité administrative.

Dans bon nombre d’affaires, exit les témoins, bien sûr plus ou moins impartiaux, les experts et leur jargon souvent abscons, les agents dénonciateurs confits dans leurs certitudes, bref, tout ce qui permettait aux Juges du sièges comme on dit d’avoir une vision complète de la situation. Seul compte désormais pour eux le sacro-saint dossier, auquel ils se raccrochent souvent comme une bouée de sauvetage et que l’avocat de la défense devra souvent leur faire lâcher au forceps, pour assurer le nécessaire contrepoids qui permet de conduire à une juste sentence.

Ces « progrès » de la technique judiciaire constituent quoiqu’on en dise une menace claire sur la garantie d’un procès équitable et de l’égalité des armes. Lorsque le Procureur, victime d’une conviction par trop optimiste, s’est trop engagé en faveur de la culpabilité de l’accusé, maintenant celui-ci en détention préventive, malgré la présomption d’innocence, persuadé que sa duplicité éclatera sous peu, qu’il se rend compte petit à petit que les moyens engagés restent lettre morte et que son beau dossier prend l’eau, alors, la tentation de vouloir sauver les meubles en se mettant des œillères mettra en péril ces beaux principes. Les décisions qu’il est susceptible de prendre à cet instant pourront être lourdes de conséquences.

Donc, pour conclure, sur cette question, en attendant la suite, la suppression du JI a induit une menace claire sur l’instruction à décharge et surtout l’égalité des armes entre l’accusé et le Parquet, susceptibles de ne jamais pouvoir être complètement rétablie durant la phase du procès, si la défense n’y est pas particulièrement attentive dès les premiers pas de « l’affaire ».

§ 2 réponses à La concentration des pouvoirs dans les mains du MP, un progrès ?… Vraiment ?

  • Le Tigre dit :

    Bon, si j’ai bien compris la Magistrature distille son absinthe en vase clos fermentée par ses propres règles pendant que les avocats chantent des cantiques sous un arbre de Noël d’une physique très rhétorique tandis que leurs clients quantifient leurs épines :-)))

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  • Michèle Herzog dit :

    D’après mon expérience, les procureurs font ce qu’ils veulent, ignorent totalement les articles du Code de procédure pénale, ne recherchent pas la vérité (les demandes de pièces requises sont simplement ignorées) et décident de classer les plaintes pénales alors que des infractions poursuivies d’office sont clairement effectuées …
    Etant donné que les procureurs ne sont jamais sanctionnés … ils n’ont aucunes raisons de pratiquer autrement.

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